La statue de Bio Guéra, celle de l’Amazone et l’obélisque aux dévoués… Fin juillet, Cotonou s’est enrichie de trois nouveaux monuments qui représentent, chacun, un symbole de l’histoire du Bénin. Ils font désormais la fierté des Béninois et suscite l’admiration dans les pays voisins. Ces trois nouveaux monuments mémoriels faisant référence à différents pans de l’Histoire constituent, en outre, de nouvelles attractions dans un pays qui mise sur le tourisme pour son développement.
Érigés dans le cadre du programme gouvernemental de valorisation du patrimoine historique et culturel, ils ont été inaugurés le 30 juillet en grande pompe par le président béninois, entourés du gratin politique et d’invités privilégiés. Chantre de la restauration de la mémoire historique du Bénin, Patrice Talon a saisi l’occasion pour préciser, à chaque étape, le message politique associé à chacune des œuvres.
Bio Guéra, le résistant wassangari
Construite au milieu du rond-point de l’aéroport international de Cotonou, la statue de Bio Guéra accueille désormais le visiteur à sa descente d’avion au Bénin. L’ancienne représentation d’une femme versant de l’eau au sol et symbolisant l’hospitalité dans plusieurs régions du Bénin a donc laissé place à celle d’un homme en tenue de combat, arme au poing sur le dos d’un cheval cabré. Le monument haut d’une dizaine de mètres est fait d’acier, de fonte et de cuivre. Il participe de la volonté du gouvernement « d’offrir aux visiteurs l’un des symboles les plus expressifs de l’identité historique de notre pays », a indiqué le ministre du Tourisme de la Culture et des Arts. En effet, né en 1856, Bio Guéra a été une figure de la résistance aux troupes coloniales françaises qui tentaient de soumettre les anciens royaumes du nord du Bénin actuel.
JE SUIS CONSCIENT D’ÊTRE UN BIO GUÉRA, QUE CHACUN DE NOUS L’EST OU DEVRA L’ÊTRE POUR DÉFENDRE NOTRE DIGNITÉ, NOTRE IDENTITÉ ET ŒUVRER AU DÉVELOPPEMENT DE NOTRE NATION
Dans le paysage urbain du pays, le souvenir de ce « prince wassangari », peuple du Nord, n’était rappelé jusque-là que par un modeste édifice érigé à Parakou, à 400 kilomètres de Cotonou. Élevé au rang de héros national en 1975, au début de la révolution marxiste-léniniste, la bravoure, le sens du sacrifice et la défense de la dignité de Bio Guéra n’a de cesse d’inspirer les dirigeants politiques béninois. Patrice Talon force même la comparaison. « Moi je suis conscient d’être un Bio Guéra, je suis conscient que chacun de nous est un Bio Guéra ou devra l’être pour défendre notre dignité, notre identité, notre histoire et nous protéger les uns les autres, protéger notre nation et œuvrer à son développement. »
En faisant bâtir une statue en l’honneur de ce héros à Cotonou, loin de ses terres d’origine et du lieu de ses actions de résistance, c’est aussi une invitation à l’unité nationale qui est adressée à tous les Béninois. Étrangement, le gouvernement reste muet sur l’auteur de l’œuvre comme sur ce qu’elle a coûté aux contribuables.
L’Amazone, ode la femme béninoise
Retenu depuis 2019 comme identité visuelle du Bénin dans le cadre du développement du tourisme, le symbole de l’Amazone prend forme en 2022. Celle-ci fend désormais le ciel de Cotonou du haut de ses 30 mètres, s’imposant ainsi au regard des Cotonois comme des visiteurs. La statue se veut le nouveau symbole des valeurs qui doivent inspirer les femmes et les hommes du Bénin : courage, bravoure et patriotisme. Inspirée des Agodjié ou Minon, corps de femmes guerrières constitué par la reine Tassi Hangbè, unique souveraine du Danxomè entre 1708 et 1711, la statue de l’Amazone est une ode à la femme béninoise. Faite d’une structure métallique avec une enveloppe en bronze pesant 150 tonnes, elle est vite devenue le centre d’une grande attraction et fait déjà l’objet de plusieurs produits dérivés.
EN HOMMAGE À CES FEMMES, À CES AMAZONES, CETTE STATUE […] SERA À NOS YEUX ET À CEUX DE NOS VISITEURS, LE SYMBOLE DE LA FEMME BÉNINOISE, CELLE D’AUJOURD’HUI ET CELLE DE DEMAIN
Mais autour de cette amazone de bronze, l’État béninois veut surtout voir une nouvelle source de fierté nationale et illustrer le rôle déterminant des femmes dans l’édification de la nation. « En hommage à elles, à ces femmes, à ces amazones, cette statue […] sera à nos yeux et à ceux de nos visiteurs, le symbole de la femme béninoise, celle d’aujourd’hui et celle de demain », a précisé Patrice Talon.
Pour réaliser le monument géant, le gouvernement béninois a eu recours aux services du sculpteur chinois Li Xiangqun dont la société Beijing Huashi Xiangqun Culture & Art est réputée pour ce type de réalisations. L’histoire ne dit pas si l’artiste a été à l’origine de l’épitaphe inscrite sur le monument. Celle-ci a laissé voir une grossière faute de grammaire (« Tel nos Amazones, la femme béninoise est notre fierté ») que le gouvernement a d’abord minimisé avant d’apporter la correction nécessaire.
L’élévation de la statue de l’Amazone fait aussi écho aux réformes politiques et institutionnelles mises en œuvre ces dernières années au Bénin visant à valoriser et protéger la femme. Elles se sont illustrées par la création d’un Institut national de la femme, par la garantie de 24 sièges au parlement pour les femmes et le vote d’une loi réprimant les infractions commises à raison du sexe des personnes, entre autres.
L’obélisque aux dévoués
Dernière de la série, l’obélisque aux dévoués est tout aussi symbolique. D’abord il est érigé au cœur du jardin de Mathieu, nouvel espace vert aménagé dans le domaine de l’ancienne résidence du général Mathieu Kérékou, ancien président. Mais surtout, c’est désormais à son pied que les chefs d’État viendront déposer une gerbe en l’honneur des fils et filles du Bénin qui ont donné de leur vie pour la patrie. Et c’est Patrice Talon qui inauguré cette tradition, le 1er août 2022. Depuis l’indépendance, les présidents béninois successifs ont toujours déposé une gerbe au pied d’un monument aux morts érigé à Xwlacodji, un quartier côtier de Cotonou. Mais cet édifice, construit avant 1903, l’a d’abord été à la mémoire des soldats français tombés lors de la campagne militaire contre le royaume du Danxomè.
Pour Patrice Talon, continuer à rendre hommage aux fils et filles du Bénin morts pour la patrie en ce lieu relevait de l’« aberration ». « En réalité, ce monument aux morts de Xwlacodji ne nous concerne pas ; il nous a plutôt toujours défiés, a toujours ravivé nos peines et nous n’avons pas à nous consoler de ce qu’il serait aussi celui des combattants de la Première Guerre et de la Seconde Guerre mondiales », a argumenté le président béninois.
Alors que les trois monuments ont été dévoilés le même jour, seule la statue de Bio Guéra est actuellement accessible au public. Le jardin de Mathieu qui accueille le monument aux dévoués est toujours en travaux et l’esplanade de l’Amazone a été fermée quelques jours après la fête de l’indépendance, le 1er août. C’est donc un défilé incessant qui s’observe au rond-point de l’aéroport où les forces de l’ordre peinent à réguler le flux des visiteurs.
Mais l’enthousiasme est palpable dans l’expression des visiteurs. « On ne peut que se satisfaire devant une telle réalisation et souhaiter que ce genre d’initiatives se multiplient dans le pays », commente l’un d’eux, André, la quarantaine. Ce professeur de philosophie dans un collège d’Abomey-Calavi, commune située à 15 kilomètres au nord de Cotonou, a fait le déplacement, convaincu par ses deux filles dont la plus jeune, Eunice 10 ans, vient d’obtenir son Certificat d’études primaires.
LES AUTORITÉS VEULENT FAIRE DU BÉNIN UNE DESTINATION PHARE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST ET ATTIRER TROIS MILLIONS DE TOURISTES D’ICI À 2028. CES MONUMENTS DEVRAIENT LARGEMENT Y PARTICIPER
Au-delà du symbole de la fierté nationale, la statue de Bio Guéra, l’Amazone et l’obélisque aux dévoués participent également à la réalisation de l’immense chantier de développement touristique du pays. Les autorités veulent faire du Bénin une destination phare de l’Afrique de l’Ouest et attirer trois millions de touristes d’ici à 2028. Les trois nouveaux monuments, érigés le long du boulevard de la Marina rénové, devraient y participer de façon conséquente.
C’est d’ailleurs l’argument qui ressort lorsque l’on évoque le coût de réalisation des monuments. L’exécutif ne donne aucune information sur le sujet. Pour le porte-parole du gouvernement, peu importe la facture, « le flux de touristes qui viendrait (…) ferait qu’on amortirait ce coût-là ». « Ce qui compte, c’est la présence de ces trois monuments, c’est ce qu’ils apportent désormais à notre pays », insiste Wilfried Léandre Houngbédji.