Le capitaine Ibrahim Traoré, nouveau président du Burkina Faso, assiste à la cérémonie du 35e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara, à Ouagadougou, le 15 octobre 2022. © OLYMPIA DE MAISMONT/AFP
Il y a quelques jours, c’est sur le ton de la blague qu’un de ses collègues lui conseillait de se préparer à rentrer au gouvernement. Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla n’avait pas relevé, se plongeant en souriant dans ses notes. Personne n’imaginait sérieusement qu’il puisse accéder à pareilles fonctions. Même pas lui : il y a quelques jours, il souhaitait publiquement « qu’il n’y ait pas de Premier ministre » au Burkina Faso.
Mais dans la soirée du vendredi 21 octobre, quelques heures après avoir prêté serment, Ibrahim Traoré, le nouveau président de la transition burkinabè, a déjoué tous les pronostics. Et a nommé ce civil, à la fois avocat, enseignant, polémiste mais novice en politique, chef du futur gouvernement.
Polémiste populaire
Avec cette décision, le jeune capitaine Traoré fait d’abord le choix de la popularité. Au Burkina, impossible de ne pas avoir déjà entendu Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla. S’il signe sous pseudonyme dans un des plus plus grands quotidiens du pays, il s’est fait connaître dans les médias audiovisuels depuis quelques années. Les auditeurs de Radio Liberté, Savane FM et Horizon FM connaissent tous la voix de cet homme qui y animait des émissions. À la télévision, il a été aux commandes de Press Échos et 7 Infos sur BFI TV, sans compter tous les débats auxquels il accepte de participer.
Pour les médias, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla est ce qu’on appelle « un bon client ». Il refuse rarement une invitation, n’a pas peur de prendre position, et défend des idées souvent iconoclastes. Certains de ses étudiants de l’École nationale de l’administration et de la magistrature (ENAM) le qualifient d’ailleurs de « fou », tant il n’a pas peur de déranger.
Sankariste
Nourri par les idées de la révolution, il est décrit comme un sankariste dans l’âme. Pourtant, lorsque dans les années 1980, le président Sankara l’appelle pour lui proposer d’entrer à son cabinet, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla refuse. Le jeune homme préfère se consacrer à ses études et décide alors de s’éloigner du Burkina Faso. Ce sera la France, où il s’installe pendant plusieurs années, avant d’aller au Canada.
De loin, il continue néanmoins d’appuyer activement la révolution. Il crée le Comité de défense de la révolution (CDR) Nice Côte-d’Azur qui apporte un soutien financier au régime. Dans l’Hexagone, il s’implique dans les syndicats étudiants de gauche, prend sa carte à l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) et de l’Union des étudiants communistes (UEC).
En 1988, il publiera Thomas Sankara et la révolution au Burkina Faso, une expérience de développement autocentré, dont le spécialiste de l’histoire du Burkina Bruno Jaffré dira que « sans les difficultés de diffusion, ce livre aurait tout pour devenir la référence sur la révolution burkinabè ». La même année, il publie aussi Coopération et développement autocentré, qui retrace « le long cheminement des relations diplomatiques et la souveraineté des États dans le monde ». En 2007, il fait éditer Relations diplomatiques et souveraineté chez L’Harmattan.
Critique et ferme
Dans ses ouvrages, comme dans ses prises de positions publiques, le nouveau Premier ministre de la transition a toujours été très critique vis-à-vis de la gouvernance au Burkina Faso, qu’il estime marquée par la corruption et le népotisme. Il ne retenait ses coups ni contre le régime de Blaise Compaoré, ni contre celui Roch Marc Christian Kaboré ou, ces dernières semaines, contre Paul-Henri Sandaogo Damiba. On l’a entendu dénoncer les décisions impopulaires prises récemment par le putschiste, comme celle de l’augmentation des salaires des ministres du gouvernement.
Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla connaissait bien l’ex-président qui, après avoir commis un putsch en janvier, vient lui-même d’être renversé par Ibrahim Traoré le 2 octobre, notamment car ils étaient originaires de la même province, le Kourritenga, dans le centre-est du pays. Mais quand à plusieurs reprises il s’est vu proposer des fonctions officielles dans la transition dirigée par Damiba, il a systématiquement décliné.
Ibrahim Traoré aura donc su le convaincre. L’annonce de la nomination de cet homme qui n’appartient ni aux classes hautes ni aux classes bourgeoises a été plutôt bien accueillie. Pour beaucoup de Burkinabè, c’est l’occasion rêvée de le voir mettre en œuvre ses idées « révolutionnaires ».
Quels partenaires ?
Même s’il n’a jamais occupé de fonction politique par le passé, à 64 ans, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla fait aussi figure d’homme d’expérience face aux 34 ans d’Ibrahim Traoré.
Les prises de position de cet avocat réputé pour sa constance et sa fermeté seront particulièrement scrutées. Notamment sur les partenariats que le Burkina Faso va renforcer ou nouer. Dans ses prises de parole, il a pour l’instant défendu l’idée de multiplier les partenaires, et de ne se couper d’aucun d’eux, ni la France ni la Russie, en les utilisant pour ce qu’ils peuvent apporter au Burkina Faso.
Après avoir attisé le sentiment anti-Français et s’être appuyé sur les réseaux pro-Russes lors de son putsch, Ibrahim Traoré a quant à lui prôné un « développement endogène » du pays dans le discours prononcé à sa prestation de serment. « Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, en essayant de repenser profondément notre agriculture, notre élevage, notre technologie… », a-t-il déclaré. Son nouveau Premier ministre n’aurait sans doute pas dit mieux.