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Au Mali, qui de la CMA ou de l’armée est le maître de Ber ?

La Minusma a annoncé la 13 août avoir « anticipé », pour des raisons de sécurité, son retrait du camp de Ber. Et les Forces armées affirment l’avoir récupéré « après de nombreux incidents » avec les groupes « terroristes » et malgré la convoitise de l’ex-rébellion touarègue.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 14 août 2023 à 12:10
 
 

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Lancée en 2013, la mission de l’ONU au Mali (Minusma) comptait près de 12 000 Casques bleus. © HARANDANE DICKO/MINUSMA

« La Minusma a anticipé son retrait de Ber en raison de la dégradation de la sécurité dans la zone et des risques élevés que cela fait peser sur ses Casques Bleus », explique la Mission des Nations unies au Mali dans un message diffusé sur X (anciennement Twitter), sans précision sur la date de départ initiale prévue et les effectifs. Elle « invite les différents acteurs concernés à s’abstenir de tout acte qui pourrait davantage compliquer l’opération ». L’armée, dans un communiqué publié dimanche soir, dit contrôler le site désormais.

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Les Forces armées maliennes (Fama) ont expliqué dans ce texte que, « dans le cadre du processus de rétrocession des emprises de la Minusma, elles ont « pris possession du camp de Ber ce 13 août aux environs de 8h30 [heure locale], après de nombreux incidents ayant émaillé le mouvement de [ses] unités ». Sur le chemin menant à Ber pour récupérer le camp, elle rapporte divers incidents avec « les GAT » (groupes armés terroristes), dont « une tentative d’incursion dans le dispositif et des tirs de harcèlement » contre ses troupes le 11 août et d’autres « affrontements » ayant fait au total « six morts et quatre blessés » dans ses rangs. Des « tirs sporadiques » ont visé dimanche les soldats qui progressaient vers Ber, selon le même texte, qui ne précise pas l’identité des assaillants.

« Partir et non concéder »

La zone de Ber est également depuis quelques jours le théâtre de tensions opposant, d’une part, l’armée et le groupe paramilitaire russe Wagner et, d’autre part, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, ex-rébellion touarègue), selon cette dernière. La Minusma doit « simplement partir [de Ber] et non concéder » le camp à l’armée, a déclaré Attaye Ag Mohamed, un responsable de la CMA, dimanche sur X.

« Les FAMa tiennent coûte que coûte à occuper les emprises de la Minusma, y compris celles situées dans les zones sous contrôle de la CMA », a indiqué l’ex-rébellion, qui a la main sur de vastes étendues dans le Nord. Le fossé s’est creusé avec la junte, que la CMA accuse de remettre en question l’accord de paix d’Alger de 2015 qu’elle a signé avec Bamako. La CMA reproche aussi aux militaires d’avoir fait approuver en juin une nouvelle Constitution compromettant, selon elle, cet accord.

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Dans un nouveau signe de tension, elle a dit avoir « repoussé une attaque complexe menée par les Fama et Wagner », dans un communiqué publié vendredi, sans bilan. Elle avait annoncé jeudi le départ de Bamako de tous ses représentants pour des raisons de « sécurité ».

Le départ des Casques bleus burkinabè de Ber était programmé dans le cadre du retrait de la Minusma du pays d’ici à la fin de l’année. La première étape en était intervenue le 3 août à Ogossagou (Centre). Ce mouvement répond à la décision prise fin juin par le Conseil de sécurité de l’ONU de mettre un terme à la mission déployée depuis 2013, à la demande de la junte, arrivée au pouvoir en 2020. Le retrait des quelque 11 600 soldats et 1 500 policiers de dizaines de nationalités différentes doit s’échelonner jusqu’au 31 décembre.

(Avec AFP)

La Cedeao reporte une réunion clé sur son intervention militaire au Niger

Les pays d’Afrique de l’Ouest ont repoussé sine die une réunion prévue samedi à Accra, au Ghana, sur le déploiement de leur « force en attente » au Niger pour rétablir le président Bazoum.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 12 août 2023 à 17:34

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Le président du Nigeria et président de la Cedeao, Bola Ahmed Tinubu (G), s’entretient avec le président de la Commission de la Cedeao, Omar Touray (D), lors de la session extraordinaire du 10 août 2023 à Abuja. © KOLA SULAIMON / AFP

Les pays d’Afrique de l’Ouest ont reporté une réunion clé, initialement prévue ce samedi 12 août à Accra, sur le déploiement d’une force d’intervention pour rétablir le président Mohamed Bazoum, toujours séquestré. La réunion a été repoussée sine die pour « des raisons techniques », selon des sources militaires régionales. Les chefs d’état-major de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) devaient faire part à leurs dirigeants « des meilleures options » pour donner suite à leur décision d’activer et de déployer sa « force en attente » au Niger.

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Cette réunion devait se tenir deux jours après un sommet de la Cedeao à Abuja, qui a autorisé une possible intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Le calendrier et les modalités d’une éventuelle intervention militaire ouest-africaine n’ont pas été dévoilés. Mais selon le président ivoirien, Alassane Ouattara, dont le pays contribuera à cette force, elle devrait pouvoir intervenir « dans les plus brefs délais ». « L’option militaire envisagée sérieusement par la Cedeao n’est pas une guerre contre le Niger et son peuple, mais une opération de police contre le preneur d’otages et ses complices », a réagi samedi le ministre des Affaires étrangères nigérien, Hassoumi Massaoudou, sur X (ex-Twitter).

Blinken « consterné »

Parallèlement, un rassemblement près de la base française à Niamey a réuni vendredi des milliers de partisans des militaires ayant pris le pouvoir. « A bas la France, à bas la Cedeao », ont scandé les manifestants dans le calme. Ils ont brandi des drapeaux russes et nigériens et crié leur soutien aux militaires au pouvoir, en particulier à leur chef, le général Abdourahamane Tiani. Les militaires nigériens ont pris la France pour cible privilégiée, l’accusant d’être à l’origine de la décision de la Cedeao. La France, alliée du Niger avant le coup d’État et soutien indéfectible du président renversé, Mohamed Bazoum y compte quelque 1 500 hommes engagés avec l’armée nigérienne dans la lutte contre les groupes jihadistes au Sahel.

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Plus de deux semaines après le coup d’État qui l’a renversé le 26 juillet, les inquiétudes s’accentuent pour le président Mohamed Bazoum, retenu prisonnier avec sa femme et son fils dans des conditions « inhumaines », selon l’ONU. Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s’est dit « consterné » vendredi par le refus des militaires de libérer, en « signe de bonne volonté », la famille du président.

Selon un des proches de Mohamed Bazoum, les nouveaux maîtres de Niamey ont brandi « la menace » de s’en prendre à lui si une intervention armée avait lieu. « L’intervention va être risquée, il en est conscient, il considère qu’il faut un retour à l’ordre constitutionnel, avec ou sans lui », car « l’état de droit est plus important que sa personne », a assuré un de ses conseillers.

Nouveau gouvernement

A Abuja, la Cedeao a toutefois réaffirmé le jeudi 10 août son espoir d’une résolution par la voie diplomatique : le président du Nigeria, Bola Tinubu, qui assure la présidence tournante de l’organisation, a dit espérer « parvenir à une résolution pacifique », un recours à la force n’étant envisagé qu’en « dernier ressort ». Les décisions de la Cedeao ont reçu le « plein soutien » de la France, ainsi que des États-Unis. Ces deux pays avaient fait du Niger un pivot de leur dispositif dans la lutte contre les jihadistes armés au Sahel.

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La menace d’intervention avait été brandie une première fois le 30 juillet par les dirigeants ouest-africains, qui avaient lancé un ultimatum de sept jours aux militaires de Niamey pour rétablir le président Bazoum, sous peine d’utiliser « la force », non suivi d’effet. Depuis, les militaires nigériens se sont montrés intransigeants. Ils ont refusé mardi d’accueillir une délégation conjointe de la Cedeao, de l’Union africaine (UA) et de l’ONU.

Ils ont également annoncé la formation d’un nouveau gouvernement dirigé par un Premier ministre civil, qui s’est pour la première fois réuni vendredi. Le Mali et le Burkina Faso voisins, eux aussi dirigés par des militaires, ont affiché leur solidarité avec Niamey. Selon un conseiller de la présidence malienne sous couvert d’anonymat, l’un des hommes forts du régime nigérien, le général Salifou Mody, nouveau ministre de la Défense, a effectué une courte visite au Mali vendredi.

(avec AFP)

Au Mali, un mouvement de l’armée fait craindre une nouvelle guerre entre Bamako et le Nord

Alors que la mise en œuvre de l’accord de paix est au point mort, la rétrocession à l’armée malienne des camps de la Minusma, en particulier à Ber, fait courir le risque d’une reprise des hostilités entre les groupes indépendantistes et Bamako.

Mis à jour le 11 août 2023 à 17:43
 
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Le camp de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) de Ber, dans la région de Tombouctou. © Minusma/Marco Dormino/UN Photo

 

Sommes-nous proche de l’éclatement d’un nouveau conflit au Mali ? Jeudi 10 août, vers 18 heures, le porte-parole du Cadre stratégique permanent (CSP), une coalition de mouvements politiques et militaires indépendantistes du nord du Mali, signalait un accrochage entre ses hommes et les Forces armées maliennes (Fama), appuyées par les supplétifs de la milice russe Wagner, non loin de la ville de Ber, à une dizaine de kilomètres de Tombouctou. Un acte marquant selon lui « le début des hostilités » entre les partisans de l’État indépendantiste de l’Azawad et les autorités de Bamako.

Le spectre d’un nouveau conflit

Quelques minutes plus tard, le porte-parole revenait sur ses déclarations. Aucun accrochage n’avait eu lieu. L’annonce trahit pourtant l’état d’extrême volatilité dans lequel se trouve le nord du Mali, où le spectre d’une nouvelle guerre entre Bamako et Kidal n’a jamais été aussi présent. Ces derniers jours, les tensions entre l’armée malienne et les mouvements signataires de l’accord de paix d’Alger de 2015, qui suspend les hostilités démarrées trois ans plus tôt, ont atteint leur paroxysme. C’est la première fois que les ex-rebelles affirment aussi ouvertement que l’affrontement armé est une franche possibilité.

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Jeudi matin, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), groupe intégré au CSP, a demandé à tous ses représentants de quitter Bamako afin de se réfugier dans le nord du pays. « Notre direction estime que nous ne sommes plus en sécurité dans la capitale et que les raisons de notre présence au nom de la CMA sont entièrement compromises », a indiqué Attaye Ag Mohamed, chef de cette délégation et dernier représentant à avoir quitté Bamako.

Trois jours auparavant, le 7 août, la CMA dénonçait l’attaque par des soldats maliens et des mercenaires de Wagner de l’un de ses postes à Foïta, près de la frontière mauritanienne, dans laquelle deux de ses hommes ont perdu la vie. Selon l’ex-rébellion touareg, les militaires maliens et russes ont profité de l’occasion pour saisir deux pickups de la CMA qu’ils ont ajouté « comme butin de guerre » à une colonne de plusieurs dizaines de véhicules. Cette dernière a pris poste à Tombouctou ce mardi 8 août, dans le cadre d’une opération de sécurisation de la grande ville du Nord.

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« Selon nos informations, cette colonne composée de Fama et de Wagner s’apprête à se rendre à Ber », affirme Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole du CSP. Elle serait attendue dans cette ville de 20 000 habitants, située à 56 kilomètres de Tombouctou, afin de préparer la rétrocession du camp des Casques bleus de la Minusma prévue pour le 15 août. Après dix ans de présence sur le territoire, la mission des Nations unies pour le maintien de la paix au Mali n’a pas été renouvelée par le conseil de sécurité à la fin du mois de juin, à la suite de la demande des autorités maliennes de transition, qui ont exigé un départ sous six mois.

Ber, le verrou de Kidal

Dans le cadre de ce processus de retrait, la Minusma prévoit de rétrocéder à l’armée malienne ses douze emprises établies dans le pays. La première passation a eu lieu à Ogossagou, le 3 août. La prochaine devrait être celle du camp de Ber. Mais cette ville, fief indépendantiste depuis le début de la guerre du Mali en 2012, est sous l’autorité de facto de la CMA. « Nous nous opposons fermement à la transmission de cette emprise aux Fama, c’est une violation de l’accord de paix d’Alger de 2015, martèle Mohamed Elmaouloud Ramadane. Il y a des arrangements sécuritaires, une cartographie des positions de chaque acteur depuis la signature de cessez-le-feu du 23 mai 2014. Il n’est pas question que quelqu’un, en dehors de nos mouvements, prenne possession de ces emprises, que ce soit à Ber, Aguelhok, Kidal ou Tessalit. »

SI LES FAMA TENTENT D’ENTRER À BER, CE SERA LA DERNIÈRE BALLE QU’ILS TIRERONT SUR LE CESSEZ-LE-FEU ET L’ACCORD D’ALGER. POUR NOUS, CE SERA UNE DÉCLARATION DE GUERRE

Afin d’assurer la défense de leur poste, les mouvements indépendantistes ont dépêché des « dizaines de combattants » en renfort de Ber, signale une source proche du dossier : « Ils sont prêts à riposter par les armes si nécessaire. » Ce que confirme Ramadane : « Si les Fama tentent d’entrer à Ber, ce sera la dernière balle qu’ils tireront sur le cessez-le-feu et l’accord d’Alger. Pour nous, ce sera une déclaration de guerre. »

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La localité de Ber apparaît comme stratégique pour les mouvements indépendantistes, car elle se place en verrou de Kidal, bastion principal de l’ex-rébellion touareg. « Si Ber tombe, plus rien n’empêchera l’armée malienne de se rendre à Kidal, explique Mohamed Maïga, chercheur au cabinet Aliber Conseil. Cela en fait une ville symbolique et intouchable pour ces mouvements. Aucun soldat malien n’y a mis le pied depuis presque dix ans. »

« Guerre totale »

Une visite avait pourtant ravivé l’espoir d’un dégel entre Bamako et les ex-rebelles, le 16 juillet, lorsque Modibo Koné, le patron du renseignement malien, s’était rendu à Kidal afin de rouvrir le dialogue. L’initiative fut un échec. « L’accord d’Alger est au point mort. Aucun progrès n’a été réalisé depuis huit mois, tout est bloqué », tance Mohamed Elmaouloud Ramadane. Cheville centrale de l’accord, l’intégration de 26 000 ex-rebelles dans l’armée régulière patine lui aussi. António Guterres, le secrétaire général de l’ONU s’inquiétait en avril d’une « impasse » et d’une « paralysie persistante » dans la mise en œuvre du processus de paix. Tandis que la menace jihadiste continue de s’étendre sur le territoire, enfonçant le Mali dans la crise.

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Dès lors, la dégradation des relations entre la junte et les ex-rebelles n’a cessé de s’aggraver. La CMA reproche aux autorités maliennes d’avoir adopté en juin une nouvelle constitution qui compromet l’accord d’Alger. « Une branche très radicale de la junte, proche du ministre de la défense Sadio Camara, a refusé la demande de la CMA. Elle voulait que la junte signe un texte assurant que le référendum constitutionnel ne remette pas en question les clauses politico-institutionnelles de l’accord de paix », affirme un analyste proche du dossier. En signe de protestation, le référendum n’avait pu se tenir à Kidal.

NOUS NE VOULONS PAS OCCUPER MILITAIREMENT CES CAMPS. NOUS POUVONS LES DONNER À LA SOCIÉTÉ CIVILE. CE QUE NOUS N’ACCEPTERONS JAMAIS, C’EST QU’ILS SOIENT REPRIS PAR L’ARMÉE MALIENNE

Autre menace pesant sur l’accord : le réarmement de Bamako. Depuis le coup d’État des colonels en août 2020, l’état-major malien s’est fixé pour objectif de « récupérer l’intégralité territoriale » du Mali. Face aux groupes jihadistes, elle s’est dotée, auprès de son partenaire russe, de moyens aériens, d’armement et de batteries sol-air. « Je pense qu’elle s’est équipée pour faire face à un affrontement d’une grande ampleur, soutient Mohamed Maïga. La mésentente entre mouvements rebelles et Fama ne permet pas à l’armée de sécuriser certaines parties du territoire, offrant une porosité qui profite aux groupes jihadistes. Avec ce réarmement, le départ de la Minusma et des armées étrangères, les objectifs à moyen terme de l’armée malienne sont arrivés à maturité. Aujourd’hui, l’option d’une guerre totale semble privilégiée. »

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Tandis que l’option d’une reprise de Kidal et des fiefs indépendantistes par la force se dessine, les groupes signataires tentent d’alerter la mission des Nations unies. « Si les hostilités se déclenchent à Ber, la Minusma aura sa part de responsabilité, soutient Mohamed Elmaouloud Ramadane. Elle insiste pour remettre les clés de ses camps aux Fama, en violation des arrangements sécuritaires, des engagements signés, et cautionnés par elle. Nous avons interpellé la mission maintes fois sur la fermeture de ses bases et des nombreux problèmes que cela engendrerait. Nous n’avons pas reçu de réponse satisfaisante. »

Ainsi, le CSP demande la création d’un « mécanisme consensuel » qui permette la gestion des anciens camps des Nations unies dans les villes contrôlées par les mouvements. « Nous ne voulons pas occuper militairement ces camps. Nous pouvons les donner à la société civile, à la mairie, ou les transformer en écoles, ça nous est égal, assure Ramadane. Ce que nous n’accepterons jamais, c’est qu’ils soient repris par l’armée malienne. »

L’armée nigérienne peut-elle faire face à la Cedeao ?

Alors que les négociations sont au point mort, les putschistes du Niger pourraient bientôt devoir faire face à une intervention militaire de la Cedeao. Quelles seraient leurs capacités de résistance ? L’armée nigérienne, désunie et déjà engagée sur plusieurs fronts, pourrait-elle tenir ? Jeune Afrique fait le point.

Mis à jour le 10 août 2023 à 09:58
 
 

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Un convoi de soldats nigériens patrouille à l’extérieur de la ville de Ouallam, au Niger, le 6 juillet 2021. © REUTERS/Media Coulibaly

L’ultimatum fixé par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est arrivé à son terme. Les négociations menées par l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou ont échoué. Et les tentatives de médiation de la communauté internationale n’ont pas eu davantage de succès, tandis que la communauté ouest-africaine se réunit à nouveau ce 10 août à Abuja, au Nigeria.

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Alors que la voie diplomatique peine à trouver l’oreille des putschistes, l’éventualité d’une intervention armée de la Cedeao au Niger, comme le président nigérian Bola Tinubu en a brandi la menace, soulève bien des questions. Au premier rang desquelles, la capacité de l’armée nigérienne, déjà fortement mobilisée dans la guerre qui l’oppose aux groupes jihadistes, à faire face à une éventuelle intervention extérieure.

Une unité de façade ?

La réponse est loin d’être évidente, tant les forces mobilisables, d’un côte comme de l’autre, sont incertaines. Au sein de l’instance sous-régionale d’abord. Quels pays, pour quelle contribution, dans quel cadre légal ? Beaucoup de points restent à définir, y compris à Abuja, où les sénateurs ont appelé le président Bola Tinubu à privilégier la voie diplomatique. Si le Sénégal a affirmé qu’il la soutiendrait, la plupart des pays membres de la Cedeao ne se sont pas officiellement prononcés en faveur d’une intervention armée.

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D’autres, suspendus de l’organisation depuis leurs propres putschs, ont au contraire ouvertement apporté leur soutien à la junte nigérienne. Le Mali et le Burkina Faso ont assuré que toute intervention militaire serait considérée comme « une déclaration de guerre » au sein de leurs pays, tandis que la Guinée s’oppose elle aussi à toute action par les armes de la Cedeao, sans pour autant affirmer – à l’inverse de Bamako et Ouagadougou  qu’elle pourrait venir en aide militairement aux putschistes de Niamey.

Les positions ne sont pas plus claires dans les rangs des forces armées nigériennes, à l’heure où le putsch n’est pas encore tout à fait consommé – Mohamed Bazoum n’ayant toujours pas signé sa démission. Dans la nuit du 26 au 27 juillet, quelques heures seulement après le début du coup d’État, les commandants de plusieurs corps d’armée, dont l’armée de terre et les forces spéciales, se sont affichés aux côtés des putschistes de la garde présidentielle à l’occasion de leur première allocution télévisée.

NOMBRE DES SOLDATS DE L’ARMÉE ONT ÉTÉ MIS DEVANT LE FAIT ACCOMPLI ET NE SOUSCRIVENT PAS AUX RÉCENTS ÉVÉNEMENTS, MÊME S’ILS SUIVENT LES ORDRES

Pas de quoi empêcher de nombreux observateurs de mettre en doute l’unité de façade affichée par l’armée. « Aucun des chefs qui s’affichent avec les putschistes n’a l’assurance que tous ses hommes le suivent, à l’exception du général Abdourahamane Tiani de la garde présidentielle », résume un ancien militaire ouest-africain, en contact permanent avec des militaires nigériens. Selon ce dernier, nombre des quelque 40 000 soldats qui composeraient l’armée du Niger « ont été mis devant le fait accompli et ne souscrivent pas aux récents événements, même s’ils suivent les ordres ».

Une Garde nationale loyaliste ?

De là à refuser de prendre les armes en cas d’intervention armée de la Cedeao ? « Les discours de la junte mettent de plus en plus l’accent sur la souveraineté du Niger, poursuit notre source. Une manière de préparer l’opinion nigérienne à défendre les putschistes de toute intervention extérieure au nom du patriotisme et de renforcer l’idée que toute intervention serait une agression du Niger, même parmi les soldats toujours loyaux à Mohamed Bazoum. »

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Au sein des forces de défense et de sécurité, la Garde nationale – en laquelle Mohamed Bazoum avait placé sa confiance – est scrutée avec une attention particulière. Cette unité, qui compterait environ treize mille hommes selon des sources concordantes, est une composante des forces de sécurité intérieure (FSI), placées sous la houlette du ministère de l’Intérieur. « Les éléments de la Garde nationale n’appartiennent pas à l’armée, mais ils ont été formés au sein des structures militaires, souvent avec les officiers de l’armée. Ils bénéficient également d’importants équipements militaires », détaille Nina Wilén, directrice du programme Afrique auprès de l’Institut Egmont à Bruxelles.

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Aux premières heures du coup d’État, plusieurs unités de la Garde nationale avaient été ramenées de Tillabéri, Ouallam et Diffa vers Niamey afin d’être déployées devant plusieurs sites stratégiques, dont les locaux de la télévision nationale. Un mouvement dont on ne sait toujours pas s’il avait été décidé en faveur des putschistes ou de Mohamed Bazoum. Signe de la confusion qui entoure le rôle de cette unité paramilitaire : la mise aux arrêts de son commandant, le colonel Midou Guirey, depuis remplacé par son second, Ahmed Sidian, qui soutient les putschistes.

De Niamey à Agadez, de Dosso à Zinder, le Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) a également placé plusieurs gouverneurs militaires et d’un inspecteur de police à la tête de huit régions. Une série de nominations qui pourrait permettre à la junte de renforcer ses soutiens dans les rangs de l’armée.

« L’armée nigérienne n’est pas l’armée gambienne »

Comme pour la Garde nationale, le positionnement de toutes les unités de l’armée et des forces de sécurité intérieure pourrait être décisif en cas d’intervention armée de la Cedeao. « Si cela devait advenir, les putschistes auraient besoin de toutes les unités du pays », résume l’ancien officier précédemment cité. « La loyauté des forces de sécurité intérieures, de la Garde nationale et autres pourrait faire une grande différence », abonde Nina Wilén.

LES BATAILLONS SPÉCIAUX D’INTERVENTION ONT LARGEMENT RENFORCÉ LEURS ÉQUIPEMENTS ET BÉNÉFICIÉ DE FORMATIONS DES ÉTATS-UNIS, DE LA FRANCE OU DE L’ALLEMAGNE

D’autant que les forces armées nigériennes sont, depuis plusieurs années, déployées sur l’ensemble du territoire nigérien pour faire face à la menace jihadisite qui a métastasé à travers tout le Sahel. Avec sept frontières et neuf zones d’interventions militaires, des milliers de soldats font déjà la guerre au Niger. « Mais les militaires nigériens savent se battre et se battront. Si une force entrait au Niger, il y aurait des pertes importantes des deux côtés. L’armée nigérienne n’est pas l’armée gambienne ou sierra-léonaise », met en garde notre officier en référence aux précédentes interventions armées de la Cedeao en Gambie (2017) et en Sierra Leone.

À Niamey, la grande muette a fait l’objet d’une attention particulière au cours des mandats de Mahamadou Issoufou (2011-2021) et de Mohamed Bazoum. Au cours des cinq dernières années, les bataillons spéciaux d’intervention ont largement renforcé leurs équipements et bénéficié de formations de partenaires du Niger tels que les États-Unis, la France ou l’Allemagne. Avec pour objectif de faire passer les effectifs militaires à 50 000 hommes en 2025 puis à 100 000 en 2030, l’armée nigérienne a vu son budget augmenter de manière conséquente.

Alliance putschiste

En cas de guerre avec la Cedeao, Niamey pourrait-il également compter sur l’appui de Bamako et Ouagadougou, dont les régimes putschistes ont récemment affiché leur soutien à la junte nigérienne ? Les armées malienne et burkinabè sont elles-aussi mobilisées contre les groupes radicaux. Mais ces voisins sahéliens bénéficient d’alliés extérieurs. Depuis l’avènement de la junte au Mali, en 2021 (année du « putsch dans le putsch » qui a placé Assimi Goïta au pouvoir), Bamako a largement renforcé son équipement militaire grâce au concours de Moscou.

À LIRELe Niger et la Côte d’Ivoire dans le viseur de Wagner

La Russie a surtout fourni au Mali l’appui de centaines de mercenaires du groupe paramilitaire Wagner. Ce scénario va-t-il se répéter au Niger ? Tel n’a pas été le cas au Burkina Faso, malgré les appels du pied russes évidents au russophile Ibrahim Traoré. Selon plusieurs sources, des contacts auraient été pris entre la junte nigérienne et Wagner, via les autorités maliennes. En outre, le ministre de la Défense malien Sadio Camara, grand artisan de l’arrivée des Russes à Bamako, était à Niamey ce 7 août pour échanger avec le général Tiani et ses hommes.

Début août, le chef d’état-major des armées nigériennes, qui a été remplacé depuis, adressait un courrier, que Jeune Afrique a été en mesure d’authentifier, à son homologue malien lui demandant un soutien matériel.  Un appui incluant notamment des munitions de drones et des roquettes, qui permettrait, selon le document « de faire face à toute menace éventuelle interne ou externe dans le cadre de la défense de l’intégrité territoriale du Niger ».

S’il n’est pas possible de prophétiser des alliances et des moyens qui seront mis à disposition en cas de conflit, deux camps se dessinent dans la sous-région. Celui des régimes militaires, soutiens sans faille de la junte du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie. Et celui des présidents élus, lui-même scindé en deux. Avec d’un côté les interventionnistes, et de l’autre ceux qui, comme le Togo de Faure Gnassingbé, – et, en dehors de la Cedeao, l’Algérie du président Tebboune – veulent croire qu’une médiation est encore possible.

En Côte d’Ivoire, « Game of Thrones » au royaume des Baoulés

Sur fond de rivalités entre le RHDP d’Alassane Ouattara et le PDCI de feu Henri Konan Bédié, les héritiers de la reine des Baoulés, Nanan Akoua Boni II, se disputent pour prendre sa suite. Et la querelle, familiale et politique, est loin d’être réglée.

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 7 août 2023 à 10:29
 
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La reine Nanan Akoua Boni II (au centre), au côté du président ivoirien, Alassane Ouattara, aux obsèques du 13e roi des Baoulés, feu Sa Majesté Nanan Kouakou. © Présidence – CI.

 

C’est un secret qui n’en est plus un mais qu’on n’ébruite pas. Depuis plusieurs semaines, des journaux ivoiriens se contentent d’indiquer pudiquement que la reine « a mal au pied ». Mais la formule peine à dissimuler la gravité de la situation : Nanan Akoua Boni II, la reine des Baoulés, n’est plus.

Grand silence

Sa dernière apparition publique remonte à mars 2022, lorsqu’elle avait reçu une délégation de cadres baoulés du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) à Sakassou. Un grand silence régnait déjà autour de l’état de santé de la souveraine.

Malgré la disparition de la reine, confirmée à Jeune Afrique par plusieurs sources, le silence perdure faute de communication officielle. Des rites traditionnels pour acter son décès doivent aussi être effectués. Cette disparition est d’autant plus sensible qu’elle intervient dans un contexte de guerre entre clans pour obtenir les rênes du royaume.

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Car, depuis les obsèques du roi Nanan Anounglé III, en 2016, les Baoulés traversent une profonde crise de succession. La villa royale, où se trouve le trône tant convoité, est désormais presque inhabitée. Seules quelques rares occasions, comme les funérailles de l’ancien député, ambassadeur, ministre et écrivain Paul Akoto Yao, permettent de taire – au moins un temps – les querelles et de réunir les Baoulés de tout bord pour rendre un dernier hommage à l’un des leurs. 

 

Drame familial

 

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Nanan Kassi Anvo, héritier légitime du trône conformément à la dévolution matrilinéaire en vigueur chez les Baoulés.  © DR

 

Si ce conflit est aussi tragique, c’est aussi à cause de ses protagonistes : une mère et son fils. D’un côté, Nanan Akoua Boni II, la sœur du défunt roi, et ses partisans. De l’autre, le fils de cette dernière, Nanan Kassi Anvo, héritier légitime du trône conformément à la dévolution matrilinéaire en vigueur chez les Baoulés. Derrière ce drame familial qui a tourné à la guerre ouverte entre deux clans se cachent également des rivalités politiques.

« Tout est parti de la façon dont a été nommée la reine », explique Jean-Noël Loucou, professeur d’histoire contemporaine et secrétaire général de la Fondation Félix-Houphouët-Boigny. « En tant que président de la commission scientifique de préparation des obsèques du roi, nous avions établi le déroulement de la cérémonie et le programme de ceux qui devaient intervenir. Alors qu’elle tirait à sa fin, l’un des chefs de la région de Bouaké a demandé à prendre la parole pour donner une information. Ce n’était pas prévu mais, vu qu’il s’agissait juste d’une information, nous n’y avons pas vu d’inconvénient », raconte l’historien. 

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Et de poursuivre : « C’est à ce moment qu’il a annoncé devant tout le monde que les chefs de canton s’étaient réunis et avaient décidé que la reine, qui assurait l’intérim depuis le décès de son frère, allait lui succéder. Nous étions tous interloqués, car cela ne respectait aucunement la tradition. Ce n’est pas de cette façon qu’on nomme le roi non plus. Depuis, il y a ceux qui contestent la manière dont les choses ont été faites et ceux qui demandent d’accepter le fait accompli. »

Une reine à la chambre des rois

Un an après les obsèques de son frère, en 2017, la reine est intronisée en grande pompe. Nanan Akoua Boni est officiellement reconnue par les autorités comme la souveraine des Baoulés à la chambre des rois. Malgré cette reconnaissance légale, sa légitimité continue d’être remise en question. 

Nombreux sont ceux qui estiment qu’elle doit occuper le siège de la « reine-mère », de forme arrondie, contrairement à celui du roi, qui est rectangulaire. Traditionnellement réservé à une sœur ou une cousine du roi, il permet d’établir une cosouveraineté. Son occupante jouit de nombreuses prérogatives et joue le rôle de grande prêtresse.

Dans cette logique, et suivant la tradition du matrilignage, son fils aurait donc toute légitimité pour monter sur le trône masculin et diriger le royaume. Une vision des choses rejetée par ceux qui estiment que la question de genre n’est pas ici la cause de la querelle, le royaume ayant lui-même été fondé par une reine, Abla Pokou, lorsqu’elle conduisit le peuple baoulé de l’actuel Ghana en Côte d’Ivoire, à la fin du XVIIIe siècle. 

Rupture entre Ouattara et Bédié

Pour eux, la raison est à chercher dans le domaine politique. Aux obsèques du roi, en 2016, le chef de l’État, Alassane Ouattara est présent aux côtés de l’ex-président Henri Konan Bédié (HKB), cadre le plus influent du royaume baoulé, décédé le 1er août dernier.

À l’époque, la coalition entre leurs deux formations, le Rassemblement des républicains (RDR) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), fonctionnait encore. Plusieurs poids lourds de l’ancien parti unique avaient rejoint le gouvernement. Mais lorsqu’en 2018, Bédié refuse la fusion du PDCI avec le RHDP, au pouvoir, les tensions s’exacerbent. Et l’un des terrains sur lesquels ils s’affrontent désormais est le royaume baoulé. Même si le souverain a perdu de son influence au fil du temps, avoir de son côté le roi ou la reine des Baoulés – qui représentent environ 7 millions d’Ivoiriens, soit le groupe ethnique le plus important du pays numériquement – est un symbole fort. 

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« En 2019, Bédié a convoqué l’ensemble de la chefferie baoulée à Yamoussoukro, afin de faire passer son message de rupture avec Ouattara et de lui retirer le soutien qu’il lui avait apporté en 2010. Il a en même temps annoncé sa candidature à la présidentielle de 2020, rappelle Kouakou Laurent Assouanga, docteur en histoire contemporaine à l’université Félix-Houphouët-Boigny (UFHB). Certains, dont la reine, qui était réservée sur la pertinence d’une nouvelle confrontation entre eux [Ouattara et Bédié], n’ont pas répondu à l’appel. Cela lui a valu les foudres de cadres baoulés du PDCI, qui ont commencé à remettre en question sa légitimité, jusqu’à souhaiter sa destitution. » 

Un royaume à deux têtes

Si les partisans de la reine assurent que son couronnement avait été approuvé par l’ancien président, dans l’entourage de ce dernier, on souligne plutôt un malentendu. « Bédié pensait qu’elle continuerait d’assurer la régence, le temps que son fils soit intronisé », confie l’un de ses proches. 

Toujours est-il que, fin mars 2019, Nanan Kassi Anvo suit les rituels dans le bois sacré afin de devenir roi. Ses partisans, qui s’étaient réunis à Sakassou, sont accusés de trouble à l’ordre public et dispersés à coups de gaz lacrymogène. Résultat, plusieurs années après cet événement, le royaume se retrouve empêtré dans un imbroglio, avec deux souverains ayant chacun leurs soutiens. 

La reine était notamment soutenue par certains chefs de canton et des cadres baoulés du RHDP, dont Jeannot Ahoussou-Kouadio, le président du Sénat, et Amédé Koffi Kouakou, le ministre de l’Équipement, par ailleurs président de l’influente Association des élus et cadres du grand Centre. De son côté, son fils compte aussi dans son camp des chefs de canton, ainsi que plusieurs poids lourds du PDCI. Il reçoit d’ailleurs à Abidjan chez Thérèse Houphouët-Boigny, épouse de l’ancien président. 

« Beaucoup d’amour »

Face à cette situation confuse qui s’enlise, Bédié a tenté une médiation. Le 1er octobre dernier, ses deux émissaires, Niamien N’Goran et Joseph Kouamé Kra, ont écouté les chefs de canton réunis à Kouassiblékro, près de Bouaké. Mais si ce type de conclave a permis de trancher le conflit qui, ces dernières années, a opposé le ministre Augustin Thiam, gouverneur du district de Yamoussoukro, et son rival, Augustin Dahouet-Boigny (tous deux petits-neveux d’Houphouët), dans le canton Akouè, sur fond de rivalités entre le RHDP et le PDCI, cela n’a pas été le cas cette fois-ci. Les chefs ont regretté l’immixtion du politique dans la conduite des affaires du royaume. 

À l’approche des élections locales, prévues le 2 septembre, nul doute que le pays baoulé continuera de cristalliser l’attention des responsables politiques. Certains estiment en effet que, depuis l’ère Félix Houphouët-Boigny, la région reste un socle électoral du parti de Bédié. « Aux législatives de mars 2021, le RHDP a perdu dans tout le pays baoulé, malgré la reine. Ce qui montre bien que ses consignes ne sont pas suivies », relève un proche du PDCI. 

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Alors qu’il préparait une cérémonie de couronnement pour juillet dernier, Nanan Kassi Anvo a finalement dû surseoir à son projet, du moins provisoirement. A-t-il plié sous la menace d’arrestation de ses partisans pour « troubles à l’ordre public et usurpation de titres » agitée par l’autre camp ? « Depuis la fin de l’année dernière, il est entré dans une phase de réflexion afin d’apporter quelque chose de nouveau en matière de gouvernance et pour qu’il y ait une communion entre les dirigeants et les différentes communautés », confie l’un de ses proches.  

Si, dans leur entourage, on assure qu’entre la mère et le fils, « les relations étaient bonnes » et qu’il y avait, malgré tout, « beaucoup d’amour », la crise qui dépasse désormais leurs personnes semble encore loin d’être réglée. Pour l’heure, le décès de Nanan Akoua Boni II n’a pas résolu l’épineuse question de la succession. Au contraire, celle-ci connaît un rebondissement avec l’apparition d’un nouveau candidat dans la course au trône. Mi-juillet, des chefs de cantons se sont réunis afin de confier la régence à un prince issu d’une autre des quatre grandes familles héritières du trône : Maxime Kouadio.

Le décès de Bédié n’arrange rien

Face à cette situation et au silence qui entoure la disparition de la reine, une délégation de chefs de cantons s’était rendue à Daoukro, à la résidence de Bédié, le 20 juillet. Au cadre baoulé le plus influent, ils avaient exposé leurs griefs, alerté sur la désignation d’un nouveau régent et demandé son implication pour la résolution du conflit. Ils ont également regretté que le décès de la reine ait été annoncé au président de la République, au mépris des traditions.

Quelques jours plus tard, des dignitaires de Sakassou, dont le président des cadres originaires de la ville, ont adressé un courrier au préfet, lui demandant la fermeture de la cour royale le temps qu’un consensus soit trouvé. Mais le 26 juillet, des affrontements ont éclaté dans la cour entre partisans des deux hommes. « Le peuple baoulé est pris en otage par des hommes politiques qui l’instrumentalisent pour assouvir leurs propres intérêts au mépris des coutumes », déplore un dignitaire Baoulé. Le décès de l’ancien président, Henri Konan Bédié, très impliqué dans les questions concernant la vie du royaume, pourrait compliquer davantage la résolution de ce conflit.