Le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à Chinguetti, le 11 avril 2019. © Carmen Abd Ali
Si, en Mauritanie, les élections locales ne soulèvent habituellement pas les passions, celles-ci suscitent un grand intérêt dans le pays. Un million d’électeurs iront voter pour élire leurs maires, députés et conseillers régionaux. Certes Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani disposait déjà à l’Assemblée nationale, dissoute le 13 mars, d’une majorité confortable. Mais pour la première fois, depuis son élection en juin 2019, le chef de l’État va se confronter aux urnes et, ainsi, tester sa popularité à un an de la prochaine présidentielle. Selon son entourage, il devrait en effet, même s’il fait toujours mystère de ses ambitions, briguer un deuxième mandat.
Biram et Tawassoul en pôle position
L’un de ses proches, l’ancien chef d’état-major Mohamed Ould Meguett, est pressenti pour prendre la tête de l’Assemblée nationale, qui comptera désormais 176 sièges, et non plus 157. Face au parti au pouvoir, El Insaf, qui a déployé de grands moyens en envoyant des candidats dans toutes les moughataa (« départements ») et dans la plupart des communes, le camp adverse est désuni.
Les opposants historiques, que furent Ahmed Ould Daddah (Rassemblement des forces démocratiques), Messaoud Ould Boulkheir (Alliance populaire progressiste) et même Mohamed Ould Maouloud (Union des forces de progrès), sont à la peine. Une page s’est en effet tournée dans la vie politique mauritanienne : ce sont désormais les islamistes de Tawassoul et le militant antiesclavagiste Biram Dah Abeid (IRA-Sawab) qui tirent leur épingle du jeu. Ces derniers temps, Tawassoul a connu beaucoup de départs, dont celui de son ex-leader Jemil Ould Mansour, et sa direction a également changé de visage. Confortera-t-il sa place de premier parti d’opposition ?
Il sera concurrencé par le député Biram, dont on attend de constater si son score sera semblable, voire supérieur à celui de la présidentielle de 2019 à laquelle il avait obtenu 18 % des voix. Une chose est sûre, le leader de l’IRA – les autorités refusent toujours d’enregistrer cette ONG en tant que parti – est plus populaire que jamais, en dépit du fait que plusieurs de ses partisans l’aient récemment quitté. Coutumier des diatribes enflammées à l’approche des scrutins, il a tiré à boulets rouges ces derniers jours à la fois sur l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou – avec qui il est désormais en guerre ouverte –, sur le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, mais aussi sur le président.
Duel électrique à Nouadhibou
Tous ont Nouakchott dans leur viseur. Si la capitale, dont la majorité des huit communes est habituellement acquise à l’opposition, est un enjeu important pour le pouvoir, l’ambiance y est très calme depuis le lancement officiel de la campagne électorale, le 28 avril. Il faut dire qu’un consensus sur l’organisation du scrutin a, pour la première fois depuis très longtemps, été trouvé entre le ministère de l’Intérieur et l’opposition, au sujet notamment de la Commission électorale nationale indépendante. L’atmosphère est bien plus électrique à plusieurs centaines de kilomètres au nord, à Nouadhibou. Car c’est ici que se joue l’une des plus grandes batailles électorales.
Le député-maire sortant, El Ghassem Ould Bellali, est une personnalité réputée aussi incorruptible qu’irrévérencieuse. Très populaire, il a toujours remporté les élections au nez et à la barbe du pouvoir, même du temps du président Maaouiya Ould Taya (1984-2005). Cette fois, une grande coalition a été mise en place afin de le battre dans les urnes. Le directeur adjoint de l’Agence de promotion des investissements en Mauritanie (Apim), Ahmed Ould Khattry, a été choisi pour représenter El Insaf.
Sa campagne est dirigée par l’ancien président de l’Assemblée nationale Cheikh Ould Baya, dont l’adjoint n’est autre que l’ex-commandant de la marine nationale, Abderrahmane Ould Lekwar. Ces derniers ont la particularité d’être de grands rivaux d’El Ghassem Ould Bellali. Pour couronner le tout, l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, dont les relations avec le député-maire sortant sont notoirement exécrables, se mobilise également derrière le candidat du pouvoir.
L’ombre de Mohamed Ould Abdelaziz
Enfin, l’ombre de Mohamed Ould Abdelaziz ne plane pas autant sur ces élections que ce l’on projetait il y a encore quelques mois. L’ancien président, dont le procès pour corruption se poursuit, n’est finalement pas candidat aux législatives, comme l’a annoncé Ribat al Watani, sans motiver ce choix. « Aziz » avait rejoint cette formation, dirigée par Saad Ould Louleid, en 2021.
Plusieurs de ses proches, dont sa sœur, seront en revanche en lice. Lui se trouve toujours en résidence surveillée, non plus à l’école de police de Nouakchott, mais dans un appartement de la capitale, situé dans le quartier Soukouk. Les récentes déclarations de témoins à la barre de la Cour criminelle, concernant de supposées grosses sommes d’argent qu’il leur avait confiées ou des biens publics qu’il aurait bradés, ont sérieusement écorné son image dans l’opinion, alors qu’il connaissait un regain de popularité. Était-ce une stratégie du pouvoir d’organiser les élections au moment du procès ? En tout cas, la première intervention d’Aziz devant les juges, le 3 mai, a eu peu d’écho dans le pays.