Témoignages

 

Mali : l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga est mort

Mis à jour le 21 mars 2022 à 16:46
 

 

Soumeylou Boubèye Maïga, en mai 2016 à son domicile de Bamako. © Emmanuel DAOU Bakary pour JA

 

L’ancien ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta, figure de la vie politique malienne, est décédé ce lundi à Bamako. Incarcéré depuis août 2021, il avait vu son état de santé se dégrader nettement ces dernières semaines, mais ses demandes d’évacuation sanitaire avaient été rejetées.

 

Pronostic vital engagé

Le 2 mars, Maïga Binta Yatassaye, l’épouse de l’ex-Premier ministre, avait écrit une lettre ouverte au colonel Assimi Goïta, le président de la transition, pour lui demander d’intercéder en faveur de son mari. Elle y indiquait que le « pronostic vital [de celui-ci était] engagé » et que les médecins préconisaient une « évacuation d’urgence » depuis la mi-décembre, rappelant par ailleurs qu’il était en détention préventive et non condamné. « Veut-on la mort par abandon et négligence programmée de Soumeylou Boubèye Maïga ? » concluait-elle, en s’indignant de l’absence de réponse des autorités aux multiples requêtes de la famille.

Au fil des décennies, cette figure de la vie politique malienne s’était constitué un important réseau, allant de ses ex-camarades militants de gauche à de nombreux chefs d’État africains en passant par plusieurs dirigeants français et européens. Sa disparition, après des mois de lutte contre la maladie en détention, a suscité de nombreuses réactions, tant au Mali qu’en Afrique de l’Ouest.

Ancien journaliste, Soumeylou Boubèye Maïga s’était engagé contre la dictature de Moussa Traoré, renversé en 1991. Il avait aussi participé à la fondation de ce qui fut longtemps le premier parti du pays, l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ).

Proche d’Alpha Oumar Konaré, qui avait fait de lui le patron de la puissante Sécurité d’État, le natif de Gao avait ensuite rompu avec cette formation pour se présenter à l’élection présidentielle de 2007 – à laquelle il n’avait obtenu que 1,5 % des voix.

Ambitions présidentielles

Alors qu’il avait été nommé ministre des Affaires étrangères par Amadou Toumani Touré en 2011, c’est vraiment avec l’arrivée au pouvoir d’IBK, en 2013, que le Tigre avait gagné en influence et en visibilité. Après la débâcle de l’armée malienne à Kidal en 2014, il avait été contraint de démissionner de son poste de ministre de la Défense. Il était pourtant revenu au sommet de l’État deux ans plus tard, en tant que secrétaire général de la présidence. En 2017, IBK l’avait nommé Premier ministre. Il restera à la tête du gouvernement jusqu’en 2019, après le massacre d’Ogossagou.

Président de l’Alliance pour la solidarité au Mali-Convergence des forces patriotiques (Asma-CFP), qu’il avait créée en 2013, Soumeylou Boubèye Maïga ne cachait pas ses ambitions présidentielles et comptait se présenter aux prochaines élections

Makhtar Diop (SFI): «Développer des chaînes de valeur régionales en Afrique»

 

Comment aider les entreprises africaines dans un contexte de crise internationale ? Comment favoriser les investissements et le commerce sur le continent malgré la désorganisation des chaînes de valeurs sur le continent ? Ce sont certaines des missions de la Société financière internationale (SFI), principale institution de développement axée sur le secteur privé dans les pays émergents. Son directeur général, Makhtar Diop, a accordé un entretien à RFI pour détailler ses actions et sa stratégie.

RFI : Makhtar Diop, votre début de mandat a été marqué par une forte crise économique et une reprise de l’inflation mondiale. Les prix des denrées alimentaires flambent, et plus encore depuis la crise ukrainienne. Comment aider les entreprises à atténuer ce choc inflationniste mondial ?

Makhtar Diop : Nous avons aujourd’hui une inflation qui résulte d’un déséquilibre massif entre la demande, qui est importante et qui a été encouragée par les fortes mesures de relance monétaire et budgétaire dans les pays, et une offre qui est perturbée par des goulots d’étranglement logistique. Et cela affecte particulièrement les pays en développement.

Par exemple, en Afrique du Nord, on voit que 46% de l'approvisionnement en céréales se fait à partir de la Russie et de l’Ukraine. Que peut-on faire pour cela ? Travailler sur l’offre, c’est-à-dire enlever tous les goulots d’étranglement et permettre justement aux entreprises de pouvoir accroître l’efficacité des chaînes de valeur. Un des axes que nous avons au niveau de la SFI en ce qui concerne l’Afrique, c’est d’utiliser cette opportunité de la zone de libre-échange pour pouvoir accroître le commerce inter-africain. Il est bon de noter que le commerce inter-africain a augmenté de manière significative au cours des dernières années.

Mais nous pensons que l’on doit faire beaucoup plus. On doit plus intégrer les secteurs économiques des pays, avoir plus de spécialisations dans les pays afin de pouvoir intégrer de manière efficace les chaînes de valeur. 

►À lire aussi : Afrique économie - Burkina Faso : la Banque africaine de développement soutient les producteurs de karité

La pandémie de Covid-19 a entraîné une prise de conscience africaine de la nécessité de faciliter d’abord l’importation de produits médicaux et de vaccins sur le continent, et d’y développer la production. Désormais, plusieurs industriels ont annoncé vouloir implanter des usines de vaccins en Afrique. Dans ces cas, comment intervenez-vous ? Est-ce que vous leur prêtez de l’argent ?

Ça a été un de mes chantiers les plus importants au cours de cette année. Il y a un an, quand on parlait de produire des vaccins en Afrique, on nous regardait en se posant la question de savoir si on était vraiment réalistes. C’est un défi dont la SFI s’est saisi. Et nous avons réussi, je pense, à contribuer de façon significative. Aujourd’hui, nous travaillons avec l’Institut Pasteur de Dakar, avec les autorités du Rwanda, avec l’Afrique du Sud, avec le Ghana, pour la production de vaccins.

Nous pensons que ce sont des activités qui doivent être financées par le secteur privé. Nous sommes très avancés dans le cas du Sénégal et du Rwanda pour mettre en place des structures commerciales qui pourront produire des vaccins. Le Kenya a signé également un accord avec un producteur de vaccins. Nous allons travailler aussi avec les Kényans et cette société pour pouvoir aider à la production de vaccins.

Cette pandémie a révélé l’importance justement du retour de l’État dans son rôle à la fois de régulation, mais aussi de protection. Lorsque vous discutez avec des entreprises, est-ce que vous tenez compte de ce rôle de protection que l’État est amené de plus en plus à jouer, surtout dans les temps troublés que nous vivons ?

Dans toutes les économies, l’État a un rôle à jouer, que ce soit aux États-Unis, que ce soit à Singapour, que ce soit au Sénégal, que ce soit au Kenya, que ce soit au Maroc. Le rôle de l’État, c’est de réguler des secteurs parce qu’il y a des secteurs qui ont besoin d’être régulés. On a besoin d’avoir des termes de compétition qui soient transparents, on a besoin de protéger le consommateur là où il doit être protégé. C’est une vision de l’économie où le secteur privé est au centre du développement.

En ce qui concerne l’Afrique, il est clair que les besoins d’investissements sont énormes, qu’il y a de la place pour le secteur privé et pour le secteur public. Le secteur public sera plus contraint parce qu’il fait face à des dépenses importantes dans le domaine de la santé, dans le domaine de la protection sociale, et pour aider à réduire les chocs au niveau des populations les plus pauvres.

L’État a un rôle pour protéger les démunis par des subventions, et tout cela prend une grande partie des ressources de l’État. Donc, dans les secteurs des infrastructures et dans d’autres secteurs, il est de plus en plus difficile pour les pays d’investir et le secteur privé a un rôle essentiel à jouer pour cela.

Vous plaidez pour un développement du partenariat public-privé. Comment intervenez-vous ? Est-ce que vous prêtez au privé ? Au public ?

La SFI prête au privé. La Banque mondiale prête au public, pour simplifier. Et Miga [l’Agence multilatérale de garantie des investissements], qui est notre institution de garantie, garantit le risque politique. Ces trois instruments nous permettent d’attirer des investissements directs étrangers dans les pays. Il s’agit également de mobiliser l’épargne locale pour pouvoir investir dans les secteurs productifs. C’est quelque chose que je souhaiterais accélérer durant mon mandat à la SFI.

Un reproche qui vous est souvent formulé, notamment de la part des ONG, c’est de ne pas assez prendre en compte l’impact environnemental lors de vos investissements. Est-ce que lorsque vous décidez d’investir l’argent de la SFI dans telle ou telle entreprise de production d’énergie ou dans tel projet immobilier, vous prenez suffisamment en compte la question environnementale ?

C’est essentiel. 85% de notre portefeuille en 2023 sera ce qu’on appelle « Paris aligned ». Cela veut dire que l’investissement sera aligné sur les critères de la COP 21 à Paris. En 2025, 100% de nos projets seront alignés aux principes qui ont été élaborés à la COP 21. Cela étant dit, nous avons été la première institution à émettre des bons verts, il y a plus de dix ans de cela. Et vous voyez aujourd’hui l’impact que cela a eu sur le marché. C’est la SFI qui a lancé cela et qui a créé un mouvement pour que les gens commencent à financer les économies vertes.

Nous avons révisé toutes nos procédures en matière de protection environnementale et sociale. Cela s’est fait en collaboration avec des ONG

Nous avons lancé deux autres produits à la COP 26 : ce qu’on appelle the Planet Emerging Green One (EGO) et Best Bound qui visent également à financer l’économie verte. Nous nous lançons dans des investissements qui aident à réduire la pollution marine plastique. Nous l’avons fait avec une de nos sociétés Indorama. Nous innovons beaucoup et nos innovations sont reprises largement par le marché.

Nous avons révisé toutes nos procédures en matière de protection environnementale et sociale. Cela s’est fait en collaboration avec des ONG. Elles ont été largement consultées. Leurs commentaires et suggestions ont été intégrés dans nos nouvelles politiques d’environnement et de protection sociale. Et je crois que ce que nous avons aujourd’hui est certainement ce qu’il y a de mieux dans ce domaine, en ce qui concerne le développement du secteur privé.

 

Revenons sur un exemple cité par plusieurs ONG, c’est celui de la Tata Mundra Power Plant en Inde. Un projet qui est soutenu par la SFI et qui a généré une pollution des nappes phréatiques. Est-ce que la SFI ne devrait pas travailler à mettre en place un mécanisme de dédommagement des populations qui seraient victimes de pollution collatérale dans les projets que vous soutenez ?

Nous sommes en train de discuter de la question. C’est ce qu’on appelle les « remedies ». À l’heure actuelle, lorsqu’une entreprise ne respecte pas les normes environnementales et sociales, elle doit dédommager les populations.

Ce n’est pas à nous de le faire. Parce qu’il faudrait quand même être très clair sur les responsabilités. Ce n’est pas nous qui mettons en place le projet. Nous prêtons à une entreprise. L’entreprise est in fine responsable pour la mise en œuvre des normes sociales et environnementales auxquelles elle adhére et qu’elle a accepté de mettre en œuvre lorsqu’elle a pris nos ressources.

Nous avons eu plusieurs cas. Et ce cas (Tata Mundra Power Plant) en est un. Nous avons été très impliqués dans les discussions pour s’assurer que les populations soient compensées de manière juste.

►À lire aussi : La difficile montée en puissance de la justice environnementale

Diébédo Francis Kéré: «Mon travail est un service à l’humanité pour les pauvres comme les riches»

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L'architecte burkinabè sur le chantier de la future Assemblée nationale du Bénin en 2021

 

Pour la première fois de son histoire, le prix Pritzker, la plus haute distinction du monde de l'architecture, a été décernée à un Africain. Le Burkinabè Diébédo Francis Kéré s’est toujours engagé pour son pays natal, le Burkina, avec une architecture durable et respectueuse de son environnement. Entretien.

RFI: Quelle a été votre première réaction ? 

Diébédo Francis Kéré : Quand j’ai eu le coup de fil m’annonçant que je suis le prix lauréat du prix Pritzker 2022, je ne l’ai pas cru. Je n’y ai pas cru parce que, tout simplement, ça n’arrivait pas à rentrer dans ma tête. Plus tard, quand j’ai finalement compris, il y a eu un sentiment d’honneur et de gratitude. Et du coup aussi, un sens de responsabilité, de grande responsabilité. En tout cas, vous pouvez vous imaginer quelle joie, quel honneur de recevoir ce coup de fil.

Vous parlez de « responsabilité ». Dans quel sens ?

Simplement, parce que pour moi, quand j’ai commencé à faire de l’architecture, j’ai fait le tour pour collecter des idées, des informations dans l’ère pré-industrielle en Allemagne et les combiner avec ce qui se fait au Burkina Faso pour créer une école moderne. J’ai toujours considéré ce que je faisais comme quelque chose qui est personnel. Et du coup, ce travail a commencé à faire le tour, parce que beaucoup de gens ont trouvé mes idées très intéressantes et ont voulu avoir pareil. J’avais toujours utilisé des matériaux qui étaient locaux, qui étaient abondants, qui ne causaient pas de problèmes à l’environnement. Et du coup, voir ce travail être considéré par cette fondation et ce prestigieux prix, je me dis : « Wouah ! Tu as bien fait sans le savoir, donc il faut continuer ». C’est pourquoi je dis sens des responsabilités et de continuer à œuvrer dans ce sens. 

Justement, c’est ce que dit le jury. Dans son compte rendu, il dit que votre travail « est lié aux gens, aux personnes, aux communautés, car il est fait par et pour elles ». Concrètement, comment cela se traduit en pratique ?

En fait, j’ai toujours tout fait pour faire un transfert de savoir, que ce soit chez moi au Burkina, ou même aux États-Unis, j’ai essayé de mettre de la valeur aux matériaux que j’ai trouvés et de placer l’être humain au centre de l’intérêt. Vous comprenez ? Finalement, mon travail ou le travail de l’architecte, si vous voulez bien, c’est un service à l’humanité, c’est de créer de l’espace pour les gens, pour les pauvres aussi bien que pour les riches. C’est tout. C’est simple.

► À lire : Francis Kéré, architecte de la communauté

En ce sens, beaucoup de personnes à qui j’ai parlé de votre travail depuis que cette annonce a été faite, m’ont dit qu'il était tourné vers l’avenir, mais tourné vers l’avenir depuis 20 ans. Beaucoup m’ont dit que vous aviez toujours été en avance à ce niveau-là. Ce prix Pritzker marque un tournant par rapport à certaines visions de l’architecture que vous avez toujours défendues ?

C’est ça. Je suis vraiment honoré de voir que ce qui, pour moi, était toujours dans mon ADN, c’est-à-dire de dire que ce n’est pas parce qu'on est riche qu’il faut gâcher du matériel, qu’il faut causer un gâchis. Et ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’il faut se contenter avec ce qui est médiocre, qu’aussi bien les pauvres que les riches ont droit à la beauté, à la qualité. Et il est possible de réaliser tout cela en ne causant pas trop de problèmes à l’environnement. Puis, on est tous liés, on a un monde. Et je suis heureux de voir que ce travail a été reconnu par le prix Pritzker. Pour moi, c’est un rêve jamais rêvé. Je ne pouvais jamais imaginer que ce travail, que je considère toujours comme quelque chose de cœur, de personnel, puisse être lié au prix Pritzker.

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C’est de bon augure pour l’avenir de l’architecture et dans un contexte où évidemment les questions environnementales et climatiques sont au cœur des questions architecturales ?

Peut-être que cela va nous faire beaucoup réfléchir et de dire qu’on peut être partout dans le monde. Si on est conscient de tout ce que nous traversons, je parle des conflits autour des ressources très limitées, des crises autour de l'approvisionnement énergétique et du changement climatique, que c’est ensemble que nous pouvons régler ce problème, je crois que c’est un message très fort que la fondation a donné. Et je suis heureux d’avoir été un des artistes ou bien d’avoir été une des personnes qui a considéré cela comme normal et pas comme un ajout. Mais c’était toujours ce de quoi je suis convaincu qu’il fallait faire.

Vous avez un projet en cours qui a été malheureusement stoppé par les événements politiques et militaires terroristes au Burkina Faso, c’est celui de l’Assemblée nationale de Ouagadougou. Est-ce que à la lumière de ce prix, il y a des choses qui vont pouvoir être faites pour qu’enfin, ce projet se fasse ?

Ce projet est un projet qui a une vision, une vision d’une nation qui, elle, a trouvé des références. Et après la révolution 2014, j’ai été invité par des activistes, la société civile et des politiciens, pour créer une Assemblée nationale transparente, accueillante et qui héberge un idéal. Nous allons créer une espèce de pyramide. Les pyramides viennent de l’Afrique, c’est comme une provocation. Je veux que toute la population de Ouagadougou, du Burkina Faso, de l’Afrique, puisse venir monter sur cette pyramide. Donc, qu’il y ait une priorité à cause du terrorisme et qu’on stoppe ce projet, je le comprends. Mais j’espère bien qu’il y aura un jour des dirigeants qui comprennent la nécessité de donner un emblème à la démocratie de ce pays et l’espoir à toute sa jeunesse.

► À lire : Francis Diébédo Kéré sur le toit de l’architecture mondiale

Mali : Sadio Camara, l’homme de Moscou à Bamako

Mis à jour le 16 mars 2022 à 16:42
 

 

Le colonel Sadio Camara, ministre malien de la Défense assiste au Conseil national de transition à Bamako, le 30 juillet 2021. © AMAURY BLIN/Hans Lucas via AFP

 

Il est aussi secret que puissant. Le ministre de la Défense malien, que beaucoup décrivent comme le véritable homme fort de la transition, est aussi celui qui a ouvert les portes de son pays aux mercenaires de la société russe Wagner.

Leur voyage n’a fait l’objet d’aucune communication officielle. Pas question de trop attirer l’attention. Ce 6 mars, il est environ 2 heures du matin quand Sadio Camara et Alou Boï Diarra prennent place en business class sur le vol TK551 de la Turkish Airlines. Derrière les hublots, la nuit est tombée depuis longtemps sur l’aéroport de Bamako. À 3h50, le Boeing 737 Max 8 décolle enfin, direction Istanbul. Mais le ministre de la Défense et le chef d’état-major de l’armée de l’air ne s’arrêtent pas sur les rives du Bosphore. Ils embarquent à bord d’un deuxième vol, cette fois à destination de Moscou.

Les deux hommes n’en sont pas à leur premier voyage en Russie. Ils s’y sont déjà rendus à plusieurs reprises en 2021. Mais le timing de ce nouvel aller-retour interroge. Deux semaines plus tôt, Vladimir Poutine envoyait ses avions, ses chars et ses soldats en Ukraine, faisant de lui un paria aux yeux de la grande majorité de la communauté internationale.

Le déploiement de Wagner

Pour le colonel Camara et le général Diarra, peu importe les lourdes sanctions contre Moscou ou les innombrables condamnations de cette guerre contre le peuple ukrainien : ce 6 mars, en fin d’après-midi, ils débarquent à l’aéroport international de Vnoukovo comme si de rien n’était.

Que sont bien venus chercher ces hauts gradés maliens dans un tel contexte ? Difficile de le savoir précisément. Seule une courte vidéo postée par le ministère russe de la Défense, le 11 mars, permet d’en savoir un peu plus. On y voit le colonel-général Alexandre Fomine, le vice-ministre russe de la Défense, recevoir Sadio Camara dans une grande salle de réunion. Poignée de main, échanges courtois. En commentaire, ce message : « Les parties ont discuté en détail des projets de coopération de défense existants, ainsi que des questions de sécurité régionale en Afrique de l’Ouest. » Parmi les pistes explorées, de nouvelles livraisons d’équipements militaires russes aux Forces armées maliennes (Fama), à l’instar des quatre hélicoptères Mi-171 acquis par Bamako le 30 septembre dernier.

Voilà pour cette réunion au ministère. Pour d’autres sources, il n’y a guère de doute sur le fait que Camara et Diarra ont aussi profité de leur séjour moscovite pour travailler sur un autre dossier : la poursuite du déploiement des mercenaires de Wagner au Mali. Partisan du rapprochement stratégique avec Moscou, Sadio Camara est en effet le principal artisan de l’arrivée de la nébuleuse de l’oligarque Evgueni Prigojine, un proche de Poutine, dans le pays. Alou Boï Diarra, qui connait le ministre de la Défense depuis leur enfance sur les bancs du Prytanée militaire de Kati (PMK), en est le principal exécutant.

À eux deux, ils ont organisé et supervisé la venue au Mali du millier de combattants de Wagner, aujourd’hui essentiellement déployés dans le Centre. Pour l’instant, hormis un contingent d’environ 150 hommes à Tombouctou et des repérages effectués à Gao, le Nord ne semble pas faire partie de leurs priorités. Mais l’idée de reprendre la main sur le septentrion – et en particulier de régler le cas de Kidal, bastion des rebelles touaregs – serait partagée par plusieurs faucons de la junte, dont Camara. « Il est sûrement allé en Russie pour évoquer la suite des opérations de Wagner dans le pays, notamment dans le Nord », estime une source française.

Fibre russe

Sa fibre russe, Sadio Camara a commencé à la nouer en 2019. À l’époque, il dirige le PMK, prestigieuse école militaire qui forme les enfants de 12 à 18 ans et qu’il a lui-même intégrée au début des années 1990. Dans sa promotion figurait un certain Assimi Goïta, ainsi qu’un garçon qui deviendra un de ses plus proches frère d’armes : le colonel Modibo Koné, actuel patron de la redoutée Direction générale de la Sécurité d’État.

SADIO CAMARA EST RENTRÉ DE RUSSIE POUR PARTICIPER AU PUTSCH

Comme plusieurs officiers chaque année, le directeur du PMK passe des concours pour bénéficier d’une formation dans une école de guerre étrangère. À Bamako, la règle est la même qu’ailleurs : premiers arrivés, premiers servis. L’École de guerre à Paris, l’Académie royale militaire de Meknès ou encore des établissements américains figurent parmi les choix privilégiés des candidats. Sadio Camara fait partie des moins bien classés et opte pour la Russie. Fin 2019, il s’envole pour Moscou. Sur place, la formation dure trois ans. La première année est dédiée à l’apprentissage du russe, les deux suivantes à l’instruction militaire.

Artisan du putsch

Début août 2020, l’aspirant russophone profite de ses congés pour revenir à Bamako. En réalité, il fait partie de la poignée de militaires qui, dans la plus grande confidence, a décidé de renverser Ibrahim Boubacar Keïta. « Le vrai planificateur de ce putsch a été Modibo Koné. Il a sondé son ami Camara, qui a tout de suite été partant et est rentré de Russie pour y participer. Assimi Goïta, lui, était plus hésitant, avant de finalement basculer avec eux », affirme une source militaire. Le 18 août, IBK et son régime vacillent en quelques heures sous les acclamations de la rue bamakoise. L’ancien président est arrêté et détenu chez lui, à Sébénikoro. « Sadio Camara et ses hommes se sont chargés d’interpeller Moussa Timbiné, le président de l’Assemblée nationale. Il a ensuite rejoint Kati pour y garder les personnalités que les putschistes avaient arrêtées », indique notre source.

C’ÉTAIT UN GARÇON ASSEZ FRÊLE, BEAUCOUP N’AURAIENT JAMAIS CRU QU’IL FINIRAIT MINISTRE DE LA DÉFENSE

Leur coup réussi, les nouveaux maîtres du pays réunis au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) se répartissent les rôles au sein de la transition. Assimi Goïta devient vice-président, Modibo Koné ministre de la Sécurité et Sadio Camara ministre de la Défense. Un poste sur mesure pour ce pur produit de l’armée malienne, qui a fait toute sa carrière dans la puissante Garde nationale aux côtés de Koné. Ce corps, choyé par le régime d’IBK et auquel sont prêtés de nombreux complots et coups bas, a notamment pour figure tutélaire le général Moussa Diawara, ex-patron de la Sécurité d’État. De quoi alimenter toute sorte de thèses sur les liens entre celui qu’un diplomate s’amuse à surnommer « le mauvais génie de Bamako » et ses subalternes putschistes. « Moussa Diawara et Sadio Camara partagent le même esprit de corps, mais sans plus », tempère une source militaire.

Avant de rejoindre les rangs de la Garde nationale, Camara, né en 1979 à Kati, a connu le parcours classique suivi par de nombreux officiers maliens. Après l’obtention de son baccalauréat au PMK, il intègre l’École militaire interarmes (EMIA) de Koulikoro en 1999. Il fait alors partie de la promotion « Colonel Amadou Sissoko », toujours avec Assimi Goïta et Modibo Koné. « C’était un garçon assez frêle, pas spécialement considéré comme quelqu’un à haut potentiel, se rappelle un ancien camarade. Beaucoup n’auraient jamais cru qu’il finirait ministre de la Défense. »

À la fin des années 2000, le jeune officier dirige ses premières opérations sur le terrain. Il sert en tant que commandant de compagnie dans le Nord, notamment dans les régions de Kidal et de Ménaka. Début 2012, il aurait échappé de justesse à l’offensive des rebelles touaregs et aurait rejoint le Niger avec le colonel-major El Hadj Ag Gamou. Discret, peu bavard, l’homme est difficilement déchiffrable. « Il est fuyant et très dissimulateur, indique un de ses interlocuteurs. Il faut s’accrocher pour savoir ce qu’il pense vraiment. » Sa rigueur et sa proximité avec les soldats du rang lui valent d’être très apprécié de ses troupes. « C’est un chef qui connait très bien le terrain et qui sait comment parler à ses hommes », abonde un de ses proches au sein de l’armée.

Un homme têtu et tenace

Parfaitement à l’aise au milieu des treillis, qu’il continue lui-même à porter souvent agrémentés d’un chèche beige, Camara l’est nettement moins quand il sort des casernes et de son univers militaire. Entouré de ses frères d’armes au quotidien, il évite les civils et snobe les responsables politiques, qui lui vouent en retour une certaine animosité. Beaucoup le décrivent comme un piètre orateur, qui a parfois du mal à s’exprimer en public ou à faire face à la presse. En septembre 2021, son attitude sur le perron du ministère de la Défense à Bamako, après une réunion avec son homologue française Florence Parly, en avait décontenancé plus d’un. Interrogé par un journaliste sur les négociations avec le groupe Wagner, Sadio Camara avait tout simplement tourné les talons, sans piper mot.

C’EST EN MAI 2021 QUE SON INFLUENCE ÉCLATE AU GRAND JOUR

Derrière ses lunettes et ses airs effacés, presque timides, se cache pourtant un homme têtu et tenace, qui n’hésite pas à être cassant pour obtenir ce qu’il veut. « Il ne faut surtout pas le sous-estimer », prévient une source française. De fait, Camara est aujourd’hui considéré par beaucoup comme le véritable patron de la transition. Celui qui, dans l’ombre de Goïta, tire les ficelles.

C’est en mai 2021 que son influence éclate au grand jour. À l’époque, la transition patine sérieusement. Le président Bah N’Daw, en fonction depuis septembre 2020, ne supporte plus la place prise par les militaires et s’active, avec son Premier ministre, Moctar Ouane, pour réduire leur influence. Les deux hommes s’opposent notamment à une série de nominations par les colonels à des postes clés, dans le contrôle de marchés publics ou dans des administrations civiles. Mais, surtout, ils souhaitent évincer Sadio Camara et Modibo Koné du gouvernement.

La rumeur de ce règlement de comptes au sommet de la transition fait rapidement bruisser le gotha bamakois. Le 22 mai, Assimi Goïta, vice-président de la transition, va voir Bah N’Daw. Une solution intermédiaire, avec le recasement de Camara et Koné à des postes ministériels de second rang, est envisagée. Goïta semble s’en accommoder mais pour ses deux promotionnaires, c’est niet.

Dans l’après-midi du 24 mai, le nouveau gouvernement est annoncé. Les deux officiers de la Garde nationale en sont évincés. Dans la foulée, leurs hommes arrêtent Bah N’Daw et Moctar Ouane, qui sont conduits manu militari à Kati. Le deuxième coup d’État en neuf mois, le « coup dans le coup », est consommé. Cette fois, hors de question de rendre le pouvoir aux civils. Les militaires restent au pouvoir – et peu importe les nombreuses condamnations africaines et internationales. Assimi Goïta devient officiellement président de la transition, Sadio Camara reste à la Défense et Modibo Koné prend la tête de la Sécurité d’État.

Écarter la France

Selon des sources concordantes, ce second putsch serait aussi lié à des questions financières. « Ce n’est un mystère pour personne : Sadio est porté sur l’argent », accuse un officier. Le nom du ministre de la Défense revient en effet régulièrement lorsque sont évoqués les problèmes de corruption au sein de la transition. « Camara voulait également la peau de N’Daw et Ouane pour des affaires d’arbitrage de contrats miniers », assure un observateur à Bamako.

En cause, une mine d’or : celle de Manakoto, dans le cercle de Kéniéba, à l’extrême ouest du pays. Le 24 mars 2021, la société canadienne B2Gold s’était vue retirer son permis d’exploitation du site au profit de la société Little Big Mining, appartenant à un proche de Seydou Lamine Traoré, ministre des Mines et beau-frère de… Sadio Camara. Le 21 mai, soit trois jours avant le deuxième coup d’État, Moctar Ouane signait un arrêté annulant cette attribution. Suffisant pour nourrir, encore, l’aigreur du ministre de la Défense à l’égard de l’ex-Premier ministre.

IL N’EST PAS PRO-RUSSE PAR IDÉOLOGIE MAIS PAR OPPORTUNISME

Depuis que les militaires ont repris la main à Bamako, Camara est tout-puissant ou presque. Et n’hésite plus à le montrer. Lors de la visite d’une délégation du Conseil de Sécurité des Nations unies à Bamako, en octobre 2021, il frappe les esprits de certains diplomates onusiens. « Il ne mâchait pas ses mots sur la nécessité pour le Mali de changer de partenaires et jouait un peu les gros bras », se rappelle un membre de la délégation.

Pour lui, le constat est sans appel : dix ans après sa partition, le pays est toujours en profonde crise et l’heure est venue de changer de braquet. Animé comme les autres colonels de la junte par un puissant sentiment nationaliste, il estime que le Mali doit retrouver sa souveraineté et ne plus rien se laisser dicter par des étrangers. Dès lors, sa stratégie est claire : rompre avec la France, perçue comme arrogante et trop exigeante, pour se rapprocher de nouveaux partenaires moins encombrants, les Russes.

« Il n’est pas pro-russe par idéologie mais par opportunisme, estime une source française. Il les considère juste comme des partenaires efficaces qui ne mettront pas leur nez dans leurs affaires ou qui ne leur demanderont pas des comptes sur leurs méthodes. » Un pragmatique, donc, qui réfléchirait d’abord en gain opérationnel et militaire sans forcément prendre en compte les complexes équilibres diplomatiques internationaux. « Il ne mesure pas les répercussions géopolitiques à long terme de son engagement avec Wagner. Ce qui est quand même assez problématique quand on dirige un État », critique un haut responsable à Paris.

AU SOMMET DE LA TRANSITION, LA PARANOÏA DES COMPLOTS EST DE PLUS EN PLUS PALPABLE

Pour nombre de partenaires poussés vers la sortie, à commencer par les Français, le recours aux mercenaires de Wagner est d’abord un moyen pour Sadio Camara et les colonels de se maintenir au pouvoir sans être dérangés. Une sorte d’assurance tout risque, qui leur permettrait d’avoir les mains libres et les coudées franches.

Jusqu’où iront-ils ? Au sommet de la transition, la paranoïa des complots, ourdis de l’étranger ou de l’intérieur, est de plus en plus palpable et pose des questions sur la solidité de la junte. Malgré quelques divergences, les colonels affichent pourtant une certaine unité de façade. Quand les difficultés pointent, ils ont plus tendance à se serrer les coudes qu’à se tirer dans les pattes. « Il n’y a pas de brèche énorme entre eux. Pour l’instant, leur attelage tient. Reste à savoir si ça va durer », analyse un bon connaisseur du pouvoir malien. Entre Assimi Goïta et le tandem Sadio Camara – Modibo Koné, le rapport de force militaire est clairement favorable aux seconds. Si le président peut compter sur la loyauté des environ 300 membres des Forces spéciales dont il est issu, ses deux ministres proviennent de la Garde nationale, laquelle compte, selon de récentes estimations, environ 10 000 hommes dont 6 000 pour la seule région de Bamako. Soit largement assez pour que Camara montre encore plus les muscles si nécessité devait s’en faire sentir.

Côte d’Ivoire : onze contes pour perpétuer l’oralité (et la biodiversité)

Mis à jour le 14 mars 2022 à 11:45
 

 

« Misé misé », un recueil de onze contes ivoiriens.

 

Dans un recueil tendre et lumineux, la journaliste française Camille Lavoix et l’illustratrice bulgare Vyara Boyadjieva rendent hommages aux contes de la Comoé.

« Misé misé, je vais vous raconter une histoire. » Ainsi commencent la grande majorité des histoires rassemblées par Camille Lavoix et illustrées par Vyara Boyadjieva dans Misé misé – 11 contes ivoiriens de la Comoé. Si l’entreprise n’est pas nouvelle – il existe une foultitude de livres compilant des contes animaliers africains –, ce livre se distingue par sa qualité et son originalité.

Les illustrations de l’artiste bulgare aux tons pastels lumineux s’accordent parfaitement aux textes et ne se contentent d’en donner une interprétation : elles restituent toute une ambiance et prêtent à la rêverie. Écrits dans un français mâtiné d’expressions locales et fidèle à une certaine forme d’oralité, les contes expliquent « pourquoi un animal agit comme il le fait ou a une apparence bien précise ». Ainsi, en lisant, apprendrez-vous pourquoi le crabe a l’air d’un guerrier blessé, pourquoi la hyène pleure, pourquoi le poulet picote toute la journée, pourquoi les tortues vivent aussi dans l’eau ou encore pourquoi l’araignée est plate avec beaucoup de pattes.

Transmission intergénérationnelle

Journaliste ayant visité la Côte d’Ivoire dans le cadre d’un projet humanitaire, Camille Lavoix a récolté ces contes grâce à l’aide d’écoliers du village de Kakpin, situé en bordure du parc national de la Comoé – l’un des plus grands d’Afrique de l’Ouest où l’on peut croiser quelque 60 espèces de grands mammifères et 600 espèces d’oiseaux.

LES DIFFÉRENTES VERSIONS DES CONTES ONT ÉTÉ MÉLANGÉES ET ÉDITÉES COMME UNE PETITE MUSIQUE, DANS LE RESPECT DES EXPRESSIONS ET DES TOURNURES LOCALES

« Les autrices et auteurs de ces histoires sont Inza Ouattara, le cuisinier de la station [de recherche de la Comoé], David Kouamé, le coordinateur de la station, Dabila Kouakou Nandjia, le chef du village, les écolières, les écoliers, que j’ai enregistrés en koulango et en lobi, les deux langues du village, et en français, écrit Camille Lavoix. Ce sont leurs histoires depuis de nombreuses générations, des classiques de la région. Les différentes versions ont été mélangées et éditées comme une petite musique, dans le respect des expressions et des tournures locales. »

Un livre généreux, à déguster évidemment en famille. Pour faire germer ces « petites graines contre l’extinction […] d’une culture orale qui vacille sous les assauts de la télévision, et celle des animaux et des plantes qui s’accrochent et nous protègent en produisant de l’oxygène, fertilisant les sols et filtrant l’eau ».

Misé misé – 11 contes ivoiriens de la Comoé, de Camille Lavoix et Vyara Boyadjieva, La joie de lire, 64 pages, 21 euros.

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La deuxième réponse nous a été donnée par la "Maison Lavigerie", notre maison de formation à la périphérie de Ouagadougou, où les candidats ont leurs trois premières années de formation (lire la suite)