Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

« Que les religions soient des aubes de paix, des voies de rencontre et de réconciliation »

Rencontre interreligieuse à Bakou (texte complet)

Rencontre interreligieuse à la mosquée de Bakou, Azerbaidjan @ L'Osservatore Romano

Rencontre interreligieuse à la mosquée de Bakou, Azerbaidjan @ L'Osservatore Romano

« Que les religions, dans la nuit des conflits que nous sommes en train de traverser, soient des aubes de paix, des semences de renaissance parmi les dévastations de mort, (…) des voies de rencontre et de réconciliation pour réussir là où les tentatives des médiations officielles semblent ne pas être suivies d’effets ». C’est le souhait du pape François en concluant son voyage dans le Caucase, le 2 octobre 2016.

Avant de rentrer à Rome après trois jours en Géorgie et en Azerbaïdjan, le pape a participé à une rencontre interreligieuse dans la mosquée de Bakou, avec le cheikh des musulmans du Caucase Allahshukur Pashazadeh et des représentants d’autres religions, notamment orthodoxes et juifs.

Deuxième pape à fouler le sol azerbaïdjanais après Jean-Paul II en 2002, le pape François a encouragé à « (ouvrir) les portes à l’accueil et à l’intégration, les portes des cœurs de chacun ». « Les religions, a-t-il déclaré aussi, ne doivent jamais être instrumentalisées et ne peuvent jamais prêter le flanc à soutenir des conflits et des oppositions ».

AK

Discours du pape François

Se retrouver ici ensemble est une bénédiction. Je désire remercier le Président du Conseil des Musulmans du Caucase qui, avec sa courtoisie habituelle, nous accueille ainsi que les chefs religieux locaux de l’Eglise Orthodoxe russe et des communautés juives. Nous rencontrer dans l’amitié fraternelle en ce lieu de prières est un grand signe, un signe qui manifeste cette harmonie que les religions peuvent construire ensemble, à partir des relations personnelles et de la bonne volonté des responsables. En sont ici une preuve, par exemple, l’aide concrète que le Président du Conseil des Musulmans a apporté, en plusieurs occasions, à la communauté catholique, ainsi que les sages conseils qu’il partage avec elle dans un esprit de famille. Le beau lien qui unit les Catholiques à la communauté Orthodoxe, dans une fraternité concrète et avec une affection quotidienne – qui sont un exemple pour tous – sont aussi à souligner; et de même l’amitié cordiale avec la communauté juive.

L’Azerbaïdjan profite de cette concorde, pays qui se distingue par l’accueil et l’hospitalité, qui sont des dons que j’ai pu expérimenter en cette journée mémorable pour laquelle je suis très reconnaissant. On souhaite ici conserver le grand patrimoine des religions, et on recherche en même temps une ouverture plus grande et plus féconde: le catholicisme également, par exemple, trouve place et harmonie parmi les autres religions bien plus nombreuses, signe concret qui montre comment, non pas l’opposition mais la collaboration aide à construire des sociétés meilleures et pacifiques. Le fait de nous trouver ensemble est aussi en continuité avec les nombreuses rencontres qui se déroulent à Bakou afin de promouvoir le dialogue et la multi culturalité. En ouvrant les portes à l’accueil et à l’intégration, les portes des cœurs de chacun s’ouvrent ainsi que les portes de l’espérance pour tous. J’ai confiance que ce pays «porte entre l’Orient et l’Occident» (Jean-Paul II, Discours lors de la cérémonie de bienvenue, Bakou 22 mai 2002: Enseignements XXV, 1 [2002], 838), cultive toujours sa vocation d’ouverture et de rencontre, conditions indispensables pour construire de solides ponts de paix et un avenir digne de l’homme.

La fraternité et le partage que nous désirons faire grandir ne seront pas appréciés par celui qui veut mettre en évidence les divisions, attiser les tensions et tirer profit des oppositions et des différences; mais elles sont invoquées et attendues par celui qui désire le bien commun, et surtout agréables à Dieu, Compatissant et Miséricordieux, qui veut que les fils et les filles de l’unique famille humaine soient plus unis entre eux et toujours en dialogue. Un grand poète, enfant de cette terre, a écrit: «Si tu es un homme, mélange-toi aux hommes, car les hommes se trouvent bien entre eux» (Nizami Ganjavi, Le livre d’Alexandre, I, Sur son propre état et sur le temps qui passe). S’ouvrir aux autres n’appauvrit pas mais enrichit, car cela aide à être plus humain; à se reconnaître partie active d’un ensemble plus grand et à interpréter la vie comme un don pour les autres; à voir comme but, non pas ses propres intérêts mais le bien de l’humanité, à agir sans idéalismes et sans interventionnismes, sans accomplir d’interférences dommageables ni d’actions forcées, mais toujours plutôt dans le respect des dynamiques historiques, des cultures et des traditions religieuses.

Les religions ont une grande tâche: accompagner les hommes en recherche du sens de la vie, en les aidant à comprendre que les capacités limitées de l’être humain et les biens de ce monde ne doivent jamais devenir des absolus. Nizami a écrit aussi:«Ne te repose pas solidement sur tes forces, tant que tu n’auras pas trouvé dans le ciel une demeure! Les fruits du monde ne sont pas éternels, n’adore pas ce qui est périssable!» (Leylà et Majnùn, Mort de Majnùn sur la tombe de Leylà). Les religions sont appelées à nous faire comprendre que le centre de l’homme est en dehors de lui, que nous sommes tendus vers le Très Haut infini et vers l’autre qui nous est proche. Il y a là un appel à orienter la vie vers un amour plus élevé et en même temps plus concret: cela ne peut que se trouver au sommet de toute aspiration authentiquement religieuse; car – dit encore le poète –, «l’amour est ce qui ne change jamais, l’amour est ce qui ne finit jamais» (ibid., Désespoir de Majnùn).

La religion est donc une nécessité pour l’homme, pour qu’il réalise sa fin, une boussole pour l’orienter vers le bien et l’éloigner du mal qui est toujours accroupi à la porte de son cœur (cf. Gn 4, 7). En ce sens, les religions ont une tâche éducative: aider l’homme à tirer le meilleur de lui-même. Et nous, comme guides, nous avons une grande responsabilité pour donner des réponses authentiques à la recherche de l’homme qui est aujourd’hui souvent perdu dans les paradoxes tourbillonnants de notre époque. Nous voyons en effet, comment, de nos jours, d’une part sévit le nihilisme de celui qui ne croit plus à rien sinon à ses propres intérêts, avantages et profits, de celui qui rejette la vie en s’adaptant à l’adage: «Si Dieu n’existe pas, tout est permis» (cf. F.M. Dostoïevski, Les frères Karamazof, XI, 4.8.9); d’autre part apparaissent de plus en plus les réactions rigides et fondamentalistes de celui qui, par la violence de la parole et des gestes, veut imposer des attitudes extrêmes et radicalisées, les plus éloignées du Dieu vivant.

Les religions, au contraire, en aidant à discerner le bien et à le mettre en pratique par les œuvres, par la prière et par l’effort du travail intérieur, sont appelées à construire la culture de la rencontre et de la paix, faite de patience, de compréhension, de pas humbles et concrets. C’est ainsi que l’on sert la société humaine. Celle-ci, pour sa part, est toujours tenue de vaincre la tentation de se servir du facteur religieux: les religions ne doivent jamais être instrumentalisées et ne peuvent jamais prêter le flanc à soutenir des conflits et des oppositions.

Un lien vertueux entre sociétés et religions, est en revanche fécond, une alliance respectueuse qui doit être construite et gardée, et que je voudrais symboliser par une image chère à ce pays. Je fais référence aux précieux vitraux artistiques qui se trouvent depuis des siècles sur cette terre, qui sont faits seulement de bois et de verres colorés (Shebeke). Il y a une particularité unique dans leur fabrication artisanale: les clous et la colle ne sont pas utilisés; mais le bois et le verre tiennent ensemble et sont assemblés par un long et soigneux travail. De la sorte, le bois soutient le verre et le verre fait entrer la lumière.

De la même manière, c’est un devoir pour chaque société civile de soutenir la religion qui permet l’entrée d’une lumière indispensable pour vivre: c’est pourquoi il est nécessaire de leur garantir une réelle et authentique liberté. Les «colles» artificielles, qui forcent l’homme à croire en lui imposant un credo déterminé et en le privant de la liberté de choix, ne doivent donc pas être employées.Ne doivent pas non plus entrer dans les religions les «clous» extérieurs des intérêts mondains, des désirs de pouvoir et d’argent. Car Dieu ne peut pas être invoqué pour des intérêts de parti ou à des fins égoïstes, il ne peut justifier aucune forme de fondamentalisme, d’impérialisme ni de colonialisme. Encore une fois, de ce lieu si significatif, monte le cri qui vient du cœur: jamais plus de violence au nom de Dieu! Que son saint Nom soit adoré, et non profané ni marchandé par les haines et les oppositions humaines.

Au contraire honorons la providentielle miséricorde divine envers nous, par la prière assidue et par le dialogue concret, «condition nécessaire pour la paix dans le monde […] devoir pour les chrétiens comme pour les autres communautés religieuses» (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 250). La prière et le dialogue sont en relationtrès profonde: ils sont mus par l’ouverture du cœur et ils sont tendus vers le bien d’autrui; ils s’enrichissent donc et se renforcent mutuellement. Avec conviction, l’Eglise catholique, à la suite du Concile Vatican II, «exhorte ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec ceux qui suivent d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux» (Décl. Nostra aetate, n. 2). Pas de «syncrétisme conciliant», pas d’«ouverture diplomatique qui dit oui à tout pour éviter les problèmes» (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 251), mais dialoguer avec les autres et prier pour tous: voilà nos moyens pour transformer les lances en faucilles (cf. Is 2, 4), pour faire surgir l’amour où se trouve la haine et le pardon où se trouve l’offense, pour ne pas se lasser d’implorer et de parcourir les chemins de paix.

Une vraie paix, fondée sur le respect réciproque, sur la rencontre et sur le partage, sur la volonté de dépasser les préjugés et les torts du passé, sur le renoncement aux duplicités et aux intérêts de parti; une paix durable, animée par le courage de dépasser les barrières, d’éradiquer les pauvretés et les injustices, de dénoncer et d’arrêter la prolifération des armes et les gains iniques faits sur le dos des autres. De la terre, notre maison commune, la voix de trop de sang crie vers Dieu (cf. Gn 4, 10). Nous sommes à présent interpellés pour donner une réponse, qui ne peut plus être reportée, afin de construire ensemble un avenir de paix: ce n’est plus le temps des solutions violentes et brusques, mais le moment urgent d’entreprendre des processus patients de réconciliation. La vraie question de notre temps n’est pas comment faire progresser nos intérêts – ce n’est pas la vraie question -, mais quelle perspective de vie offrir aux générations futures, comment laisser un monde meilleur que celui que nous avons reçu. Dieu et l’histoire même nous demanderont si, aujourd’hui, nous nous sommes dépensés pour la paix; les jeunes générations, qui rêvent d’un avenir autre, nous le demande déjà du fond du cœur.

Que les religions, dans la nuit des conflits que nous sommes en train de traverser, soient des aubes de paix, des semences de renaissance parmi les dévastations de mort, des échos de dialogue qui résonnent infatigablement, des voies de rencontre et de réconciliation pour réussir là où les tentatives des médiations officielles semblent ne pas être suivies d’effets. Spécialement en cette terre bien-aimée de la région caucasienne, que j’ai tant voulu visiter et sur laquelle je suis arrivé en pèlerin de paix, que les religions soient des facteurs actifs pour dépasser les tragédies du passé et les tensions d’aujourd’hui. Que les inestimables richesses de ces pays soient connues et valorisées: les trésors anciens et toujours nouveaux de sagesse, de culture et de religiosité des peuples du Caucase sont une grande ressource pour l’avenir de la région, et en particulier pour la culture européenne, des biens précieux auxquels nous ne pouvons pas renoncer. Merci.

***

Merci beaucoup à vous tous. Merci beaucoup pour la compagnie… Et je vous demande, s’il vous plaît, de prier pour moi.

© Librairie éditrice du Vatican

Allocution finale du pape François pour la paix -20 sept. 2016. Texte complet

Méditation du pape François

Saintetés,

Illustres Représentants des Églises, des Communautés chrétiennes et des Religions,

Chers frères et sœurs !

Je vous salue avec grand respect et affection et je vous remercie de votre présence. Nous sommes venus à Assise comme des pèlerins en recherche de paix. Nous portons en nous, et nous mettons devant Dieu les attentes et les angoisses de nombreux peuples et personnes. Nous avons soif de paix, nous avons le désir de témoigner de la paix, nous avons surtout besoin de prier pour la paix, car la paix est un don de Dieu et il nous revient de l’invoquer, de l’accueillir et de la construire, chaque jour avec son aide.pape-assise

« Bienheureux les artisans de paix » (Mt 5,9). Beaucoup d’entre vous ont fait une longue route pour rejoindre ce lieu béni. Sortir, se mettre en route, se retrouver ensemble, se prodiguer pour la paix : ce ne sont pas seulement des mouvements physiques, mais surtout des mouvements de l’âme, ce sont des réponses spirituelles concrètes pour vaincre les fermetures en s’ouvrant à Dieu et aux frères. Dieu nous le demande, en nous exhortant à faire face à la grande maladie de notre époque : l’indifférence. C’est un virus qui paralyse, qui rend inertes et insensibles, un mal qui attaque le centre même de la religiosité, provoquant un nouveau paganisme extrêmement triste : le paganisme de l’indifférence.

Nous ne pouvons pas rester indifférents. Aujourd’hui, le monde a une ardente soif de paix. Dans de nombreux pays on souffre de guerres souvent oubliées, mais qui sont toujours causes de souffrance et de pauvreté. A Lesbos, avec le cher Frère et Patriarche œcuménique Bartholomée, nous avons vu dans les yeux des réfugiés la douleur de la guerre, l’angoisse de peuples assoiffés de paix. Je pense aux familles dont la vie a été bouleversée ; aux enfants qui n’ont rien connu d’autre dans la vie que la violence ; aux personnes âgées contraintes de laisser leurs terres : tous ont une grande soif de paix. Nous ne voulons pas que ces tragédies tombent dans l’oubli. Nous désirons prêter notre voix à tous ceux qui souffrent, à tous ceux qui sont sans voix et sans personne qui les écoute. Eux savent bien, souvent mieux que les puissants, qu’il n’y a aucun avenir dans la guerre, et que la violence des armes détruit la joie de la vie.

Nous, nous n’avons pas d’armes. Mais nous croyons dans la douce et humble force de la prière. En ce jour, la soif de paix s’est faite invocation à Dieu, pour que cessent les guerres, le terrorisme et les violences. La paix que nous invoquons d’Assise n’est pas seulement une protestation contre la guerre, elle n’est pas non plus le résultat « de négociations, de compromis politiques ou de marchandages économiques. Elle résulte de la prière » (JEAN PAUL II, Discours, Basilique Sainte Marie des Anges, 27 octobre 1986 : Enseignements IX, 2 [1986], 1252). Cherchons en Dieu, source de la communion, l’eau limpide de la paix dont l’humanité est assoiffée : elle ne peut jaillir des déserts de l’orgueil ni des intérêts de parti, des terres arides du gain à tout prix et du commerce des armes.

Nos traditions religieuses sont diverses. Mais la différence n’est pas pour nous un motif de conflit, de polémique ou de froide distance. Nous n’avons pas prié aujourd’hui les uns contre les autres, comme c’est malheureusement arrivé parfois dans l’histoire. Sans syncrétisme et sans relativisme, nous avons en revanche prié les uns à côté des autres, les uns pour les autres. Saint Jean-Paul II, en ce même lieu, a dit : « Peut-être que jamais comme maintenant dans l’histoire de l’humanité, le lien intrinsèque qui unit une attitude religieuse authentique et le grand bien de la paix est devenu évident pour tous » (ID., Discours, Place de la Basilique inférieure de Saint François, 27 octobre 1986 : l.c., 1268). En poursuivant le chemin commencé il y a trente ans à Assise – où la mémoire de cet homme de Dieu et de paix que fut saint François est vivante – « une fois encore, nous qui sommes réunis ici, nous affirmons ensemble que celui qui utilise la religion pour fomenter la violence en contredit l’inspiration la plus authentique et la plus profonde » (ID., Discours aux Représentants des Religions, Assise, 24 janvier 2002 : Enseignements XXV, 1 [2002], 104), qu’aucune forme de violence ne représente « la vraie nature de la religion. Elle en est au contraire son travestissement et contribue à sa destruction » (BENOÎT XVI, Intervention à la journée de réflexion, de dialogue et de prière pour la paix et la justice dans le monde, Assise, 27 octobre 2011 : Enseignements VII, 2 [2011], 512). Ne nous lassons pas de répéter que jamais le nom de Dieu ne peut justifier la violence. Seule la paix est sainte, pas la guerre !

Aujourd’hui, nous avons imploré le saint don de la paix. Nous avons prié pour que les consciences se mobilisent pour défendre la sacralité de la vie humaine, pour promouvoir la paix entre les peuples et pour sauvegarder la création, notre maison commune. La prière et la collaboration concrète aident à ne pas rester prisonniers des logiques de conflit et à refuser les attitudes rebelles de celui qui sait seulement protester et se fâcher. La prière et la volonté de collaborer engagent une vraie paix qui n’est pas illusoire : non pas la tranquillité de celui qui évite les difficultés et se tourne de l’autre côté, si ses intérêts ne sont pas touchés ; non pas le cynisme de celui qui se lave les mains des problèmes qui ne sont pas les siens ; non pas l’approche virtuelle de celui qui juge tout et chacun sur le clavier d’un ordinateur, sans ouvrir les yeux aux nécessités des frères ni se salir les mains pour qui en a besoin. Notre route consiste à nous immerger dans les situations et à donner la première place à celui qui souffre ; d’assumer les conflits et de les guérir de l’intérieur ; de parcourir avec cohérence les voies du bien, en repoussant les faux-fuyants du mal ; d’entreprendre patiemment, avec l’aide de Dieu et de la bonne volonté, des processus de paix.

La paix, un fil d’espérance qui relie la terre et le ciel, un mot si simple, et en même temps difficile. Paix veut dire Pardon qui, fruit de la conversion et de la prière, naît de l’intérieur et, au nom de Dieu, rend possible de guérir les blessures du passé. Paix signifie Accueil, disponibilité au dialogue, dépassement des fermetures, qui ne sont pas des stratégies de sécurité, mais des ponts sur le vide. Paix veut dire Collaboration, échange vivant et concret avec l’autre, qui est un don et non un problème, un frère avec qui chercher à construire un monde meilleur. Paix signifie Education : un appel à apprendre chaque jour l’art difficile de la communion, à acquérir la culture de la rencontre, en purifiant la conscience de toute tentation de violence et de raidissement, contraires au nom de Dieu et à la dignité de l’homme.

Nous ici, ensemble et dans la paix, nous croyons et nous espérons en un monde fraternel. Nous désirons que les hommes et les femmes de religions différentes, partout se réunissent et créent de la concorde, spécialement là où il y a des conflits. Notre avenir est de vivre ensemble. C’est pourquoi nous sommes appelés à nous libérer des lourds fardeaux de la méfiance, des fondamentalismes et de la haine. Que les croyants soient des artisans de paix dans l’invocation à Dieu et dans l’action pour l’homme ! Et nous, comme Chefs religieux, nous sommes tenus à être de solides ponts de dialogue, des médiateurs créatifs de paix. Nous nous tournons aussi vers ceux qui ont une responsabilité plus haute dans le service des peuples, aux Leaders des Nations, pour qu’ils ne se lassent pas de chercher et de promouvoir des chemins de paix en regardant au-delà des intérêts de parti et du moment : que ne demeurent pas inécoutés l’appel de Dieu aux consciences, le cri de paix des pauvres et les bonnes attentes des jeunes générations. Ici, il y a trente ans, saint Jean-Paul II a dit : « La paix est un chantier ouvert à tous et pas seulement aux spécialistes, aux savants et aux stratèges. La paix est une responsabilité universelle » (Discours, Place inférieure de la Basilique de saint François, 27 octobre 1986 : l.c., 1269). Assumons cette responsabilité, réaffirmons aujourd’hui notre oui à être, ensemble, constructeurs de la paix que Dieu veut et dont l’humanité est assoiffée.

[Texte original: Français]

© Librairie éditrice du Vatican

Sur le site de Jeune Afrique

Burkina : un an après, où en est l’enquête sur le putsch manqué du général Diendéré ?

 

Gilbert Diendéré à l'aéroport de Ouagadougou, le 18 septembre 2015. © Theo Renaut/AP/SIPA

Le 16 septembre 2015, des éléments de l'ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et le général Gilbert Diendéré tentaient un coup d’État contre le régime de transition. Un an après, Jeune Afrique fait le point sur l'enquête.

Un dossier hors-norme

Les chiffres sont éloquents. Depuis l’ouverture de l’enquête judiciaire sur la tentative de coup d’État du général Gilbert Diendéré et de l’ex-régiment de sécurité présidentielle, mi-septembre 2015, la justice militaire a entendu 275 parties civiles et 29 témoins.

En tout, 85 personnes ont été inculpées dans ce dossier. Sur ces 85 individus, 39 se trouvent actuellement en détention préventive à la Maison d’arrêt et de correction des armées (Maca), à Ouagadougou. Parmi elles, figure le général Gilbert Diendéré, officiellement poursuivi pour crime contre l’humanité, attentat à la sûreté de l’État, ou encore haute trahison.

La plupart des autres inculpés sont des membres de l’ex-RSP, l’ancienne garde prétorienne de Blaise Compaoré dissoute après son putsch manqué. Accusé de complicité avec les putschistes, Djibrill Bassolé, ex-ministre des Affaires étrangères de Compaoré, est lui aussi poursuivi dans cette affaire et formellement inculpé, entre autres, d’attentat à la sûreté de l’État.

Les autres individus inculpés sont non-détenus ou ont été remis en liberté provisoire. C’est le cas de plusieurs officiers de l’ex-RSP – dont le commandant Abdoul Aziz Korogo, ancien chef de corps du régiment -, qui ont été libérés début juillet en attendant d’être jugés. D’ici là, ils restent sous contrôle judiciaire et ont interdiction de quitter le pays. Enfin, dix personnes sont toujours en fuite à l’étranger et font l’objet de mandats d’arrêt internationaux. Le sergent-chef Roger Koussoubé, un proche du général Diendéré qui a fuit en Côte d’Ivoire après le putsch manqué, en fait partie.

Diendéré et Bassolé, deux accusés au centre de l’attention

Deux personnalités sont régulièrement citées dans l’enquête sur le putsch manqué de la mi-septembre 2015 : le général Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé. Le premier, ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré et patron historique de l’ex-RSP, avait officiellement pris la tête de la tentative de coup d’État le 17 septembre. Lors de ses auditions par les juges d’instruction en charge de l’enquête, il a affirmé que ce putsch était une initiative d’officiers et sous-officiers du RSP et qu’il n’avait fait, en tant que patron du régiment, qu’assumer politiquement ce coup de force contre le régime de transition.

Le second, Djibrill Bassolé, ex-chef de la diplomatie de Blaise Compaoré, est lui accusé de complicité avec les putschistes. Il est notamment suspecté, sur la base d’écoutes téléphoniques dont il conteste l’authenticité, d’avoir voulu soutenir la tentative de coup d’État avec Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne. Rencontré par Jeune Afrique à la Maca, Bassolé se dit victime d’un règlement de compte politique des responsables de la transition, qui auraient trouvé dans le putsch manqué « l’occasion rêvée de couper toutes les têtes qui dépassaient et qui [les] gênaient, dont la mienne ». Il se dit aussi « impatient » de pouvoir s’expliquer sur toute cette affaire lors d’un procès. Reste désormais à savoir quand celui-ci aura lieu.

Un procès d’ici la fin de l’année ?

Après des mois d’enquête et d’audition, les autorités burkinabè entendent accélérer sur ce dossier. Le président Roch Marc Christian Kaboré, également ministre de la Défense, s’est personnellement engagé dans ce sens, en limogeant plusieurs magistrats du tribunal militaire qu’il jugeait trop lents. Il a ensuite passé des directives pour que les procès sur la tentative de coup d’État et sur l’assassinat de Thomas Sankara s’ouvrent d’ici la fin de l’année 2016.

Comme l’a expliqué le commandant Alioune Zanré, commissaire du gouvernement (l’équivalent du procureur) au tribunal militaire de Ouagadougou, le 14 septembre, face à la presse, « ce dossier devait en principe être transmis au parquet mi-octobre pour règlement ». Selon lui, ce timing a été retardé par le pourvoi en cassation des avocats de Djibrill Bassolé. Ces derniers réclament que les écoutes téléphoniques mettant en cause leur client, ainsi que leurs transcriptions, soient retirées de la procédure. « Nous attendons que la Haute cour puisse statuer pour poursuivre », a expliqué le commandant Zanré.

Difficile, donc, de savoir quand va débuter ce procès très attendu au Burkina. Mais une chose est sûre : au vu de la gravité des faits et du nombre de personnes mises en cause, celui-ci, s’il se tient, devrait durer plusieurs mois.

 

Burkina: des salariés de médias publics dénoncent leurs conditions de travail

Siège et studios de la Radio télévision du Burkina Faso à Ouagadougou.
© Wikimedia
 

Au Burkina Faso, les travailleurs de médias publics ont décidé d’observer un sit-in ce jeudi 1er septembre, entre 8h et 14h, devant le ministère de la Communication. Ils estiment que leurs revendications pour améliorer leurs conditions de travail ne sont pas prises au sérieux par le gouvernement.

Les autorités ont certes proposé plusieurs rencontres de négociations, « mais à ce jour, ce qui a été arrêté, c'est le changement de statut de ces organes d'Etat, pour qu'ils deviennent des sociétés d'Etat », explique Sidiké Dramé, secrétaire général du syndicat autonome des travailleurs de l’information et de la culture.

« Le gouvernement a trouvé que la constitution d'une société d'Etat pourrait permettre d'être mieux équipé et le travail devrait être mieux traité sur le plan salarial et indemnitaire », ajoute-t-il.

Pas de mise en oeuvre

Problème, depuis la transition, « il n'y a aucun début de mise en oeuvre », dénonce-t-il. D'où ce sit-in organisé devant le ministère de la Communication. En l'absence d'avancée, les manifestants promettent d'organiser une grève générale.

Face à ce mouvement de contestation, le gouvernement a proposé un délai de six mois. Une proposition rejetée par les manifestants qui espèrent faire pression sur les autorités pour que « des solutions plus concrètes » soient proposées et dans un délai assez court.

 

Burkina Faso: la loi sur les partis politiques suscite questions et inquiétude

Cérémonie d'investiture de la nouvelle assemblée burkinabè, VIIème législature (2015-2020)
© http://www.assembleenationale.bf/
 

Au Burkina Faso, 42 partis politiques, soit quasiment un tiers des partis du pays, sont menacés de sanction s’ils ne se conforment pas à leurs propres textes. Dans un communiqué, le ministre de l’Administration du territoire dénonce l'absence de tenue de congrès ou d’assemblées générales par certains partis politiques pour le renouvellement de leurs organes dirigeants.Pour certains responsables de parti, la loi menace la liberté d'expression.

Le gouvernement a donné jusqu'au 31 août 2016 aux partis pour se mettre en règle avec la loi, autrement dit organiser un congrès ou une assemblée générale, ce que ces mouvements n'ont pas fait depuis au moins deux ans. C'est la loi, certes, mais certains partis concernés expliquent qu'ils n'ont pas les moyens d'organiser ces rendez-vous et que cette injonction du gouvernement est une menace pour la liberté d’association.

C'est le cas de l'Union des Forces centristes, parti fondé en mai 2011 par Issa Balima et qui n'a pas tenu de congrès depuis. Seloni Issa Balima, la décision du ministre de l’Administration du territoire va contre la constitution burkinabè. « Nous pensons que nous sommes dans un multipartisme intégral, ça c’est ce que la constitution burkinabè stipule », assure à RFI Issa Balima. Seuls les électeurs peuvent sanctionner un parti politique à travers les urnes. « C’est au parti d’exister, de travailler... Donc une injonction du ministère pour d’éventuelles sanctions, déjà viole certains aspects la constitution, parce que la vie d’un parti, c’est une question interne, c’est selon ces victoires ou ces défaites que le parti même survit ou meurt ». L'Union des Forces centristes devait tenir son congrès en mai 2016.

Ce cadre pose aussi la question du financement de la vie politique selon Issa Balima. « Sur, disons, ce qu’on nous présente comme la centaine de partis politiques, nous avons en gros six partis politiques qui bénéficient de financement hors campagne, de financement pour le fonctionnement du parti politique. Comprenez que même si les autres le veulent, ils ne peuvent pas produire le même résultat au même moment que ceux qui bénéficient du financement hors campagne. »

Thibault Nana pose aussi la question du financement des partis

Bien connu des Burkinabè pour avoir organisé les manifestations contre la vie chère en 2008, Thibault Nana, président du Rassemblement démocratique et populaire (RDP), dénonce également le communiqué du ministre de l’Administration du territoire. Selon lui, cette mesure vise tout simplement à éliminer les petits partis de la scène politique, alors même que ces petits ne bénéficient d’aucune subvention pour leurs activités quotidiennes.

Il a créé son parti en 2011 et depuis octobre 2013, celui-ci n’a tenu aucun congrès ni assemblée générale alors que selon les textes du parti, le congrès devait se tenir tous les deux ans. « Si eux ils disent que chacun doit avoir un siège pour son parti et que, on ne gagne pas de subventions, comment voulez-vous qu’on fasse ? Il y a deux poids deux mesures. Chez moi, ici, c’est un problème de siège : organiser un congrès, ça demande beaucoup de fonds, faut dégager des fonds. Mais si vous n’avez pas ces moyens, dans la mesure, quand il n’y a plus de financement des partis politiques même hors campagne, on ne nous donne plus [rien], donc c’est difficile. Cibler des partis pour éliminer, je ne suis pas d’accord ! Si [on] doit éliminer, éliminer tous ceux qui n’ont pas les moyens pour gérer leur parti. Ça je suis parfaitement d’accord. »

La crédibilité des partis politiques en question

Selon l’enseignant et politologue Abdoul Karim Saïdou, il est du devoir du ministère de l’Administration de demander aux partis politiques de respecter leurs propres textes. Cela les rendrait plus crédible aux yeux des populations.

Selon le politologue, la décision du gouvernement n'est pas une « menace » pour les partis mais est plutôt dans leur intérêt, « parce qu’il se pose aujourd’hui un problème au Burkina, un problème de crédibilité de certains partis politiques, et donc si les partis politiques travaillent à respecter leur propre statut, à respecter la législation, je pense que ça peut aider à améliorer leur participation à la vie démocratique en mieux et à améliorer aussi la crédibilité au niveau des citoyens ».

La prolifération des partis politiques n’est pas nécessairement le signe de la vitalité démocratique d'un pays, selon le chercheur. Aussi faut-il réfléchir aux réformes à engager « pour véritablement limiter le nombre de partis politiques, avoir un nombre restreint de partis politiques mais vraiment des partis fonctionnels, capables de prendre en charge les préoccupations des populations. » 

Un porte-voix pour la majorité silencieuse

En réponse à une lettre publiée par T. Ben Jelloun, le chroniqueur et écrivain Mabrouck Rachedi, conclut ainsi sa réponse sur le site Saphirnews: "Ma parole est entendue par un plus grand nombre que ces millions de personnes sans écho médiatique, qui s’expriment pourtant aussi fermement que moi. Il serait injuste d’affirmer que ces invisibles, musulmans ou autres, sont muets : on ne les écoute jamais, on ne leur laisse jamais la parole, ce qui ne signifie pas qu’ils ne disent rien ou qu’ils n’ont rien à dire."
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Points de vue
Les musulmans face à Daesh – Lettre à Tahar Ben Jelloun (et à toute la France)
Rédigé par Mabrouck Rachedi | Lundi 1 Août 2016


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Les musulmans face à Daesh – Lettre à Tahar Ben Jelloun (et à toute la France)
Dans Le Monde daté du samedi 30 juillet, Tahar Ben Jelloun écrit une lettre aux musulmans. Il a bien raison de rappeler l’horreur des attentats en France depuis un an et demi. Toutes les voix sont importantes pour exprimer cette douleur qui nous touche tous – et quand j’écris « nous », je ne distingue ni les religions, ni les origines, ni les nationalités… « Nous », ce ne sont pas que les musulmans, ce ne sont pas que les Français. « Nous », c’est toute la France.

Je partage évidemment l’opinion de M. Ben Jelloun : il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que cesse cette folie meurtrière. C’est notre devoir de citoyens, pas de musulmans. Pour moi, une ligne rouge n’a pas été franchie par Daesh avec l’ignoble assassinat du père Jacques Hamel. Elle l’a été dès le premier sang versé, lors des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher, lesquels visaient déjà à confronter les communautés entre elles (et nous ne sommes heureusement pas tombés dans le piège.

M. Ben Jelloun souhaite dégager l’islam des griffes de Daesh. C’est tout à son honneur. Chaque citoyen sensé n’aura pas attendu sa lettre pour se mobiliser, autant qu’il le peut, dans cette vaste entreprise. Si les attentats sont un échec pour tous, je ne m’en sens pas plus responsable que mes voisins. Sauf à créer une milice musulmane, les musulmans n’ont pas de pouvoir policier – et c’est heureux – pour traquer Daesh.

Le véritable échec serait dans une absence de réaction des citoyens français, en particulier musulmans : la mobilisation, des musulmans et autres, je la vois tous les jours autour de moi. Certains sont plus visibles que d’autres : tout le monde n’a pas la chance d’avoir accès à des tribunes médiatiques comme Tahar Ben Jelloun. Cela ne signifie pas qu’ils ne disent rien, qu’ils ne font rien, qu’ils ne pensent rien, et ce serait un grand tort de le laisser croire. C’est aussi un grand tort de laisser penser que les musulmans ne s’adaptent pas aux lois et aux droits de la République. Ce que fait M. Ben Jelloun quand il écrit : « Il faudra s’adapter aux lois et droits de la République. » Comme si ce n’était pas déjà le cas, comme si les musulmans étaient une bande de renégats.

Le danger de tout vouloir lier à Daesh
M. Ben Jelloun énumère une liste de devoirs des musulmans dont le premier : « Nous devons renoncer à tous les signes provocants d’appartenance à la religion de Mahomet. Nous n’avons pas besoin de couvrir nos femmes comme des fantômes noirs qui font peur aux enfants dans la rue. » On rappellera à l’auteur que la loi n’interdit pas le port du voile dans l’espace public, qu’il confond le droit français et ses souhaits (qu’il a le doit d’exprimer mais qu’il serait mensonger de faire passer pour des lois).

Par ailleurs, il exclut dans son énoncé que les femmes puissent choisir de se couvrir puisque « nous » les couvrons. C’est très discutable. Quant à la peur que le voile suscite aux enfants dans la rue, nous dirons que M. Ben Jelloun s’est laissé emporter par son imagination de romancier. J’ai tendance à croire que le voile fait plus peur à certains adultes qu’aux enfants.

On s’étonnera aussi que M. Ben Jelloun fasse un lien entre le voile, la séparation dans les piscines, l’auscultation des femmes musulmanes par des médecins hommes avec Daesh. On peut être contre tout ce qui précède mais il est difficile d’établir un lien entre ces comportements et des actes de terrorisme, sauf à croire que Daesh ait un pouvoir magique sur les tissus, les stéthoscopes, ou le chlore des piscines.

Les musulmans de France, complices de Daesh ?
M. Ben Jelloun va plus loin : « Nous n’avons pas le droit de laisser faire des criminels qui ont décidé que leur vie n’a plus d’importance et qu’ils l’offrent à Daech. » Est-ce à dire que « nous » laissons faire des criminels ? Ce serait une complicité extrêmement grave. Et M. Ben Jelloun de poursuivre : « Nous devons parler, mettre en garde ceux parmi nous qui sont tentés par l’aventure criminelle de Daech. » Je ne sais pas si M. Ben Jelloun a dans son entourage des « personnes tentées par l’aventure criminelle de Daech », mais moi, et ceux que j’ai interrogés avant d’écrire cette tribune, non.

J’ai tendance à penser que des gens prêts aux pires crimes, dont certains échappent à la vigilance dans nos services de renseignement, sont peu portés sur la confidence, et donc que ce dialogue que Tahar Ben Jelloun appelle de ses vœux soit très difficile à établir. L’accusation de passivité est non seulement injuste mais aussi dangereuse, parce qu’elle rend les musulmans responsables d’actes dont M. Ben Jelloun reconnaît qu’ils sont aussi parmi les victimes. Si « nous » regardions passivement ce qui se trame devant nous, « nous » serions déjà complices de ces assassins.

Balayer le mythe du « retour au pays natal »
M. Ben Jelloun finit sa lettre par : « Sinon il ne nous restera plus qu’à faire nos valises et retourner dans le pays natal. » J’ai peur qu’il emprunte aux discours de certains partis politiques peu fréquentables. Faut-il lui rappeler que des millions de musulmans sont nés en France ? Que la « musulmanie » n’existe pas ? Mon pays natal, c’est la France. Je réponds à M. Ben Jelloun en tant que Français, comme des millions tout aussi actifs que lui mais qu’il pointe du doigt en pratiquant des amalgames qu’un intellectuel tel que lui ne devrait pas faire.

Cette tribune aurait pu ne pas être publiée car je n’ai pas la renommée de M. Ben Jelloun. Contrairement à lui, j’ai conscience d’être un privilégié. Ma parole est entendue par un plus grand nombre que ces millions de personnes sans écho médiatique, qui s’expriment pourtant aussi fermement que moi. Il serait injuste d’affirmer que ces invisibles, musulmans ou autres, sont muets : on ne les écoute jamais, on ne leur laisse jamais la parole, ce qui ne signifie pas qu’ils ne disent rien ou qu’ils n’ont rien à dire.

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Mabrouck Rachedi est chroniqueur et écrivain, auteur dernièrement du roman Tous les hommes sont des causes perdues (mars 2015, L’Âge d’Homme).