Le « consommer local » ne concerne pas que l’alimentation. Le Covid-19 a fait comprendre à beaucoup l’urgence de développer ce que les Africains produisent localement afin de ne plus dépendre de ce qui vient d’ailleurs. Ici de l’artisanat béninois. © Sandra IDOSSOU
Je vous invite à un jeu d’imagination. Dans un premier scenario, Patrice Talon, président de la République du Bénin, est vêtu d’une magnifique tenue teintée d’indigo entièrement Made in Benin. Il doit recevoir un chef d’État européen en visite au Bénin, accompagné d’une délégation d’investisseurs prêts à saisir les nombreuses opportunités qu’offre le pays.
Allons plus loin dans ce scénario: pour cette rencontre, aucun des ministres n’est habillé d’un costume importé. Lors du grand banquet qui réunit de nombreuses personnalités du pays, le président Talon arbore cette fois-ci une magnifique guayabera, cousue au Bénin avec du coton cultivé et effilée localement, agrémentée de touches de kanvo, le pagne tissé national. Cette chemise authentique, empreinte de nos traditions est d’une élégance intemporelle.
LES CIRCUITS COURTS DE PROXIMITÉ CONTRIBUENT À SAUVEGARDER NOTRE PLANÈTE
Pour ce même banquet, la nourriture, les boissons, la musique mises à l’honneur sont toutes locales et africaines, et ceci dans un cadre chic : la salle est construite avec beaucoup de goût par des entreprises locales, les meubles, la décoration, le service… tout est juste parfait et fièrement de fabrication 100 % béninoise ! Mais, vous l’aurez compris, ce monde parfait n’existe pas. En donnant libre cours à mes rêves, j’essaie simplement de me convaincre que certaines scènes imaginées sont probablement une réalité à certains égards.
Grands discours
Depuis quelques années, les 8 pays de l’espace Uemoa consacrent tout le mois d’octobre à la promotion du « consommer local ». C’est une excellente initiative, qui suscite l’intérêt de nos populations pour nos productions locales. Mais, hélas, passé le mois d’octobre, tout s’arrête. Les grands discours entendus lors de ces manifestations n’ont plus d’écho, et aucun changement concret n’est visible dans la consommation au quotidien des populations, au grand désespoir des entrepreneurs et des artisans locaux.
Le « consommer local » que je défends ne concerne pas que l’alimentation. D’ailleurs, grâce au Covid-19, beaucoup ont compris l’urgence de développer ce que nous produisons localement afin de ne plus dépendre de ce qui vient d’ailleurs. Le « consommer local » comporte de multiples avantages, aussi bien économiques, qu’environnementaux, sociaux, culturels et identitaires.
IL FAUT NOUS DÉFAIRE DE CETTE ALIÉNATION CULTURELLE QUI NOUS CONDUIT À CROIRE QUE CE QUI VIENT D’AILLEURS EST MEILLEUR
Le saviez-vous ? Les circuits courts de proximité de nos achats participent à limiter leur impact carbone et contribuent à sauvegarder notre planète. Lorsque nous achetons un meuble, un sac, des draps ou même un cadeau importé, c’est à peine 20 % du coût de notre achat qui reste dans notre pays. Je pourrais multiplier les exemples mais, ce qui compte, c’est de rappeler qu’acheter des produits importés revient tout simplement à enrichir les autres, à développer leurs économies.
Patriotisme économique
Récemment, j’ai vu, dans les rayons d’un de nos supermarchés, de l’eau de coco importée vendue à plus de 5 000 F CFA le litre. Je ne trouve pas de mot exact pour qualifier cette aberration, au regard du prix des noix de coco et de leur quantité disponible dans le pays. Figurez-vous que ce produit « trône » aussi dans certains caddies de Béninois ! Un exemple parmi tant d’autres qui montre que le « consommer local » est également une opportunité d’affaires pour les Africains.
Adhérer au concept du « consommer local » et l’appliquer au quotidien est possible, à condition que nous en saisissions les enjeux. Mais, avant toute chose, il nous faut travailler à changer de mentalités et nous défaire de cette aliénation culturelle qui nous conduit à croire que « ce qui vient d’ailleurs est meilleur ».
Consommer local, c’est avant tout faire le choix conscient de développer d’abord les compétences locales tout en donnant l’opportunité aux nôtres de grandir. Je l’admets : nous avons encore du chemin à parcourir avant de satisfaire pleinement à la qualité, à la constance, aux délais, aux quantités… mais ce n’est qu’en nous astreignant à consommer nos produits et services locaux – et rigoureusement à ce prix-là seulement – que nous réussirons à pousser les nôtres à s’améliorer.
En attendant de voir un jour le Made in Africa prendre son envol dans tous les aspects au quotidien, je continue d’espérer que davantage de Béninois et d’Africains feront l’effort de comprendre les enjeux du patriotisme économique et son impact sur le développement local au travers de nos artisans et entrepreneurs locaux.