Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Europe: Tragédie de l’Aquarius, ou l’échec
de la politique migratoire de l’UE (Eurotopics)

L'Aquarius, photo d'archives de mai 2017. (© picture-alliance/dpa)

bandeau eurotopicsLe nouveau gouvernement espagnol a accepté que le bateau de sauvetage Aquarius et les 629 réfugiés se trouvant à son bord accoste dans le port de Valence. La traversée de la Méditerranée reste néanmoins délicate, en raison notamment du manque de vivres. Pendant plusieurs jours, Malte et l’Italie avaient toutes deux refusé l’accostage du bâtiment. Pour les commentateurs, le drame de l’Aquarius illustre l’échec cuisant de la politique migratoire européenne.

Source:  Eurotopics
 

L’Italie ne peut gérer seule la question migratoire

L’Italie place l’Europe devant ses responsabilités, pointe Le Monde dans son éditorial :

«La méthode choisie par le nouveau ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini, est choquante. En refusant l’entrée dans les ports italiens de migrants recueillis au cours d’opérations supervisées par le centre de coordination des secours de Rome, il va à l’encontre des engagements internationaux pris par son pays. Mais cette décision a le mérite de faire comprendre à tous que le secours et l’accueil des migrants venus d’Afrique ne peuvent être du seul ressort de l’Italie. Or, c’est bien elle qui, depuis 2014, a recueilli sur son sol plus de 600 000 demandeurs d’asile, sans obtenir de ses partenaires beaucoup plus que de belles paroles.»

 

Une ‘prise d’otages’ qui ne restera pas impunie

La prise d’otages et le chantage ne mènera pas Rome bien loin, vitupère Andrea Bonanni, correspondant de La Repubblica à Bruxelles :

«Pour son premier test international, le gouvernement populiste aux commandes en Italie n’a pas hésité à prendre comme bouclier humain plus de six cent personnes non armées et désespérées, dans l’espoir de faire entendre sa voix en Europe. Ce n’est pas un bon départ. Salvini veut voir dans l’intervention de l’Espagne la preuve de la réussite politique de sa stratégie. C’est une grave erreur. Le gouvernement du socialiste Pedro Sánchez ne s’est pas montré solidaire avec l’Italie, mais avec les otages que le gouvernement italien avait pour ainsi dire jetés sur la table de négociation européenne. Maintenant qu’ils sont en sécurité, l’Europe entière demandera des comptes à Salvini et consorts pour un comportement que Paris trouve ‘à vomir’.»

 

Il n’y a pas d’antidote au populisme européen

L’Aquarius est devenu le symbole d’une amère réalité, constate Népszava :

«Il nous montre que les partis populistes ont de beaux jours devant eux en Europe. On se trompe si l’on espère que les forces europhobes et radicales seront repoussées. Ce ne sont que des lubies. La question des réfugiés est une mine qui sera exploitée politiquement pendant des années, des décennies. Les partis traditionnels ne pourront rien y faire. … Ces réfugiés qui meurent à petit feu dans des conditions dramatiques sont les victimes d’un jeu politique.»

Une UE paralysée et impuissante

Dans La Stampa, le politologue Gian Enrico Rusconi se demande de qui le ministre de l’Intérieur Salvini peut bien vouloir parler quand il affirme que l’Europe est un bouc émissaire :

«Pour des raisons de politique intérieure, Salvini a décidé de défier ouvertement l’Europe. Or sa rhétorique (‘nous ne sommes plus des esclaves’) présuppose l’existence d’une puissance souveraine qui se défile aujourd’hui dans les faits. Les différentes agences et institutions européennes en appellent confusément au principe humanitaire qui veut que l’on secoure les personnes en détresse. … Mais où est le ‘souverain’ européen, légitimé à décider de manière efficace et consensuelle ? Ce n’est pas le Parlement sis à Strasbourg, ce n’est pas la Commission, mais le Conseil européen des Etats européens. Or celui-ci n’est ni en mesure d’annuler l’accord de Dublin, ni de le réformer. Le décideur souverain virtuel est paralysé, il est impuissant.»

Gian Enrico Rusconi

page d’accueil de La Stampa

Le gouvernement socialiste espagnol riposte

Dans son éditorial, El País salue les signaux positifs émis par le gouvernement Sánchez :

«En prenant la décision d’autoriser l’Aquarius et ses 629 passagers, des migrants secourus en mer, à accoster à Valence, le gouvernement espagnol appuie la cause de ceux pour qui le sauvetage humanitaire est prioritaire et pour qui il y a une alternative à la fermeture des ports et des frontières revendiquée par l’extrême-droite. … Ce geste revêt d’autant plus de signification qu’il intervient à un moment où l’Europe est gagnée par un discours agressif vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière. Quand le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, déclare ‘pour les migrants clandestins, la belle vie, c’est fini’, non seulement il distord la réalité, mais il attise aussi la violence.»

On ne joue pas avec des vies humaines

L’issue positive de l’épisode est loin de justifier les moyens choisis par Rome pour passer en force, rappelle Corriere della Sera :

«Un élément reste extrêmement indigeste : une politique qui n’hésite pas à jouer au poker avec des vies humaines. Reste aussi l’arrière-goût assez grotesque d’une joute diplomatique entre une puissance mondiale (en sommes-nous encore une ?) et un Etat [Malte] dont la superficie est tout juste six fois celle de l’île d’Ischia. Par ailleurs, pour les migrants, le scénario a changé du tout au tout. La nouvelle situation pourrait même leur être profitable. L’épisode de l’Aquarius et l’exemple espagnol constituent des précédents irréversibles. D’une certaine manière, les accords de Dublin ont été changés dans la pratique avant d’avoir été changés dans les dossiers diplomatiques. On devrait toutefois s’abstenir de se prêter à d’autres jeux à risques.»

La compassion ne fait que stimuler le trafic de migrants

Les opérations de sauvetage en Méditerranée et le bras tendu par l’Espagne risquent d’aggraver le problème, critique The Daily Telegraph :

«Un observateur réaliste de la situation doit se demander si la présence même de ces bateaux de sauvetage n’encourage pas les gens à payer des passeurs et à risquer leur vie, sachant qu’ils seront acheminés vers un port européen plutôt que rapatriés en Afrique, vers Tunis ou Alger. Le nouveau Premier ministre espagnol Pedro Sánchez ne manquera pas d’être acclamé pour avoir accepté d’accueillir l’Aquarius et ses passagers. Mais son action, bien qu’elle parte d’un bon sentiment, ne résoudra pas ce problème et risque d’aggraver encore le trafic d’êtres humains auquel l’UE essaie de mettre fin.»

L’Europe a le gouvernement italien qu’elle mérite

L’UE a abandonné l’Italie sur la question des réfugiés et en est maintenant pour ses frais, rappelle Der Standard :

«Lorsque Salvini et le Premier ministre Giuseppe Conte disent qu’il est inadmissible que des bateaux de sauvetage publics et privés venant de tous les pays continuent d’acheminer les migrants en quasi-exclusivité vers l’Italie, eh bien ils ont raison. Les prédécesseurs de gauche de Salvini et Conte avaient tenu le même discours – et les partenaires de l’UE les avaient laissé parler. L’absence de solidarité dans la gestion de la crise des réfugiés a été une des principales raisons de la victoire électorales des populistes europhobes. A présent, la moitié du continent tremble de peur face à Rome – son budget aléatoire et ses tirades contre l’euro. Mais en forçant un peu le trait, on peut dire que l’Europe a obtenu le gouvernement italien qu’elle méritait.»

Crise migratoire : pas d’éclaircie en vue

Dans la crise des réfugiés qui frappe l’espace méditerranéen, il n’y a ni coupables ni solutions simples, lit-on dans Echo Moskvy :

«Les pays civilisés croyaient que s’ils renversaient de mauvais régimes, ceux-ci seraient remplacés par de bon régimes, ne se figurant pas que les mauvais régimes puissent être supplantés par d’autres régimes mauvais, voire pires. … Par millions, les réfugiés sont en exode vers la riche Europe. … A qui la faute ? Aux réfugiés qui veulent sauver leur peau ? Ou aux Italiens qui en ont assez d’être les urgentistes de l’hôpital européen ? Faudrait-il noyer ces migrants ? Ou essayer de ramener la paix dans les pays qu’ils fuient ? Commencer une guerre est chose facile. Instaurer la paix en revanche peut durer tellement longtemps que les jeunes migrants auront le temps de devenir vieillards. Il y a beaucoup de variantes amenés à mal se terminer, mais pas de dénouement heureux en perspective. »

C’en est fini de l’humanisme

Le nouveau ministre italien de l’Intérieur saborde la politique migratoire, fulmine La Repubblica :

«En une semaine seulement, Matteo Salvini a défiguré la politique migratoire italienne, dans la tentative délirante d’ériger un mur en Méditerranée. Il a définitivement démoli l’esprit humanitaire qui caractérisait Mare Nostrum [opération de secours du gouvernement italien], lancée en 2013 pour empêcher que le canal de Sicile ne se transforme en cimetière marin. … Dans un crescendo électoral permanent, sans se préoccuper des répercussions, sans se soucier de son rôle institutionnel, il n’a eu de cesse de hausser le ton, jusqu’au tweet d’hier soir : ‘Nous fermons les ports’.»

Gianluca Di Feo

Pas d’Union sans solidarité

Avant de critiquer la décision, il faudrait savoir une bonne fois pour toutes si le principe de solidarité prévaut encore dans l’UE, fait remarquer pour sa part Corriere della Sera :

«Le paragraphe 2 de l’article 67 du traité sur le fonctionnement de l’UE établit explicitement la ‘solidarité entre les Etats membres’ en matière d’asile. Il y a pourtant eu très peu de solidarité jusque-là entre les Etats membres. Comment, dès lors, oublier la fermeture des ports français et espagnols l’été dernier, avec la caution tacite des institutions européennes ? La coupe est pleine. Les propos de circonstances et la rhétorique européiste ne nous sont plus d’aucun secours. Si la solidarité en matière d’immigration ne devient pas un projet d’action concret de l’UE, alors le projet d’intégration européen sera voué à un inexorable déclin.»

  Ginevra Cerrina Feroni

page d’accueil du Corriere

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sénateurs-asile-immigration
 
 
À l’heure où notre militante, Martine Landry, est poursuivie pour « délit de solidarité », les sénateurs débattent du projet de loi asile et immigration. Si ce projet est adopté en l’état, plusieurs mesures mettront en danger les droits des réfugiés et des migrants et menaceront de poursuites pénales ceux qui leur viennent en aide.

Martine n’avait fait qu’apporter son aide, du côté français de la frontière, à deux adolescents guinéens auparavant expulsés de France de manière illégale. Cette situation souligne la nécessité de modifier la loi française : il faut mettre un terme aux poursuites contre des personnes qui, comme Martine, apportent leur aide humanitaire ou une assistance juridique aux migrants et réfugiés, sans en retirer un bénéfice financier ou matériel.

Ensemble, appelons les présidentes et présidents de groupes au Sénat à garantir les droits des réfugiés et migrants et à protéger ceux qui agissent pour les défendre.
 
 
J'AGIS
 
Il est urgent de réformer la loi française pour empêcher de telles poursuites, régulièrement engagées à l’encontre de personnes impliquées dans des actions humanitaires ou d’assistance juridique auprès des migrants et réfugiés.

Merci de votre soutien.
 
 
  sylvie  
Sylvie Brigot-Vilain
Directrice Générale d'Amnesty International
France
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  Photo : Hémicycle du Sénat © www.senat.fr

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ONU: le «oui, mais» de Mgr Auza au projet
de pacte mondial pour les migrations (Zenit)

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Des services de santé controversés

À propos du projet de « Pacte mondial pour une migration sûre », élaboré par l’ONU, Mgr Auza s’est félicité des «efforts constants visant à préserver l’intégrité et l’objectif du Pacte mondial» et à «combler les lacunes de protection qui subsistaient dans la version précédente du projet». Il s’est dit satisfait du projet révisé qui «reflète adéquatement le caractère juridiquement non contraignant du Pacte et, en même temps, établit un cadre normatif complet des meilleures pratiques et des politiques migratoires». Mais il émet de lourdes réserves sur les services de santé.

Mgr Bernardito Auza, nonce apostolique et observateur permanent du Saint-Siège, est intervenu à la séance d’ouverture du cinquième cycle des négociations intergouvernementales sur le Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière, à New York, le 4 juin 2018.

Le représentant du Saint-Siège a en revanche dénoncé «l’inclusion de documents non négociés au niveau international qui ne partagent pas le consensus à l’Assemblée générale», entre autres la promotion explicite du «paquet de services de santé controversé connu sous le nom de MISP». Il a donc demandé la supression des «  références aux principes du HCDH (Haut Commissariat aux droits de l’homme) et au Manuel GMG (Global Migration Group) ».

Lire la traduction par Hélène Ginabat du discours de  Mgr Auza: ONU: le «oui, mais» de Mgr Auza au projet de pacte mondial pour les migrations (traduction complète), Zenit, 05/06/18

La petite Mawda : une déshumanisation qui s’implante chez nous et entre nous (Reli-infos)

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Une « Opinion » très interpellante de Guillaume de Stexhe, professeur émérite à l’UCLouvain – Saint Louis Bruxelles.

Les migrations : du Mexique à l’Australie et à la Méditerranée, un des plus grands défis, et une des pires tragédies, du temps que nous avons à vivre. Leur réalité est compliquée, et les façons de l’assumer le sont plus encore – à la différence des alternatives simplistes: frontières soit étanches, soit effacées ; l’entre-soi barricadé, ou bien les sociétés dissoutes dans la pure circulation de tous partout ; le refus fanatique du métissage, ou bien l’indifférence aux moyens, au rythme et aux limites de l’intégration… Fantasmes de « solutions » instantanées et parfaites, oublieux soit de l’exigence, soit des conditions d’une socialité concrète et durable dans un monde globalisé (et il est si rassurant d’appartenir à un camp et de maudire l’autre : fachos / bobos…). Mais la responsabilité agissante, dans un monde tragique, ne peut que tenter sans cesse des solutions limitées, des bricolages partiels, progressifs, coûteux, toujours insatisfaisants.

Pourtant, ces simplismes ne sont pas équivalents : les uns sont animés par le goût de la fraternité, d’autres par la peur, parfois par la haine que nourrit la peur. C’est précisément là-dessus que la tragédie qui secoue notre pays me fait réfléchir ; non pas (hélas) pour dessiner une orientation concrète et positive face à ces défis, mais pour saisir la menace mortelle qu’ils font peser sur nous. La mort de la petite Mawda doit nous ouvrir les yeux: petit à petit, jour après jour, incapables d’affronter vraiment le défi des nouvelles migrations, nous nous habituons à la fuite dans l’inadmissible l’indigne, l’inhumain.

Poussés à se comporter de façon inhumaine

Mawda, tuée d’une balle. Au ras de l’événement, et sans en connaître les détails: pour la police, tirer lors d’une course-poursuite violente, on peut en imaginer la logique – même si dans ce cas, c’était sans doute illégal, et en tous cas inadmissible en sachant qu’il y avait des enfants dans la camionnette. Mais c’est la suite qui interpelle le plus : séparer les parents et le petit frère de la petite fille mourante. Les empêcher de l’accompagner dans l’ambulance. Leur interdire de la rejoindre à l’hôpital. Leur passer les menottes – oui, les menottes ! Les enfermer au cachot, en séparant du papa la maman et le petit frère. Pendant que la petite agonise et meurt seule, loin d’eux. Les laisser longuement sans nouvelles. Ouvrir la porte du cachot pour leur annoncer qu’elle est morte. La refermer en les laissant avec cela. La rouvrir pour leur donner l’ordre de quitter immédiatement le territoire – dans les vêtements tachés du sang de leur petite fille, dont ils auraient dû abandonner le corps (après autopsie)… Ce que crie cette séquence inimaginable, et même en tenant compte du chaos initial, c’est que de braves gens – policiers, fonctionnaires – sont amenés chez nous à se comporter de façon inhumaine. Voilà où nous en sommes.

Comment en est-on arrivé là ? Cette question est tout autre que la recherche de « coupables ». Evidemment, les policiers sont sous pression, entre le flux de migrants désespérés, exploités par des passeurs sans scrupules, et les instructions pressantes (et illusoires) d’y mettre fin. Mais surtout, depuis l’arrivée au pouvoir des ministres de l’Intérieur et de l’Asile, Jan Jambon et Theo Francken, couverts sans défaillance par Charles Michel et les partis de la coalition, leurs directives et surtout leur communication, largement relayée dans les médias et l’opinion, légitiment cette inhumanité en déshumanisant systématiquement les migrants : en les réduisant à des illégaux ; puis à des délinquants ; puis à des criminels ; enfin à des ennemis publics, potentiellement ou vaguement plus ou moins islamistes ou terroristes.

Une déshumanisation qui s’implante chez nous et entre nous

Déshumaniser ainsi les migrants, c’est déshumaniser du même coup les fonctionnaires en contact avec eux. Lorsqu’ »on » attrape des migrants, on leur arrache systématiquement et on détruit leur minuscule bagage: affaires de toilette (outils de la dignité), médicaments, sacs de couchage, provisions, vêtements et chaussures – même parfois une attelle ou un pansement posés sur une blessure. Ce qui est grave, c’est qu’il ne s’agit pas de bavures, mais d’une procédure officielle, obligatoire, « normale ». Pour les terroriser et les faire fuir, on déchire les tentes où se trouvent parents et petits enfants; on les chasse d’un endroit à l’autre plusieurs fois dans la même nuit; on les enferme en cellule longuement… Les récits de mauvais traitements dans les commissariats se multiplient ; et faut-il rappeler la collaboration jamais regrettée, avec les tortionnaires de la police soudanaise pour identifier les migrants de leur pays avant de les leur livrer ?

C’est ce long processus de déshumanisation, à la fois des migrants, transformés en gibier criminel, puis des agents de l’Etat belge, transformés en chasseurs ou en brutes, et finalement de nous-mêmes, devenant habitués, consentants, indifférents, qui a porté ses fruits dans le traitement infligé à la famille de Mawda plus encore que dans la balle qui l’a tuée: traitement inhumain mais devenu légal, légitime, normal. Que le Oremier ministre reçoive ensuite la famille, et quel que soit son propre ressenti subjectif, objectivement ce n’est désormais plus autre chose que camoufler en « compassion » pour un « accident » une déshumanisation qui est la ligne politique du gouvernement, et dont il ne compte pas changer d’un millimètre, et qui s’implante ainsi chez nous et en nous.

Une déshumanisation qui s’implante chez nous et entre nous. Car ses victimes, ce ne sont pas seulement les migrants, pris en étau entre leurs pays de misère, les polices, et des passeurs mafieux. Les victimes, c’est nous-mêmes, comme personnes, et comme société. Nous, nos voisins, nos collègues, nos amis, nos enfants, qui nous déshumanisons petit à petit. En trouvant ces pratiques d’abord bien tristes, mais inévitables. Ensuite regrettables, mais normales. Ensuite normales et bien nécessaires. Ensuite tout à fait justifiées. Et finalement une excellente chose. Une grande partie de la société belge en vient à ce regard déshumanisant – et déshumanisé.

Le chemin de l’ignoble

Je ne connais pas « la solution » au défi que représentent les nouvelles migrations; je pense que les politiques et les intellectuels ne réussissent pas à élaborer et diffuser des perspectives plausibles et concrètes, à court, moyen et long termes, en déterminant de façon réaliste leurs limites, les moyens qu’elles exigent, à inventer de nouvelles pratiques, et à reconstruire sur cette base une opinion publique raisonnable, au-delà des fantasmes simplistes (frontières ouvertes/frontières étanches). Mais je sais que si on reste dans cette dynamique de déshumanisation, on va au pire.

Pour célébrer son entrée en fonction, le ministre de l’Asile diffusait un clip immonde illustrant le sens de sa mission: il y attrapait un migrant (noir) par la tête avec une ventouse de WC et l’envoyait au diable. En acceptant cela, avant bien d’autres choses, sans le démissionner, le gouvernement s’est engagé, nous a engagés, dans le chemin de l’ignoble : que la mort de la petite Mawda en soit le révélateur – et le coup d’arrêt.

 Source: La Libre.be- 24-05-18

NDR: le président de la NVA a déclaré à propos de la mort de Mawda :

« La famille irakienne a demandé l’asile en Allemagne. Ils sont allés illégalement en Angleterre, après quoi ils ont été expulsés et ramenés en Allemagne. À la fin de l’année dernière, leur demande d’asile a apparemment été rejetée et depuis, ils ont déjà été arrêtés dans notre pays à trois reprises alors qu’ils voulaient retourner en Angleterre. Ils ont même été arrêtés une fois avec leurs enfants dans une camionnette réfrigérée ».

Et de conclure : « Même si la mort d’un enfant peut être tragique, il faut oser mettre ici la responsabilité des parents ». « Juste parler de ces personnes en tant que victimes ne me semble pas juste ».

Parmi les réactions scandalisées des autres partis, voici celle de Catherine Fonck sur Twitter :

« La seule chose dont on peut accuser les parents, c’est d’avoir cherché qqch de meilleur pour leurs enfants, qqch d’autre que la guerre. Inimaginable sans doute quand on a son petit confort en Belgique. Aujourd’hui ils ont perdu leur petite . Et ça mérite un minimum de respect et d’empathie ».

NDR: Si on suivait la logique de la NVA, on en viendrait à juger criminels les parents qui tentent de traverser la Méditerranée avec leurs enfants, alors qu’ils savent le danger de ce voyage.

Source: http://reli-infos.be/la-petite-mawda-une-deshumanisation-qui-simplante-chez-nous-et-entre-nous/

Nayla Tabbara, l’hospitalité en actes (La Croix)

Nayla Tabbara est née dans une famille religieuse et laïque.

Nayla Tabbara est née dans une famille religieuse et laïque. / Robert Kfoury

Faire de la place à l’autre dans sa vie quotidienne et jusque dans sa propre foi : tel est le credo de cette Libanaise, musulmane sunnite […]

Saisie par l’urgence du moment, Nayla Tabbara ne s’arrête jamais. Dans la même semaine, elle a, entre mille autres choses, bouclé une formation sur « la citoyenneté inclusive de la diversité » lancée en août dernier pour une centaine de jeunes leaders venus de treize pays du monde arabo-musulman – y compris la Mauritanie et le Soudan – ; participé aux côtés de chercheurs de toutes tendances, « des plus traditionnels aux plus modernes », à un colloque sur « le renouveau de la pensée islamique » organisé par l’Université américaine de Beyrouth ; donné une conférence sur « la théologie musulmane de la diversité » dans la très conservatrice université maronite de Kaslik ; ou encore lancé un nouveau programme à destination de responsables religieux centré sur les sciences politiques et les droits de l’homme. « Ici, au Moyen-Orient, on leur demande souvent d’intervenir sur des sujets politiques alors qu’ils n’ont pas nécessairement les connaissances pour le faire et cela peut causer beaucoup de dégâts », note-t-elle.

Relire  : L’Université américaine de Beyrouth célèbre ses 150 ans

La voix est douce, chantante, la constitution presque frêle. Mais il ne faut pas s’y tromper : dans un Moyen-Orient en proie aux communautarismes et aux fondamentalismes, le message est tout sauf consensuel. Derrière son apparente fragilité et son sourire lumineux, cette Libanaise – née dans une famille à la fois religieuse et laïque qui a choisi d’habiter dans l’un des rares quartiers mixtes de Beyrouth – cache une force peu commune.

Célibataire et non voilée elle désarme les réticences

Car il en faut, pour une femme, célibataire et non voilée, pour pousser les portes des milieux musulmans mais aussi chrétiens les plus traditionnels, désarmer les réticences et faire pièce aux préjugés… Ni ses études à l’Université américaine, puis à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, où elle continue à enseigner, ainsi qu’à l’Université grégorienne à Rome grâce à une bourse « Nostra aetate », ni son doctorat en sciences des religions, obtenu à Paris à l’École pratique des hautes études sur les interprétations mystiques du Coran, ne constituent des sésames suffisants.

Relire  : La fondation libanaise Adyan reçoit le Prix Niwano pour la paix

C’est bien davantage son expérience de terrain, et notamment celle acquise au sein de la fondation Adyan (« religions ») qu’elle a contribué à fonder avec le père Fadi Daou et d’autres et dont elle dirige aujourd’hui l’Institut de la citoyenneté et la gestion de la diversité (ICGD), qui l’ont aidée à conquérir sa légitimité.

Créativité et ténacité

Mais sa créativité et sa ténacité s’ancrent aussi dans un parcours de foi peu commun. Élevée « chez les sœurs », nourrie aussi d’enseignement coranique, elle n’a cessé de chercher où étancher sa soif spirituelle : dans la littérature New Age et les sagesses asiatiques, chez les mystiques (Thérèse d’Avila notamment), et finalement à nouveau dans l’islam, librement choisi comme « sa » voie après une expérience forte.

Un islam d’abord rigoriste et légaliste, puis de plus en plus imprégné de soufisme. Au point que Nayla Tabbara se définit aujourd’hui comme « à la fois hanifa et musulmane ». « Être hanîf, c’est suivre l’exemple d’Abraham qui n’est pas seulement le premier monothéiste mais aussi celui qui a eu le courage de se poser cette question cruciale : qui est mon Dieu ?, explique-t-elle. Cette attitude est valorisée par le Coran, qui appelle les croyants à ne pas faire comme (leurs) pères mais à trouver (leur) propre voie, comme le Prophète lui-même. »

Esprit critique et la spiritualité

Tout l’enjeu est là pour elle aujourd’hui : aider les musulmans à articuler ces deux dimensions fondamentales que sont l’esprit critique et la spiritualité. Quitte à changer le cadre médiéval de l’interprétation des textes. « Si le point de départ reste ”je représente la voix de Dieu sur terre, j’appartiens à la religion vraie et je dois la répandre par tous les moyens”, alors oui, nous courons à la catastrophe. Mais si je considère que ma religion m’appelle d’abord à défendre la dignité humaine, la miséricorde, la solidarité et à construire un monde meilleur, alors vivre ensemble avec nos différences devient possible », argumente-t-elle.

Contrairement à d’autres, Nayla Tabbara ne reste pas dans l’incantation. Loin d’attendre un hypothétique « concile Vatican II de l’islam », elle agit au quotidien pour diffuser cette manière de croire et de vivre sa religion qui « laisse la place à l’autre ». Son livre – L’Hospitalité divine. L’autre dans le dialogue des théologies chrétienne et musulmane (1) –, coécrit avec le père Fadi Daou, alimente les réflexions de plusieurs groupes de dialogue islamo-chrétien, y compris en Algérie. [… Lire la suite: Nayla Tabbara, l’hospitalité en actes, A.-B. Hoffner, La Croix, 25/05/18]