« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)
« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)
« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)
Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.
Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.
Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.
Dix livres sur l'Islam
Présentation de dix livres sur l’islam sur le site La-Croix
Toute sélection de livres reste subjective et soumise à certains choix. Celle qui nous est proposée, « pour comprendre l’islam et le monde musulman » (rien de moins!) est accompagnée d’une courte présentation de chacun d’eux dans l’article cité. Certains de ces livres s’adressent plus particulièrement à un public français, et, hormis les livres sur l’islam en général, ils pourront être avantageusement remplacés par d’autres concernant plus particulièrement le pays qui vous intéresse ou dans lequel vous vivez.
Voici la liste proposée par A.B. Hoffner qui a classé les livres selon le type d’auteur: universitaire, expert, acteur engagé ou encore spirituel.
Titre
Auteur
Éditeur - prix
Catégorie
Islams politiques : courants, doctrines et idéologies
Cheikha Nûr Artiran vient d’Istanbul plusieurs fois par an, pour enseigner en France des personnes de toutes confessions venues de partout et approfondir avec elle la pensée de Jalâl ud-Din Rûmî. Son titre, reconnu par les pairs, de « mesnevihan », lecteur du Mathnawî, cette œuvre colossale du grand maître soufi de Konya qu’on appelle Mevlana (notre maître), lui a été conféré par son maître Şefiq Can Dede, juste avant sa disparition en 2005, à l’âge de 99 ans. C’est seulement la deuxième fois dans l’histoire de la confrérie qu’une femme est investie de cette fonction. Portrait et récit d’une rencontre avec une femme remarquable. Lire l’article de Clara Murner :
Rencontre avec Cheikha Nûr, une femme maître spirituelle
Rédigé par Clara Murner | Jeudi 9 Mars 2017
Cheikha Nûr Artiran vient d’Istanbul plusieurs fois par an, pour enseigner en France des personnes de toutes confessions venues de partout et approfondir avec elle la pensée de Jalâl ud-Din Rûmî. Son titre, reconnu par les pairs, de « mesnevihan », lecteur du Mathnawî, cette œuvre colossale du grand maître soufi de Konya qu’on appelle Mevlana (notre maître), lui a été conféré par son maître Şefiq Can Dede, juste avant sa disparition en 2005, à l’âge de 99 ans. C’est seulement la deuxième fois dans l’histoire de la confrérie qu’une femme est investie de cette fonction. Portrait et récit d’une rencontre avec une femme remarquable.
Vêtue d’une gandoura gris pâle ornée de broderies, recouverte d’un châle beige orangé, elle prend dans ses bras tous les assistants, longuement, un à un. Sa voix frêle, son sourire très doux, son regard profond comme un puits, toute la simplicité qui se dégage de sa personne, sa façon d’observer, droit dans les yeux, tout semble désigner un être d’exception. Chaque détail dit la perfection d’une femme réalisée.
« Je salue respectueusement chacun d’entre vous et vous remercie d’être là », dit-elle pour commencer. La gratitude, c’est un état spirituel très important. Son maître remerciait ainsi : « Gratitude à Dieu et remerciement aux serviteurs. » Si on ne remercie pas les serviteurs, Dieu n’accepte pas la gratitude. Elle insiste sur le bénéfice d’être réunis ensemble, pour lire le Mathnawî. Dans toutes les religions, les réunions collectives sont préconisées.
Le monde va vers une crise très sérieuse. Rumî dit que « lorsque l’obscurité augmente, il faut que la lumière augmente ». Nous pouvons nous réunir pour être des colombes de paix. Plus elle parle, plus son visage et ses mains s’animent, une impression de force inouïe se dégage de sa frêle silhouette. Mawlana dit non pas de prendre les armes, mais de propager la Lumière avec nos états spirituels et nos attitudes justes, et de cheminer sur la voie de l’amour.
« L’Amour, je l’ai vu comme un gigantesque château protégeant de tous les malheurs et de toutes les calamités. C’est pourquoi je suis parti me réfugier en Lui » (Mevlana Rûmî)
Dieu a mis le bonheur dans l’esprit, pas dans la matière
Cheikha Nûr revient sur les histoires enseignements du Mathnawî, leur enchâssement les unes dans les autres. Rumî nous parle d’une chose, puis passe à une autre et ainsi de suite, les thèmes s’emboîtent, sont liés les uns aux autres comme une dentelle. Ainsi, les idées s’enracinent mieux dans l’esprit humain. Depuis le XIIIe siècle, ces histoires parlent de l’homme à l’homme, de sa réalité intérieure.
Elle aussi commence un thème pour passer à un autre, tout en citant le Mathnawi ou des hadiths pour nous parler de l’esprit, par opposition au corps. Il faut donner la primauté aux désirs de l’esprit, maintenir l’équilibre. En disant cela, ses mains miment une balance à deux plateaux.
L’étymologie du mot islam est double : soumission et équilibre. Soutenir son esprit, c’est un service qu’on se rend à soi-même. Faire ce que veut l’âme charnelle ne satisfait pas l’homme. Dieu a mis le bonheur dans l’esprit, pas dans la matière. L’esprit en nous s’impatiente. « Il y a beaucoup de raisons d’être bien », nous dit-elle. « On devrait être heureux tous les jours en se réveillant d’avoir deux mains, deux jambes, deux yeux... »
Être conscient de tout ce qu’on a doit suffire à nous rendre heureux. Sa recette spirituelle : des prières de remerciement. Les médicaments ne tranquillisent qu’un instant, tandis que les remèdes spirituels sont pérennes. « On considère que le cancer est la maladie de l’époque, mais c’est d’être bourré depréjugésqui nous rend malades. Toutes les maladies viennent de là. »
L’amour de l’homme est capable d’embrasser toute l’humanité
Pour convaincre, elle se prend elle-même comme exemple : « Quand je suis née, une voisine s’occupait de moi, pour elle Nûr, c’était un bébé ; puis, j’ai eu dix ans. Cela n’avait rien à voir, pourtant les deux étaient Nûr ; à vingt ans, il n’y avait rien de comparable avec l’enfant, en apparence, puis à cinquante ans, quel rapport avec le bébé ? Pourtant c’est la même personne, l’apparence a changé mais la réalité intérieure est une. C’est ainsi pour les prophètes. Chaque prophète vient parachever celui qui l’a précédé. On doit considérer les prophètes comme un tout. » Elle poursuit en parlant de sa vie, son ton se fait plus doux, plus intime, on entre dans la confidence.
Cheikha Nûr : « Être conscient de tout ce qu’on a doit suffire à nous rendre heureux. »
« Je suis née dans une famille musulmane, mais j’ai ressenti le besoin d’approfondir, de chercher à quelle religion j’étais le plus adaptée. J’ai découvert que les juifs n’acceptent pas Jésus, que les chrétiens n’acceptent pas Muhammad, alors j’ai étudié sérieusement l’islam. Il y avait ce verset : “ Nous ne faisons aucune différence entre les prophètes.” L’amour de l’homme est capable d’embrasser toute l’humanité. Les conflits entre religions proviennent de l’ignorance. » En disant cela, elle s’emporte, indignée : « Ce que font aujourd’hui certains hommes, même les démons ne le feraient pas. Le Shaytan (Satan) est jaloux d’eux (rires). »
« Nous sommes une famille », dit-elle avant de partir, en formulant le vœu de revenir bientôt et la promesse de rester avec le cœur, battements de main à l’appui, sur sa poitrine. Un dernier au revoir, mains jointes, face à l’assistance et la femme à la démarche légère s’en va reprendre l’avion pour Istanbul.
Bientôt, peut-être, ses paroles s’effaceront des mémoires, mais sa manière d’être, ses attitudes, ses gestes, ses délicates attentions, ne s’effaceront pas. Un seul geste de sa main en dit plus long que tous les discours sur le soufisme. Au fait, qu’est-ce qu’un soufi ?« C’est celui qui rend service, qui est rempli d’amour et qui revêt les traits de caractère des prophètes. » (Cheikha Nûr).
***** Clara Murner, arabisante, est chercheuse en islamologie, traductrice de poésie arabe (Khalîl Gibran).
Les rencontres avec cheikha Nûr Artiran en France sont organisées par les Amis d’Eva de Vitray Meyerovitch. Pour les prochaines rencontres prévues en avril, juin et septembre, contacter : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Karima Berger, passeuse des rives de la Méditerranée
Paula Boyer, le 04/03/2017 à 0h00 Mis à jour le 06/03/2017 à 17h30
L’écrivaine franco-algérienne préside l’association « Écritures et spiritualités » qui organise le 4 mars, à Paris, un salon du livre ouvert aux auteurs s’inspirant des grandes traditions spirituelles.
Née en Algérie, Karima Berger vit à Paris, dans le quartier du Marais. / Jean-Luc Bertini/Pasco
Une cascade de boucles brunes, des yeux pétillants, un sourire désarmant : « J’ai préparé du thé vert ! » Karima Berger reçoit au dernier étage du vieil immeuble de pierre, dans le quartier du Marais à Paris, où elle vit presque sous les toits, dans un appartement joliment décoré, d’un goût mi-occidental, mi-oriental. Logique pour cette écrivaine qui a écrit d’elle : « Je suis arabe et française, orientale et occidentale, musulmane et laïque, femme et écrivain et tant d’autres choses encore qui ne se disent pas. Ces sources qui m’animent (…), je veux encore et encore les faire travailler ensemble. »
Ces jours-ci pourtant, Karima Berger semble d’abord se soucier de l’organisation, le 4 mars, à Paris, à la mairie du 6e arrondissement, d’un Salon du livre ouvert aux auteurs inspirés par les grandes traditions spirituelles. Une centaine d’entre eux, croyants ou pas, y participe : Maurice Bellet, Marie Balmary, Mustapha Cherif, Laurence Cossé, Marion Muller-Colard, Salomon Malka, François Sureau… À l’origine de ce salon, l’association Écritures et spiritualités (1) que Karima Berger préside depuis deux ans. Précédemment appelée « Écrivains croyants », cette association a changé de nom et, dit Karima Berger, « nous travaillons à retrouver sa diversité avec des écrivains juifs, musulmans, bouddhistes, agnostiques… tous préoccupés, de manière explicite ou implicite, par la question du divin et du sacré. » Sans doute la littérature peut-elle faire le lien entre eux.
Faire le lien entre des mondes, c’est la grande affaire de cette Franco-Algérienne. Son parcours personnel plaide en ce sens. Karima Berger est née à Ténès, près d’Oran, avant d’habiter à Duperré, à Médéa puis à Alger, au fil des nominations de son père. Ce dernier, attaché de préfecture, a fini sa carrière comme haut fonctionnaire au ministère de l’intérieur de l’Algérie indépendante. Sa mère, issue d’une famille de sept filles (toutes avaient leur certificat d’études, une prouesse dans l’Algérie des années 1940 !), ne se voilait pas et sera institutrice après 1962.
Les parents de la petite Karima étaient attachés « à l’idée de progrès ». Ils voulaient que leurs quatre filles fassent des études, travaillent et soient autonomes même si, bien sûr, ils les imaginaient mariées et mères. À la maison, la famille parlait arabe et français. « Mon père, dit-elle, avait le goût des mots, il nous l’a transmis avec bonheur », tout comme ses grands-pères, tous deux interprètes. « Ils étaient déjà des passeurs », dit-elle.
Karima Berger se souvient avec émerveillement de ses études à Alger. « J’ai reçu une excellente formation. C’étaient des années magnifiques, ouvertes, bouillonnantes », assure-t-elle. À l’époque, dans les rues, « il y avait le voile blanc traditionnel mais pas encore de hijab », mais elle « sentait peu à peu poindre l’enfermement ».
Le passage du français à l’arabe, dans l’enseignement, se faisait en effet dans des conditions très difficiles car la jeune Algérie indépendante manquait d’enseignants compétents. Et Houari Boumediene exaltait le nationalisme. Cela questionnait déjà Karima. « Aussi violente qu’ait été la colonisation nous privant de nos propres Lumières, dont la langue arabe, elle nous avait ouverts à la modernité. Il fallait intégrer le tout et non le rejeter, dit-elle. L’exaltation de la pureté n’est jamais bonne conseillère. Nous sommes tous issus de mélanges. »
Un peu par désir de voyager, un peu par envie de devenir diplomate, la jeune femme vient, en 1975, à Paris préparer une thèse. Sujet : le nationalisme, évidemment. C’est à Paris qu’elle rencontre alors Jean-Michel Hirt qu’elle épouse en 1984. C’est à Paris aussi qu’elle se lance dans les ressources humaines, une carrière menée de front, jusqu’à il y a deux ans, avec son travail d’écrivain. Ce parcours s’effectue dans un contexte parfois tragique : ruptures avec sa famille en raison de choix personnels, guerre civile des années 1990 en Algérie, ignorance par la France de sa part algérienne et par l’Algérie, de sa part française.
L’écriture l’aide à affronter ces déchirures. Dès 1992, elle publie L’Enfant des deux mondes, un ouvrage qui contient déjà les thèmes – spiritualité, féminin, brassage des cultures, langue, poésie, violence religieuse, diktat – développés, depuis, par cette passeuse des rives de la Méditerranée. Bientôt, ce sera Éclats d’islam où, pour la première fois, elle parle directement d’elle et de son itinéraire spirituel. Car cette femme profondément croyante est une lectrice assidue du Coran, depuis que, toute petite, sa grand-mère lui a appris la Fatiha, la sourate d’ouverture du Coran que tout musulman se doit de réciter au début de chaque prière. « Ma grand-mère disait :”C’est la langue de Dieu”. Personne jamais ne pourra m’en priver, elle était en moi pour toujours », se souvient-elle.
Cette femme semble sur la défensive. Elle est blessée par tous les procès faits, « quotidiennement », à l’islam, souvent présenté comme « structurellement violent ». D’évidence, elle a aussi du mal à concevoir que sa religion puisse donner lieu à des interprétations littérales, à des comportements barbares. Elle cherche à se rassurer : « Il me semble que les choses bougent un peu, on commence à comprendre que cette violence est liée à une dérive, à une perversion et non à l’essence de l’islam. » Elle « refuse de nommer djihadistes ces nihilistes qui nous terrorisent, le mot djihad est bien trop noble ! » tranche-t-elle.
« Le djihad, fait valoir Karima Berger, signifie résistance intérieure, lutte contre les idoles dans tous les sens du terme, y compris contre les nouveaux ”veaux d’or” : l’argent, la consommation, l’image, l’ego ! » Bien sûr, dit-elle, il y a des versets violents dans le Coran, mais « on les trouve dans tous les grands textes religieux ». À l’en croire, une religion qui aurait été structurellement violente « n’aurait pas pu durer plus de quinze siècles, s’étendre jusqu’en Asie et produire une riche civilisation au point de nourrir la pensée européenne (Avicenne, Averroès) ». Karima Berger se rembrunit : « Le monde arabo-musulman est en miettes, guerres, corruption, misère économique et spirituelle. La bonté, la générosité, l’hospitalité de l’islam étouffent sous le poids d’une sous-culture limitée au haram (l’illicite) et au halal (le licite). Or ce que j’aime dans mon islam, c’est que le croyant est invité à lire le Coran comme s’il n’était destiné qu’à lui-même. C’est une délégation qui nous a été donnée, une liberté, une responsabilité personnelle devant Dieu. »
« L’islam aujourd’hui vit la plus terrible de ses épreuves… Mais il y a l’espoir, ces sociétés sont aussi très vivantes et jeunes », dit-elle, « de belles énergies travaillent à construire ou reconstruire… et la pensée musulmane renaît lentement. » Aujourd’hui Karima Berger se nourrit des grands penseurs de l’islam, tel, selon elle, l’émirAbd El Kader, « un homme de la modernité ». Oubliant les côtés parfois cruels de l’émir s’opposant à la conquête française de l’Algérie, elle voit en lui un « immense esprit », un « homme des Lumières » et elle précise « des Lumières orientales ». « Son œuvre philosophique n’est pas enseignée en France alors même qu’il a écrit des pages de son histoire, avec sa noble reddition mais aussi sa défense des chrétiens à Damas. Précurseur des droits des prisonniers, il parlait de droits humains avant Henri Dunant et la Croix-Rouge », assure-t-elle.
« L’islam est en train d’accoucher, dans la souffrance, de sa propre modernité », espère-t-elle. Karima Berger entend poursuivre le pari, dans ses livres, ses engagements, qu’il est possible de puiser dans ses racines multiples. Et si, suggère-t-elle, on prenait le risque de sortir des lieux communs pour entrer dans le Coran : que dit-il de l’homme, de la croyance, de sa liberté, de sa responsabilité ? Et si on écoutait Christian de Chergé, prieur de Tibhirine et sa lancinante question sur la place de l’islam dans le dessein de Dieu ? À ce moment-là, Karima Berger se prend à rêver d’un « Coran des écrivains », à la manière de la « Bible des écrivains », une traduction publiée en 2001 par Bayard, éditeur de La Croix, sous la direction de Frédéric Boyer.
Paula Boyer
Décès du père Claude Geffré
Le père Claude Geffré est décédé ce 9 février 2017
À l’âge de 90 ans, ce dominicain français qui a fortement marqué la théologie post-Vatican II et la seconde moitié du siècle dernier est décédé à Paris.
Si le P. Claude Geffré était expert en herméneutique biblique, le pluralisme religieux était également l’un de ses domaines de recherche et de réflexion, et son influence a dépassé les frontières de l’Europe comme nous pouvons le lire sur la page de l’Université Laval qui se conclue ainsi:
« Parmi les théologiens occidentaux qui ont entrepris leur carrière après le concile Vatican II, Claude Geffré s’est surtout distingué en développant le champ de la théologie des religions. C’est ainsi que la contribution du père Geffré est exceptionnelle en ce qui a trait au renouvellement de la théologie contemporaine qui doit désormais prendre en compte le pluralisme religieux et la mondialisation. Le professeur Geffré occupe une place prépondérante, à l’échelle internationale, dans le champ très vaste de la discipline théologique. À ce titre, la France l’a fait chevalier, tant de la Légion d’honneur que de l’Ordre national du mérite. » (1)
Et le P. Vincent Féroldi, directeur du service national français pour les relations avec l’islam, écrit avec justesse:
« Son travail théologique n’a pas fini de porter des fruits et de nous faire bouger dans notre recherche sur la question du pluralisme religieux dans le plan divin. Ses fulgurances théologiques ont parfois interrogé, en particulier quand il abordait la question des Ecritures des différentes traditions. Elles n’en reflétait pas moins une quête passionnée de ce mystère de l’Alliance entre Dieu et l’humanité plurielle. » (2)
« Faire entendre une parole sur le Christ portée par des musulmans » voilà comment la coordinatrice du projet présente ce livre. Chacun « y évoque son Christ, celui qu’il a découvert, imaginé ou aimé, celui de ses souvenirs, de ses interrogations, de ses espoirs. » Il ne faut donc pas essayer de trouver dans ce livre un essai ou début de ce qu’on voudrait appeler une Christologie Musulmane.
Deux contributions de 23 pages chacune sont assez détaillées. D’une part celle de Salah Stétié qui cite avec justesse Tarif Khalidi qui a déjà publié il y a plus de 15 ans « Un Musulman nommé Jésus ». C’est ce même Stétié qui a cette remarque interpellante : « Chose surprenante, plus d’un millénaire avant sa proclamation par Rome en 1854, c’est l’Islam le premier qui affirme l’immaculée conception de la Vierge (p.47). D’autre part, le bien connu Ghaleb Bencheikh qui nous rappelle les deux titres de Jésus à la fois « serviteur de Dieu » et « Verbe de Dieu » (p.79). Et si on veut comparer Jésus et Muhammad, il souligne que le premier est le sceau de la sainteté soit le plus grand témoin par le cœur tandis que le second est bien le sceau des prophètes soit le plus grand témoin par la langue (p.94)
Le lecteur pourra être très sensible au témoignage de la Tunisienne Alia Tabaï très impressionnée par la charité de Jésus, solidaire des humiliés et des offensés. Et elle conclut : « Tous ceux qui font cela, ici, maintenant et partout dans le monde, qu’ils soient croyants ou non, sont tout simplement ses lumineuses incarnations. » (p.118). Elle est rejointe par l’Egyptien Khaled al-Khamissi qui écrit de son côté : « Ce que je sais désormais, c’est que le Christ n’est autre que le Bien en nous. » (p.141) Enfin, (p.55-60) le long poème du Franco-Algérien Jamel Eddine Bencheikh ne nous laisse pas indifférents puisque face à Jésus, il se fait l’écho de tous ceux et celles qui peinent et souffrent sur cette terre. Il lance cette interrogation :
Où retrouver la source féconde
D’où jaillirait la paix du monde
Quand le malheur entre les dents
Nous montons nos spectacles immondes ?
Ce livre n’a pas la rigueur scientifique de l’essai de Tarif Khalidi. Mais il est d’une lecture facile et peut nous aider à revisiter tous nos préjugés et ainsi « refonder la force du lien entre nos deux communautés à travers la figure de Jésus ». Aussi bien en Christianisme qu’en Islam, Jésus a ses caractéristiques spécifiques. Compris et vécu différemment, on peut cependant lui reconnaître une dimension universelle.