« Le parti ne commentera pas. » Fin du chapitre. Pas question, pour Justin Koné Katinan, de revenir sur l’épisode qui, en juin dernier, a déjà été beaucoup commenté dans la presse et sur les plateaux télé. Devant des journalistes, le porte-parole du Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI) évoque ce jour-là le « cas » Charles Blé Goudé. L’ancien leader des Jeunes Patriotes a obtenu son passeport ordinaire quelques semaines plus tôt et, à La Haye où il réside toujours, il attend le feu vert des autorités ivoiriennes pour rentrer en Côte d’Ivoire. Debout derrière son pupitre, Justin Koné Katinan n’y va pas par quatre chemins. « Nous le disons sans aucune haine, nous ne sommes pas ensemble, martèle-t-il. Sur le terrain politique, nous sommes adversaires. Il faut que ce soit clair pour les Ivoiriens, pour nos militants. »
La décision de Charles Blé Goudé de transformer son mouvement, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), en parti en 2015, et ses ambitions politiques, qu’il ne cache pas, le catégorisent immanquablement dans l’opposition directe au PPA-CI, insiste Justin Koné Katinan. À la fin de son allocution, celui qui occupe aussi le poste de troisième vice-président de la formation fondée par Laurent Gbagbo quelques mois après son retour à Abidjan précise avoir en outre trouvé « désobligeante » une déclaration attribuée à Charles Blé Goudé : « Je n’ai jamais été dans le groupe [le Front populaire ivoirien, FPI, fondé par Gbagbo et aujourd’hui dirigé par Pascal Affi N’Guessan]. Je ne serai pas avec le sous-groupe [le PPA-CI] ».
L’héritage de Gbagbo
Les mois ont passé mais « le cas Blé Goudé » continue de faire des vagues au sein du PPA-CI. Il relance le débat – sensible – sur « l’héritage » politique de Laurent Gbagbo. Refusant certes qu’on lui dicte son agenda, l’ancien président n’avait-il pas clamé, lors du lancement de son parti, son « intention de partir » ?
Depuis leur acquittement par la Cour pénale internationale (CPI), qui les jugeait pour crimes contre l’humanité, leurs liens se sont distendus. Selon nos informations, les deux hommes ne se sont pas parlé directement au téléphone depuis au moins un an. Mais dans la grande famille socialiste, certains s’étonnent que Justin Koné Katinan ait choisi de faire publiquement état des dissensions.
« Il n’y a pas de rupture fondamentale entre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, tempère un membre du PPA-CI. D’une certaine manière, ils ont besoin l’un de l’autre. Si des cadres cognent sur Blé, cela ne veut pas dire qu’une réunion a acté leur prise de position au nom du parti. » Notre interlocuteur concède toutefois qu’il existe des « divergences » et que certains redoutent « que le retour de Charles Blé Goudé ne leur soit pas très favorable ». À l’en croire, les mécontents sont à chercher du côté de « la génération qui prépare la suite, à savoir la prochaine élection présidentielle, et surtout les suivantes ».
Plusieurs sources affirment même que Laurent Gbagbo a rappelé à l’ordre Justin Koné Katinan et Damana Pickass, le secrétaire général du PPA-CI, qui fut numéro trois de la puissante Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) quand Blé Goudé la dirigeait dans les années 1990.
« Un héritier trop pressé »
« Charles Blé Goudé est un héritier trop pressé, tonne pourtant l’un de ses anciens proches. Il faut accompagner Laurent Gbagbo dans son dernier combat politique. On ne réclame pas le flambeau comme ça. Il faut déjà faire partie du système. On ne force pas la main à Laurent Gbagbo. »
D’autant qu’il est, à ce stade, peu probable que l’ancien président choisisse de transmettre son héritage politique à son ancien ministre de la Jeunesse qui, depuis l’Europe, joue les rassembleurs et tente de se défaire de sa sulfureuse image de « général de la rue ».
Son départ précoce au Ghana au plus fort de la crise postélectorale du début de l’année 2011 et les rumeurs de négociations avec Abidjan qui ont suivi lui ont valu l’inimitié tenace de plusieurs proches de Laurent Gbagbo. Charles Blé Goudé y consacre un chapitre dans son livre, De l’enfer, je reviendrai, publié en 2016. Il y dénonce « [la] manipulation et [le] dénigrement » dont il a fait l’objet. Et puis il y a sa proximité avec l’ancienne première dame, Simone Gbagbo, qui a pris la tête de son propre parti, le Mouvement des générations capables (MGC), qui agace presque autant que ses remerciements réitérés au président Alassane Ouattara après l’obtention de son passeport.
ILS ANNONCENT LE DIVORCE, JE LE REFUSE. JE SUIS DANS UNE LOGIQUE DE RASSEMBLEMENT
Lui pourtant refuse de prendre acte de cette séparation d’avec le PPA-CI. « Pour ma part, je ne rentrerai pas dans ce conflit, je ne serai pas au rendez-vous de cet affrontement et je parlerai avec eux le moment venu en Côte d’Ivoire. Ils annoncent le divorce, je le refuse. Je suis dans une logique de rassemblement », expliquait-il dans un récent entretien à Jeune Afrique.
« Tout est question de discussions, répond Hubert Oulaye, le directeur exécutif du parti de Gbagbo. Si nous faisons alliance avec le PDCI [le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, d’Henri Konan Bédié], c’est que tout est possible. » Déjà alliés lors des législatives de 2021, le PPA-CI et le PDCI mènent actuellement des négociations en vue des élections locales de 2023, suivant l’implacable logique du monde politique ivoirien, morcelé en trois blocs : les victoires s’obtiennent toujours à deux contre un.
« Je lui cirais ses chaussures »
« Nous avons fait beaucoup pour le retour de Charles Blé Goudé, comme pour celui de Guillaume [Soro], ajoute Hubert Oulaye. Une motion spéciale a même été lue lors de notre congrès constitutif. Il a son passeport, que peut-on faire d’autre ? Nous ne pensons pas avoir négligé son sort, bien au contraire. »
Les années de détention communes de l’ancien président et de son ex-ministre de la Jeunesse, dans l’enceinte du pénitencier de Scheveningen, ponctuées de séances de sport et de services échangés (« Je lui cirais ses chaussures », dira Charles Blé Goudé), semblent toutefois bien loin. Tout comme le vœu, formulé par Laurent Gbagbo au lancement du PPA-CI, « d’unir la gauche » ivoirienne.