Habitué à croiser le fer avec Yara, numéro deux, Solevo a vu arriver deux autres compétiteurs © MONTAGE JA : JACQUES TORREGANO POUR JA.
LES BARONS OUEST-AFRICAINS DES ENGRAIS (1/4) – « La marque de l’oiseau » : c’est ainsi que beaucoup de paysans ivoiriens connaissent Solevo, en référence à la cigogne – le nom de la marque historique du groupe –, qui orne ses sacs d’engrais en particulier ceux destinés à la culture du cacao (du NPK 0.23.19).
Omniprésents en Côte d’Ivoire, ces sacs en côtoient toutefois d’autres, les Supercao de Yara, arborant le logo bleu et blanc du groupe norvégien, et, plus récemment, les Falcacao du négociant Export Traging Group (ETG), qui présentent un faucon du nom de sa marque phare sur le continent.
Cette bataille de sacs illustre le rapport de forces à l’œuvre sur le marché ivoirien des engrais, où le leader historique Solevo (ex-Louis Dreyfus Company, LDC), présent dans plusieurs autres pays et aujourd’hui racheté par le fonds panafricain Development Partners International (DPI), fait face à une concurrence croissante.
Réseau de distribution inégalé
Établi dans le pays depuis plus de 70 ans et dirigé depuis le début de l’année par l’ex-Danone Ferdinand Mouko, Solevo campe en pole position. S’il ne communique pas ses résultats, les connaisseurs du secteur lui attribuent a minima 35 % de parts de marché, avec quelque 150 000 tonnes d’engrais écoulés annuellement.
La réussite du groupe tient à plusieurs points : outre sa marque emblématique « La Cigogne », héritage de l’époque SCPA-Sivex International (SSI) – société basée en Alsace et reprise par LDC en 2011 –, il offre une qualité des produits à des tarifs compétitifs en s’appuyant sur un réseau de distribution inégalé. Multiproduits puisqu’il vend engrais, solutions phytosanitaires et semences, le groupe a sécurisé le volet logistique via une présence dans les ports d’Abidjan et de San Pedro.
« Solevo n’a pas grand-chose à prouver », confirme Gnamanzie Traoré, à la tête d’Agritrade, acteur ivoirien plus modeste qui vend 20 000 tonnes de fertilisants par an, mais entend tripler ce chiffre d’ici à cinq ans.
Solides actionnaires
Cette domination s’explique par un autre atout fondamental : de solides actionnaires. C’est en effet un tandem de poids lourds qui a repris en 2017 les activités engrais et intrants de LDC sur le continent, à savoir le fonds britannique Helios Investment Partners (65 %), dirigé par Tope Lawani et Babatunde Soyoye, et le fonds souverain singapourien Temasek pour les 35 % restants. L’opération, qui a vu LDC être renommé Solevo, a permis de consolider les opérations, notamment en Côte d’Ivoire.
Et, alors qu’Helios préparait sa sortie depuis plus d’un an, celle-ci vient d’être officialisée, comme l’ont révélé à la mi-avril nos confrères d’Africa Business+, et se solde par l’arrivée de nouveaux actionnaires pas moins prestigieux : le capital investisseur Development Partners International (DPI), fondé par Miles Morland et Runa Alam, associé à trois autres actionnaires minoritaires, la DEG allemande, le FMO néerlandais et le fonds mauricien South Suez.
Un nouvel entrant très agressif
Synonyme de nouveau souffle financier et stratégique, ce rachat arrive à point nommé pour Solevo, qui est confronté à une concurrence accrue. Habitué à croiser le fer avec Yara, numéro deux avec une part de marché estimée à 25 %, il a vu arriver deux autres compétiteurs, le groupe marocain OCP et le trader installé à Dubaï ETG, via sa filiale ETG Inputs Holdco Limited (EIHL).
Des plants de cacao dans un centre de recherche à Abidjan. © ISSOUF SANOGO/AFP.
Tandis que les offensives de Yara et d’OCP demeurent mesurées, ce n’est pas le cas de celle d’ETG, qui est représenté localement par Leandre Kra, ex-Solevo et OCP. Soutenu par le géant saoudien de la chimie Sabic, entré au capital d’EIHL à hauteur de 49 % au début de 2022, le négociant se montre agressif.
« Au premier trimestre 2023, il a fait venir au moins 60 000 tonnes de produits, soit trois fois plus que sur la même période l’an dernier, tout en forçant les autres acteurs à s’aligner sur ses prix très compétitifs », expose Gnamanzie Traoré. Publicités sur les réseaux sociaux, tournée dans les campagnes et lancements de nouveaux produits témoignent des efforts déployés par ETG.
Réorganisation globale
Ce nouvel aiguillon peut-il déstabiliser Solevo ? C’est l’une des questions auxquelles devront répondre le groupe et ses nouveaux actionnaires. « ETG dispose d’une parfaite connaissance du marché et des acteurs de l’agro-distribution, un acquis de taille », met en avant Patrice Annequin, représentant à Abidjan du Centre international pour le développement des engrais (International Fertilizer Development Center, IFDC), organisme à but non lucratif de promotion de l’accès aux engrais.
D’autres interrogations subsistent. La principale concerne l’impact de la réorganisation globale du groupe menée sous l’ère Helios – comprenant notamment la fermeture du bureau parisien et la recomposition de celui de Genève – sur la filiale ivoirienne, locomotive des activités africaines de Solevo, lesquelles représenteraient un chiffre d’affaires de quelque 500 millions de dollars par an.
Une autre tient à la capacité du nouveau directeur général, novice dans le secteur mais rodé au management en Afrique de l’Ouest et centrale, à prendre le train en marche dans un contexte délicat. Sollicité, Ferdinand Mouko, sortant de douze ans chez Danone après des expériences chez Castel, Barry Callebaut et Nestlé, n’a pas donné suite.
À plus long terme et une fois le rachat finalisé, Solevo, en pointe en Côte d’Ivoire et au Cameroun mais beaucoup plus modeste ailleurs, en particulier au Burkina Faso, au Mali et en Angola, devra aussi clarifier ses ambitions régionales… et le rôle que le moteur abidjanais pourrait jouer sur ce plan.