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Burkina Faso-Mali : ce qu’Ibrahim Traoré et Assimi Goïta ont acté

Pour son premier voyage officiel à l’étranger depuis sa nomination, le président de la transition burkinabè s’est rendu à Bamako. Il s’est entretenu avec son homologue malien, essentiellement au sujet de la coopération militaire.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 3 novembre 2022 à 16:34

 

 BM

 

 

Lors de la rencontre entre Ibrahim Traoré et Assimi Goïta à Bamako, le 2 novembre 2022. © Présidence du Faso

 

 

Arrivé le 2 novembre en début d’après-midi à Bamako à bord d’un avion affrété par l’homme d’affaires burkinabè Mahamadou Bonkoungou, le capitaine Ibrahim Traoré a été personnellement accueilli sur le tarmac de l’aéroport Modibo Keïta par son homologue, le colonel Assimi Goïta.

Les deux officiers putschistes se sont ensuite directement rendus au palais de Koulouba. Au cœur de leurs échanges : la coopération militaire et sécuritaire entre leurs deux pays, qui partagent 1 200 kilomètres de frontières. Les colonels-majors David Kabré, chef d’état-major général des armées burkinabè, et Kassoum Coulibaly, ministre de la Défense, étaient présents dans la délégation réduite du capitaine Traoré.

Patrouilles conjointes

« L’idée est de continuer à améliorer notre coopération opérationnelle avec les Maliens, tel que cela avait commencé à être ébauché ces derniers mois », explique une source proche du président de la transition burkinabè. Lorsque le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba était au pouvoir à Ouagadougou, un rapprochement avait en effet été envisagé avec les Maliens. Il s’était d’ailleurs lui-même rendu à Bamako, début septembre, après l’envoi d’une première délégation en avril.

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Parmi les pistes alors évoquées, la mise en place de patrouilles conjointes le long de la frontière, ou encore la nomination d’officiers de liaison à Bamako et à Ouagadougou pour fluidifier le commandement. Des projets finalement jamais mis en œuvre. « Les Maliens se méfiaient un peu de nous car ils nous suspectaient d’être proches de la France », explique un ex-proche de Damiba.

Tournée régionale

Lors de leur entretien, Traoré et Goïta ont à nouveau évoqué ces pistes de coopération bilatérale. Si les deux pays s’apportent un soutien aérien mutuel – fin octobre, l’armée de l’air malienne est intervenue en appui aux militaires burkinabè à Djibo -, ils entendent maintenant accélérer le déploiement de patrouilles conjointes. « C’est vraiment sur ce point que nous devons nous améliorer. C’est ce que nous faisons avec le Niger le long de notre frontière commune, et cela fonctionne plutôt bien », explique une source burkinabè.

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Après leur entretien au palais, le colonel Goïta a raccompagné le capitaine Traoré à l’aéroport en début de soirée. Selon l’un de ses proches, le président de la transition burkinabè devrait, après le Mali, se rendre prochainement dans les autres pays voisins touchés par la menace jihadiste pour évoquer la coopération sécuritaire, notamment le Niger et le Togo.

Tchad: l'angoisse des familles des disparus après les manifestations du 20 octobre

 

Les langues se délient au Tchad, deux semaines après les terribles événements du 20 octobre, quand des manifestations de l'opposition contre la prolongation de la transition ont été réprimées dans le sang. Les différents bilans parlent de 50 à 150 morts, des centaines de blessés et des milliers de personnes arrêtées ou « déportées », ainsi que des centaines de portés disparus. Des habitants de Ndjamena, sans nouvelles des leurs arrêtés ce jour-là, témoignent.

Le 20 octobre 2022, Anamo Maïnsala, 37 ans et nouvellement intégré à la fonction publique, se reposait dans sa maison située dans le quartier de Moursal, lorsqu'une camionnette remplie de militaires s'est arrêtée devant sa concession. Les soldats ont alors forcé les portes, passé la première pièce où il n'y avait que des femmes, avant de s'introduire dans la suivante. La suite est racontée par un membre de sa famille, qui n'a pas voulu donner son nom par peur d'éventuelles représailles :

« Ils ont trouvé mon grand frère avec un de mes neveux qui a à peine 15 ans. Ils ont pris mon neveu et l'ont emmené dehors. Là, ils lui ont tiré dans la jambe. Ils ont pris mon frère, l'ont mis dans la camionnette et sont partis avec lui. Jusqu'à aujourd'hui, on ne sait pas s'il est vivant ou s'il est mort. On ne sait pas. »

Pour Patricia, une mère de quatre enfants âgé de 11 mois à 10 ans, le « cauchemar » a commencé, dit-elle, lorsqu'un véhicule militaire s'est arrêté là aussi devant leur concession, dans le quartier de Chagoua, vers 1 heure du matin. Des soldats se sont engouffré et ont arrêté tous les adultes de sexe masculin : trois hommes dont son mari, Obed Bureau Morgodé, enseignant dans le privé, ainsi que deux jeunes gens âgés de 18 ans. Depuis, toute la concession vit entre angoisse et colère.

Aujourd'hui, toutes ces familles ne savent plus à quel saint se vouer et disent attendre des réponses du gouvernement de transition.

 

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Le gouvernement et l'opposition se rejettent toujours les responsabilités

Ce 3 novembre, exactement deux semaines après les événements de ce qu'on appelle désormais le « Jeudi noir » à Ndjamena et dans plusieurs autres villes dans le sud, l'onde de choc se fait toujours sentir dans le pays soumis à un couvre-feu, même s'il a été allégé depuis lors. Le Tchad reste divisé sur ce qui s'est passé exactement ce jour-là et les nuits qui ont suivi.

Tout le monde s'accorde uniquement sur le fait que le bilan de la répression des manifestations du 20 octobre a été l'un des plus lourd de l'histoire du Tchad. Selon le Comité des Nations unies contre la torture, qui a compilé les chiffres donnés par toutes les parties, il y a eu entre 50 et 150 personnes tuées. On dénombre aussi entre 150 et 180 personnes portées disparues, plus de 1 300 personnes arrêtées on encore entre 600 à 1 100 personnes « déportées » dans la prison de haute sécurité de Koro-Toro.

Et, après l'avoir nié dans un premier temps, le gouvernement a finalement reconnu l'arrestations de centaines de « suspects », envoyés notamment à Koro-Toro, faute de place dans les commissariats et autres prisons de Ndjamena. Dans ces conditions, les questions sont encore plus nombreuses que les réponses, puisque le Commission d'enquête mise en place par le pouvoir de transition n'a pas encore rendu ses conclusions. En attendant, chacun campe sur ses positions.

Pour le gouvernement, toute la responsabilité de ce drame incombe à une opposition et une société civiles devenues « terroristes » et symbolisées par Succès Masra, du parti Les Transformateurs, et le Mouvement Wakit Tama. Ils cherchaient ce jour-là à faire un coup d'État, continue de marteler le pouvoir tchadien. Ses opposants, passés aujourd'hui dans la clandestinité, dénoncent eux un pouvoir qu'ils qualifient désormais de sanguinaire, « prêt à massacrer le peuple tchadien pour perpétuer une succession dynastique du pouvoir ».

Les éleveurs transhumants du Sahel de plus en plus coincés dans les zones péri-urbaines

 
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Au Sahel, l’hivernage touche à sa fin et la transhumance devrait reprendre pour les bergers sahéliens qui vont chercher les pâturages dans les pays côtiers. Mais les restrictions dues à l’insécurité et à la pandémie de Covid-19 empêchent la mobilité des éleveurs pasteurs. Fait nouveau : du fait de l’insécurité, beaucoup se retrouvent coincés, avec leurs troupeaux, dans les banlieues des villes où ils ont cherché refuge.

Selon le réseau d’éleveurs Billital Maroobé, près de 63 000 pasteurs et 1,5 million d’animaux sont aujourd’hui coincés en zones péri-urbaines. C’est notamment le cas, dans la région de Gao, dans l’est du Mali. Abdulaziz Agalwali est le coordinateur de l’organisation d’éleveurs Tassa au Mali :

La forte concentration fait que les quelques pâturages disponibles au niveau de ces zones péri-urbaines de Gao, de Sango et de Ménaka s’épuisent assez rapidement. Ensuite, cela crée des problèmes de promiscuité, qui engendrent des risques de maladie assez élevés, ainsi que de fortes tensions entre les autres et ceux qui se sont déplacés avec leurs troupeaux.

Les éleveurs de la région du Sahel au Burkina, comme ceux de Tahoua, Maradi et Tillabéri au Niger, connaissent le même sort : beaucoup doivent vendre leurs animaux pour survivre, à prix bradé.

Oumarou Dioffo est l’administrateur de l'Association pour la rédynamisation de l'élevage au Niger :

Le bélier maintenant vaut 35 000 ou 40 000, avec 25 000 tu as une bonne brebis. Aujourd’hui, cela impose une autre façon de vivre pour les éleveurs transhumants. Il y a en d’autres qui se lancent dans le commerce, auquel ils ne sont pas habitués, et pour beaucoup c’est des échecs.

Le réseau Billital Maroobé estime que cette crise a entraîné une baisse du prix du bétail de 10 % à 20 %.

« Le mode de vie pastoral est menacé »

Si l’insécurité pose de plus en plus de difficultés aux éleveurs transhumants au Sahel, elle n'en est pas la seule cause : des décisions politiques prises par les pays côtiers ont beaucoup nui ces dernières années à la mobilité pastorale. Selon Dodo Boureima, le président du Réseau d’éleveurs Bilital Maroobé, « les mauvaises politiques menacent le mode de vie pastoral » et les éleveurs « ont aujourd’hui plus peur des forces de défense que des terroristes ».

Les éleveurs-pasteurs vivent des situations extrêmement difficiles qui mettent en péril leur mode de vie...

SELON DODO BOUREIMA, LE PRÉSIDENT DU RÉSEAU D’ÉLEVEURS BILITAL MAROOBÉ, «LES MAUVAISES POLITIQUES MENACENT LE MODE DE VIE PASTORAL»

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Tchad: le couvre-feu, instauré après des manifestations sanglantes, est allégé

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Après la répression des manifestations du 20 octobre, le gouvernement a fait un geste en faveur de la population en repoussant l'entrée en vigueur du couvre-feu, à compter du mercredi 26 octobre. Au lieu de 18 heures, il est désormais en vigueur à partir de 22 heures et jusqu’à 6 heures du matin. Une décision espérée, mais les Ndjamenois demandent plus.

Avec notre envoyé spécial à Ndjamena, Yves-Laurent Goma

Sur le marché de Moursal, dans le 6e arrondissement de Ndjamena, un couturier salue l'allégement du couvre-feu qui est, pour ses collègues et lui, une excellente décision. « Nous sommes un peu contents », dit-il, avant de glisser que lui et ses amis veulent surtout que « le couvre-feu soit définitivement enlevé ».

Un autre homme du marché veut que tout redevienne « comme avant ». Avec le couvre-feu à 18 heures, « on était un peu stressés, on avait peur, on regardait toujours notre montre », ajoute un autre Ndjamenois en riant. « Les gens étaient presque séquestrés. À partir de 17 heures, ils fuyaient comme s'ils étaient pourchassés », renchérit un quatrième.

Dans un petit maquis de Chagoua, un quartier du 7e arrondissement, transformé en champ de bataille jeudi dernier, des jeunes se veulent plus intransigeants et en appellent aux autorités. « Ils doivent lever le couvre-feu et également libérer ceux qui sont emprisonnés », estime l'un d'entre eux. « On a perdu nos frères, on a eu des blessés, et certains frères ont été emportés vers des destinations inconnues. Ça fait mal, qu'importe un couvre-feu à 18 heures ou à 22 heures », confie un deuxième. « Il faudrait que l'on s'assoit pour voir qu'est-ce qui n'a pas marché et qu'est-ce qui peut marcher », avance encore un autre. 

Dans les rues de Ndjamena, ils sont aussi nombreux à réclamer le rétablissement d'internet, coupé dans certains quartiers.

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Coton malien: le nouveau corridor mauritanien

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Avec les sanctions de la Cédéao contre le Mali, Bamako a été privé de ses deux grands ports de sortie, Dakar et Abidjan. À la demande de la CMDT, la société publique qui gère la filière coton, des exportations ont été possibles via la Guinée, et aussi grâce à un nouveau corridor de transit en territoire mauritanien.  

Le projet était dans les cartons depuis des années. Il aura fallu l’instauration en janvier des sanctions de la Cédéao contre Bamako pour accélérer les démarches. Faute de pouvoir exporter le coton malien via Dakar, Sogeco une filiale de Bolloré, délocalise une partie de ses équipes à Nouakchott. Et en quelques semaines, une fois les procédures officielles de passages aux frontières et aux douanes réglées, les premières balles de coton sont évacuées.

« On a fait un premier test dans cette période qui était un peu spécifique et cruciale pour nos amis maliens, explique Sid’Ahmed Abeidna, directeur général de Sogeco, filiale du groupe Bolloré. Donc on a essayé de pousser ce projet à terme. »

Combien de coton ont été évacués et vont l'être d'ici à la fin de l'année ? « On a un projet de 30 000 tonnes. Si on arrive à faire entre 20 000 et 25 000 tonnes, ce sera déjà une très bonne chose », assure-t-il.

Les volumes acheminés restent limités, mais ce corridor a permis aux exportateurs maliens de poursuivre, a minima, leur activité dans une période très compliquée, comme le dit Boubacar Salia Daou, PDG de Millenium Mali. 

« Au moment de la crise, la Mauritanie et la Guinée ont été une bouffée d'air. Parce que quand le coton n'est pas marqué, la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) n'est pas payée, nous, les négociants, ne sommes pas payés », précise le PDG.

Le corridor de l'espoir

Depuis juillet, les sanctions de la Cédéao ont été levées, les évacuations ont repris via les ports traditionnels, mais la route de l’espoir continue et devrait continuer l'année prochaine à recevoir du coton malien. Une alternative qui a cependant ses limites, explique le négociant.

« Pour le moment, ils ne peuvent pas satisfaire à la demande de la CMDT parce que la CMDT a fait plus de 700 000 tonnes de coton graine et la Mauritanie ne peut pas faire face ainsi que la Guinée. Elles n'ont pas les infrastructures capables de faire la manutention de ces quantités-là. »

► À lire aussi : Le Mali retrouve sa place de leader de la production de coton en Afrique

Alternative pérenne ou sortie de secours ponctuelle en cas de problème ? La Mauritanie a un rôle à jouer sur l'échiquier régional, explique Sid’Ahmed Abeidna, qui se veut rassurant sur les questions de capacités logistiques.

« Il y a des développements sur les côtes de la Mauritanie. Il y a un nouveau port, le port de Ndiago situé un peu plus au sud qui peut aussi participer à désengorger pendant une période où le port de Nouakchott aura forcément besoin d'un développement », espère le directeur de Sogeco.

Et si les flux de coton se tarissent, les minerais pourraient prendre le relais. Du manganèse malien circule désormais sur ce nouveau corridor mauritanien.