Emmanuel Véron, Institut national des langues et civilisations orientales – Inalco – USPC
Le 19e Congrès du Parti communiste chinois (PCC) s’est achevé le mardi 24 octobre 2017 par la consécration du président XI Jinping, dont le mandat à la tête du parti est renouvelé, mais surtout, dont le nom et la pensée ont désormais été inscrits dans la charte du PCC. Un symbole fort qui élève Xi au rang de leader incontesté, au même titre que l’était Mao Zedong.
Or, ce leadership chinois sur le monde est bien ancré dans le programme politique du parti, fixé dans le cadre de ce 19e congrès pour les cinq prochaines années.
Pourtant la situation géopolitique demeure incertaine, voire instable : risques nucléaires en Corée du Nord, mouvements islamistes en Chine et à ses frontières, récessions économiques en Europe, en Amérique latine…
Malgré ces défis, la Chine entend s’engager encore plus sur la scène internationale, comme l’avait déjà exprimé Xi à Davos en janvier dernier, s’érigeant alors en apôtre du libre-échange.
Cette prise de position se veut une démonstration de la stabilité et de la montée en puissance du pays, qui espère maintenir un niveau annuel de croissance élevé, actuellement autour de 6 % du PIB.
Le 19e Congrès lance ainsi un nouvel élan dans l’ascendance de la puissance chinoise afin d’établir un niveau de superpuissance jouxtant celui des États-Unis.
Nouvelles technologies, innovations et enjeux climatiques sont ainsi devenus depuis quelques années des enjeux clefs pour Pékin.
Championne de l’environnement et du numérique
Dans la continuité des accords 2015 de Paris, le Parti-État a réitéré son engagement dans la protection de l’environnement notamment dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Cela se traduit par exemple par la mise en place d’un système de quotas d’émissions de carbone généralisé – des programmes pilotes existent déjà à travers le pays – mais aussi par la conquête des parts de marché dans le secteur de l’éolien et du photovoltaïque.
En prenant le leadership sur le climat, la Chine devance les États-Unis de Trump, qu’elle talonne déjà au niveau technologique, en particulier sur le digital et l’intelligence artificielle.
Dans ce secteur, les géants chinois (BATX, Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) devraient poursuivre leur expansion à travers le monde en particulier dans les pays en développement. Actuellement, Tencent et Baidu totalisent plus de 577 milliards d’euros et Jack Ma, patron d’Alibaba souhaite investir 15 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle pour les trois prochaines années.
Déjà, le tourisme, les transactions bancaires, les paiements en ligne impliquent une utilisation régulière de ces « GAFA » chinois (acronyme utilisé pour les titans classiques du web, Google, Apple, Facebook, Amazon), une tendance qui pourrait se mondialiser.
Enfin, selon les récentes déclarations de Xi Jinping le secteur financier soutiendra l’industrialisation de pointe au même titre que les autres grands secteurs (énergie, infrastructures, transports…). La Chine pourrait ainsi rapidement concurrencer les pays occidentaux en termes de dépôts de brevet. Et avec le plan « Made in China 2025 » lancé en décembre 2016, le pays espère devenir le nouvel hub mondial pour les nouvelles technologies.
Cette concentration économique n’est pas sans arrière-pensée pour la place à prendre à l’échelle régionale.
Activisme et influence en Asie
La montée en puissance de la Chine depuis les années 1980 et sa restauration sur la scène internationale, un objectif quasi obsessionnel de la part de ses dirigeants – ne peuvent s’effectuer sans d’abord affirmer sa suprématie en Asie.
Cela se traduit par des stratégies visant à évincer les ambitions japonaises et à écarter l’Inde, sa grande rivale dans la région.
Pékin compte ainsi s’appuyer sur une politique commerciale et économique offensive, en se décrétant à la fois meneur et arbitre dans les conflits régionaux. Ces derniers sont principalement liés au non-règlement de frontières maritimes ou terrestres, tels que la mer de Chine méridionale ou les litiges himalayens sino-indien.
Cette « diplomatie du pourtour » selon le vocable chinois est très active et à géométrie variable. L’enjeu fondamental est d’éloigner au maximum la présence – militaire, diplomatique, économique- américaine en même temps que de développer des liens économiques et diplomatiques dans la région. Ainsi 80 % des exportations mongoles se dirigent vers la Chine. Les échanges commerciaux avec le Vietnam ont eux augmenté de 23,6% en un an, soit 47 milliards de dollars entre janvier et juin 2017. Et, malgré les risques sécuritaires, les affaires se poursuivent activement au Pakistan et en Corée du Nord.
La Birmanie, la Mongolie, une partie de l’Asie du Sud-est et de l’Asie centrale fournissent aussi à la Chine quantité de ressources naturelles (minéraux, charbons), consolidant la position de Pékin qui s’érige en suzerain. L’ancizn Empire s’assure ainsi des partenaires fidèles qui lui éviteront une trop grande dépendance au détroit de Malacca par lequel transit une part importante des ses approvisionnements (hydrocarbures et marchandises).
Ces stratégies illustrent parfaitement la pensée de Xi Jinping qui a, durant son premier mandat, proposé la « renaissance de la nation chinoise » et la création d’une « communauté de destin » pour l’Asie (et plus largement pour le monde).
Cette « communauté » devrait se traduire par les nouvelles routes commerciales tracées au-delà du seul espace asiatique.
Tisser les nouvelles routes de la soie
Lancé à la fin de l’année 2013, le projet des nouvelles routes de la soie permet à la Chine de rester au cœur de la globalisation tout en ignorant les États-Unis et le Japon. Le projet prévoit de financer plus de 900 grands travaux d’infrastructures à travers l’Eurasie et l’Afrique à hauteur de 800 milliards d’euros.
Les «routes» sont particulièrement soutenues par la création ou la diversification d’importantes institutions financières depuis 2012 : banque asiatique d’investissement – qui se veut une alternative à la Banque mondiale et qui siège à Pékin –, élargissement de l’Organisation de Coopération de Shanghai à l’Inde et le Pakistan (là aussi, le siège est à Pékin) et à Shanghai la New Development Bank pour financer les BRICs. Ces structures sont accompagnées d’accords commerciaux importants dans la région ainsi que la mise en place en 2016 d’une zone de libre-échange Asie Pacifique.
Ces gigantesques réserves de capitaux (plus de 2 000 milliards de dollars) sont en partie destinées à investir dans des régions moins développées (continent africain), mais aussi au sein de pays mieux dotés. C’est la stratégie européenne de la Chine.
Stratégie européenne
L’Europe est perçue par Pékin comme stable et prospère (bassin important de l’innovation, notamment en terme de brevet) et dans le prolongement continental eurasiatique, cible du projet chinois.
Cependant, l’Union européenne est perçue de manière plus hétérogène. La Chine joue sur ses liens particuliers avec les trois grandes puissances : Allemagne, Royaume-Uni et France ; mais également avec les pays d’Europe centrale et orientale. La stratégie consiste en une maîtrise accrue des points d’entrée et de sortie de l’UE (ports, aéroports : Le Pirée, Toulouse Blagnac, Klaipedia, etc.) pour mieux contrôler la géoéconomie européenne.
Les pays émergents et en voie de développement sont également intégrés au schéma stratégique essentiellement pour des logiques d’acquisitions de ressources naturelles et de diplomatie.
Avec les économies émergentes, la Chine oscille entre une diplomatie du chéquier et celle du fait accompli. Elle participe à la construction d’infrastructures en échange de soutien politique dans les instances multilatérales et d’accès privilégié aux ressources naturelles.
Une armée chinoise d’envergure
Le 19e congrès a également évoqué la poursuite de la modernisation et des réformes des armées.
Les ambitions de modernisation se situent principalement sur la montée en gamme qualitative des armées, une restructuration des forces et meilleure capacité opérationnelle.
Les dépenses budgétaires, autour de 200 milliards de dollars par an en 2016 (là où les États-Unis dépensent plus de 600 milliards par an) font de la Chine la seconde puissance militaire mondiale, malgré des incertitudes sur les capacités opérationnelles, l’interamisation et le comportement au combat. Les domaines du maritime, du cyber et de la balistique sont parmi les mieux dotés.
Nouvelle gouvernance mondiale incertaine
L’établissement de la superpuissance chinoise comporte de nombreux risques et incertitudes. En renforçant son autorité au sein du Parti et sur la scène internationale, Xi envoie également un message aux dissidents, opposants et voix s’élevant, en Chine et ailleurs, à l’encontre du régime.
Les cinq prochaines années verront l’établissement durable de capitaux chinois pour la construction d’une véritable armature structurant l’environnement régional de Pékin et des points d’ancrage/portes d’entrée solides à travers l’Europe, l’Afrique et l’Amérique Latine. L’ambition chinoise est un projet long et progressif, patient et obstiné, inscrit dans un cadre de rivalité stratégico-militaire avec les États-Unis. La France et l’Europe se doivent de suivre intelligemment cette ascension.
Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur, responsable de la géographie et de la géopolitique à l’Inalco, Institut national des langues et civilisations orientales – Inalco – USPC
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