Jean-Marc Pradelle, AFD (Agence française de développement)
Ce lundi 2 juillet, la lutte contre le terrorisme et l’accélération du développement des pays du « G5 Sahel » seront au centre des discussions du sommet de l’Union africaine (UA), en Mauritanie.
Le Sahel traverse une phase de croissance démographique sans précédent dans aucune autre région du monde. En l’espace de 20 ans, période très courte, la population des pays du G5 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) pourrait doubler, ce qui la ferait passer, en vase clos, de 80 à 160 millions d’habitants en 2040.
En comparaison, celle des pays côtiers atlantiques d’Afrique de l’Ouest sera multipliée par 1,8, alors que la dynamique démographique dans le Maghreb sera beaucoup moins forte : la population devrait y croître d’environ 30 %.
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Ces constats, renforcés par la situation de crise sécuritaire aiguë de certaines régions du Sahel, inquiètent la France et l’Europe, qui y voient une menace migratoire, amplifiée par des essais récents aux titres parfois provocateurs. On pense notamment à l’essai de Stephen Smith, La ruée vers l’Europe.
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Mais il faut aussi replacer cette hausse importante de la population de l’Afrique subsaharienne dans son contexte, celui d’une phase de rattrapage historique. Avec un niveau de plus de 2 milliards prévu en 2050, elle retrouve seulement en ce XXIe siècle l’importance relative qu’elle avait dans la population mondiale au XVIIᵉ siècle, soit environ 1/5e.
Entre ces deux dates, la traite négrière et la colonisation ont conduit l’Afrique subsaharienne à moins de 10 % d’une population mondiale par ailleurs en croissance, sa population ne dépassant pas 100 millions d’habitants jusqu’au début du XXe siècle.
La mobilité, condition clef du développement
Parler d’une « Ruée vers l’Europe » comme le propose Smith revient cependant à caricaturer la situation. L’objectif des femmes et hommes du Sahel, notamment de sa jeunesse, est d’améliorer leur situation, de chercher un meilleur accès aux services de base, à la formation, la santé, le logement, l’information, la sécurité…
Ce qui conduit parfois à se déplacer, sans perdre nécessairement le contact avec leur région d’origine. C’est également l’aspiration au voyage, à la découverte, que connaissent tous les jeunes du monde.
Ces conditions meilleures, si elles ne se présentent pas sur place, ils les trouvent dans les bourgs et villes de rang supérieur à leur lieu de vie actuel. La majorité des Sahéliens qui choisissent de se déplacer s’installeront donc dans leur propre pays. D’autres traverseront une frontière pour rallier des pôles de croissance dans des pays voisins mieux dotés comme le sont la plupart des pays qui entourent le Sahel, en Afrique de l’Ouest côtière ou au Maghreb.
Enfin, une partie des déplacements conduira des Sahéliens vers d’autres régions du monde, comme ce fut souvent le cas des régions en transition démographique (de 1850 à 1914, 60 millions d’Européens quittèrent l’Europe).
Achile M’Bembé le dit à sa manière : « Si la plus grande question du XXᵉ siècle était celle de la race, au XXIᵉ siècle, ce sera celle de la mobilité ».
Une transformation profonde et rapide des sociétés
Les idées reçues ont la vie longue. Les images d’un Sahel de paysans et d’éleveurs que les sécheresses des années 70 et 80 avaient projetées dans le monde occidental sont restées dans les mémoires.
Or, les pays sahéliens se sont dotés depuis lors d’un réseau de villes et de voies de communication. Dans certains pays sahéliens, le niveau d’urbanisation est ainsi passé de 2 % en 1950 à 25 % en 2010. Les Sahéliens se procurent leur alimentation via le marché pour plus des deux tiers.
Les chaînes alimentaires (production-transformation-commercialisation) fonctionnent, permettant aux Sahéliens de se nourrir à 80 % de produits sahéliens, ces derniers se composant principalement de céréales, graines oléagineuses, racines et tubercules, légumineuses, huile, sucre.
Les diasporas émigrées en Afrique (en Côte d’Ivoire notamment), en Europe, en Amérique du Nord, apportent par ailleurs à leurs pays d’origine plus de ressources que l’aide au développement : 2,2 milliards de dollars au Sénégal et 1 milliard au Mali en 2017.
La vision dominante aujourd’hui d’un Sahel en crise provient surtout des difficultés de certains États de la région (notamment le Mali et le Nigeria) à gérer la sécurité de leur territoire national.
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Cette vérité, certes préoccupante, ne doit pas masquer que le Sahel est engagé dans une transformation interne des sociétés, passant par une forte urbanisation des bourgs, des villes secondaires et des capitales, et par une transformation des modes de vie (comportement de consommation, logement, mode de transport, accès aux services et à l’information).
Accompagner le processus de peuplement en cours
Ces transformations en appellent d’autres. Ainsi, l’urbanisation en cours nécessitera d’équiper les agglomérations et de les doter de pouvoirs locaux représentant toutes les parties prenantes impliquées dans les économies et sociétés locales, leurs biens communs.
Les régions frontalières entre les pays du Sahel et les pays côtiers (de la Côte d’Ivoire au Cameroun en passant par le Nigéria) verront une activité commerciale dense. La distinction rural-urbain laissera la place à la notion de territoires centrés sur des bourgs et des villes secondaires, ce qui suppose que les pouvoirs centraux acceptent de jouer le jeu d’une véritable décentralisation, point clef d’un renouveau de la gouvernance que les peuples sahéliens, notamment leur jeunesse, appellent impatiemment de leurs vœux.
Ce mouvement est en marche mais les observateurs occidentaux peinent à le comprendre, notamment à saisir l’importance considérable du secteur informel véritable économie populaire permettant à la majorité de se procurer un revenu, secteur en outre articulé avec le secteur « moderne » comme celui des technologies mobiles et des nouveaux médias.
Comprendre les transformations induites par ce peuplement accéléré – où vivront les Sahéliens, comment évolueront les emplois et les comportements sociaux – est indispensable pour anticiper, et pour ouvrir l’éventail des choix offerts aux Sahéliennes et aux Sahéliens, dans différents domaines, notamment l’aménagement des cadres de vie, la planification familiale, l’éducation, l’emploi et la mobilité.
Sciences Po/Banque mondiale, CC BY-NC-ND
Une mobilité dont doit s’emparer la CEDEAO
Les pays sahéliens et la communauté internationale ont donc deux défis essentiels à relever dans le Sahel, celui de la crise sécuritaire et celui de la transformation du peuplement. Ces deux défis n’ont pas les mêmes temporalités et l’un ne peut occulter l’autre.
Pour servir de cadre général aux débats des États sur cette mobilité, seule la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) paraît à la hauteur des enjeux, parce qu’elle regroupe déjà une large majorité des États concernés, plusieurs pays, non des moindres, étant en outre candidats à y entrer (la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie).
Dans les deux cas, les bailleurs de fonds doivent s’efforcer d’adopter ensemble des modes d’action plus rapides et efficaces que par le passé.
Cet article a été publié en collaboration avec le blog Ideas for development, Id4D, animé par l’AFD.
Jean-Marc Pradelle, Référent Sahel de la Direction Innovation-Recherche et Savoirs, AFD (Agence française de développement)
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.