Le président chinois Xi Jinping au sommet des dirigeants du G20 à Nusa Dua, en Indonésie, le 16 novembre 2022. © REUTERS/Willy Kurniawan/Pool
Selon un vieux proverbe africain, lorsque les éléphants se battent, l’herbe est piétinée. Aujourd’hui, le FMI a chiffré cette sagesse ancestrale : un rapport publié à l’occasion des Réunions de printemps du Fonds et de la Banque mondiale souligne que c’est l’Afrique subsaharienne qui risque de souffrir le plus de la menace de rupture entre les États-Unis et la Chine, ainsi que d’une « fragmentation géoéconomique » plus large. Selon le FMI, il pourrait en coûter à la région une perte de croissance économique de 4 %.
« Au cours des deux dernières décennies, l’Afrique subsaharienne a forgé des alliances économiques et commerciales avec de nouveaux partenaires économiques », indique le FMI. « Si la région a bénéficié d’une intégration mondiale accrue au cours de cette période, l’émergence d’une fragmentation géoéconomique a mis en évidence des inconvénients potentiels. Par rapport à d’autres régions, l’Afrique subsaharienne est celle qui risque de perdre le plus dans un monde gravement fragmenté. »
Revers de la médaille
Selon ce rapport, l’Afrique pourrait être victime de son propre succès. Autrefois très dépendant des échanges avec les anciennes puissances coloniales européennes, et dans une moindre mesure avec les États-Unis, le continent a vu ses échanges avec les pays « émergents » comme la Chine, l’Inde et la Russie exploser au cours des deux dernières décennies.
Depuis la fin du XXe siècle, l’ « ouverture commerciale » de l’Afrique subsaharienne – importations plus exportations en pourcentage du PIB – a doublé, passant de 20 à 40 %, tandis que la valeur des exportations vers la Chine a été multipliée par dix. « Ce doublement, associé au dynamisme des prix des matières premières, entre autres facteurs, a contribué au décollage de la croissance au cours de cette période, stimulant le niveau de vie et le développement », indique le FMI.
Mais le revers de la médaille est que cette expansion a exposé l’Afrique. « L’inconvénient de l’intégration économique accrue est que l’Afrique subsaharienne est devenue plus sensible aux chocs mondiaux », indique le rapport. « De nombreux pays dépendant fortement des importations de denrées alimentaires, d’énergie et d’engrais, la région a subi l’une des pires crises du coût de la vie depuis des décennies lorsque les prix mondiaux des produits de base ont grimpé en 2022, dans le sillage de la guerre en Ukraine et en plus des effets de la pandémie de Covid-19. »
Si elle était contrainte de choisir entre un bloc États-Unis – Union européenne et un bloc centré sur la Chine, l’Afrique perdrait l’accès à des marchés d’exportation clés et subirait une hausse des prix à l’importation, selon le FMI. Le pays médian d’Afrique subsaharienne devrait connaître une baisse permanente de 4 % de son PIB réel au bout de 10 ans. « Les pertes estimées sont inférieures à celles de la pandémie de grippe aviaire de 19 ans, mais supérieures à celles de la crise financière mondiale », indique le rapport. « Les baisses sont plus importantes dans les pays qui sont plus intégrés dans le commerce mondial et dans les pays qui, au départ, commerçaient davantage avec le bloc dont ils ont été séparés. »
Les perturbations des flux de capitaux et des transferts de technologie pourraient encore aggraver la situation, selon le FMI. L’Afrique risque également de perdre 10 milliards de dollars en investissements directs étrangers et en aides gouvernementales, selon le FMI, tandis que les tensions géopolitiques croissantes pourraient entraver davantage l’allégement de la dette, les créanciers chinois et occidentaux ayant de plus en plus de mal à se mettre d’accord sur la question de savoir qui doit bénéficier d’une réduction de sa dette.
La solution de l’intégration
Cependant, tout n’est pas noir. Dans un scénario où les États-Unis et l’Union européenne couperaient leurs liens avec la Russie – ce que l’on appelle le « découplage stratégique » – l’Afrique pourrait continuer à commercer avec qui elle veut. Le continent pourrait même connaître une légère hausse de son PIB, en particulier parmi les exportateurs d’énergie.
Le rapport du FMI recommande à l’Afrique de se préparer au pire en renforçant l’intégration régionale, notamment grâce à la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), aussi en approfondissant les marchés financiers nationaux et enfin, en améliorant la mobilisation des recettes nationales afin de réduire la part des recettes fiscales liées aux produits de base.
Le rapport du FMI considère que les institutions multilatérales ont un rôle à jouer dans la lutte contre une fragmentation accrue : « Elles peuvent faciliter le dialogue en promouvant les gains de l’intégration mondiale, en soulignant les coûts des pratiques protectionnistes et en encourageant la coopération multilatérale dans des domaines d’intérêt commun, notamment la sécurité alimentaire, le changement climatique et la résolution de la dette. »
Les hauts responsables du FMI, dont la directrice générale Kristalina Georgieva, ont tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises au cours des réunions de printemps : « Comme vous l’avez vu dans nos dernières Perspectives de l’économie mondiale, nous prévoyons que la croissance mondiale ralentira à 2,8 % en 2023 et restera faible, à environ 3 %, au cours des cinq prochaines années. Il s’agit de la prévision à moyen terme la plus faible depuis des décennies. » « L’inflation sous-jacente reste obstinément élevée. Les facteurs géopolitiques affectent également l’économie, et la fragmentation économique a des répercussions sur le commerce et les flux de capitaux », a déclaré la directrice générale.
Pas de retour au passé
Un message qui a mis les États-Unis sur la défensive : « Nous avons parfois des problèmes avec les différentes politiques économiques de la Chine et nous défendrons toujours les intérêts économiques des États-Unis, mais en aucun cas, nous n’essaierons de séparer complètement ces deux économies », a déclaré Jay Shambaugh, sous-secrétaire aux Affaires internationales du département du Trésor américain. « Ce n’est ni pratique ni dans notre intérêt. »
Les dirigeants africains ont clairement fait savoir qu’ils ne se laisseraient pas dicter leur conduite. Mzé Abdou Mohamed Chanfiou, ministre des Finances des Comores, qui dirige l’Union africaine pour l’année à venir, explique que son pays se bat pour une « Afrique ouverte, une Afrique qui ne veut pas être considérée comme un continent pris en étau » entre les États-Unis et la Chine.
« Les décisions mondiales – pas seulement économiques, mais aussi politiques – qui touchent à nos priorités, comme le climat ou la dette, devraient faire entendre la voix de l’Afrique », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse tenue le 15 avril au FMI avec les ministres africains des Finances. « Nous ne voulons pas d’un retour au passé, à une division entre un bloc oriental et un bloc occidental. »