Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

ONU: l’«efficacité avérée» des organisations confessionnelles (Zenit)

 

logo zenitLes mentionner dans les Pactes mondiaux

Les organisations confessionnelles sont «non seulement pertinentes mais cruciales pour l’aide des migrants et des réfugiés, mais aussi pour le travail des États qui s’en occupent», déclare Mgr Auza qui demande leur reconnaissance dans les «Pactes mondiaux».

Mgr Bernardito Auza, nonce apostolique et observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies, a prononcé le discours d’ouverture de l’événement parallèle intitulé «Partage du parcours des migrants et des réfugiés : une perspective interconfessionnelle sur les Pactes mondiaux» aux Nations Unies, à New York, le 3 mai 2018.

Les organisations confessionnelles sont «uniques dans leur portée et leur présence à tous les stades du voyage migratoire», a insisté Mgr Auza. Elles comblent souvent « des lacunes dans les services aux migrants que les gouvernements et d’autres acteurs de la société civile sont incapables de combler – ou sont réticents à le faire – par leurs propres moyens ». Il a souligné « l’efficacité avérée des organisations confessionnelles dans l’assistance aux réfugiés et aux migrants ». […Lire la suite: « ONU: l’«efficacité avérée» des organisations confessionnelles, par Mgr Auza (traduction complète)« , Hélène Ginabat, Zenit, 07/05/18]

Le Niger expulse 140 Soudanais vers la Libye

Des migrants à bord d'un pick-up s'apprêtent à tenter la traversée du désert nigérien, à Agadez , le 25 mai 2015.
© REUTERS/Akintunde Akinleye

Ces réfugiés font partie d'un groupe arrivé il y a quelques jours de Libye. Pour des raisons de sécurité, les autorités d'Agadez les ont renvoyés du côté de Madama, à la frontière libyenne, d'où ils sont entrés.

Ces 140 hommes soudanais font partie de quelque 2 000 migrants soudanais et tchadiens qui ont gagné la ville d'Agadez il y a quelques jours en provenance de la Libye, et visibles un peu partout dans la cité de l'Aïr.

Selon des sources contactées à Agadez, ils sont à la recherche de titres de réfugiés. La centaine de migrants a été raflée la semaine dernière par la police, à la suite, se dit-il, de certaines familles qui ont peur de l'insécurité que pourrait engendrer l'arrivée massive de ces réfugiés et dont une partie des hommes maîtrise le maniement des armes.

Au vu de leur nombre, et ne sachant où les loger, les responsables de la ville d'Agadez sont débordés et le traitement des dossiers des demandeurs des titres de réfugié se fait chaque trimestre par une équipe d'experts venue de Niamey, la capitale.

Du côté des premières urgences, les organisations internationales pour les migrations sont à pied d'oeuvre. Selon des sources proches du dossier, le HCR gère la situation en donnant la priorité aux plus vulnérables, les femmes et les enfants.

D'autres raisons évoquées sont d'ordre sécuritaire. Un site d'or vient d'être découvert à une trentaine de km d'Agadez, tout près de Dabaga, à l'entrée de l'Aïr. Les autorités régionales craignent de voir s'installer de gros camps d'orpailleurs étrangers, avec tout ce que cela comporte d'insécurité et de trafic en tout genre.

Aux dernières nouvelles, la centaine de migrants soudanais a été renvoyée vers la Libye, malgré les appels à la retenue

Vers une distribution véritablement bénéfique
des aliments africains
dans les magasins d’alimentation de l’UE

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Une chose qui met en désaccord AEFJN avec les membres du monde des affaires, les décideurs politiques et les experts du développement est qu’AEFJN s’efforce de donner un visage humain aux politiques économiques. Il pose des questions qui ne portent pas tant sur les indices macroéconomiques, la croissance économique, l’introduction de nouvelles technologies ou le retour sur investissement, mais sur les gens – qu’est-ce qui arrive aux gens, en particulier les pauvres et les personnes vulnérables dans les chaînes politiques des pays et des conglomérats? C’est parce que nos valeurs incitent à regarder, non pas une économie orientée vers le PIB, mais une économie orientée vers les besoins humains. Dans cet esprit, nous sommes constamment poussés à nous interroger sur ce qui arrive à notre communauté humaine, sur les droits humains, sur la coopération et la solidarité humaines, sur la parité / l’égalité des sexes, sur l’autonomisation, sur le respect écologique, sur la distribution et, finalement, sur la justice. Cette orientation s’est de nouveau manifestée lors de notre récente conversation sur la dimension politique des habitudes alimentaires et de la chaîne de distribution des aliments de la diaspora africaine au cours du Forum sur l’alimentation et l’agroalimentaire de la diaspora africaine à Bruxelles.

Avant l’événement, AEFJN, en collaboration avec Food Bridge vzw, la Fédération des Africains Anglophones en Belgique, et les autres parties prenantes, a entrepris une enquête pour avoir une idée de l’ampleur de la participation de la diaspora africaine à l’agroalimentaire et au secteur alimentaire africain en Afrique et en Europe. L’objectif est d’aider les décideurs et les défenseurs du développement à cartographier les tendances et les potentiels sur le marché alimentaire de la diaspora africaine et à s’assurer qu’ils profitent aux Africains. Le résultat intéressant de l’enquête révèle qu’il existe d’énormes potentiels qui se rapportent au marché alimentaire de la diaspora africaine, mais qui ne bénéficient pas encore substantiellement à l’Afrique.

Un aperçu important de l’enquête a montré que la plupart des Africains en Europe ont une préférence pour les aliments africains. Bien qu’ils aient vécu en Europe pendant de très nombreuses années, leurs papilles ne se sont pas complètement adaptées aux cultures alimentaires européennes. Mais ce qui est étonnant, c’est que, bien que la plupart des membres de la diaspora se plaignent de ce que la nourriture africaine en Europe ne soit pas aussi bonne qu’en Afrique, et c’est compréhensible parce que les aliments en Afrique sont encore frais de la source ou du jardin, cependant la plupart d’entre eux sont encore prêts à consacrer une part très importante de leur budget alimentaire à la nourriture africaine. Oui! Ils ont quitté l’Afrique pour l’Europe, mais l’Afrique reste avec eux en Europe.

Cela souligne le fait souvent signalé que ce que les gens mangent est étroitement lié à leur sens de l’identité, qui influence fortement leurs choix et leurs préférences alimentaires. L’effort de patronner continuellement la nourriture africaine fourni par la diaspora en Europe, malgré la «dévalorisation» de sa qualité à travers la chaîne de transformation et de distribution, est une expression de la résilience de leur identité africaine à travers leurs choix alimentaires.[… Lire la suite: Vers une distribution véritablement bénéfique des aliments africains dans les magasins d’alimentation de l’UE, par Chika Onyejiuwa, AEFJN, 02/05/18]

À Abidjan, la JEC s’engage dans l’alphabétisation
de jeunes déscolarisés

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En Côte
d’Ivoire, la Jeunesse étudiante catholique (JEC) du diocèse d’Abidjan a organisé une journée diocésaine, samedi 28 avril à l’université Nangui-Abrogoua d’Abobo-Adjamé (nord).En marge de cette activité, 40 membres de la JEC se sont engagés comme volontaires pour l’alphabétisation de jeunes déscolarisés.
300 membres de la Jeunesse étudiante catholique (JEC) d’Abidjan ont organisé, samedi 28 avril, une journée diocésaine, à l’Université Nangui-Abrogoua d’Abobo-Adjamé, dans le nord d’Abidjan. À cette occasion, une quarantaine de membres de l’association se sont publiquement engagés comme volontaires auprès des apprentis de l’Action sociale en milieu urbain (ASMU).

Créée en 1985 par les jésuites, l’ASMU vient en aide, chaque année, à des centaines d’adolescents déscolarisés en leur offrant une formation qualifiante dans les métiers de l’artisanat : couture, peinture, mécanique-auto, climatisation, cuisine et pâtisserie. Ces jeunes y apprennent également à lire, écrire et calculer avec le concours de volontaires de la JEC.

Des centaines de jeunes alphabétisés chaque année

En 2017, l’ASMU a accueilli 100 adolescents venant de la commune Cocody et 350 de celle d’Abobo. Ils ont bénéficié des cours d’alphabétisation donnés par des étudiants de la JEC du Centre de recherche et d’action pour la paix (CERAP), dont dépend l’ASMU.

Sœur Martine Patron, religieuse xavière et directrice de la structure, a chaleureusement félicité les volontaires et invité les autres jeunes à s’engager parce que « les petits gestes ou actes contribuent à la sainteté ordinaire ».

Les étudiants désireux d’être encadreurs reçoivent au préalable des séances de formation en alphabétisation dispensées par la Direction de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle du ministère de l’éducation nationale.

Pourquoi devenir volontaires ?

Fiers de leur engagement auprès de jeunes défavorisés, les volontaires ont expliqué leurs motivations. [… Lire la suite:À Abidjan, la JEC s’engage dans l’alphabétisation de jeunes déscolarisés, Magloire Madjessous, La Croix-Afrique, 02/05/18]

A lire aussi <En Côte d’Ivoire, les jésuites forment les jeunes déscolarisés aux métiers de l’artisanat

Démographie africaine et migrations :
entre alarmisme et déni (The Conversation)

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Christian Bouquet, Université Bordeaux Montaigne

Il en est des chiffres de la population comme de ceux de l’abstention dans un scrutin démocratique : on peut leur faire dire ce que l’on veut entendre. Sur la démographie africaine, le spectre est très large entre ceux qui agitent l’épouvantail de la « croissance exponentielle » et ceux qui se réjouissent de toute cette jeunesse, symbole des dynamiques à venir. Dans ce débat, la voie du chercheur est étroite.

Des statistiques problématiques, mais qui vont toutes dans le même sens

Naturellement, on pourrait s’en sortir par défaut, en soulignant que la plupart des statistiques africaines sont contestables en raison des difficultés rencontrées dans nombre de pays pour conduire des enquêtes crédibles.

Il n’empêche que même les fourchettes basses sont élevées, et les courbes de croissance – minimales, maximales et médianes – toujours fortement ascendantes. Selon The World Population Prospects : The 2017 Revision, émanant du département des Affaires économiques et sociales de l’ONU, l’Afrique compte 1,256 milliard d’habitants, contre 640 millions en 1990. Sa population a donc doublé en un quart de siècle.

Si l’on ne retient que les chiffres essentiels, on note que son taux moyen de fécondité est de 4,7 enfants par femme (contre 2,2 en Asie et 2,1 en Amérique latine). Mais il atteint 7,4 au Niger – ce qu’avait bien lu Emmanuel Macron – ou encore 6,6 en Somalie et 6,3 au Mali. La pyramide des âges affiche une base très évasée, puisque 60 % des Africains ont moins de 25 ans. À ce rythme, on estime que l’Afrique comptera 1,704 milliard d’habitants en 2030, 2,528 milliards en 2050 et 4,468 milliards en 2100. Soit à cet horizon 40 % de la population mondiale, contre 17 % en 2017.

Le courage des précurseurs

Toutes ces données sont connues et généralement admises, mais elles ont souvent été enfouies dans le non-dit parce qu’elles génèrent un malaise dans les opinions publiques, et plus particulièrement dans les milieux scientifiques. Il a donc fallu beaucoup de patience et un certain courage à quelques auteurs, et notamment – surtout ? – en France, pour commencer à tirer la sonnette d’alarme malgré la réprobation de nombre de chercheurs.

L’un de ces précurseurs, Jean‑Pierre Guengant, résumait très bien la controverse dans un article de 2011 cosigné avec le démographe belge de la Banque mondiale John F. May :

« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les néo-malthusiens et les développementistes se sont violemment opposés, surtout dans les années 1960 et 1970. Les premiers présentaient le contrôle des naissances comme une condition indispensable au développement des pays qualifiés alors de “sous-développés”. Pour les seconds, seules des politiques vigoureuses en faveur du développement pouvaient permettre aux pays du Sud de sortir de leur situation, le développement socio-économique entraînant la réduction de leur fécondité, d’où le slogan “le développement est le meilleur contraceptif” ».

On se souvient des critiques récurrentes formulées – notamment en Europe – contre le Population Council, créé par John D. Rockefeller III en 1952 et financé par sa fondation, dans le but plus ou moins avoué d’encourager la contraception dans les pays « sous-développés ».

Parallèlement, les chercheurs et les politiques adoptaient, selon Stephen Smith (La Ruée vers l’Europe, Grasset, 2017, p. 61), trois types d’attitude dans la seconde moitié du XXe siècle : ce qu’il appelle avec bienveillance « l’inattention » (très peu d’études étaient consacrées au lien entre démographie et pauvreté au sud du Sahara), mais aussi le déni, et enfin la maladresse (wealth in people, la population est une richesse).

« Dans la chambre à coucher… »

Ces réactions demeurent d’actualité, ainsi qu’on a pu le constater lorsque Emmanuel Macron a déclaré, en marge du Sommet du G20 en juillet 2017 :

« Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. »

Outre les commentaires indignés de ses opposants traditionnels, il s’attira les foudres d’Angélique Kidjo :

« Moi ça ne m’intéresse pas qu’un Président, d’où qu’il vienne, dise à des millions [d’Africains] ce qu’ils doivent faire dans leur chambre à coucher ». (TV5 Monde, 10 septembre 2017).

De la part de l’ambassadrice de l’UNICEF, cette déclaration montrait bien à quel point l’incompréhension demeurait grave sur les enjeux démographiques africains. En même temps, on pouvait comprendre que la crainte de la stigmatisation ait pu peser sur bon nombre d’auteurs soucieux de ne pas trop se marginaliser par rapport au mainstream.

Une série de malentendus

En fait, le premier grand malentendu porte sur la réalité de la transition démographique, dont le moins qu’on puisse dire concernant l’Afrique subsaharienne est qu’elle demeure inachevée, bloquée en fin d’étape 2, avec des taux de natalité qui ne baissent que très lentement.

Influencés (ou non) par les recommandations du Population Council, certains pays avaient pris conscience de la nécessité de mettre en place des politiques de planning familial, parfois assez tôt comme le Kenya (1967) et le Ghana (1970), parfois avec un peu de retard comme le Sénégal et le Nigeria (1988). Mais la plupart de ces campagnes de sensibilisation échouèrent face aux résistances des milieux religieux et faute de moyens, notamment lorsque les programmes d’ajustement structurels asséchèrent les budgets de la santé et de l’éducation.

Le second grand malentendu porte sur la notion de dividende démographique, que les opinions publiques associent souvent à un bénéfice garanti dès lors que la population dite active (comprise entre 20 et 65 ans) est plus nombreuse que la population dite dépendante (moins de 20 ans et plus de 65 ans). C’est évidemment le cas en Afrique, mais la situation est piégeuse.

Dans son ouvrage cité, Stephen Smith évoque Jean‑Michel Severino (Le Temps de l’Afrique, Odile Jacob, 2010) et Serge Michaïlof (Africanistan, Fayard, 2015) qui, dit-il:

« ont vaillamment abordé la pyramide africaine des âges, le premier par l’adret, avec l’espoir que le continent bénéficiera d’un dividende démographique quand ses nombreux jeunes auront trouvé un travail rémunéré et le second par l’ubac, dans la crainte que cela n’arrive pas de sitôt et que l’Afrique en crise ne se retrouve dans nos banlieues. »

Il aurait dû ajouter à propos du dividende démographique : du travail dans le secteur formel.

Pour que les 30 millions de jeunes Africains qui arrivent chaque année sur le marché du travail rendent le dividende démographique bénéficiaire, il faudrait créer autant d’emplois dans le secteur formel, soit 30 millions par an d’ici à 2035. Pourquoi sommes-nous aussi sûrs de ces chiffres ? Parce que ces jeunes ne relèvent pas de la virtualité des projections démographiques : ils sont déjà nés.

Certes, on peut y croire, comme la Banque africaine de développement (BAD) ou l’Institut allemand du développement (DIE), qui pensent qu’un chiffre de l’ordre de 20 millions d’emplois créés annuellement est tenable. Mais on peut aussi en douter, ne serait-ce que parce que nulle amorce de ce processus n’est actuellement visible dans le paysage économique africain, qui continue à être largement dominé par l’informel. Alors la tentation de la migration risque d’être forte.

L’inévitable soupape migratoire

L’hypothèse de la soupape migratoire a longtemps été considérée comme inutilement alarmiste, et les auteurs qui osaient en parler à la fin du XXe siècle restaient très prudents. Jean‑Pierre Guengant lui-même soulignait, dès 2002, que la conjugaison « des arrivées massives sur le marché de l’emploi des pays du Sud, qui ne seront pas capables de les absorber, des facilités de déplacement, des informations sur les lieux de destination, etc. » conduirait inévitablement à des migrations internationales. Mais il restait sur le terrain du « développement » et ne se hasardait pas (encore) sur celui de la démographie.

En 2015 (Africanistan), Serge Michaïlof s’est affranchi du déni, au risque de la provocation affichée dans son sous-titre (« L’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? »). En reprenant les courbes de la démographie africaine, il rappelait que si l’on ne faisait rien, au plan de la démographie et du développement, on s’exposerait aux migrations massives vers l’Europe. Surfant entre les tabous, son ouvrage illustrait l’étroitesse du chemin qui s’ouvre actuellement aux chercheurs, parce que son argumentaire pouvait servir – bien involontairement – la cause de l’extrême droite.

Dans son dernier essai (La Ruée vers l’Europe, 2017), fort bien documenté et solidement argumenté, Stephen Smith va encore plus loin. L’ancien journaliste de Libération et du Monde, actuellement enseignant-chercheur à Duke University (États-Unis), affiche les chiffres cités supra (l’Afrique comptera 2 milliards d’habitants en 2050) et établit un parallèle avec la situation européenne au XIXe siècle : entre 1850 et 1914, alors que la population de l’Europe passait de 200 à 300 millions, plus de 60 millions d’Européens migraient vers les États-Unis (43 millions), l’Amérique latine (11 millions), l’Australie (3,5 millions) et l’Afrique du Sud (1 million).

Sur cette base, Stephen Smith fait l’hypothèse qu’une vague migratoire analogue entre l’Afrique et l’Europe pourrait atteindre des proportions telles qu’on compterait 150 à 200 millions d’Afro-Européens en 2050. Pour lui, ce mouvement massif de population ne serait donc pas un événement exceptionnel dans l’histoire du monde : il suffit juste de ne pas rejeter l’hypothèse a priori, au motif que celle-ci risque d’être brandie comme un épouvantail par les populistes européens.

Dans un débat publié en février par L’Obs, Stephen Smith était d’ailleurs interpellé sur ce sujet par Michel Agier en ces termes : « À qui faites-vous signe en écrivant cela ? À qui faites-vous peur ? »

« Une partie du destin de l’Europe se joue avec l’Afrique »

Tout est dit dans ces deux questions. Faut-il alors avoir peur d’écrire, ou bien faut-il passer sous silence des données qu’on regrettera peut-être, dans dix ou quinze ans, d’avoir occultées ? Faut-il négliger ce sondage Gallup (2016) indiquant que 42 % des Africains âgés de 15 à 24 ans (et 32 % des diplômés du supérieur) déclaraient vouloir émigrer ? En intitulant sa chronique du 8 février 2018 dans Le Monde : « Une partie du destin de l’Europe se joue avec l’Afrique », Alain Frachon a pris bien soin d’ajouter : « que nous le voulions ou non ».

Il semble de plus en plus clair que les opinions publiques européennes « ne le veulent pas », si l’on en juge par les résultats des élections les plus récentes en Italie, en Pologne, en Grande Bretagne, aux Pays-Bas, en France, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie. « La crise migratoire a retourné l’opinion publique européenne », écrit Sylvie Kauffmann (Le Monde), dans sa chronique du 7 mars 2018. Et elle insiste un mois plus tard : « La droite identitaire devient mainstream. Elle évince la droite classique, et pas seulement en Europe centrale » (4 avril 2018).

Traiter l’immigration africaine en Europe à sa juste dimension

Pour autant, les chercheurs qui ne partagent pas cette idéologie de rejet doivent-ils laisser le champ libre aux auteurs qui ont théorisé cette « menace migratoire », s’inscrivant dans la filiation de Jean Raspail, dont Le Camp des Saints (Robert Laffont, 1973) était devenu le livre de chevet de Steve Bannon, l’ex-conseiller anti-immigration de Donald Trump ? Nous avons laissé passer Bat Yé’or (Eurabia, Godefroy, 2006) et Renaud Camus (Le Grand Remplacement, Chez l’auteur, 2011) sans opposer de contre-feu digne de la recherche universitaire française en sciences sociales.

En 1991 pourtant, Jean‑Christophe Rufin – au-dessus de tout soupçon dans le présent débat – nous avait prévenus dans L’Empire et les nouveaux barbares : un nouveau limes était insidieusement en train de se dresser entre un Nord trop riche et un Sud trop pauvre. En 2001, il avait insisté dans la nouvelle édition de son livre prémonitoire sur la nécessité de regarder les choses en face. Mais, là encore, nous avions préféré regarder ailleurs.

Ainsi la démographie africaine doit-elle être abordée dans sa profondeur et dans son intégralité, sans tabou, en rappelant que deux des plus grandes puissances mondiales actuelles ne le seraient sans doute pas aujourd’hui si elles n’avaient pas conduit, en temps utile, des politiques de population drastiques.

De même, l’immigration africaine en Europe doit être traitée à sa juste dimension, en tenant compte à la fois de tous les paramètres chiffrés qui la sous-tendent, des obligations humanitaires qui sont celles des pays d’accueil, et des équilibres socio-économiques qu’il conviendra d’ajuster sans passion. Donc en évitant l’alarmisme et le déni, et sans craindre « l’approbation venue du mauvais côté », pointée par Hans-Magnus Enzensberger (Culture et mise en condition, Le Goût des idées, 2012) à propos des schémas totalitaires de la pensée.

Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux Montaigne

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.