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À Yopougon, dernier meeting pour Michel Gbagbo

Alors que la campagne se terminait ce 31 août en Côte d’Ivoire, les principaux candidats à la mairie de la commune la plus peuplée d’Abidjan ont tenté, une ultime fois, de convaincre les électeurs.

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 1 septembre 2023 à 16:56
 
 

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Meeting de Michel Gbagbo à Yopougon, le 31 août 2023. © Aissatou Diallo

 

 

« On a ramené Gbagbo, on va installer Michel ! » scandent plusieurs centaines de militants rassemblés au carrefour Sodeci-Niangon, à Yopougon, où se tenait le meeting de clôture de campagne de Michel Gbagbo, ce 31 août.

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Candidat à la mairie de la plus grande commune d’Abidjan considérée comme un fief de l’opposition, le fils de l’ancien président était en terrain conquis. Vêtus de t-shirts blanc et bleu, les couleurs du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), et brandissant affiches et pancartes, ses partisans dansent sur des musiques en l’honneur de leur candidat et de son père, l’ancien président Laurent Gbagbo.

Laurent Gbagbo absent

« Je viens de Man, dans l’Ouest. Depuis que Gbagbo est parti, en 2011, je n’ai plus voté. Mais cette année, je vais voter pour son fils. La vie est devenue trop chère », explique, émue, Clarisse, une militante d’une soixantaine d’années. « Je suis là aujourd’hui car j’apprécie ses idées pour la jeunesse. Il veut réduire le chômage et lutter contre la mauvaise gouvernance », déclare pour sa part Évariste, 30 ans. Pour ces deux habitants de Yopougon, la candidature de Michel Gbagbo suscite un espoir. Lorsqu’aux alentours de 15h30, leur candidat fait son entrée sur la place, l’enthousiasme se fait plus fort. Mais une personnalité majeure manque à l’appel : son père, Laurent Gbagbo. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont fait le déplacement pour voir l’ancien président.

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Initialement annoncé, il s’est finalement fait représenter par sa directrice de cabinet et avocate, Habiba Touré. Malgré son absence, l’ex-chef de l’État a été le fil conducteur de ce meeting. « Le président Laurent Gbagbo vous dit merci car il a toujours pu compter sur Yopougon. Il dit que vous êtes un symbole de loyauté et de fidélité. Vous êtes Yopougon de Gbagbo », a clamé Habiba Touré devant la foule. « Dans quelques jours, il y a les élections. (…) Le seul remède à la fraude, c’est vous. Allez massivement voter samedi [2 septembre]. Votre mission, c’est de voter massivement Michel Gbagbo », a insisté celle qui est à la tête de Safe, un organe créé par le PPA-CI pour lutter contre la fraude électorale.

Enjeu majeur

Pour le nouveau parti de Gbagbo, l’enjeu est grand. Ces élections locales marquent son grand retour après des années de boycott électoral et permettra de jauger son poids sur la scène politique ivoirienne, un peu plus d’un an après son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI).

Quelques autres figures du parti étaient également présentes aux côtés de Michel Gbagbo : très applaudi, Mohamed Sam Jichi, dit « Sam l’Africain », s’est montré très critique à l’égard du candidat du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). « Allez dire à Adama Bictogo que les jeunes de Yopougon valent plus que 5 000 francs ! » a-t-il martelé sous les cris du public qui répétait : « On ne veut pas 5 000, on veut Michel ! »

UN JOUR, LES GENS NE QUITTERONT PAS YOPOUGON POUR ALLER À COCODY MAIS ILS QUITTERONT COCODY POUR VENIR À YOPOUGON

Dans un discours de près d’une demi-heure, le fils de l’ancien président a remercié ses partisans de l’avoir élu comme député de la commune en mars 2021 sous l’étiquette d’Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), une coalition pro-Gbagbo. Aux dernières législatives, sa liste, constituée de partisans de l’ancien président et de membres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), avait remporté les six sièges de la commune, mettant en échec le RHDP. « Nous avons fait tomber Kafana [Gilbert Kafana Koné, le maire sortant], nous allons écraser Bictogo ! » a lancé Michel Gbagbo.

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Le candidat du PPA-CI est ensuite revenu sur son programme pour la commune et a dénoncé le manque d’eau, d’infrastructures routières ou encore la faiblesse du système de santé local. Il s’est également adressé à la jeunesse de Yopougon, à qui il a promis la création d’emplois. « J’ai fait un rêve où un jour les gens ne quitteront pas Yopougon pour aller à Cocody mais où ils quitteront Cocody pour venir à Yopougon. Et ce rêve est possible si nous nous engageons dans le travail », a-t-il ajouté.

Michel Gbagbo a également taclé ses adversaires, en particulier Adama Bictogo, sur la perte de son poste de directeur exécutif du RHDP au détriment de celui de secrétaire exécutif. Il a enfin souligné les difficultés financières auxquelles l’une des sociétés qu’il dirige a fait face. « Nous n’avons ni de leçon politique ni de leçon de gestion à recevoir de sa part », a-t-il critiqué.

« Parachuté »

Quelques heures plus tôt, à la place CP1, le candidat du PDCI, le député Dia Houphouët Augustin Yohou, animait aussi son dernier meeting de campagne. Lui aussi a souligné les difficultés de la commune et a critiqué l’inaction du maire RHDP sortant, Gilbert Kafana Koné. « Ils ont cru que nous allions avoir peur lorsqu’ils ont envoyé le président de l’Assemblée nationale. Mais je suis député de Yopougon, il est député d’Agboville. C’est lui qui vient sur mon territoire ! » a-t-il lancé à l’endroit d’Adama Bictogo qu’il qualifie de « parachuté ».

NOUS SOMMES D’ABORD IVOIRIENS ET FIERS DE L’ÊTRE AVANT D’ÊTRE RHDP, PPA-CI, PDCI, FPI…

À quelques kilomètres de là, place Figayo, c’est une toute autre ambiance qui régnait au meeting du candidat du RHDP. Alors que plusieurs artistes en vue défilaient sur le podium, les militants du parti au pouvoir, vêtus d’orange et de blanc, exécutaient des pas de danse. Vers 19h, Bictogo prend la parole : « Ne répondez pas aux provocations. Nous avons eu une belle campagne. Nous n’avons jamais parlé de quelqu’un, nous n’avons jamais insulté parce que nos principes sont le respect et le rassemblement. Nous n’insulterons jamais car notre pays a besoin de tous ses enfants. Yopougon est la synthèse de la Côte d’Ivoire ». « Je vous ai demandé de cultiver la paix, le pardon, l’humilité, le respect et la fraternité. Nous sommes d’abord Ivoiriens et fiers de l’être avant d’être RHDP, PPA-CI, PDCI, FPI, etc… Je vous invite à aller voter dans le calme et la discipline », a-t-il ajouté.

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Depuis qu’il a été désigné par Alassane Ouattara pour porter ses couleurs à Yopougon, l’homme d’affaires a multiplié les actions dans la commune. Il a remercié les populations qu’il estime de plus en plus nombreuses à participer à ses meetings depuis novembre 2022. « Le destin de Yopougon est entre vos mains. (…) Pour ma part, il y a près de neuf mois, je me suis ouvert à vous. J’ai épousé votre cœur, vos attentes, votre état d’esprit et surtout votre dignité. Je veux qu’ensemble nous écrivions cette nouvelle histoire », a-t-il ajouté.

À chaque meeting, les candidats ont donné le même mot d’ordre à leurs militants : voter dans le calme. Le 2 septembre, tous les regards seront tournés vers Yopougon, qui constitue l’un des principaux enjeux de ces élections locales.

Mohamed Chérif Koné puni pour son opposition à Assimi Goïta au Mali ?

Le Conseil supérieur de la magistrature vient de radier le Cheick Mohamed Chérif Koné, qui n’a jamais bridé ses critiques contre la junte au pouvoir.

Mis à jour le 31 août 2023 à 14:35
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Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 

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        @ Glez

 

« Opposition à l’autorité légitime » : le motif pour lequel Cheick Mohamed Chérif Koné vient d’être radié de l’ordre malien des magistrats, ce 29 août, aurait de quoi surprendre, au premier abord. Le Mali ne continue-t-il pas de se présenter comme une République où l’expression d’un désaccord avec le régime en place est censément tolérable ? Quant à la « légitimité » de l’autorité évoquée, correspond-elle, si l’on parle de la junte dirigée par Assimi Goïta, à la définition prévue tant dans l’ancienne Constitution que dans la nouvelle ?

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Ne niant pas le droit à la liberté d’expression, les tenants de la procédure disciplinaire contre Koné – le Conseil supérieur de la magistrature et le ministre de la Justice du gouvernement de transition – brandissent le statut de magistrat qui proscrirait, selon eux, des « sorties médiatiques intempestives » considérées, dès lors, comme des « fautes professionnelles, disciplinaires ou pénales ». L’avocat du radié, maître Kassoum Tapo, tente de contredire cette analyse : « Le statut de magistrat interdit à mon client d’être membre d’un parti politique ou de collecter des fonds pour un parti politique, mais il ne lui impose pas de vivre en dehors de la société sans exprimer de convictions. »

Bras de fer devant la Cour suprême ?

Par ailleurs, le conseil de Cheick Mohamed Chérif Koné regrette que n’ait pas été prise en compte la dénonciation de possibles irrégularités de procédure notamment liées à la composition du conseil de discipline, à l’affectation de son client au moment des faits reprochés et au présumé anachronisme de certaines dispositions retenues avec la promulgation récente d’une nouvelle Constitution. Le Conseil supérieur de la magistrature semble avoir fait fi de ces considérations techniques…

S’agit-il donc d’un « procès politique (…) prémédité », comme le murmurent les partisans de Koné ? Il est clair que le magistrat radié s’est tôt affiché comme un frondeur, à l’égard du régime “transitionnaire” d’Assimi Goïta. Dans le cadre de l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP), de la Référence syndicale des magistrats (Refsyma) ou de la plateforme de l’Appel du 20 février 2023, il n’a eu de cesse de dénoncer une manipulation de la justice malienne par les tenants du pouvoir. En septembre 2021, il avait déjà été démis de ses fonctions de Premier avocat à la Cour suprême du Mali.

À LIREAu Mali, une Cour suprême sous influence ?

Le bras de fer pourrait continuer devant cette même Cour suprême malienne, voire devant la Cour africaine des droits de l’homme et la Cour de justice de la Cedeao. Il pourrait également être incarné par Dramane Diarra, un autre magistrat qui figurerait dans le collimateur du conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature…

Nigeria: à la frontière avec le Niger, l'insécurité et les kidnappings sont un véritable fléau

Ni la fermeture de la frontière de 1500 km qui sépare le Niger du Nigeria, ni les sanctions imposées par la Cédéao n'ont permis de stopper totalement les échanges entre les deux pays. Et pour cause : cette ligne de démarcation est incroyablement poreuse. Une situation qui pèse sur la sécurité de ces régions, confrontées à la prolifération des armes légères et de petits calibres et à l'activité soutenue des gangs armés surnommés « bandits ». 

 

Avec notre envoyée spéciale à Sokoto, Liza Fabbian 

Plus de 80 postes frontières officiels sont disséminés le long de la frontière entre le Nigeria et le Niger. Mais les passages illégaux sont beaucoup plus nombreux, rappelle le Sarkin Yaki, Alh Sani Umar Jabbi – un chef traditionnel, membre du conseil du Sultan de Sokoto : « La frontière est extrêmement poreuse. Il y a plus de 1 000 passages illégaux qui permettent à des personnes non identifiées de circuler. Les agents des douanes sont en sous-effectif et les terroristes en profitent pour passer du Niger, au Nigeria. Il y a aussi énormément de trafic d'armes à travers la frontière. »

Comme Katsina, Zamfara et Kaduna, Sokoto est en proie aux activités des bandits, qui contrôlent de larges pans de territoire dans le nord-ouest du Nigeria.

Il y a deux ans et demi, Muhammad Abubakar s'est engagé dans un groupe d'autodéfense local : « Les bandits kidnappent les gens dans les villages, parfois, il y a des raids, en pleine nuit. Ils attaquent les communautés et tirent sur tout ce qui bouge. Ils emmènent les animaux, et bien sûr les habitants, qu'ils emportent dans la forêt, avant de les échanger contre une rançon. »

Les kidnappings sont un véritable fléau. Aliyu a été enlevé en pleine nuit, dans sa maison de la ville frontière d'Illela. « Ils nous ont emmenés très loin, peut-être à 40 km d'ici, dans le camp où ils gardaient leurs prisonniers. Nous sommes arrivés un week-end, nous étions cinq, et le mercredi suivant, nous étions déjà neuf otages. Les bandits nous ont échangé contre des rançons de minimum 1 million de nairas (1 500 euros) chacun », raconte Aliyu. 

Toute dégradation de la situation sécuritaire au Niger pourrait avoir des conséquences dans ces régions frontalières, que l'armée nigériane peine toujours à sécuriser. 

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En Côte d’Ivoire, découverte d’un gigantesque gisement de manganèse

Le 22 août, la société australienne Mako Gold a annoncé avoir découvert un important gisement de manganèse dans le nord du pays.

Par Jeune Afrique avec AFP
Mis à jour le 22 août 2023 à 17:05
 
 
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VMako Gold Company, en Côte d’Ivoire. © DR

 

Un gisement de manganèse d’une potentielle « importance mondiale » a été découvert à Ouangolodougou, dans le nord de la Côte d’Ivoire, a annoncé la société australienne Mako Gold dans un communiqué, le 22 août.

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Les résultats du forage réalisé cette année le confirment, a affirmé Peter Ledwidge, directeur général de Mako Gold.

La superficie de chacun des deux terrains, forés jusqu’à 50 mètres de profondeur, est d’environ 7 km de long et de 1 km de large. L’une des prochaines étapes consistera à mener « une enquête géophysique pour évaluer la largeur et la profondeur » du gisement, a ajouté Ledwidge, sans préciser de date.

« La Côte d’Ivoire est l’un des dix producteurs mondiaux de manganèse », selon la société australienne. Le ministère ivoirien des Mines et du Pétrole indique que le pays compte quatre mines exploitées : à Bondoukou (Est), Guitry (Sud), Kaniasso (Nord-Ouest) et Lagnonkaha (Nord).

La production de ce métal s’élevait à 1 325 525 millions de tonnes en décembre 2020, soit +12,16% par rapport à 2019.

(Avec AFP)

Comment le Tchad compte transformer son élevage, pilier de son économie

Premier exportateur de bétail d’Afrique centrale, à travers laquelle ses bêtes sont acheminées sur pied, le Tchad entend changer de braquet en pariant sur la viande. Une stratégie difficile à mettre en œuvre, malgré le plan engagé par le groupe Arise.

Mis à jour le 18 août 2023 à 09:27
 

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Éleveur de bovins et son troupeau près de Guitté, dans la région du lac Tchad, à une centaine de kilomètres au nord de N’Djamena. © PHILIPPE DESMAZES/AFP


Concrétiser une vieille ambition en exportant de la viande fraîche. C’est ce que veut faire N’Djamena avec son élevage. Disposant de l’un des cheptels les plus importants du continent – estimé à 110 millions de têtes –, premier exportateur de bétail de la sous-région, le Tchad a fait de ce secteur un fleuron et un pilier de son économie.

Deuxième source de revenus du pays après le pétrole, il contribue à hauteur de 30 % au PIB, fait vivre près de 40 % de la population, et alimente toute la sous-région : le pays exporte en effet plus de 1 million de bovins et autant de petits ruminants par an, selon un rapport publié en février 2022 par la Banque mondiale. Mais les bêtes sont expédiées sur pied et non préparées, malgré la réputation de qualité de la viande liée à la pratique du pastoralisme (élevage extensif sur des pâturages). Une situation que le Tchad entend changer.

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Un investissement de 220 milliards de F CFA

Par le passé, cette volonté a plusieurs fois été douchée. Dans les années 1970, une première tentative menée par la Société industrielle de viandes du Tchad (Sivit), reprise par des capitaux privés sous le nom Africa-Viande, fait long feu. À la même époque, l’abattoir de Farcha, à N’Djamena, géré par le ministère de l’Élevage, exporte un temps avant de péricliter. Dans les années qui suivent, en dépit des annonces et des projets engagés, les avancées sont maigres.

NOUS ALLONS CRÉER LA PREMIÈRE FERME D’EMBOUCHE DU PAYS

À partir de 2021, après l’arrivée au pouvoir de Mahamat Idriss Déby Itno, l’ambition est réaffirmée. Le ministère de l’Élevage et l’Agence nationale des investissements et des exportations (Anie) élaborent alors notamment un programme d’appui aux fermes d’embouche (qui finalisent les bêtes avant leur abattage). Mais, en fin de compte, c’est le plan proposé en 2022 par la société Arise Integrated Industrial Platforms (IIP) – fondée par l’ex-patron d’Olam Gabon, Gagan Gupta , qui s’impose pour développer la filière viande dans le pays.

Le plan du développeur panafricain prévoit un investissement de 220 milliards de F CFA (plus de 335 millions d’euros) pour créer sept zones industrielles spéciales (ZIS, à Dermaya, Dourbali, Moundou, Sarh, Amdjarass, Abéché et Ati) dévolues aux bovins, ovins, caprins et camelins. Conçues autour d’abattoirs modernes (soit des complexes existants nécessitant une réhabilitation, soit de nouveaux à construire) et alimentées par des centrales électriques, ces ZIS doivent permettre de transformer le bétail en viande avant de l’exporter, tout en encourageant la consolidation des activités amont (aliment pour détail, zones de quarantaine) et aval (traitement des peaux et cuirs). Objectif : générer 1 200 milliards de F CFA de chiffre d’affaires et créer 45 000 emplois à l’horizon 2035.

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La stratégie, définie par le cabinet français Apexagri, est mise en œuvre par Laham Tchad, société de projet détenue à 65 % par Arise IIP et à 35 % par l’État tchadien. « Outre la reprise de l’abattoir de Moundou [financé par l’État et inauguré en 2020] et la mise à niveau de celui de Farcha [à N’Djamena], nous allons créer la première zone de quarantaine et la première ferme d’embouche du pays, avec l’idée d’en faire des modèles qui incitent d’autres opérateurs à investir », explique Jacky Rivière, le patron de Laham Tchad, ex-directeur local d’Olam.

Concurrencer les viandes brésilienne et indienne

Gabon, Égypte et Nigeria sont les trois marchés ciblés à court terme par Laham Tchad, qui commercialise sa viande sous la marque Viand’Or. En attendant de disposer d’une machine à glace sèche, indispensable pour l’export de viande fraîche par avion, la société a démarré en juin les expéditions vers le Gabon de viande congelée préparée à Moundou par camions frigorifiques. La société vise un rythme de 200 bovins et 400 petits animaux traités et exportés par jour afin de s’installer sur un marché jusqu’à présent dominé par les produits indiens, argentins et brésiliens.

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« Nous allons aussi lancer l’exportation de viande fraîche par cargo en Égypte, où il y a une place à prendre en raison des difficultés d’un des fournisseurs habituels, le Soudan », ajoute Jacky Rivière, qui entend également percer au Nigeria, premier acheteur de bêtes sur pied tchadiennes, et marché au fort potentiel. Mais, pour ce faire, il faudra convaincre Abuja de lever l’interdiction d’importations de viande en vigueur.

Autres pays dans le viseur : le Cameroun, l’Angola, le Congo, la Libye, le Soudan et les pays du Golfe (pour la viande de chameau), sachant que Laham Tchad veut aussi moderniser la filière nationale à travers la mise à niveau des abattoirs, l’approvisionnent des hôtels et restaurants, ainsi que l’ouverture de deux boucheries, à N’Djamena et à Moundou.

L’EXPORTATION D’ANIMAUX VIVANTS RESTE PLUS RENTABLE QUE CELLE DE VIANDE

Vers des bêtes standardisées ?

Pour autant, la stratégie centrée sur les exportations est complexe à mettre en œuvre. Dans un pays où la fortune d’une famille se mesure à la taille de son cheptel et où le pastoralisme ne produit pas de bêtes standardisées, l’approvisionnement en animaux au poids idoine et vaccinés demeure un défi. Et, quand bien même ce serait le cas, rien ne garantit que la viande produite au Tchad soit compétitive face à des importations issues de pays aux outils industriels optimisés. Un écueil bien compris par Laham Tchad.

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« Sur le marché gabonais, avec un prix de 4,25 dollars le kilo de bœuf congelé, nous sommes compétitifs face à la viande brésilienne et argentine à 5 dollars, mais plus en difficulté face aux produits indiens à 3,50 dollars le kilo », explique Jacky Rivière. D’autres obstacles se dressent en matière de commercialisation : négociations pour ouvrir des marchés protégés, délais d’obtention des certificats sanitaires, nécessité de conclure des contrats d’achat… « Dans la plupart des cas, l’exportation d’animaux vivants reste économiquement plus rentable que l’exportation de viande », souligne dans son rapport la Banque mondiale, qui a étudié les marchés africains et moyen-orientaux.

Tensions locales

Enfin, se pose la question de l’articulation de ce plan avec la filière existante, qui a, en outre, besoin d’être financée et formée. La modernisation de l’abattoir de N’Djamena, à Farcha, ne peut sereinement avancer qu’à la condition de trancher sur l’avenir de celui de Djarmaya (à une soixantaine de kilomètres au nord de la capitale) – dont la construction, confiée au turc Cantek, patine –, sous peine d’être en surcapacité à N’Djamena.

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Par ailleurs, que devient la plateforme de commercialisation de la viande Chad Commodities Market Place, lancée avec le soutien du groupe Bolloré en janvier 2022, soit un mois avant la présentation du plan d’Arise IIP ?

CONNECTER LES PROJETS D’ABATTOIRS AVEC L’ÉLEVAGE NAISSEUR NATIONAL

Plus largement, la mise en place de zones de quarantaine, consommatrices d’espace, et la constitution d’un réseau de fermes d’embouche et d’élevage (pour la reproduction) requièrent l’implication des éleveurs, coopératives, syndicats et commerçants pour éviter les tensions. Un point dont Laham Tchad affirme avoir pleinement conscience.

« Tout l’enjeu consiste à connecter les projets d’abattoirs avec l’élevage naisseur national et la création de systèmes d’embouche à la fois rentables et inclusifs », résume Bernard Bonnet, agronome de l’Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (Iram), qui accompagne le ministère tchadien sur la sécurisation du pastoralisme.