Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

 

Mali : un phénomène nommé Ras Bath

 

Juriste de formation, l’activiste Mohamed Youssouf Bathily, alias Ras Bath, est devenu une figure pour une grande partie de la jeunesse malienne qui le présente désormais comme son « guide ».

Bamako, jeudi 3 août. La circulation est totalement bouchée. De l’aéroport à la périphérie de la rive gauche en passant par la bourse du travail dans le centre-ville, une marée humaine est descendue dans la rue pour accueillir l’activiste Ras Bath, de son vrai nom Mohamed Youssouf Bathily, de retour d’une tournée européenne. Vêtu d’un t-shirt et d’un bonnet servant à couvrir ses dreads, il se tient debout sur une voiture pour saluer, tel un héros, des milliers de partisans acquis à sa cause et qui se sont mobilisés sur les réseaux sociaux.

La scène dure plusieurs heures. Une véritable démonstration de force face une décision de justice du tribunal de la commune IV condamnant l’activiste à un an d’emprisonnement ferme et 100 000 FCFA d’amende pour « incitation à la désobéissance des troupes ».

Pourtant, ses avocats ont déjà donné l’assurance qu’aucun mandat d’amener n’a été émis et qu’ils vont interjeter appel. Et scène assez rare : le procureur du tribunal himself a organisé une conférence de presse pour expliquer la condamnation.

Une des voix les plus audibles de la plateforme « Antè A bana »

« Je ne me sens pas au-dessus de la loi, au contraire. Le peuple a juste compris que ce n’est pas un jugement rendu par la justice mais un service rendu au profit des gens que notre combat dérange », affirme l’activiste, la voix basse et assurée et le regard régulièrement tourné vers son téléphone qui ne cesse de vibrer.

Ras Bath, qui est aussi membre du Collectif pour la défense de la République (CDR), est une des voix les plus audibles de la plateforme « Antè A bana » contre le projet de révision constitutionnelle. Ce n’est pas la première fois que ses partisans descendent dans la rue pour le soutenir après des ennuis judiciaires. Le 15 août 2016, il est interpellé et conduit de nuit au camp I de Bamako. Mais juste avant il a le temps de laisser un message sur son compte Facebook : « Au moment où je publie ces notes, je devrais être en route pour la radio, mais malheureusement, je suis en route pour le camp I… Des militaires sont venus… Votre émission Cartes sur Table n’aura pas lieu ce soir ou n’aura plus jamais lieu. »

Suffisant pour déclencher la même nuit des manifestations sur la rive gauche de Bamako, notamment à Sébenicoro, où se trouve la résidence présidentielle. Le jour de sa comparution, des centaines de personnes prennent d’assaut le tribunal de la commune IV pour exiger sa libération. La manifestation dégénère : les manifestants mettent le feu dans le tribunal et cassent des voitures aux cris de « IBK, fali » (l’âne). Un civil est tué et une dizaine d’autres blessés. Le lendemain de ces événements il est libéré, mais on lui interdit toujours d’animer son émission.

Une sorte d’idole ?

« On ne comprend mieux ces réactions que si l’on tient compte du contexte dans lequel tout cela est intervenu, marqué par le déguerpissement des commerçants, une situation sécuritaire préoccupante au nord et au sud et une assisse clanique du pouvoir, explique Boubacar Sangaré, écrivain et chercheur. Or ce sont les sujets de prédilection de Ras Bath. Son arrestation, assimilable à une tentative de musellement, ne pouvait passer auprès d’un auditoire qui, en manque de repères politiques et religieux, voit en lui une sorte d’idole. »

J’ai mis du temps à faire la différence entre mon père au sens éducationnel et mon père biologique

Une idole à laquelle l’activiste lui-même n’avait jamais pensé. Ras Bath est issu d’une fratrie de quatre frères et sœur. Sauf que lui a passé son enfance loin d’eux, à Dio Gare, une localité du cercle de Kati près de la capitale malienne où il a été élevé par son oncle paternel. « C’est un milieu où toutes les familles sont les tiennes, tous les adultes sont tes parents… Donc forcément tu développes l’esprit de solidarité. J’ai grandi dans ce milieu où je me suis rendu compte que je suis un produit de la société », confie-t-il.

Modérément loquace sur cette étape de sa vie, il avoue avoir mis du temps à faire la différence entre son père « au sens éducationnel » et son père biologique, l’actuel ministre des Affaires foncières, Mohamed Aly Bathily. Ce dernier ne partage pas la « philosophie rasta » mais a encouragé Ras Bath en lui offrant dès le secondaire des livres de Malcolm X et de Martin Luther King ainsi que des disques sur le rastafarisme.

C’est de cette « philosophie rasta », à laquelle se sont ajoutées des études de droit, que vient son engagement et son activisme. Tout a commencé dans les années 80-81, à travers l’écoute de la musique reggae, suivie plus tard d’un véritable approfondissement de « la philosophie ». Il participe ensuite à de nombreuses émissions radio consacrées au reggae, à Bamako et Kati. À partir de 2002, il devient l’animateur de ses propres émissions.

« Cartes sur Table » et le concept « choquer pour éduquer »

En 2010, détenteur d’une maîtrise obtenue à la faculté de droit de Bamako, Ras Bath entame un master II à Dakar. Mais il ne fait pas qu’étudier. Il assiste à la création du mouvement « Y en a marre » et participe aux différentes activités de ce dernier. De retour au Mali à la veille du coup d’État de 2012, il passe à la vitesse supérieure.

Quelques semaines après le début de l’opération Serval, Ras Bath lance avec des artistes maliens un collectif, les « Sofas de la République », pour dénoncer « l’ambiguïté de la position française dans le conflit malien », avant de s’emparer de bien d’autres sujets relatifs à la vie du pays. « Mais jusque-là, il était vu comme un simple agitateur au verbe facile et qui s’attaque à tout », estime un de ses proches qui a préféré rester anonyme.

Un peu plus tard, il revient à la radio avec son émission « Cartes sur Table », sur Maliba FM. Enregistrée en bambara pour toucher plus de personnes, l’émission est écoutée à chaque coin de rue. Responsables politiques et militaires, gouvernance, leaders religieux… Tous sont « smachés », selon ses propres termes. « Indigne, incapable, incompétent, voleur »… Les qualificatifs percutants ne manquent pas, dans un pays où le respect des anciens est considéré comme une valeur essentielle.

Je suis naturellement très vif face à certaines flagrances d’incapacité et d’irresponsabilité

« J’écoutais beaucoup les débats à la radio. Il n’y avait pas de contradiction, il n’y avait pas de choc. C’est l’invité qui déroulait face à un animateur qui n’avait généralement pas le bagage pour le bousculer », explique celui qui se décrit comme « naturellement très vif face à certaines flagrances d’incapacité et d’irresponsabilité ». Une partie de l’opinion apprécie les propos de Ras Bath, une autre en est choquée. Lui ne s’en soucie pas. Son concept est d’ailleurs de « choquer pour éduquer ».

Changer les mentalités

« Nous sommes là pour changer l’opinion qui avait commencé à croire que dire à un vieux de 70 ans qu’il est un incapable est une insulte », estime Ras Bath, convaincu. Il ajoute, bavard de ses mains : « On est en train de travailler le peuple à ne plus avoir peur du Président, à ne plus le voir comme un roi mais plutôt comme son employé, son fonctionnaire. Il doit apparaître aux yeux du peuple comme le gardien de la maison, comme son chauffeur, son domestique. »

« Choquer pour éduquer », estime-t-il, consiste à éveiller « ce peuple qui est le vrai souverain et dont on a réussi à faire croire qu’il est destiné à subir par la paupérisation de la qualité de l’enseignement. »

La virulence de Ras est à la mesure du mal qu’il combat », estime Me Zana Koné

Occupation d’une bonne partie du territoire national, mauvaise gouvernance, corruption, chômage… Ras Bath surfe sur toutes les carences du régime pour mettre une bonne partie de l’opinion dans sa poche. Le sang chaud et le verbe facile, Me Zana Koné est l’ami et l’un des avocats de Ras Bath. Cet ancien étudiant de l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, comme d’autres proches, le décrit comme étant « d’une profonde conviction qui lui donne une forte personnalité ». « Ras est en train de bousculer les habitudes, c’est pourquoi on a l’impression qu’il dépasse les bornes. Sa virulence est à la mesure du mal qu’il combat et on ne peut pas combattre le système avec les armes que le système lui-même propose », explique Me Koné qui reconnaît que son ami et client prend quand même « beaucoup de risques ».

Un avenir politique ?

Dans une chronique, début août, le journaliste Adam Thiam estime que « le bouillant rastafari » n’est pas une « citadelle à part. » « Depuis la vague anti-révision constitutionnelle, Ras Bath n’est qu’un élément  d’un ensemble qui bénéficie de plusieurs concours », estime Thiam, ajoutant tout de même que majorité et opposition se doivent de composer avec lui.

Je n’ai aucune ambition politique. La seule chose qui nous intéresse, c’est l’éveil des consciences

À un an des élections présidentielle et législatives, plusieurs se posent des questions sur les intentions politiques de l’activiste. D’aucuns s’interrogent aussi sur les éventuels soutiens financiers sur lesquels il s’appuierait pour mener ses activités, notamment sa récente tournée en Europe pour une campagne contre le projet de réforme constitutionnelle.

L’intéressé ricane : « Tout le monde dit ce qu’il pense, mais nous sommes à l’aise. Quand je ‘smachais’ l’opposition, on disait que c’était IBK et son fils qui me finançaient. Quand j’ai commencé à le faire avec le pouvoir, on a dit que c’était Soumaïla Cissé. Peut-être que demain ce sera Jeune Afrique ! » 

L’air plus sérieux, il ajoute : « Ce sont les Maliens et les CDR (membres du collectif pour la défense de la République, NDLR) de la diaspora qui ont financé intégralement mon voyage. Je n’ai pas dépensé un euro de ma poche. »

Renforcer le contrôle citoyen

Des ambitions politiques ? « C’est le dernier de mes soucis pour l’instant. La seule chose qui nous intéresse, c’est l’éveil des consciences et le renforcement des capacités du contrôle citoyen. » Une déclaration qui ne devrait pas tomber dans l’oreille d’un sourd. Car même apprécié, Ras Bath s’est aussi créé de nombreux détracteurs qui, même s’ils reconnaissent « son courage et son énergie », lui reprochent notamment « sa virulence », « son populisme » et « un manque de proposition de solutions concrètes » aux problèmes qu’il dénonce.

Corne de l'Afrique: des migrants de nouveau
jetés en mer par leurs passeurs

Des migrants illégaux en attente d'une reconduite vers la Somalie, en septembre 2016 à Aden, ville portuaire dans le sud du Yémen.
© SALEH AL-OBEIDI / AFP
 

Ce jeudi 10 août 2017, quelque 180 migrants africains qui avaient pris place en bateau ont été jetés par-dessus bord par des passeurs au large du Yémen. On dénombre au moins cinq morts et 50 personnes portées disparues, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Le même drame s'était produit la veille.

Mercredi, 120 migrants en provenance de la corne de l'Afrique avaient été jetés à la mer délibérément par des passeurs à l'approche de la côte de la province de Chabwa, dans le sud du Yémen.

L'OIM avait alors estimé à environ 50 le nombre de victimes, dont 29 découvertes dans des tombes creusées à la hâte sur la plage.

Jeudi, toujours au large du Yémen et de la province de Chabwa, un deuxième drame du même genre s'est produit, selon l'OIM. Quelque 180 personnes au total, en provenance de Somalie et d'Ethiopie, ont été jetées à la mer par des passeurs.

Les survivants racontent que leurs passeurs ont pris peur en s'approchant des côtes. Craignant d'être arrêtés par les autorités, ils ont donc obligé leurs passagers à se jeter à l'eau. Au moins six personnes sont mortes, treize sont toujours portées disparues.

L'organisation dit travailler étroitement avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour donner une sépulture aux morts et soigner les survivants.

Les migrants en provenance de cette région continuent d'affluer au Yémen, un pays pourtant pauvre et traversé par la guerre. Depuis le début de l'année, 55 000 personnes originaires de la corne de l'Afrique sont arrivées au Yémen. Le trafic est constant malgré la météo. A cette époque, l'océan Indien est balayé par des vents violents. Ces personnes ont l'espoir d'atteindre des pays du Golfe plus riches, selon l'OIM. Mais elle se retrouvent pour la plupart dans des camps de fortune dans un pays qui connaît, selon l'ONU, la plus grave crise humanitaire du monde à l'heure actuelle.

Unir ses forces et ses énergies
pour les périphéries
(Petit Echo n° 1083)

La famille Lavigerie unit
ses forces et ses énergies
pour les périphéries

Le pape François appelle constamment l’Église à aller dans les périphéries et invite les hommes et les femmes consacrés à revenir aux racines de leur charisme et expérience fondatrice. Cela fait surgir les souvenirs de l’action audacieuse et courageuse de notre fondateur pour lutter contre l’esclavage en Afrique. En affrontant l’horreur de l’esclavage, il a crié : «Je suis un homme et rien d’humain ne m’échappe. Je suis homme et l’injustice envers d’autres hommes révolte mon cœur. Je suis homme, l’oppression indigne ma nature. Je suis homme, et ce que je voudrais que l’on fit pour me rendre la liberté, l’honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire, pour rendre aux fils de cette race infortunée la famille, l’honneur et la liberté » (Lavigerie, Chiesa del Gesù, Rome, le 23 décembre 1888). Etant ses enfants, nous ne pouvons pas être indifférents face à l’esclavage moderne, où les personnes sont victimes de la traite et de l’esclavage dans le travail forcé, la prostitution, la mendicité, l’enlèvement d’organes pour des sacrifices rituels et comme incubateurs de bébés. Lorsqu’ils ne sont plus utiles pour aucun de ces services, ils sont éliminés. Si nous restons silencieux face à ce traitement inhumain qui ne respecte pas leur dignité, les pierres, elles, crieront (Lc 19, 39-40).

Avant l’appel du pape François, nous avons célébré le 125e anniversaire de la campagne anti-esclavagiste du cardinal Lavigerie. Cela nous a rappelé un élément fondamental de notre charisme : la liberté et la libération des enfants de Dieu encore esclaves. Pour traduire cette célébration en une action concrète, nos coordinateurs et animateurs de JPIC-ED ont choisi de faire une action commune contre la traite des êtres humains en choisissant le 20 février comme jour commun de prière contre la traite. Plus tard, le pape François a déclaré le 8 février comme une journée internationale de prière et de réflexion contre la traite des êtres humains. Plutôt que de nous en tenir à notre date, nous nous joignons à cette journée internationale de prière.

D’autres événements familiaux importants ont eu lieu et se déroulent dans le cadre de la célébration du 150e anniversaire de la fondation de nos deux Instituts, du Chapitre général des missionnaires d’Afrique et de la réunion du Conseil élargi des SMNDA. Ce sont toutes des occasions qui nous ramènent à nos racines. Les deux derniers événements ont été des moments importants où nos deux Instituts ont fait des choix apostoliques : des migrants, des personnes déplacées, rencontre, soin de la planète, lutte contre l’esclavage moderne et la traite des êtres humains, tout ceci exprime notre souci commun d’être présent aux périphéries.

Conscient de la complexité de l’esclavage moderne qu’un groupe ne peut traiter tout seul, nous avons besoin de collaborer les uns avec les autres et de mobiliser des groupes laïcs associés à nos Instituts et d’autres groupes qui collaborent déjà et coopèrent avec nous dans cette entreprise. Par conséquent, lors de la réunion de nos deux Conseils généraux du 28 novembre 2016, nous avons décidé de faire un pas supplémentaire en avant. Conscient de notre connaissance limitée dans ce domaine, nous avons invité Sr Gabriella Bottani CMS, coordinatrice de Talitha Kum (un réseau de réseaux contre la traite des êtres humains) de l’UISG en collaboration avec l’USG, pour nous parler de ce sujet.

Ces réalités ont conduit la famille Lavigerie à une journée historique le 15 février 2017, lorsque les deux Conseils généraux, les provinciaux et les leaders canoniques d’entités de nos deux Instituts ont passé une journée fructueuse à la Maison généralice des missionnaires d’Afrique. L’apport de Sr Gabriella nous a aidés à réfléchir sur la façon d’envisager ce ministère ensemble. Nous sommes devenus plus conscients de la situation alarmante de l’esclavage dans notre monde d’aujourd’hui, il touche même les enfants, et plonge encore plus de personnes dans l’esclavage plus que jamais dans l’histoire, et cela ne cesse d’empirer. Il existe un lien entre l’exploitation de la nature et l’exploitation de la vie humaine. Il existe également une corrélation directe entre la migration et le trafic humain car 44 à 50% des personnes sont induits dans la traite des êtres humains pendant le processus de migration. Le pourcentage le plus élevé de victimes de la traite se situe dans le pays même ou dans les pays voisins, en comparaison avec ceux qui sont victimes de la traite transnationale ou intercontinentale. C’est un secteur en plein essor pour les criminels, avec des bénéfices énormes et sans risques ou très peu. Il importe non seulement de poursuivre les trafiquants, mais aussi de prévenir la traite elle-même.

Pour lutter contre le trafic, nous devons nous engager dans la mise en réseau, le plaidoyer, la prévention et la protection. En effet, nous avons réfléchi en groupes sur les défis et les appels à travailler dans ces quatre domaines, ils ont ensuite été énoncés dans la lettre envoyée par nos deux Supérieurs généraux. En fait, la mise en réseau est un moyen nécessaire qui aide les groupes et les organisations à réunir leurs ressources, leurs forces, leurs idées, leurs compétences et leurs énergies afin de fournir une protection, un plaidoyer et une prévention aux personnes à risque et à ceux qui sont pris dans ce cercle de souffrance inhumaine. Comme étape suivante, nos leaders ont ensuite travaillé dans des groupes géographiques afin d’élaborer des plans d’action conformes à leurs contextes, pour aider nos communautés à travailler ensemble à leur mise en œuvre.

Cette réunion a également été l’occasion d’adapter aux différents contextes de nos Instituts, les propositions du Comité de coordination pour le 150e anniversaire de la fondation de nos Instituts. On a vu que cette célébration est un appel à vivre notre charisme avec passion en luttant contre la traite dans le monde d’aujourd’hui.

Le fait de choisir de lutter contre la traite des êtres humains qui est l’esclavage moderne signifie que nous sommes entrés dans la peau de notre fondateur qui a risqué sa vie en s’opposant à l’esclavage de son temps. Il a mis fin à l’esclavage en collaborant et en établissant des réseaux avec d’autres. Ainsi, si nous voulons réussir dans notre lutte pour mettre fin à la traite des êtres humains, nous devons collaborer et nous mettre en réseau avec d’autres, car les trafiquants des humains eux-mêmes piègent leurs victimes grâce à un réseau sophistiqué.

Maamalifar M. Poreku, Soeur Missionnaire de ND d'Afrique

« …C’est la première fois que quelqu’un vient nous voir »
(article paru dans le Petit Echo n°1083)

Quand j’ai lu le thème qui m’était proposé pour écrire un article pour le Petit Echo « Périphéries existentielles et l’Afrique qui change », j’ai retenu l’expression « Périphéries existentielles» ; je n’ai pas fait attention à la deuxième partie : « l’Afrique qui change ».

Pourtant le lien entre ces deux expressions est très éclairant.
« L’Église doit sortir d’elle-même », martèle le pape François. Et non pas préserver ses structures ni vivre « repliée sur elle-même et pour elle-même ». Elle doit avoir le courage de sortir de ses frontières, de ses habitudes pour « aller et porter l’Évangile » là où il n’est pas entendu ou reçu. Elle ne doit pas attendre que le monde vienne à elle, mais « aller dans les périphéries géographiques mais également existentielles : là où réside le mystère du péché, la douleur, l’injustice… là où sont toutes les misères » (Le quotidien La Croix du 13/03/2014).

C’est à la lumière de ce texte que j’aimerais relire quelques évènements de ma vie missionnaire.

L’Afrique change ! En mai 1974, j’ai été envoyé à la paroisse de Kiembara au Nord-Ouest du Burkina Faso. L’hivernage n’avait pas commencé. Dans de nombreux villages, les femmes dormaient au bord du puits dans l’espoir de récolter quelques litres d’eau pour la famille. Aujourd’hui ces villages possèdent de bons forages. Mais ce sont les quartiers périphériques des villes, les quartiers non lottis de ces villes qui manquent d’eau. Ces quartiers habritent très souvent une population pauvre : ceux qui n’ont pas pu rester au centre ville quand le propriétaire de leur logement a installé l’eau et l’électricité, et doublé le loyer. Ici, périphérie géographique et périphérie existentielle sont liées.

L’Afrique change, mais certaines coutumes résistent, et de nouvelles périphéries existentielles apparaissent. En 1974, au cours de notre stage de langue, le père Camille Ranzini nous a enseigné : « Quand un papa vous dit que sa femme vient d’accoucher, vous pouvez lui demander: « Yaa tôndo, bi yaa sâana ? » « C’est nous ou c’est une étrangère ? » Soit « c’est un garçon ou une fille ? » Ce qui nous montre que dès sa naissance une fille (destinée au mariage, et donc à quitter sa famille) est qualifiée d’étrangère. Ce qui n’est pas sans conséquences dramatiques pour les filles dans le monde actuel, surtout en ville.

L’Afrique change. Auparavant, quand la scolarisation n’était pas généralisée, les filles moosi étaient mariées dès l’âge de 17 ans. Et si jamais une fille tombait enceinte avant son mariage, elle était conduite aussitôt dans la famille de son mari. Aujourd’hui, il y a, à Koudougou, plus de 10.000 filles, élèves, apprenties ou étudiantes, célibataires de plus de 17 ans et donc en âge d’être mariées. Nombreuses sont celles qui « tombent enceintes » avant d’être mariées. Chez les Moosi, elle est chassée de sa famille dès que la grossesse est découverte. Chassée car « étrangère » et que de plus existe un interdit : « Il est alors interdit de garder la fille dans sa famille ». Ne pas respecter cet interdit, c’est exposer la famille à un danger mortel. Quand l’auteur de la grossesse ne reconnaît pas sa responsabilité, c’est souvent dramatique.

L’année de la miséricorde n’a rien changé. De nombreux chrétiens continuent de chasser leur fille. Même la communauté chrétienne les regardent de travers. Alors que je ne connaissait pas cet interdit, les circonstances m’ont amené à aider une fille, puis une seconde… aujourd’hui, presque chaque semaine une fille chassée par sa famille vient m’exposer sa détresse ; elle se sent abandonnée par sa famille, par son voisinage, … et, le plus souvent, même par Dieu ! J’essaie de leur faire comprendre que le regard de Dieu sur elles, n’a rien à voir avec le regard des hommes. Pour les chrétiens, comme pour les musulmans, Dieu est miséricordieux. Il pardonne. Et alors, Il ne regarde plus ce que nous avons été, mais ce que nous sommes… Ainsi elles retrouvent la paix et la joie… et elles accouchent dans de bonnes conditions.

Je voudrais revenir sur ce thème « d’étranger ». Si les filles moosi sont qualifiées d’étrangères, les Peuls le sont également. Pourtant, ils sont présents au Burkina depuis le début du 19ème siècle, et représentent près de 10 % de la population. Population d’éleveurs, ils se regroupent souvent dans un quartier situé à quelques kilomètres du centre du village. Les Peuls sont présents partout, sur tout le territoire. Mais, curieusement, nous ne les voyons pas, nous faisons comme s’ils n’existaient pas.

En 2005, j’ai fait une étude sur la filière lait. J’ai acquis la conviction qu’il était possible de soutenir des communautés peules en offrant, notamment aux femmes, la possibilité de s’alphabétiser dans leur langue, le fulfulde, et par la suite d’aider ces femmes peules à assumer la gestion d’une mini-laiterie. Et je suis parti à la rencontre de quelques quartiers peuls.

          Maurice Oudet dans le monde paysan au Burkina Faso

L’Afrique change ! Un jour, informé qu’un quartier peul demandait l’alphabétisation, je suis parti à leur rencontre. A la fin de nos échanges, un des leaders du groupe me remercia vivement en disant : « Cela fait 35 ans que nous sommes là ; c’est la première fois que quelqu’un vient nous voir ! »

C’est ainsi que j’ai ouvert de nombreux centres d’alphabétisation en fulfulde. A chaque fois, les femmes y venaient nombreuses et avec enthousiasme. Après le stage de la deuxième année, les femmes qui avaient des enfants en âge d’être scolarisés les inscrivaient, dès que possible, à l’école.

Aujourd’hui, avec mon confrère, le père Pawel Hulecki, nous avons un projet ambiteux. Nous voulons soutenir un village peul, dans le sud du pays, à la frontière du Ghana et du Togo qui a demandé une école primaire bilingue, fulfulde-français. Les Peuls du Burkina sont très peu scolarisés. Nous voulons nous appuyer sur cette demande des éleveurs peuls pour développer un complexe scolaire avec collège et lycée technique, mais aussi avec des formations s’adressant directement aux adultes. Nous voulons offrir des formations à la citoyenneté, aux droits de l’homme, de la femme et de l’enfant, sur la prévention et la gestion des conflits, la protection de l’environnement, avec des interventions de la mairie, du Conseil municipal, des services de santé… tout cela dans le but de faciliter l’intégration et la cohésion sociale.

Pour en savoir plus, lisez l’article « Quand des éleveurs peuls demandent une école primaire ! » sur www.abcburkina.net . En prime, vous aurez la possibilité de contribuer à la réussite de ce projet !

Maurice Oudet, M.Afr.

L' "Action Enfants de Tous" (AET) de Ségou au Mali, qui travaille avec les enfants en situation difficile, nous a fait parvenir son bulletin que nous publions en pièce attachée PDF. Fichier un peu volumineux, mais le contenu est très intéressant. (lire la suite)