Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

L'absence de Premier ministre inquiète et agace l'opposition ivoirienne

Le chef de l'État ivoirien Alassane Ouattara lors d'un conseil de sécurité national consacré au coronavirus, le 16 mars 2020.
Le chef de l'État ivoirien Alassane Ouattara lors d'un conseil de sécurité national consacré au coronavirus, le 16 mars 2020. SIA KAMBOU / AFP
Texte par : RFI
2 mn

Des voix dans l’opposition ivoirienne s’inquiètent d’un « vide institutionnel » alors que quatre postes au sommet de l’État sont inoccupés ou connaissent des situations particulières. Le pays ne compte plus de vice-président, tandis que les présidents du Sénat et de l’Assemblée sont tout deux à l’étranger depuis plusieurs jours. Mais ce qui inquiète particulièrement l’opposition, c’est l’absence depuis deux semaines de Premier ministre à la tête du gouvernement, ce que conteste le pouvoir.

Avec notre correspondant à Abidjan, François Hume-Ferkatadji

Les événements malheureux se succèdent pour Alassane Ouatarra. En une semaine, le président ivoirien a assisté aux funérailles de deux Premier ministre de Côte d’Ivoire. Son ami fidèle, chef du gouvernement en exercice, Amadon Gon Coulibaly. Et Seydou Elimane Diarra, Premier ministre inhumé le 24 juillet avec les honneurs de la République. Cette fonction de Premier ministre est aussi désormais au coeur d’une polémique politique. Le poste est inoccupé depuis plus de deux semaines et l’opposition tape désormais du poing sur la table.

« Le vrai vide institutionnel, c’est la primature, il y a un problème », assène Maurice Guikahué, secrétaire exécutif du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), qui demande une démission de l’ensemble du gouvernement et la nomination rapide d’un nouveau Premier ministre. « Il n’y a pas de vide ni de rupture, Hamed Bakayoko est le Premier ministre par intérim. Quant au vice-président, il n’a pas de prérogatives propres », répond Mamadou Touré, porte-parole du gouvernement, indiquant qu’une nouvelle nomination n’est pas urgente.

La longue attente qui précède une nouvelle nomination pose toutefois question et ne finit plus de surprendre. Un observateur se demande si les tensions internes au sein du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix), autour du choix nouveau candidat à la présidentielle, ne sont pas à l’origine de cette situation. Un sentiment de vacance amplifié par l’absence des présidents du Sénat, actuellement en Allemagne, et du président de l’Assemblée, actuellement en France, qui donne l'impression que le président ivoirien est isolé au sommet de l’État.

► (Ré)écouter : J-L Billon (PDCI): « Le retour du président Ouattara montre que le RHDP est à bout de souffle »

Avenir du Hirak en Algérie : conservateurs et progressistes se déchirent

| Par - à Alger
Lors d'une manifestation commémorant le premier anniversaire du Hirak, le 21 février 2020 à Alger.

Lors d'une manifestation commémorant le premier anniversaire du Hirak, le 21 février 2020 à Alger. © Toufik Doudou/AP/SIPA


Entre conservateurs et progressistes engagés dans le Hirak, les critiques virulentes, principalement échangées sur Facebook en raison de la pandémie de Covid-19, font écho à la polarisation du débat idéologique en Algérie dans les années 1990.

Les manifestations populaires du Hirak en Algérie se sont arrêtées à la mi-mars en raison de la pandémie de Covid-19 et du risque de propagation du virus. Cette pause, qui dure toujours, a été l’occasion pour les activistes confinés de débattre de l’avenir du mouvement. Les conversations, principalement sur Facebook, sont dominées par un débat entre conservateurs et progressistes, sur des lignes de fractures héritées de la décennie noire.

Le mouvement Rachad, fondé en 2007 par, entre autres, d’anciens militants du Front islamique du salut (FIS) – l’un des protagonistes de la guerre civile des années 1990 – est au centre de la polémique. De nombreux démocrates accusent les cadres du mouvement, établis à l’étranger, de vouloir détourner le Hirak et de jouer le jeu démocratique uniquement en vue de mettre sur pied un « califat islamique » en Algérie. Rachad, qui compte dans le pays de nombreux sympathisants engagés, se défend de l’accusation, affirmant que leur objectif est d’établir un « État civil » respectueux des règles démocratiques.

La ligne radicale de Rachad

« Rachad ne croit ni au califat ni à la dictature, qu’elle soit militaire ou théocratique. C’est écrit noir sur blanc dans les statuts du mouvement », affirme ainsi Yahia Mekhiouba, membre du conseil national de Rachad, au cours d’un débat sur Facebook.

Par ailleurs, les critiques reprochent au mouvement l’absence de remise en question de la responsabilité du FIS lors de la décennie noire et de sa ligne radicale hostile à toute forme de liberté. Rachad, qui accuse souvent ses détracteurs d’être à la solde de la « police politique » et du pouvoir, estime quant à lui que la responsabilité incombe essentiellement à l’armée algérienne, qui, en arrêtant le processus électoral en 1992 après la victoire du FIS au premier tour, aurait ouvert la voie à la violence.

Ce clivage a longtemps été mis sous le boisseau pendant le Hirak, les manifestations massives et pacifiques donnant l’impression d’une cohésion entre citoyens de différentes tendances politiques, portés par l’unique objectif du changement démocratique. Mais sous ce vernis consensuel, la polarisation était bien palpable par moments.

Comme après le décès du numéro un du FIS, Abassi Madani, le 24 avril 2019, en plein Hirak, et son enterrement dans la capitale, auquel ont assisté des milliers de personnes. Ses détracteurs, qui le tiennent pour responsable du terrorisme des années 1990, s’en sont scandalisés. L’anniversaire de l’assassinat d’Abdelkader Hachani – figure proéminente du FIS décédée le 22 novembre 1999 –, célébré avec ses portraits brandis lors des manifestations, a eu le même effet.

Altercations entre conservateurs et féministes

Le 17 janvier 2020, à Alger.

Le 17 janvier 2020, à Alger. © Toufik Doudou/AP/SIPA

Les occasionnelles altercations pendant les manifestations entre des conservateurs et le carré des féministes à Alger illustraient aussi ces divergences idéologiques, évacuées ou minimisées à l’époque au nom de « l’unité du Hirak », beaucoup estimant que les différences devaient être discutées après le changement démocratique souhaité et que les évoquer avant faisait « le jeu du pouvoir ».

Mais, en l’absence de ces rendez-vous hebdomadaires dans la rue en raison de la pandémie, la polémique a enflé. Saïd Sadi, ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), a critiqué dans un texte publié en juin dernier sur sa page Facebook « le courant fondamentaliste, représenté par Rachad, […] qui consiste à assimiler les principes universels à une “perversité occidentale” ». « Cette mouvance n’hésitera pas à anéantir tous les espoirs d’un changement démocratique en Algérie », a ainsi martelé Saïd Sadi.

En réponse, le porte-parole du mouvement Rachad, le sulfureux Mohamed Larbi Zitout, a qualifié l’ancien président du RCD de « pion » aux mains du pouvoir. « Vous faites partie du passé sanguinaire, de ceux qui ont salué l’arrêt du processus électoral », a-t-il lancé dans une vidéo en direct sur sa page Facebook. Il a aussi rappelé, pour illustrer son propos, que Khalida Toumi et Amara Benyounès, cadres du RCD durant les années 1990, avaient fini par devenir des ministres d’Abdelaziz Bouteflika.

Verrouillage de l’espace médiatique

Lors d'une manifestation à Alger, leLors d'une manifestation à Alger, le 3 janvier 2020. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

La virulence des échanges, due en partie au verrouillage de l’espace médiatique et surtout audiovisuel autour du Hirak, est inhérente à tout mouvement du genre. Selon Nouri Dris, chercheur et enseignant en sociologie à l’université Sétif 2, « la société algérienne est certes en cours de sécularisation et le poids de l’islamisme n’est plus ce qu’il était il y a quinze ou vingt ans, mais l’institutionnalisation du jeu politique reste faible vu le refus du pouvoir de se soumettre aux règles inscrites dans la Constitution. Cette situation exacerbe les débats entre les différents protagonistes et rend les échanges tendus et aigus ».

Pour lui, même si le cadre institutionnel actuel ne permet pas l’émergence d’un débat politique plus constructif, ce dernier doit avoir lieu, car il fait partie du processus de changement qui « doit prendre tout son temps jusqu’à l’épuisement des clivages ou leur résolution ». Pour autant, « la démocratie, historiquement, n’a pas été le résultat d’un conflit idéologique mais d’un compromis politico-juridique entre la classe ouvrière et la bourgeoisie », avance le chercheur. Or, la nature de l’économie algérienne, rentière, impliquerait selon lui que les différentes forces économiques ne se sont pas encore affirmées, et donne au débat politique une tournure idéologique.

À l’avenir, un recul du poids de la rente des hydrocarbures dans l’économie pourrait faire évoluer les enjeux. « Il sera question de l’amélioration des conditions de l’investissement pour le capital, et des conditions de travail pour les forces ouvrières. À ce moment-là, la société connaîtra de nouvelles divisions, plus apaisées, qui pourront être résolues sans que cela ne pose de menace existentielle pour une tendance ou l’autre », estime Nouri Dris.

[Tribune] Les bonnes (et les mauvaises) surprises de la crise du Covid-19 en Afrique

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Par  Romain Py

Responsable des investissements chez African Infrastructure Investment Managers

(@romainpy)

Aménagement autoroutier autour du pont de Radès sur la voie Tunis la Goulette

Aménagement autoroutier autour du pont de Radès sur la voie Tunis la Goulette © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Alors que la crise sanitaire a accentué nombre de difficultés économiques sur le continent, certains secteurs tels le numérique et l’énergie pourraient constituer une réponse positive à la situation.

L’image de la mer qui se retire n’est pas seulement une métaphore poétique, c’est aussi une parabole utilisée par les économistes pour évoquer l’immense découvert, au propre comme au figuré, provoqué par une crise. Le milliardaire américain Warren Buffett proférait ainsi : « C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus » pour mettre en garde les preneurs de risques excessifs, les tacticiens de l’instant, balayés par un retournement de conjoncture.

Pour l’Afrique, la crise du Covid-19 vient accroître des difficultés déjà importantes : une dette excédant 50 % du PIB et des budgets subissant les conséquences du défi sécuritaire et du changement climatique. À cela s’ajoute désormais une chute brutale des recettes budgétaires face à des dépenses accrues pour lutter contre la pandémie et la crise socio-économique qui en résulte.

Les mesures adoptées pour les États africains se résument principalement à des allègements de dette ou à des moratoires sur le service de la dette publique bilatérale. En dehors d’une marge de manœuvre budgétaire immédiate, ces mesures n’apportent pas de solutions structurelles aux difficultés des États, et présentent des inconvénients importants. Selon le ministre béninois de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni, « un allègement de la dette ou un moratoire ternira davantage l’image des États, notamment la perception de leur qualité de crédit, et compromettra leur accès aux financements futurs ».

Éléphants blancs et infrastructures mal dimensionnées

Les institutions multilatérales et les banques de développement devraient au contraire mettre à profit leur qualité de crédit (et leur accès aux financements à taux presque nul) pour relancer des économies africaines via des financements concessionnels. Grâce à cette liquidité nouvelle, les gouvernements africains pourraient se concentrer sur la protection des populations les plus fragiles, soutenir leur secteur privé et limiter l’impact économique de la crise. Mais, en retour, ils devront rendre des comptes, faire preuve de plus de transparence, publier des prévisions fiables, mettre en place des réformes fiscales et économiques.

il existe peu de projets d’infrastructure prêts à démarrer comme les partenariats public-privé des réseaux routiers d’Accra-Tema au Ghana et de Nairobi-Nakuru au Kenya

La mer, en se retirant, a aussi révélé quelques récifs, éléphants blancs ou infrastructures mal dimensionnées, qui vont laisser un goût amer aux populations. Cette mauvaise gestion des ressources budgétaires s’est notamment traduite par un sous-investissement dans le système de santé – en moyenne près de 5 % du PIB en Afrique subsaharienne, soit moitié moins que la moyenne mondiale.

Malgré les réformes et la préparation de certains pays (planification à long terme, cadre réglementaire accueillant pour les investisseurs, administrations motivées et compétentes), il existe peu de projets d’infrastructure prêts à démarrer comme les partenariats public-privé des réseaux routiers d’Accra-Tema au Ghana et de Nairobi-Nakuru au Kenya. L’improvisation (souvent des vieux projets ressortis des tiroirs et inadaptés aux réalités d’aujourd’hui) reste un réflexe généralisé.

Les fonds d’infrastructure tirent parti de la crise

La pandémie a aussi agi comme une sonnette d’alarme pour trouver de meilleurs moyens de financer le déficit d’infrastructures du continent. Les fonds d’infrastructure, qui ont une philosophie d’investissement à long terme, en ressortent comme les grands gagnants. Leur discipline d’analyse et la nécessité de penser et de planifier à l’avance leur ont permis de structurer des investissements résilients, qui ont joué un rôle clé durant cette période difficile.

Le domaine de l’énergie distribuée et des systèmes solaires domestiques notamment ont tiré parti de technologies telles que les paiements mobiles

Pour les actifs de transport en particulier, les structures de « financement de projets » ont prévu une liquidité adéquate (environ six mois en moyenne). Parmi les décombres, il arrive aussi que la mer dévoile des perles comme le secteur numérique, qui se porte bien avec un certain nombre de transactions en cours dans la fibre optique et les datacenters. Mais le retrait de la mer a surtout révélé un certain nombre d’industries en souffrance, notamment les pétrolières, les services et la grande distribution.

Un autre trésor déterré par la pandémie, celui du secteur de la transition énergétique. Le domaine de l’énergie distribuée et des systèmes solaires domestiques notamment ont tiré parti de technologies telles que les paiements mobiles et la baisse des coûts des batteries.

Par exemple, AIIM a investi avec BBOXX dans une plateforme, qui fournit des systèmes solaires domestiques pour les personnes vivant en zones rurales ou périurbaines et qui ne sont pas connectées au réseau électrique au Kenya, au Rwanda et en RDC. L’énergie produite est beaucoup moins chère que le coût de raccordement au réseau et répond parfaitement aux exigences des consommateurs en termes de puissance. Les volumes ont fortement augmenté dernièrement car chacun souhaite s’assurer d’obtenir assez d’énergie pour alimenter téléviseurs, téléphones, radios et réfrigérateurs et pour garder leurs maisons éclairées.

C’est dans le secteur de l’énergie que l’Afrique montre ses capacités à sauter le pas et à procurer une énergie fiable, bon marché et propre à plus de 600 millions de personnes qui n’ont toujours pas accès à l’électricité.

Mali : jusqu’où ira Mahmoud Dicko, l’imam qui fait trembler Koulouba ?

| Par et

Le religieux malien Mahmoud Dicko sur la place de l’Indépendance  à Bamako, le 5 juin.

Devenu leader d’une opposition hétéroclite, l’imam malien a montré qu’il pouvait mobiliser la rue contre le pouvoir. Reste à savoir ce qu’il compte faire de cette influence.

Les bras croisés, l’air grave, la barbe grisonnante, l’imam Mahmoud Dicko dirige la prière funéraire dans sa mosquée du quartier de Badalabougou, à Bamako. Quatre corps sont étendus devant lui en ce 12 juillet, quatre des onze victimes décédées lors des violences qui ont endeuillé les manifestations hostiles au président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) organisées deux jours plus tôt. Des fidèles, venus en nombre, portent les dépouilles jusqu’au cimetière tandis que des manifestants assurent la sécurité du cortège. Un calme relatif s’installe, le temps de dire adieu à ceux qui, il y a encore quelques jours, défilaient à leurs côtés, criant leur ras-le-bol du régime.

Le chef religieux s’attendait-il à ce que les événements prennent une tournure aussi dramatique ? Des mois durant, il avait assuré à ses interlocuteurs qu’il voulait à tout prix éviter un scénario à la burkinabè, au cours duquel des manifestants perdraient la vie et qui contraindrait le président à fuir le pays. Il l’avait répété aussi bien publiquement, lors d’interviews et de discours, qu’en privé, à ses fidèles et aux personnalités africaines venues le rencontrer. Mais le 10 juillet, troisième vendredi de contestation, Bamako a paru sombrer dans le chaos et le sang a coulé.

Autorité morale

Quel rôle joue précisément Mahmoud Dicko et jusqu’où peut-il aller ? Il est le visage le plus médiatique de la contestation, dont les membres se placent sous son autorité morale. L’ancien président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM) a en tout cas réussi à fédérer autour de lui un mouvement hétéroclite, où se côtoient marxistes et libéraux, socialistes bon teint et religieux. Ensemble, ils ont formé le Mouvement du 5 Juin–Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), tous unis par une même colère contre le président malien, dont ils réclament le départ. Et en l’absence du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, enlevé le 25 mars dans la région de Tombouctou, c’est Mahmoud Dicko qui mène la danse au sein de cette coalition de circonstance. Ses meetings rassemblent des milliers de personnes et ses diatribes font trembler le palais de Koulouba.

Ses diatribes violentes font trembler le palais de Koulouba

« Il y a une confédération des inimitiés contre le régime, résume l’ancien Premier ministre Moussa Mara. Celles des enseignants, qui étaient en grève depuis six mois, et celles de tous ceux qui se sont sentis floués lors des législatives d’avril. » Le 11 juillet, dans sa quatrième adresse à la nation depuis le début de la crise, IBK a pourtant annoncé des mesures allant dans le sens des revendications des manifestants. « J’ai décidé d’abroger le décret de nomination des membres restants de la Cour constitutionnelle et d’aller vers la mise en œuvre des recommandations issues de la mission de la Cedeao », a-t-il déclaré. Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Partie de Bamako le 19 juillet, une deuxième délégation de l’instance ouest-africaine conduite par le Nigérian Goodluck Jonathan laisse derrière elle un pays toujours en crise. La désobéissance civile bat son plein et les positions des deux clans semblent irréconciliables.

Tous les regards sont désormais tournés vers Mahmoud Dicko, dont la popularité n’a fait qu’augmenter ces derniers mois. L’imam est loin d’être un nouveau venu sur la scène malienne. « S’il est aussi écouté, c’est précisément parce que cela fait des décennies qu’il est constant dans ses actes et ses discours », affirme Bréma Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako.

Son histoire débute à plusieurs centaines de kilomètres de là, à Tonka, dans la région de Tombouctou, où il naît au sein de la communauté peule vers 1954. Le jeune Dicko étudie le Coran à Douentza, près de Mopti, puis en Mauritanie. Dans les années 1970 et 1980, le Mali subit deux vagues de sécheresse et l’Arabie saoudite, entre autres, vient en aide aux populations vulnérables. « Ces nouveaux acteurs ont fini par remplacer l’État dans ses fonctions régaliennes : donner accès à la santé, à l’eau et à l’électricité, poursuit Bréma Ely Dicko. Car là où il y a une mosquée, il y a en général une médersa, un forage et, bien souvent, un centre de santé. Tout cela est allé de pair avec une mutation vers le wahhabisme. Des jeunes ont obtenu des bourses pour aller se former au Yémen, au Qatar ou en Arabie saoudite. Ils en ont rapporté une idéologie différente de l’islam malékite pratiqué au Mali. »

Populaire à Tombouctou

Mahmoud Dicko est de ceux-là. Après la Mauritanie, c’est à Médine, en Arabie saoudite, qu’il part étudier. De retour au Mali, il passe un concours de la Fonction publique et devient professeur d’arabe… et de sport, dans un collège de Tombouctou. Déjà, Dicko passe pour un intellectuel, mais il appartient à cette petite élite marginalisée – et donc frustrée – parce qu’elle n’a pas été formée en français. « Il se contentait d’enseigner, raconte un notable de la ville aux 333 saints. Il sait très bien que les religieux de Tombouctou éprouvent de l’aversion pour le wahhabisme. » « Il était très discret, loin de l’homme qu’il est devenu », ajoute une personne qui l’a côtoyé.

Mahmoud Dicko n’est pas resté longtemps à Tombouctou mais, des années plus tard, il y compte toujours de bonnes relations. Et il y jouit aujourd’hui encore d’une certaine popularité, notamment auprès des jeunes qui militent au sein d’associations islamiques. Ce qui n’est pas anodin puisque ces derniers organisent des rassemblements à Tombouctou dès qu’il y a des manifestations à Bamako.

Au début des années 1980, il s’installe dans la capitale. Lui qui a « toujours aimé prêcher » devient l’imam d’une mosquée de Badalabougou. Il y dispose d’un logement de fonction, où il s’installe avec sa première épouse. C’est là que Dicko devient Dicko.

Cultivé, polyglotte et éloquent

Cultivé, polyglotte et éloquent, il commence à militer dans diverses associations et se fait remarquer. Il ne tarde pas à rejoindre la Ligue des imams du Mali et devient, en 1987, l’une des figures de l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (Amupi), une instance de concertation créée sous la présidence de Moussa Traoré.

En 2008, il s’est suffisamment distingué pour être élu à la tête du HCIM, créé par Alpha Oumar Konaré quelques années plus tôt afin de représenter les intérêts des musulmans auprès des pouvoirs publics. « Lorsqu’il entre en fonctions, il est déjà connu pour son franc-parler et sa dénonciation des inégalités, affirme Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Bamako. Le HCIM est bien implanté à travers le pays et fédère de nombreuses organisations islamiques. C’est donc une vitrine importante. Mais le tournant a vraiment été pris en 2009, lorsqu’il s’est opposé à la réforme du code de la famille. »

À l’époque, Mahmoud Dicko se pose en « garant des valeurs sociétales et morales du Mali ». Un argument qu’il utilisera à plusieurs reprises, comme en décembre 2018 pour empêcher la publication d’un manuel scolaire sur l’éducation sexuelle qui abordait la question de l’homosexualité.

« Il est parvenu à rallier à lui une partie de l’intelligentsia, les organisations de la société civile, les acteurs économiques… On en vient même à oublier les thèses radicales qu’il a défendues. Pourtant, il n’a pas changé ! Il fait seulement preuve de pragmatisme, tout en manipulant les symboles religieux en même temps qu’il laïcise son discours » , commente un chercheur du Timbuktu Institute.

Lors du coup d’État de 2012, Dicko joue les médiateurs entre la junte, les partis et les organisations de la société civile pour mettre en place une transition. Ce faisant, il acquiert le statut d’acteur dont la voix compte. L’imam revendique d’ailleurs son droit à participer au débat public : « Je ne suis pas un politique, insiste-t-il. Mais je suis un leader et j’ai des opinions. »

Un leader certes, mais prudent. « Il est doté d’un vrai sens politique. Il refuse l’étiquette de wahhabiste parce qu’il sait qu’elle est synonyme de violence dans l’esprit des Occidentaux, analyse Bréma Ely Dicko. Il sait aussi que cette mouvance est minoritaire au Mali et il n’a jamais demandé l’application de la charia. Ses prêches sont engagés mais n’incitent pas pour autant à la haine religieuse. Il a conscience que les Maliens ne sont pas prêts à vivre dans une République islamique. »

Un discours anti-impérialiste qui séduit

Quand on lui reproche de vouloir islamiser la contestation, Dicko se défend : « Notre combat n’est ni idéologique, ni religieux, ni ethnique. C’est une union des fils de la patrie pour la restauration du Mali. » « Il sait bien que nous ne sommes pas ses talibés [“disciples”], ironise Sy Kadiatou Sow, l’une des figures du M5. Les Maliens ne renonceront pas à la laïcité. » « On a essayé de nous dénigrer en disant que l’on s’était alliés avec un wahhabiste rigoriste. Mais en RD Congo, la contestation était dirigée par l’Église catholique et cela n’a ému personne », fait remarquer Choguel Maïga, le leader du Front de sauvegarde de la démocratie.

Sur fond de défiance à l’égard des partis traditionnels et des forces armées étrangères présentes au Sahel, le discours anti-impérialiste de l’imam Dicko séduit de plus en plus de jeunes. « Nous sommes dans un carcan où c’est la communauté internationale qui vient voir si nos élections se sont bien passées. Il est temps que nos dirigeants s’assument, s’emportait-il dans les colonnes de JA en mars 2019. Ce système de démocratie représentative qu’on nous impose ne fonctionne pas chez nous. Les peuples africains doivent se dire qu’il serait temps d’essayer autre chose. La démocratie est universelle, mais chaque pays et chaque peuple ayant sa spécificité, elle doit s’appuyer sur nos valeurs sociétales et religieuses. »

Il faut se souvenir que Dicko a salué l’attentat du Radisson Blu

« Il a un langage ouvert dans ses interviews, tempère Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali. Mais, dans les mosquées, il tient un discours anti-occidental et anti-démocratique. Souvenons-nous que Dicko a salué l’attentat du Radisson Blu, dans lequel il voyait une punition divine. »

La France s’inquiète-t-elle de sa montée en puissance ? Un diplomate décrit « un homme très opportuniste, qui a su se présenter comme un point d’équilibre entre le pouvoir et les opposants les plus radicaux et qui sortira renforcé de la crise actuelle ».

« Il va parvenir à faire entrer certains de ses proches au gouvernement, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent », poursuit une source bien informée, qui voit à travers lui « l’incursion des islamistes dans le champ politique malien ». Si Paris suit les sorties de Dicko avec attention, c’est parce qu’« après le mot d’ordre “IBK dégage”, le prochain slogan pourrait bien être “France dégage”, et que cela ne s’arrêtera pas au Mali », indique un chercheur à Bamako.

Bien que Dicko se pose en opposant numéro un au chef de l’État, les deux hommes ont longtemps entretenu de bonnes relations. Le religieux avait soutenu la candidature d’IBK en 2002 et en 2013. Mais, à partir de 2016, des dissensions apparaissent. Aux côtés du chérif Bouyé Haïdara, autre chef religieux très influent dont il se revendique, Dicko devient critique à l’égard de la gestion d’IBK. « Peu à peu, il a pris ses distances avec le chef de l’État, qu’il avait pourtant activement contribué à faire élire », rappelle le chercheur Ibrahim Maïga.

En 2018, le fossé se creuse encore

En 2018, le fossé se creuse encore quand Soumeylou Boubèye Maïga arrive à la tête du gouvernement. Estimant les résultats obtenus insuffisants et opposé à tout dialogue avec les jihadistes, le Premier ministre prive de ses moyens la commission que Dicko dirige pour mener le dialogue avec  Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa. « Dicko a vécu cette séquence politique comme une marginalisation », affirme Ibrahim Maïga. « Il fait partie de ceux qui ont reproché à Boubèye Maïga d’avoir utilisé la milice Dan Na Ambassagou pour lutter contre le jihadisme dans le Centre, ajoute un observateur de la politique malienne. Cela a installé une spirale de violences intercommunautaires. »

Même si Mahmoud Dicko dit ne pas se considérer comme un acteur politique à proprement parler, difficile de ne pas déceler dans les manifestations de ces dernières semaines une intention profondément politique. De fait, il est devenu indispensable. Certains chefs d’État, inquiets de la situation à Bamako, l’appellent même directement. Il tient la rue et exerce son influence sur un mouvement qui, sans lui, ne serait pas parvenu à mobiliser autant. Il jure qu’il n’a pas l’intention de briguer de mandat électif. Mais il est d’autres manières d’exercer le pouvoir et l’on peut être puissant sans occuper un fauteuil de président. Sans doute Mahmoud Dicko s’accommoderait-il aisément d’une stature de guide spirituel. Au-dessus de la mêlée, mais incontournable.


Dicko, trait d’union avec les jihadistes

C’est pour lui un atout, et non des moindres : Mahmoud Dicko est l’interlocuteur le plus susceptible d’être écouté par les groupes jihadistes. À Bamako, il plaide depuis longtemps en faveur d’un dialogue avec les deux principaux chefs du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) : les Maliens Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa, qu’il considère comme des « fils du pays ».

[Tribune] Profitons de la pandémie pour repenser notre développement

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Par  Sylvain Félix Semilinko

Ancien directeur de BBC Afrique, consultant

(@sf.semilinko)

Campagne d'affichage pour le respect de la distanciation sociale, à Nairobi, au Kenya, le 15 juillet 2020.

En Afrique, l’hôpital n’est pas une priorité pour nos gouvernements. Exigeons d’eux la mise en place d’un système de santé digne de ce nom.

Plusieurs mois durant, l’Afrique s’est targuée d’avoir déjoué les pronostics les plus pessimistes. D’un bout à l’autre du continent, l’on se réjouissait que le coronavirus n’y ait pas fait les ravages attendus. « C’est parce que Dieu aime l’Afrique ! » entendait-on ici et là.

L’on savait néanmoins qu’il ne fallait pas crier victoire trop vite, que rien n’était encore gagné, que le tsunami annoncé n’avait certes pas eu lieu, mais que la pandémie progressait.

Les chiffres rendus publics au début de juillet par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le confirment : en moins de cinq mois, le Covid-19 a fait près de 15 000 victimes (un bilan désormais plus lourd que celui causé par Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016), et plus de 600 000 cas ont été répertoriés.

Ne pas baisser la garde

Bien sûr, certains pays sont plus touchés que d’autres : l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana ou encore l’Algérie, qui totalisent 42 % des cas de Covid-19 sur le continent.

Mais alors que plusieurs pays ont déjà annoncé un allègement des mesures de confinement, il est impératif de ne pas baisser la garde si l’on veut éviter que le continent ne devienne un nouvel épicentre de la pandémie : beaucoup de nos pays ne pourront pas faire face.

Car malgré les slogans enthousiastes, malgré la multitude de schémas de développement qui nous sont proposés depuis des décennies, l’Afrique patine. Elle aime revendiquer haut et fort sa souveraineté, surtout quand la communauté internationale met le doigt – de manière aléatoire et souvent hypocrite – sur les égarements et les turpitudes de ses dirigeants.

Mais les progrès sont décevants, et nos systèmes de santé pas en mesure de faire face à un déferlement de cas de Covid-19.

J’en veux pour preuve le fait qu’en pleine crise sanitaire, et alors que l’Europe s’épuisait à contenir le virus et le nombre de victimes, c’est quand-même là-bas que des personnalités africaines de premier plan ont choisi d’aller se faire soigner – à commencer par le Premier ministre ivoirien, Amadou Gon Coulibaly, qui a finalement succombé à des problèmes cardiaques le 8 juillet à Abidjan.

C’est aussi là-bas que sont décédés, en pleine épidémie, les anciens Premiers ministres togolais Edem Kodjo (après neuf mois d’hospitalisation) et Apollinaire Yaovi Agboyibor.

Saluons leur mémoire, mais osons poser la question : devons-nous constater et accepter, avec fatalisme, que nous n’avons tout simplement pas les infrastructures sanitaires suffisantes pour prendre en charge les pathologies les plus sérieuses ?

Ballet des évacuations sanitaires

Pouvons-nous continuer de nous cacher derrière le fait que nous ne sommes indépendants « que » depuis soixante ans pour justifier l’absence de plateaux techniques et l’insuffisance du nombre de places en réanimation, et pour expliquer que nos services d’urgence ressemblent à des mouroirs ?

Alors oui, nos moyens sont limités, nous avons des lacunes en matière de formation et de recherche, et nous sommes quasiment absents des grands raouts scientifiques internationaux. Mais devons-nous nous satisfaire de la manière dont nos dirigeants utilisent les maigres ressources dont nous disposons ? La réponse est non.

Beaucoup d’entre eux préfèrent observer le ballet des évacuations sanitaires vers l’Europe, l’Afrique du Sud ou le Maghreb, les laisser devenir un business à part entière, plutôt que de réfléchir aux modalités de mise en place d’infrastructures hospitalières durables.

Dans nos pays, l’hôpital, celui qui soigne et qui guérit, n’est pas une priorité.

Ils préfèrent louer – et parfois acheter – des aéronefs à prix d’or, se faire construire des palaces surdimensionnés à la maintenance coûteuse, plutôt que d’investir dans la santé. Et ils ne roulent pas en Citroën ou en Peugeot, comme certaines présidents français.

Palaces surdimensionnés et grosses cylindrées

Ce qu’ils aiment, ce sont les grosses cylindrées de luxe, achetées plusieurs centaines de millions de francs CFA, pour rouler dans des pays où le smic n’atteint presque jamais les 100 euros par mois.

En résumé, dans nos pays, l’hôpital, celui qui soigne et qui guérit, celui qui dispose d’une technologie suffisante et d’un personnel correctement formé, est tout sauf une priorité. Alors arrêtons-nous un instant et profitons de cette pandémie pour repenser notre développement.

Ouvrons les yeux sur le fait que la communauté internationale et les fameux “PTF” (les partenaires techniques et financiers) sont les complices de la lente mise à mort du continent. Et cessons de nous accommoder de ces dirigeants qui aiment plus les gadgets et les flonflons qu’ils ne réfléchissent à la santé de leurs concitoyens. Exigeons d’eux de la décence et un sursaut de dignité.