C'est le début d'une tourmente diplomatique pour le régime du président Alassane Dramane Ouattara en Côte d'Ivoire. Alors que la gouvernance semble exemplaire dans ce pays avec des résultats économiques encourageants, un rapport confidentiel de l'Union européenne (UE) cité par l'AFP pointe du doigt ce qui semble être des «écarts» du pouvoir en place. «La Côte d'Ivoire affiche l'image rassurante d'une stabilité retrouvée, portée par des taux de croissance élevés», mais «les indicateurs sociaux stagnent (taux de pauvreté à 46 % en 2015)», indique le document datant de juillet 2018. «La population s'interroge de plus en plus ouvertement sur cette croissance qui ne lui semble pas ou peu bénéfique», et «tolère d'autant moins les largesses financières dont bénéficient les cercles du pouvoir», «dont l'enrichissement ces dernières années est parfois spectaculaire», ajoute le rapport.
L'UE dénonce également ouvertement une bonne image en trompe-l'œil que véhicule la Côte d'Ivoire. Le rapport des diplomates européens parle de «failles politiques importantes de la reconstruction» après la décennie de crise politico-militaire des années 2000, et de «fragilités non résorbées d'un pays peut-être moins solide et démocratique que sa bonne image pourrait le laisser penser». Des accusations déjà très graves de l'Union auxquelles s'ajoutent d'autres, portant sur la restriction de la liberté d'expression.
Un pouvoir hermétique aux critiques
Pour les ambassadeurs européens, «face à ces difficultés, les autorités se montrent hermétiques aux critiques internes et externes, et semblent désireuses de ne laisser aucun lieu de pouvoir leur échapper». «La confrontation entre un pouvoir qui restreint progressivement les espaces d'expression, et une contestation sociale grandissante, n'augureraient rien de bon pour l'échéance de 2020», indiquent les diplomates européens.
En ce qui concerne les questions politiques ou électorales, selon le rapport, les initiatives du pouvoir d'Abidjan laissent entrevoir une tentative d'éliminer toute opposition afin de s'assurer une «réélection systématique» lors des échéances électorales de 2020. «Sur le plan politique, la création, voulue par le président Alassane Ouattara, d'un "parti unifié"» et «annoncé [e] comme la solution à l'instabilité passée [...] a été dès le début compris [e] par tous comme une manière pour la coalition au pouvoir de s'assurer une réélection systématique, en reléguant les éventuels mouvements d'opposition à la périphérie du jeu politique», révèle le rapport.
Un dialogue inexistant entre l'UE et la Côte d'Ivoire
Mais les dysfonctionnements relevés par l'UE ne s'arrêtent pas au plan interne. Le rapport va jusqu'à dénoncer une «relation de l'Union européenne avec la Côte d'Ivoire affectée par le manque de dialogue politique». Cette «situation n'est pas compatible avec la relation forte entre [Bruxelles et Abidjan], dont témoigne notamment le haut niveau de soutien politique et financier apporté par l'Union européenne», relèvent les ambassadeurs européens avant de conclure qu'«au vu de ce constat» ils incitent à «une réflexion sur le soutien de l'UE à la Côte d'Ivoire».
Signalons qu'une suspension de l'aide européenne à la Côte d'Ivoire pourrait avoir beaucoup de conséquences sur l'économie du pays. Pour la période 2014-2020, cette aide, sans compter les aides bilatérales allemande et française par exemple, s'élève à 273 millions d'euros, soit quelque 178,8 milliards de francs CFA.