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Sénégal : Macky Sall, Abdoulaye Wade et les autres… La « grande famille libérale » peut-elle se reformer ?

Avec le récent ralliement de Pape Diop à sa majorité, Macky Sall continue son lent travail de rabibochage avec ses anciens partenaires libéraux. Seuls l’ancien président et son fils, Karim Wade, résistent encore.

Par  - à Dakar
Mis à jour le 25 août 2022 à 11:50
 
 
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Abdoulaye Wade et Macky Sall au Palais présidentiel à Dakar, le 12 octobre 2019. Abdoulaye Wade et Macky Sall Palais présidentiel, Dakar 12 octobre 2019 © Présidence du Sénégal

 

 

Pour sa première – et unique – apparition publique depuis son retour au Sénégal, le 30 juillet dernier, Abdoulaye Wade a choisi de rester silencieux. L’ancien président a voté dans son bureau de vote du Point E, le lendemain de son arrivée à Dakar. Accompagné de certains alliés et membres de son parti, le patriarche a accompli son devoir sans répondre aux sollicitations de la presse.

Ces dernières semaines, il semblait vouloir se faire oublier. « Il va rester au Sénégal encore un certain temps, prédisait toutefois l’un de ses proches. Ce serait trop bête de partir maintenant, alors que les choses deviennent intéressantes. » De fait, dès le 21 août, « Gorgui » a vite refait parler de lui, sans même avoir à sortir de son domicile. Il a mandaté plusieurs de ses proches pour rencontrer le khalife général des Mourides dans la ville sainte de Touba. Venus recueillir les bénédictions du descendant de Cheikh Ahmadou Bamba, les émissaires étaient également venus porter un message : l’annonce de la déclaration de candidature de Karim Wade.

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Après Khalifa Sall, Bougane Guèye Dany, Malick Gackou et Ousmane Sonko, le responsable du Parti démocratique sénégalais (PDS) est donc officiellement candidat à la présidentielle de 2024. Toujours inéligible et bien loin du Sénégal, le fils d’Abdoulaye Wade maintient sans surprise son souhait de se représenter au prochain scrutin. De quoi conforter sans doute les nombreux anciens cadres de son parti qui, lassés de sa mainmise sur leur formation, en ont tous progressivement claqué la porte. Le jour même de la visite de la délégation à Touba, c’était au tour de l’ex-député Toussaint Manga d’annoncer son départ, après avoir exprimé son « éternelle reconnaissance à Abdoulaye Wade ». Encore un.

Déposer les armes

Son nom vient s’ajouter à liste de ces responsables qui ont abandonné le navire libéral – une liste trop longue désormais pour pouvoir tous les citer. Pas la peine de chercher bien loin pour les trouver : la grande majorité d’entre eux a depuis rejoint la majorité de Macky Sall. Dernière recrue en date : le président du parti Convergence démocratique Bokk Gis Gis, Pape Diop.

L’ancien président du Sénat, qui a navigué pendant près de quarante ans au sein du PDS avant de le quitter en 2012, a rejoint la mouvance présidentielle à un moment plus qu’opportun pour Macky Sall : quelques heures avant la publication des résultats définitifs des élections législatives du 31 juillet. « Je ne rejoins pas la majorité, nuance toutefois le député, je soutiens le groupe constitué par la coalition Benno bokk yakaar à l’Assemblée, afin d’éviter le blocage du pays. »

JE SUIS DISPOSÉ À RECEVOIR TOUT LE MONDE POUR RECOLLER LES MORCEAUX

Ce « soutien » a une conséquence de taille, car il permet au chef de l’État de sauver d’un cheveu sa majorité à l’Assemblée nationale, en obtenant le seuil minimal de 83 sièges. Avec Pape Diop, c’est un nouveau cadre historique du PDS qui rejoint Macky Sall. Un choix évident, selon l’un de ses anciens compagnons : « C’est plus logique de rejoindre sa famille, que de rejoindre ceux qui n’y appartiennent pas. » De l’autre côté de la barrière, il ne reste plus grand monde.

Lors de la seule interview qu’il a accordée depuis son retour, au média Dakaractu, Abdoulaye Wade avait pourtant tendu la main aux déçus : « Vous qui étiez frustrés et qui avez rejoint d’autres partis ou coalitions, je vous invite à déposer les armes et à revenir. Je tiens à vous féliciter de votre engagement, mais je n’ai plus rien à vous apprendre de la politique. Je suis disposé à recevoir tout le monde pour recoller les morceaux. »

À LIRESénégal : Macky Sall obtient sa majorité absolue in extremis grâce à Pape Diop

Difficile d’y voir autre chose qu’un vœu pieux. Dans les rangs de ceux qui ont quitté Wade, personne ne pense encore sérieusement à se rabibocher avec son ancien parti. « Ils ont bien joué lors des dernières législatives, concède un ex-PDS. Mais sans Yewwi Askan Wi, la coalition Wallu Sénégal [à laquelle appartient le PDS, ndlr] aurait eu des scores catastrophiques. » « À un moment donné, ça sera chacun pour soi, on verra bien ce qu’ils pèsent quand ils iront seuls », glisse un autre.

Réunion de famille

Depuis son départ du PDS en 2012, Pape Diop imaginait un mouvement inverse : sceller les « retrouvailles » de la famille libérale. L’idée n’était pas partagée par ses anciens alliés. « À l’époque, je prêchais dans le désert, se souvient-il. Karim Wade était déjà en prison, et l’idée m’a valu les remontrances de certains. Mais je n’ai jamais cessé de dire, depuis lors, que Macky Sall a toujours été des nôtres et qu’il n’y a pas de raison pour qu’on ne puisse pas s’entendre avec lui. »

Ces retrouvailles avaient été théorisées par Abdoulaye Wade lui-même au lendemain de sa défaite à la présidentielle de 2012. Échangeant avec ses proches, « Gorgui » imagine des scénarios et dessine des schémas, plaçant Macky Sall à sa gauche, Idrissa Seck à sa droite, et se positionnant lui-même au centre. « Il prévoyait son plan et œuvrait à l’éligibilité de Karim, raconte l’un de ses proches d’alors. Mais quand il a vu que son fils ne sortait pas de prison, c’est là que les choses ont commencé à se gâter avec Macky. »

DANS UN CAMP COMME DANS L’AUTRE, ON ASSURE QUE LES DEUX HOMMES SE PARLENT ET SONT EN CONTACT

Il y a quelques mois encore, le mot d’ordre au PDS n’avait depuis pas bougé : « la ligne rouge, c’est l’alliance avec la majorité », assurait l’un des cadres du parti. Lorsque le neveu du chef, Doudou Wade, avait annoncé que Macky Sall « posait les jalons » d’un rapprochement, il avait d’ailleurs été immédiatement repris. Depuis leurs retrouvailles en septembre 2019, du chemin a-t-il été parcouru ?

Dans un camp comme dans l’autre, on assure que les deux hommes se parlent et sont en contact. En plus d’avoir financé une partie des travaux de rénovation du domicile dakarois d’Abdoulaye Wade, Macky Sall a choisi de donner le nom de son prédécesseur au stade flambant neuf qu’il a fait construire dans la ville nouvelle de Diamniadio. Au cours de la campagne électorale, Pape Diop assurait, lui, à Jeune Afrique qu’il n’y avait pas eu de « négociations » entre le PDS et le pouvoir – uniquement des rencontres entre « personnes de bonne volonté ».

Pourtant, « l’histoire du PDS est marquée par des départs – bien souvent des numéro deux qui partent d’eux-mêmes ou sont poussés vers la sortie », comme le rappelle l’avocat El Hadj Amadou Sall. Resté « très proche » du président Wade, dont il fut le porte-parole et le ministre conseiller, ce dernier a lui aussi pris ses distances avec le parti, début 2019.

À LIRESénégal : avec son stade, Macky Sall cherche-t-il à amadouer Abdoulaye Wade ?

Comme Oumar Sarr (ex-numéro deux du parti) et Babacar Gaye, il a décidé de rompre avec ses compagnons libéraux. Une décision directement liée à ce qu’ils assimilent à une confiscation du parti – leur parti – par Karim Wade. Les trois hommes créent leur propre formation, le Parti des libéraux et démocrates And Suqali (PLD/AS) avant de rejoindre Macky Sall quelques mois plus tard. Oumar Sarr sera à cette occasion nommé ministre des Mines.

« De 2012 à 2019, c’est nous qui avons dirigé le parti, avons tout fait pour qu’il maintienne sa force de frappe. Pendant ce temps-là, Karim était le grand absent », lâche Amadou Sall, qui ne cache pas sa déception au souvenir du rendez-vous manqué de l’exilé qatari avec les militants en 2019.  « Tout l’appareil du parti a réussi à vendre ‘l’idée Karim’. Les Sénégalais ont été acheteurs, mais il n’a pas été à la hauteur. »

La matrice

Avant ce départ, les luttes de pouvoir intestines avaient déjà provoqué le départ d’Idrissa Seck (« Il voulait se positionner en dauphin, mais c’était trop tôt : Wade n’était pas prêt à lâcher le pouvoir », analyse Amadou Sall), puis, bien sûr, de Macky Sall lui-même. « J’en ai fait un dauphin, et il s’attaque à mon fils ? » lâche à l’époque le chef de l’État, Abdoulaye Wade, furieux de voir que Macky Sall, alors président de l’Assemblée nationale, a autorisé l’audition de Karim Wade devant la commission des Finances. L’impudence sera en tout cas payante. Après avoir quitté le parti, créé sa propre formation et remporté la présidentielle en 2012, Macky Sall ramènera progressivement dans son giron une bonne partie de ses anciens frères libéraux.

« Est-il possible de revenir ensemble ? Autour de qui et pour faire quoi ? » s’interroge pourtant Amadou Sall. Au sein de la tentaculaire coalition Benno Bokk Yakaar (majorité), les libéraux ne restent qu’un sous-groupe aux blessures « violentes » et « mal cicatrisées ». Leur relation avec leur ancien parti, la « matrice » dans laquelle ils ont « laissé un peu d’[eux]-même », est plus émotionnelle qu’autre chose. Le PDS, pour eux, correspond désormais au passé. « Les contacts sont maintenus, assure Pape Diop, mais les points de vue des uns et des autres restent très différents. En l’état actuel des choses, je vois mal comment on pourrait y arriver. »

À LIRESénégal : entre Macky Sall et Ousmane Sonko, duel au sommet avec la présidentielle en ligne de mire

Pendant ce temps-là, Abdoulaye Wade et ce qu’il reste de son parti demeurent braqués sur « l’option Karim » et continuent de réclamer le retour de leur candidat fantôme. « À ce jour, la réconciliation entre l’APR et le PDS me semble impossible, glisse un responsable de la majorité. Et donc reconstruire la famille libérale semble également impossible. » « Gorgui », connu pour son intelligence politique acérée, a -t-il (encore) un rôle à jouer dans le jeu politique ? Et lequel ? « C’est un géant. Se défaire de lui n’était pas une mince affaire, observe Amadou Sall notre interlocuteur. Mais Macky Sall a réussi. »

Mali: comment comprendre la nomination du colonel Maïga à la Primature?

 

Choguel Maïga, titulaire du poste, est hospitalisé dans une clinique de Bamako depuis dix jours, mis au « repos forcé » selon les autorités maliennes de transition. Le chef du gouvernement aurait fait un AVC ou un malaise cardiaque selon certaines sources. Le colonel Abdoulaye Maïga, ministre et porte-parole du gouvernement, assume donc à présent son intérim. Mais la nomination qui suscite certaines réflexions et certaines interrogations sur la suite des évènements.

Le colonel Abdoulaye Maïga est nommé Premier ministre par intérim, ce qui implique que Choguel Maïga reste titulaire du poste et qu’il est censé reprendre ses fonctions dès que sa santé le lui permettra. Pourtant, dans les textes, en vertu d’un décret datant de juillet 2021, c’est le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, premier par ordre de nomination dans le gouvernement après le Premier ministre, qui aurait dû exercer cet intérim. Le choix du colonel Maïga est donc un véritable choix politique, et non un simple automatisme pour pallier la vacance du poste.  

► Lire aussi : Mali: qui est le colonel Abdoulaye Maïga, Premier ministre par intérim?

Intérim long, voire pérennisation ?  

Certains observateurs estiment, sous couvert d’anonymat, qu’il faut dès lors s’attendre à un intérim long - plusieurs semaines au moins, une telle désignation ne semblant pas nécessaire pour une gestion rapide des affaires courantes -, voire à une pérennisation du colonel Maïga à la tête du gouvernement. Une manière de procéder à un changement de Premier ministre « en douceur » 

Aucun calcul 

Un acteur de premier plan de la vie politique malienne pense au contraire qu’il ne faut en aucun cas voir de calcul dans cette nomination, effectuée en urgence pour faire face à l’empêchement de Choguel Maïga. Selon cette source, le colonel Sadio Camara n’aime ni la lumière ni les caméras, raison pour laquelle le ministre de la Défense, pourtant très influent et souhaitant l’être, aurait décliné l’offre. Et si c’est le colonel Abdoulaye Maïga qui a été choisi, ce serait, selon cette source, parce qu’il répondait aux impératifs urgents du moment : il a fait la preuve de ses capacités techniques et oratoires, de sa loyauté envers la junte, et il dispose du soutien de son administration. Des qualités que peu de ministres peuvent prétendre réunir.  

Un militaire après deux civils  

Le colonel Maïga n’est pas membre de la junte qui a pris le pouvoir il y a deux ans (le CNSP, aujourd’hui officiellement dissout) mais c’est un militaire. Or depuis le début de la Transition, ce sont deux civils qui s’étaient succédé au poste de Premier ministre. Un changement notable. Abdoulaye Maïga est réputé proche du président de transition, le colonel Assimi Goïta, et il a eu ces derniers mois, en tant que porte-parole du gouvernement, des mots très durs vis-à-vis de la France mais aussi de la Cédéao et des Nations unies, qui pourraient donc, pour toutes ces raisons, voir d’un mauvais œil l’arrivée du colonel Abdoulaye Maïga à la Primature. 

Interlocuteur des partis politiques 

Une analyse que nuance un observateur attentif de la politique malienne, qui rappelle que le colonel Maïga, déjà ministre de l’Administration territoriale, est en charge de la préparation des futures élections, enjeu majeur pour les Maliens comme pour leurs partenaires internationaux. Sa nomination pourrait donc aussi être perçue comme un signe de l’importance donnée à cette échéance.

Dans ce cadre, le colonel Maïga est d’ailleurs devenu, côté gouvernemental, le premier interlocuteur des partis politiques maliens. Interlocuteur globalement apprécié, selon des personnalités de diverses tendances jointes par RFI, qui tenteront de se consoler ainsi d’avoir un chef de gouvernement qui ne soit toujours pas un civil issu de leurs rangs.  

Des réactions partagées

Il y a peu de réactions politiques à cette nomination. RFI a recueilli celle d’un soutien de la junte et celle d’un membre de l’opposition. Sory Ibrahima Traoré, président du Front pour l'émergence et le renouveau au Mali (Fer-Mali), qui soutient les autorités de transition, exprime sa grande satisfaction. 

« Nous nous en réjouissons parce que le colonel Abdoulaye Maïga est quelqu’un qui est très apprécié des milieux politiques. Sa désignation pour assurer l’intérim va éviter la discontinuité entre la classe politique et le gouvernement. Aujourd’hui, le plus important et le plus urgent, ce sont les réformes politiques et institutionnelles en matière électorale, et la mise en place de l’organe qui doit organiser les futures élections. Il était la personne la plus indiquée pour poursuivre le travail de Choguel Kokalla Maïga, momentanément indisponible. »  

La réaction est plus mitigée du côté de l’opposition, mais avec néanmoins une certaine forme d’optimisme. Ismaël Sacko est le président du Parti social-démocrate africain (PSDA), membre du Cadre qui rassemble les partis politiques maliens d’opposition.

« Cette nomination vient légèrement en retard, nous avions espéré que l’intérim serait assuré plus tôt, car nous avons compris que le Premier ministre, pour des raisons de maladie, était empêché. Le colonel Abdoulaye Maïga est arrivé à maintenir le dialogue avec la classe politique. Les chantiers sont assez énormes, notamment la révision constitutionnelle et les élections à organiser à l’avenir. La mise en place de l’organe indépendant de gestion des élections prévue fin juillet accuse un léger retard. Nous espérons qu’à la fin de cet intérim un nouveau Premier ministre sera nommé, un Premier ministre neutre qui fera objet de consensus. »   

Tchad: reprise compliquée pour le dialogue national inclusif et souverain

 

Les assises du dialogue national inclusif et souverain ont enfin repris mercredi après-midi, après quelques jours de report. Les participants au DNIS se sont retrouvés au palais du 15 janvier de Ndjamena, avec pour ordre du jour la rédaction d’un règlement intérieur devant assurer le bon fonctionnement des débats à venir. Mais l’audience a été très vite suspendue, après seulement une petite heure de travaux, et près de deux heures de retard à l’ouverture.

Avec notre envoyé spécial à Ndjamena, Sidy Yansané

Dès le départ, la bonne tenue de l’audience a été difficile. Il y avait un nombre insuffisant de casques pour traduire les débats en français et en arabe. Les organisateurs du dialogue ont passé l’essentiel de leur temps à rappeler à l’ordre les participants.

Le président du comité d’organisation, le ministre Acheikh Ibn Oumar, devait systématiquement demander le silence, ou interrompre quelques intervenants qui exprimaient des positions non incluses dans le programme du jour.

La séance a finalement été suspendue une heure plus tôt, laissant juste le temps au rapporteur général du comité d’organisation, Limane Mahamat, de détailler le projet de règlement intérieur. Dans ce projet, les organisateurs proposent la mise en place de quatre organes pour le DNIS, dont une assemblée plénière, un présidium de 21 membres et des commissions par thèmes, tels que la forme de l’État ou les droits et libertés.

Sénégal : entre Macky Sall et Ousmane Sonko, duel au sommet avec la présidentielle en ligne de mire

Les législatives du 31 juillet ont renvoyé dos à dos opposition et pouvoir, représentés respectivement par l’ancien inspecteur des impôts et le chef de l’État. Augurant d’une lutte acharnée d’ici au scrutin prévu dans deux ans.

 

Par  - envoyé spécial à Dakar
Mis à jour le 16 août 2022 à 10:11
 
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Macky Sall et Ousmane Sonko. Photomontage : JA © Clément Tardif pour JA ; Kirill Kukhmar/TASS/Sipa

 

Qui, du pouvoir incarné par Macky Sall ou de l’opposition emmenée par Ousmane Sonko, contrôlera in fine l’Assemblée nationale ? À la sortie des urnes, lors des législatives du 31 juillet, ni la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) ni l’alliance formée entre Yewwi Askan Wi (YAW) et Wallu Sénégal – la formation construite autour de l’ancien président Abdoulaye Wade – n’ont réussi à obtenir une majorité absolue (83 sièges).

Certes, BBY a réussi à se maintenir en position de première force politique du pays en obtenant 82 des postes en jeu. Mais la mouvance présidentielle est talonnée par ses deux principales concurrentes, qui en totalisent 80. Une première dans l’histoire politique du Sénégal : jamais l’opposition, dans sa plus grande diversité depuis l’instauration du multipartisme intégral en 1981, n’a engrangé autant de sièges au cours d’une législature.

À LIRELégislatives au Sénégal : un tournant historique ?

« L’inter-coalition entre YAW et Wallu Sénégal est elle-même inédite. Ce sont deux grandes entités politiques qui n’ont rien en commun. Mais elles ont réussi à s’entendre. Cela a eu un impact majeur sur le scrutin », analyse un observateur de la vie politique sénégalaise. « Notre capacité à faire fi de nos différences pour l’intérêt général a donné confiance aux électeurs. Ils ont voté pour signifier à Macky Sall qu’ils ne sont pas prêts à lui accorder un troisième mandat », explique Déthié Fall, mandataire national de YAW.

Troisième mandat

Ressassé à dessein par l’opposition tout au long du processus électoral, c’est bien le discours prêtant au au chef de l’État l’ambition de se maintenir au pouvoir au-delà de 2024 – année de la fin de son second mandat – qui a fait mouche. « Son indécision sur la question du troisième mandat lui a porté préjudice malgré les prouesses économiques effectuées sous sa gouvernance », déplore un proche d’Amadou Bâ, l’ancien ministre des Finances. « Ce n’est pas un échec [pour autant] », estime Pape Mahawa Diouf, porte-parole de la coalition au pouvoir.

Alors que Macky Sall a habilement accompagné ses différents lieutenants en lice – dont la tête de liste nationale, Aminata Touré – en alternant rencontres avec les jeunes et inaugurations d’infrastructures aéroportuaires et urbaines, son principal opposant, Ousmane Sonko, dominait de son côté la campagne électorale bien qu’étant hors course. Renvoyant ainsi au second rang les suppléants de sa coalition qui, paradoxalement, siégeront en septembre à l’Assemblée nationale du fait de l’invalidation de la liste nationale des candidats titulaires. « C’est essentiellement lui qui a porté le discours de l’opposition et drainé une foule monstre partout où nous sommes passés », raconte un membre de la coalition YAW.

À LIRESénégal : ce qui va changer si Macky Sall est contraint à la cohabitation

Au coude à coude lors d’un scrutin qui a mobilisé plus de trois millions d’électeurs, les deux personnalités vont maintenant s’affronter au sein de l’hémicycle – prochaine séquence d’un duel à distance en cours depuis la course à la magistrature suprême de 2019 qui se jouera encore une fois dans un mouchoir de poche. La coalition présidentielle ne détient en effet la majorité absolue – nécessaire pour éviter la cohabitation que compte lui imposer l’opposition – que grâce à un seul siège.

Pape Diop, l’allié parfait ?

Depuis le début de son magistère, Macky Sall est passé maître dans l’art des coups politiques en débauchant à tout-va au sein de l’opposition dans le but assumé de la réduire à « sa plus simple expression ». Après Idrissa Seck, l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade, et Oumar Sarr, l’ex-numéro deux du Parti démocratique sénégalais (PDS) devenu ministre des Mines – ils ont rejoint le pouvoir en 2020 –, BBY a réussi à convaincre Pape Diop, l’autre compagnon de « Gorgui », de le rallier.

Resté dans l’opposition, l’ancien maire de Dakar a joué un rôle de pivot. Il est l’un des trois députés qui – avec le journaliste Pape Djibril Fall (Les Serviteurs) et l’ancien ministre du Pétrole Thierno Alassane Sall (de la coalition Alternative pour une Assemblée de rupture) – pouvaient faire basculer l’Assemblée nationale dans un camp ou dans l’autre. Le 11 août, lors d’une conférence de presse, l’intéressé a fait savoir sa décision « mûrement réfléchie » de joindre le groupe parlementaire de la coalition au pouvoir. 

« Pape Diop est beaucoup plus proche de notre coalition que de celles de l’opposition, assurait déjà Thierno Amadou Sy, membre de l’Alliance pour la République (APR), le parti au pouvoir, quelques jours avant l’officialisation de ce ralliement. Il a toujours préservé son statut d’homme d’État. »

Le match n’est cependant pas plié du côté de YAW, où l’on affirme pouvoir débaucher des parlementaires dans les rangs de BBY pour « arracher la présidence du Parlement et de l’essentiel des commissions ».

À LIRESénégal : les trois députés qui peuvent faire basculer l’Assemblée nationale

Cette bataille pour le contrôle du perchoir sera déterminante à moins de deux ans de la présidentielle de 2024. Si elle est remportée par l’opposition, cela sonnera comme un sévère désaveu pour la majorité présidentielle. À l’inverse, il n’est pas sûr qu’un rapport de forces favorable au chef de l’État soit interprété comme un blanc-seing pour « la continuité ». « Le peuple sénégalais s’est exprimé dans les urnes et le message est très clair. [Il a] tourné le dos à Macky Sall et à son régime », twittait, dans la foulée de l’annonce des résultats provisoires, Ousmane Sonko.

Pour Mahamat Idriss Déby Itno, un dialogue pour exorciser le péché originel – par François Soudan

Au pouvoir depuis quinze mois, Mahamat Idriss Déby Itno a dû composer avec les impératifs sécuritaires et les revendications des politico-militaires. Le dialogue national inclusif qui démarre ce 20 août doit permettre d’amener le pays à la présidentielle. Et enfin, si possible, à la réconciliation et au changement.

Mis à jour le 15 août 2022 à 16:23
 
François Soudan
 

Par François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique. 

 

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Mahamat Idriss Déby Itno, au palais présidentiel de N’Djamena, en juin 2021. © Vincent Fournier pour JA

 

Depuis toujours, le thème favori et la constante verbale de la classe politique tchadienne – y compris des groupes politico-militaires aux acronymes aussi variables que leurs allégeances – ont été l’unité et la réconciliation nationales. Une volonté de vivre ensemble aussi présente dans les discours des dirigeants qu’absente des ressentis de toute une partie de la population, pour qui l’identité collective relève plus de la leçon apprise que du sentiment profond.

À LIRETchad – Albert Pahimi Padacké : « Notre dialogue se fera sans aucune pression, ni populaire, ni étrangère »

Ceci expliquant cela, la seule croissance longtemps observée au Tchad a été celle du sous-développement, et la plupart des entrepreneurs politiques se sont échinés à contredire au quotidien le contenu de leurs serments, discréditant aux yeux du peuple la notion même d’État.

Sans tabous

C’est dire si les enjeux du grand dialogue national inclusif (DNI) voulu par le président Mahamat Idriss Déby Itno dépassent largement la simple fixation d’un chronogramme électoral. Il s’agira dans le fond, d’exorciser le péché originel d’une indépendance transmise par une puissance coloniale, la France, qui, en soixante ans d’occupation, n’a rien fait d’autre que de maintenir l’ordre, disséminant au passage le virus de la primauté de la force sur l’État de droit. Or chacun sait qu’au Tchad comme ailleurs, la conscience et la construction nationales ne peuvent procéder que d’un État à la fois fort et consensuel, sans que cela implique la victoire d’une communauté sur les autres.

Tout devrait donc être mis sur la table sans tabous, au cours de ce dialogue. Une nouvelle Constitution, une nouvelle République, l’éradication définitive (au sens sociétal et psychologique) du recours à la violence et à la cinquantaine de groupes armés que compte le pays, le contexte sécuritaire régional, les règles d’une gouvernance démocratique et, in fine, un calendrier crédible de retour à l’ordre constitutionnel via un processus électoral perçu comme la conclusion de cette refondation.

À LIRETchad : comment Mahamat Idriss Déby a pris la tête du Conseil militaire de transition

Discuter de tout donc, y compris des modalités de la dissolution du Conseil militaire de transition et du destin politique personnel de Mahamat Idriss Déby Itno, dont l’irruption à la tête de l’État au lendemain de la mort de son père aura eu le mérite d’éviter une probable prise de N’Djamena par des colonnes de rebelles ayant servi de supplétifs à différentes factions libyennes, sans autre idéologie que leur propre toxicité.

Éviter un scénario déceptif

Le risque, évidemment, est que l’exercice ne débouche que sur une simple phase de répit, faute de bases de discussion solides, crédibles et inclusives. Un replâtrage de façade juste bon à distribuer des per diem aux quelque 1 400 participants. Tout doit être fait pour éviter ce scénario déceptif qui augurerait mal d’élections apaisées et serait vécu par l’opinion comme une éternelle et illégitime répétition des erreurs du passé.

Il est donc nécessaire que tous les acteurs politiques, associatifs, militaires, économiques et traditionnels y participent sans conditions irréalistes, et indispensable que chacun se garde de toute position maximaliste. Fatigués d’être les otages de leurs dirigeants, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, les 16 millions de Tchadiens attendent et redoutent à la fois un dialogue que Mahamat Idriss Déby Itno a conçu comme l’acmé de son passage à la tête de l’État. Pourquoi ne pas le prendre au mot ?