Témoignages

 

Chimamanda Ngozi Adichie : « Il est temps que les Africains racontent eux-mêmes leurs histoires » 

Entretien 

Ses romans rencontrent un écho mondial, comme ses interventions sur le féminisme, la création ou les clichés sur l’Afrique… À 44 ans, la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie inspire des millions de lecteurs et d’internautes. Et fait bouger les lignes.

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  • Recueilli par Marianne Meunier, 
Chimamanda Ngozi Adichie : « Il est temps que les Africains racontent eux-mêmes leurs histoires »
 
L’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie.ÉDOUARD JACQUINET

La Croix L’Hebdo : Au Maryland, près de Washington, où vous vous trouvez en ce moment, et à Lagos, au Nigeria, vous vivez entre deux maisons. Ne vous sentez-vous pas écartelée entre deux mondes ?

Chimamanda Ngozi Adichie : Non, car j’ai besoin des deux, du Nigeria et des États-Unis. Le Nigeria, c’est le pays où j’ai grandi, celui qui m’a façonnée et qui imprègne toute ma sensibilité. J’aime bien dire que c’est là qu’est mon cœur. Quant aux États-Unis, ils m’ont ouvert des portes et je leur en suis très reconnaissante. Ils représentent aussi pour moi le temps de l’écriture. Quand je ne voyage pas pour mon travail, je mène ici une vie sociale plutôt calme. C’est une tranquillité que seul le village de mes ancêtres, Aba, sait m’offrir. J’y allais parfois quand mes parents étaient encore de ce monde… C’était si agréable.

Dans la culture ouest-africaine, les appartenances familiales impliquent souvent de multiples obligations. Ne rendent-elles pas l’isolement nécessaire à l’écriture plus difficile au Nigeria ?

C. N. A. : En effet, l’isolement est plus facile aux États-Unis. Comme je n’y ai pas grandi, mes proches ne sont pas concentrés en un seul endroit. J’ai des amis à New York, en Californie, à Atlanta… C’est le gage d’un calme que je ne trouve pas à Lagos, probablement en raison de la façon dont j’y ai conçu ma maison. Un peu comme une maison de famille où parents et amis vont et viennent. J’adore ça ! Au fond, j’aime le Nigeria et je me suis mise à aimer les États-Unis, mais je ne pourrais vivre en permanence ni dans un pays ni dans l’autre. J’ai besoin de les quitter régulièrement.

Pour mieux les aimer ?

C. N. A. : Oui. (Elle rit.) J’aurai deux maisons jusqu’à la fin de mes jours. J’ai presque honte d’avoir cette chance. C’est une bénédiction.

Vous dites que vous avez pris conscience que vous étiez noire en arrivant aux États-Unis, à l’âge de 19 ans. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

C. N. A. : J’ai grandi au Nigeria, où, la population étant presque exclusivement noire, nous ne nous envisageons pas comme tels. Certes, cela change un peu. Les États-Unis disposent d’une telle force qu’ils exportent leurs guerres culturelles dans le monde entier. Certaines Nigérianes de la nouvelle génération, connectées aux réseaux sociaux, se définissent donc comme « jeunes femmes noires », mais cela ne correspond à aucune catégorie identitaire réelle. Au Nigeria, trois critères comptent vraiment : l’ethnie, la religion et la classe. Autrement dit, votre région d’origine, si vous êtes chrétien ou musulman – une division fondamentale – et votre milieu social.

Ces trois lignes ont défini ma vie au Nigeria : j’étais une Igbo catholique d’une classe moyenne d’universitaires privilégiés. Mais quand, à 19 ans, je débarque aux États-Unis pour étudier à l’université, les autres se réfèrent soudain à moi comme à une personne noire. Ils m’assignent cette nouvelle identité sans que j’aie mon mot à dire car elle ne tient qu’à ma couleur de peau. Dans un premier temps, j’ai résisté, percevant les nombreux stéréotypes négatifs qui lui sont associés : les personnes noires ne sont pas censées être intelligentes, ni réussir… Puis j’ai fini par embrasser cette identité et, maintenant, je me définis comme noire quand je suis aux États-Unis.

Vous avez donc fini par « devenir noire ». Que s’est-il passé ?

C. N. A. : Je me suis mise à lire pour comprendre ce que le mot « race » signifiait vraiment, pour découvrir quel était son véritable contenu. En fait, je n’avais pas saisi… L’histoire des Noirs américains m’a littéralement ouvert les yeux.

Qu’avez-vous appris ?

C. N. A. : J’ai pris la mesure de la discrimination institutionnelle à l’encontre des Noirs américains. Quel choc ! C’est une réalité encore très récente. L’esclavage s’est poursuivi après son abolition, sous un autre nom. Quand les Noirs ont quitté le sud des États-Unis pour échapper à leurs conditions de vie insupportables, ils avaient l’espoir d’en trouver de meilleures au Nord. Mais une fois sur place, ils ont été confrontés à de multiples discriminations. Ils n’ont pu vivre que dans les quartiers les plus misérables, où ils ont formé malgré eux des ghettos pour des générations. Parce qu’ils étaient noirs, ils ne pouvaient ni voter, ni fréquenter les meilleures écoles, ni obtenir un prêt…

J’ai été ébahie d’apprendre que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats allemands, donc les ennemis, étaient mieux traités que les soldats afro-américains ! Ou encore que, dans les années 1970, des piscines publiques du Maryland étaient interdites aux Noirs ! À cette même époque, à Boston, il y a eu des émeutes contre leur intégration à l’école. Dans les années 1970 ! Pas dans le Sud, mais à Boston ! Tout cela m’a vraiment choquée, et permis de comprendre. Maintenant, je me reconnais totalement dans cette identité et me définis donc comme noire.

Par solidarité avec les souffrances et les luttes des Noirs américains ? Parce que les Africains partagent avec eux l’expérience de la discrimination en raison de la colonisation ?

C. N. A. : Oui. Mais je ne peux me dire noire américaine, car ce n’est pas mon histoire. Mes ancêtres n’ont pas connu cette barbarie qu’est l’esclavage.

L’étape suivante, dans votre évolution, a-t-elle été de considérer que seuls les auteurs noirs étaient légitimes pour écrire sur les sujets qui concernent des personnes noires ?

C. N. A. : Je suis fondamentalement opposée à l’idée de dicter à un écrivain ce qu’il doit écrire. C’est un principe. La littérature doit rester une matière libre et universelle. Mais à côté de cette conviction profonde, je crois aussi au contexte. Nous vivons dans un monde blanc. En Asie, en Amérique latine, en Afrique, être blanc est une aspiration. Les publicités montrent des personnes blanches, pas noires… C’est une question de pouvoir. Pour cette raison, un auteur blanc qui écrit sur des sujets concernant des personnes noires doit réaliser un travail de déconstruction très exigeant, nécessitant d’importants efforts. Parfois, ils sont bien faits, parfois non. Pour autant, en tant qu’Africaine, mon élan me pousse à dire qu’il est temps que les Africains racontent eux-mêmes leurs histoires. Avec la colonisation, des auteurs blancs les ont racontées pendant si longtemps…

Vous insistez sur la liberté, mais ne vous sentez-vous pas menacée par l’autocensure ? Après avoir été attaquée sur les réseaux sociaux pour avoir dit, dans une interview, qu’« une femme trans est une femme trans » (et donc pas une « vraie femme » selon certains), vous avez déploré « l’orthodoxie idéologique » (1) ambiante.

C. N. A. : Non, l’autocensure ne me guette pas car, quand j’écris de la fiction, je ne pense pas au lectorat. Et puis, il faut résister ! Sinon, ce serait catastrophique pour la littérature et l’art en général. Ils risquent de perdre leur vérité.

Comment avez-vous su que vous vouliez devenir écrivaine ?

C. N. A. : Je l’ai toujours su. J’ai toujours aimé lire, écrire, raconter des histoires. C’est ce que j’ai toujours voulu faire. Je crois que j’ai écrit ma première histoire à l’âge de 6 ans, en première année d’école élémentaire… Ma mère l’a gardée.

Quelle était, à l’époque, la couleur de peau de vos personnages ?

C. N. A. : Blanche, évidemment ! Cela a duré longtemps. Peut-être jusqu’à mes 12, 13 ans. (Elle rit.) Quand on y pense aujourd’hui, c’est étonnant. Mais à l’époque, c’était parfaitement normal, car dans toutes mes lectures les personnages étaient blancs ! Bien des enfants ont fait cette expérience dans d’autres régions du monde anciennement colonisées. Il n’y a pas longtemps, une Indienne est venue me voir et m’a dit : « Moi aussi, petite fille, quand j’écrivais, tous mes personnages étaient blancs. Et je ne lisais que des livres écrits par des Britanniques. J’étais toujours du côté des Blancs car les Indiens étaient des personnages négatifs. Vous ne trouvez pas ça étrange ? » On a plaisanté.

Depuis plus de dix ans, vous vous employez à déconstruire ces clichés. Notez-vous des progrès, sur l’Afrique notamment ?

C. N. A. : Oui, je crois qu’il y en a quelques-uns. Les journalistes, quand ils écrivent sur l’Afrique, évitent désormais les stéréotypes paresseux… Ils ne peuvent plus commencer leurs articles avec des phrases prétendument exotiques du genre : « Je descendais de l’avion au Nigeria quand un serpent s’est faufilé entre mes bagages. » (Elle rit.) Les réseaux sociaux y sont pour quelque chose. Les Africains y sont très connectés et très actifs. S’ils lisent un tel cliché, ils s’empressent de le faire remarquer. Les journalistes le savent.

Vous dites avoir besoin du Nigeria, mais, dans Notes sur le chagrin (2), vous confiez votre « désenchantement » à son sujet et lui reprochez, comme à une personne, de rendre « tout plus difficile que nécessaire ». N’est-ce pas contradictoire ?

C. N. A. : Non. Au Nigeria, nous avons un immense potentiel mais, pour de nombreuses raisons, nous ne le réalisons pas. J’en éprouve une profonde déception. Ce pays peut considérablement frustrer ceux qui l’aiment, dont moi ! Et oui, je pense vraiment qu’en général tout y est plus compliqué. Le Covid est un bon exemple. Certes, c’était un défi collectif, pour chaque être humain comme pour chaque État. Mais tout de même… La réaction du Nigeria a été tellement hasardeuse ! Le gouvernement était incapable de nous donner des informations cohérentes. Un jour, un officiel pouvait tweeter une information et, le lendemain, se contredire. Or, à l’époque, ma famille et moi traversions les pires moments de notre histoire. J’aurais donc aimé que, pour une fois, le gouvernement se montre moins négligent. (Elle marque un silence.) Mais il ne faut pas oublier qu’à l’origine de cette confusion il y a une énergie qui peut aussi se révéler très créative, une énergie d’entreprendre. Les Nigérians sont de véritables combattants. C’est ce que j’aime par-dessus tout chez eux.

Avant de rejoindre l’université aux États-Unis, vous avez étudié la médecine au Nigeria pendant un an tout en sachant déjà que vous vouliez écrire. Pourquoi avoir fait ce détour ?

C. N. A. : J’étais première de classe, et les premiers de classe doivent devenir médecins, ou ingénieurs pour les garçons. Ayant le sens des responsabilités, j’y suis allée.

Vos parents vous ont-ils forcée ?

C. N. A. : Non, pas du tout. Mais j’appartenais à cette catégorie d’enfants qui, quand ils sont les premiers à l’école, portent sur leurs épaules les attentes des adultes. Je disais que je voulais devenir médecin car je savais que c’était ce que l’on attendait de moi. Je savais aussi que je devais gagner ma vie… Mais au bout d’un an, j’ai su que je ne pouvais pas continuer.

L’une de vos sœurs est médecin. Cela ne vous a-t-il pas libérée de l’obligation de le devenir ?

C. N. A. : Si. J’avais d’ailleurs l’habitude de taquiner mes parents. Je leur disais qu’ils m’avaient laissée partir parce qu’ils avaient déjà une fille médecin. Ils pouvaient donc dire « mon enfant est médecin »(Elle rit.)

Vous traitez de ces sujets dans votre manuel d’éducation féministe (3), où vous donnez des conseils à une amie et jeune mère, Ijeawele. Depuis, vous êtes devenue mère d’une petite fille. Parvenez-vous à mettre ces conseils en pratique ?

C. N. A. : Certains… Mais il est plus facile de les énoncer en théorie que de les appliquer ! Notamment ceux qui concernent la culpabilité. En plus d’être mère, j’entends rester une personne à part entière. Je le suis, mais quand je voyage pour mon travail, je me sens parfois coupable. Je me demande si ce n’est pas une habitude occidentale. Ma mère – qui avait six enfants, un poste avec d’importantes responsabilités et des domestiques – ne se posait pas toutes ces questions. Cela ne l’a pas empêchée d’être une mère formidable.

Vous évoquez souvent votre enfance heureuse. Comment s’est-elle conjuguée avec la longue période de coups d’État et de dictatures dans laquelle le Nigeria est entré quand vous aviez 6 ans ?

C. N. A. : Wouah… Notre vie a changé dans de petits détails. Quand le contrôle des prix a été institué, sous Muhammadu Buhari, les employés de l’université ont commencé à recevoir des « produits de première nécessité ». Ma mère rentrait donc du travail avec des cartons de bouteilles de lait. C’était étrange pour moi car le lait ne s’achetait qu’au supermarché ! Avant, elle nous achetait parfois du très bon chocolat. Cela a été terminé. Tout comme le beurre importé. Nous nous sommes donc mis au beurre nigérian. D’ailleurs, nous le trouvions meilleur ! (Elle rit.) Mais nous n’avons jamais eu faim.

Et vous n’aviez pas peur ?

C. N. A. : Non, je ne me souviens pas d’avoir eu peur. C’était loin de moi… Mais les adultes faisaient très attention à ce qu’ils disaient devant nous. Ce qui ne pouvait nous empêcher, lorsque nous nous rendions au village de nos ancêtres, de voir des gens se faire fouetter par des militaires sur la route. Vous ne pouvez qu’être affectée quand vous grandissez dans ce contexte. Je ne craignais pas que des militaires débarquent à la maison pour nous faire du mal, mais je savais que cela se produisait chez d’autres.

Plus tard, sous Sani Abacha, j’étais devenue assez grande pour comprendre. C’était terrible. Encore une fois, je n’avais pas peur pour moi mais je ne pouvais supporter que mon pays soit dirigé par un gouvernement militaire assassin. L’exécution de Ken Saro-Wiwa m’a profondément secouée. Je m’en souviens très bien. J’étais dans un salon de coiffure, une femme est entrée et a crié : « Ils ont tué Ken, ils l’ont tué, ils l’ont tué ! » Beaucoup d’entre nous pensaient qu’Abacha ne le ferait pas exécuter car il était internationalement célèbre… Mais il l’a fait.

Ces expériences vous aident-elles aujourd’hui à mesurer le prix de la liberté et du confort matériel ?

C. N. A. : Je ne me suis jamais sentie privée de confort matériel. En revanche, grandir dans une dictature militaire m’a rendue viscéralement attachée à la démocratie. Je ne supporte pas, mais vraiment pas, les gouvernements oppressifs, les dictatures militaires, les États qui terrorisent les journalistes. Cela nourrit en moi une haine profonde. Viscérale.

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Ses dates

1977Naissance à Enugu, dans l’ancien Biafra. Son père, premier professeur de statistiques du pays, enseigne à l’université, dont sa mère est la première femme secrétaire générale.

1996. Part étudier aux États-Unis, à l’université du Connecticut.

2003.Parution de son premier roman, L’Hibiscus pourpre (Gallimard).

2013. Parution d’Americanah, parmi les dix meilleurs livres de l’année selon le New York Times.

2017. Devient membre de l’Académie américaine des arts et des sciences, qui salue son art d’« illuminer les complexités de l’expérience humaine ».

2020. Son père meurt soudainement alors qu’elle se trouve aux États-Unis. Elle raconte ce deuil à distance dans Notes sur le chagrin.

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Un péché mignon

Le chocolat

« Du noir, de l’extra-noir (elle montre ses tablettes), j’en ai toujours avec moi. J’en grignote quand j’écris. »

Une musique

« Je ne joue pas vraiment de musique. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est le silence. »

Un lieu

Lagos

« Au Nigeria, on a l’habitude de dire qu’on ne peut y faire qu’une chose par jour alors qu’on peut en faire trois à Abuja (la capitale administrative, NDLR). Il y a des embouteillages incroyables ! Lagos me frustre, mais je ne pourrais vivre nulle part ailleurs au Nigeria. »

(1) Dans un texte intitulé « It’s Obscene » (non traduit), publié sur chimamanda.com

(2) Gallimard, septembre 2021, 112 p., 9,90 €

(3) Chère Ijeawele, un manifeste pour une éducation féministe, Gallimard, 2017, 88 p., 8,50 €

Samba Bathily, le Malien dans l’ombre d’Alpha Condé  

« Itinéraire d’un self made-man » (1/2). Arrivé en Guinée à la fin des années 1990, l’homme d’affaires va nouer une relation quasi filiale avec l’ancien président guinéen. À la clé, de nombreux contrats qui vont en faire l’un des entrepreneurs les plus en vue en Afrique de l’Ouest. JA retrace son ascension de Bamako à Conakry.

Par  - envoyé spécial à Conakry
Mis à jour le 7 juin 2022 à 18:29
 

 

À 50 ans, le Malien Samba Bathily est un entrepreneur influent en Afrique de l’Ouest. © MONTAGE JA

 

Avec les colonels Mamadi Doumbouya et Assimi Goïta, les rapports de Samba Bathily sont encore frais. À Conakry, l’homme d’affaires malien a bien essayé, ces derniers mois, de nouer des liens avec le pouvoir militaire – il a même remis en main propre un mémo sur ses activités dans le pays au président de la transition –, mais l’époque où il était au palais de Sékhoutoureya comme chez lui est révolue. Sa situation n’est pas meilleure à Bamako, où il a aussi perdu son meilleur allié avec le départ forcé, en mai 2021, du président Bah N’Daw.

Qu’importe. À 50 ans, l’entrepreneur sait rebondir. « J’ai vingt-cinq ans d’expérience et j’ai vu quantité de présidents défiler. Quand on ne veut pas de moi, je passe à autre chose », nous confiait-il en octobre 2021, lors de notre première rencontre dans le hall du Marriott des Champs-Élysées.

C’EST UNE SORTE DE BERNARD TAPIE AFRICAIN. AUDACIEUX, CONTROVERSÉ, IL SAIT AUSSI ATTIRER LA SYMPATHIE

Pour l’heure, il concentre ses efforts sur le Sénégal, où il a rassemblé ses équipes, et poursuit avec une filiale du groupe indien Tata un projet de gestion du réseau de fibre optique du gouvernement, mais aussi sur la République démocratique du Congo (RDC), pour laquelle il fourmille d’idées : un métro avec Alstom ou des unités de production d’eau potable avec la société belge Sotrad. Avec la bénédiction du président Félix Tshisekedi. Les deux hommes se sont connus en Belgique trois ans et demi avant l’accession du fils d’Étienne au pouvoir. Une proximité confirmée par le conseiller du chef de l’État congolais, Jean-Claude Kabongo.

Dieu pour seul juge

« Bathio, c’est une sorte de Bernard Tapie africain, confie un ancien associé. Audacieux, controversé, mais il sait aussi attirer la sympathie. Oui, c’est un opportuniste, mais ce n’est pas un escroc », ajoute-t-il comme pour le dédouaner. À l’image du patron français, ses rapports avec la presse restent binaires. Elle est la bienvenue lorsqu’elle loue ses projets et immédiatement pourfendue lorsqu’elle se fait plus critique. « Seul Dieu peut me juger », s’emporte Bathily.

Fils d’un commerçant djogoramé originaire de la région de Kayes, qui deviendra parlementaire et qu’on surnommera « député aliment bétail » parce qu’il possédait un cheptel de 3 000 têtes, le jeune homme renonce aux études de droit entamées à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et se lance d’abord dans le tourisme au pays des Dogons. Puis, le natif de Badalabougou, la banlieue chic de la capitale malienne, part en Guinée. Il a alors à peine 25 ans.

Selon le mythe du self-made-man qu’il s’est forgé, Samba Bathily aurait trouvé lui-même le contrat qui va le lancer, aiguillé par un ami rencontré en boîte de nuit. La réalité est, comme souvent, plus nuancée. Sa chance, il la doit à Amadou Madani Tall, qui n’est pas encore le conseiller du président Amadou Toumani Touré (ATT) mais un jeune loup de Wall Street alors à la une de la presse internationale.

À la recherche de bonnes affaires, ce dernier démarche des sociétés américaines cotées à la petite Bourse du Nasdaq et prêtes à se lancer sur les marchés africains. C’est pour le compte de l’une d’entre elles qu’Amadou Madani Tall envoie le tout jeune « Bathio » développer la vente de médicaments génériques en Guinée. Sa maîtrise du français et de l’anglais, appris à Anvers dans le quartier des diamantaires, et son discernement sont ses meilleurs atouts. Sa boiterie, qui l’empêchait gamin de jouer au football avec les autres enfants du quartier, une source inextinguible de motivation.

LE VÉRITABLE POUVOIR, CE SONT LES RELATIONS. »

Les affaires sont bonnes. Une partie du tout-Conakry défile dans la villa de la cité de l’OUA qui sert de bureau et de lieu de réception. Déjà, Samba Bathily côtoie les élites politiques et leur progéniture, à commencer par le fils du président de Guinée, Moussa Conté, avec lequel il travaille.

Un diamant de 800 000 dollars

L’entrepreneur affirme avoir, à cette période, amassé son premier million de dollars. C’est sans doute exagéré, comme quand il raconte que son père a fait fortune au Zaïre dans les années 1960 en mettant la main sur un diamant de 800 000 dollars. Celui-ci a surtout profité de ses liens avec les putschistes qui ont renversé Modibo Keïta pour obtenir des marchés d’importation de produits alimentaires et décrocher, au début des années 1980, une licence pour vendre du carburant. Hamala Bathily ne cessera de le dire à son fils : « Le véritable pouvoir, ce sont les relations. »

Au début des années 2000, on retrouve Samba Bathily au Mali. Il a perdu de vue Amadou Madani Tall, qui a connu un revers de fortune. Mais son mentor l’a initié à l’achat de minutes de communication en gros aux États-Unis. Riche de cette expérience, il se lance dans les télécoms et accompagne le fournisseur d’accès internet Arc Sénégal dans son projet d’expansion à Bamako, puis il obtient lui-même une licence, revendue selon lui quelques années plus tard à Orange.

À CONAKRY, IL EST DÉJÀ BIEN INSTALLÉ. AVEC SES COUSINS, IL FORME UN CLAN UNI DONT IL EST LE PATRON

Le web malien est alors balbutiant. Grâce à son entregent, l’entrepreneur décroche ensuite, à la veille de la CAN 2002, la construction des infrastructures nécessaires à son développement. Il confirme alors son talent pour nouer des partenariats avec des acteurs internationaux de premier plan en se mariant avec le distributeur de produits de mise en réseau britannique Azlan et avec la firme américaine Cisco. Au départ, l’association ne convainc pas les décideurs maliens, et c’est finalement le président Alpha Oumar Konaré, que le père de Bathio connaît, qui valide le contrat.

Ses projets prospèrent gentiment – au Mali, en Angola – mais sans coup d’éclat, jusqu’à l’accession d’Alpha Condé à la présidence de la Guinée, en 2010. Celui-ci, extrêmement méfiant vis-à-vis des businessmen guinéens, s’attache à ce jeune plein d’allant. Les deux hommes se sont rencontrés dans un palace parisien quelques années auparavant, quand le futur chef de l’État n’était qu’un opposant en exil. À Conakry, Samba Bathily est déjà bien installé. Avec Ousmane et Ibrahim Yara, ses cousins, il forme un clan uni dont il est le patron.

Converti aux énergies renouvelables

Bathio va tout de suite se montrer un allié sans égal pour le président, capable de lui proposer des projets clé en main et, dans certains cas, de trouver des financements dans un pays où l’argent est rationné.

Installation de lampadaires solaires. Lieu indéterminé. © ADS Global Corp

 

Installation de lampadaires solaires. Lieu indéterminé. © ADS Global Corp

 

En 2012, l’entrepreneur converti aux énergies renouvelables intervient une première fois pour fournir 7 000 lampadaires solaires. Comme le Premier ministre Lansana Kouyaté avant lui, Alpha Condé veut éclairer à moindres frais la capitale alors que les élections législatives approchent. Deux ans plus tard, Samba Bathily s’entend avec le président guinéen pour installer cette fois 30 000 lampadaires solaires fournis par China Jiangsu International afin d’éclairer le pays. Alpha Condé veut en faire un projet phare. Le taux d’accès à l’électricité de la population est alors inférieur à 35 %, et cette réalisation sera l’un des axes de communication de sa future campagne en vue d’une -réélection pour un second mandat.

Dès le départ, de hauts fonctionnaires alertent pourtant le Palais sur ce programme mal ficelé, mais rien n’y fait. Il est exécuté en un temps record avant même d’avoir été intégré au budget de l’État. Sans doute l’un des pires investissements que la Guinée ait faits ces dix dernières années. Selon nos informations, le coût du projet, d’abord estimé à 80 millions de dollars, aurait atteint les 100 millions. Les paiements sont aujourd’hui difficiles à tracer car la majorité d’entre eux ont été faits sur instruction du Palais par la Banque centrale sous la forme d’opérations de trésorerie, dans l’attente d’une régularisation. « C’est de la prévarication », juge l’une de nos sources au sein de l’administration guinéenne, dénonçant « une surfacturation ».

À PÉKIN, IL ÉTAIT DAVANTAGE DANS LE LOBBY DE L’HÔTEL À TENIR DES CONCILIABULES QUE DANS LES RÉUNIONS OFFICIELLES

Quelques mois plus tard, la déconvenue est totale. Les batteries au plomb sont toutes à plat, et ne restent plus, dans les 33 préfectures et les 304 villages concernés, que des poteaux inertes. En toute connaissance de cause, Bathio a non seulement vendu un concept où aucune maintenance n’avait été prévue, mais il est aussi allé jusqu’à refuser le contrat que l’État lui proposait pour assurer le service après-vente, ne le trouvant pas assez rentable. Tout juste a-t-il consenti à changer une seule fois 3 800 batteries, gracieusement, quand chaque lampadaire en utilise deux pour fonctionner.

Interrogé par JA, il s’explique sobrement : « J’ai présenté un dispositif de gestion communautaire pour prendre en charge l’entretien, mais les autorités n’ont pas donné suite. » On est très loin de l’image de l’entrepreneur socialement responsable et au service de l’Afrique que Samba Bathily revendique.

Entre Guinéens et Chinois

Mais il conserve la confiance d’Alpha Condé. À Conakry, le businessman fait partie des fidèles du président, de ceux qui peuvent le déranger à tout moment. Un second fils pour le chef de l’État, qui entretient des relations compliquées avec le sien. Et quand Mohamed Alpha Condé est présenté par la presse comme un possible successeur alors qu’il accompagne son père en voyage officiel à Paris, Bathio va directement faire la morale au journaliste indélicat.

Devenu partenaire de Huawei, il est, à la même époque, à l’origine de la construction d’un réseau de 4 000 km de fibre optique financé par un prêt chinois. Un modèle qu’il a déjà éprouvé en Côte d’Ivoire, où il est alors proche de Hamed Bakayoko, l’ancien Premier ministre décédé en mars 2021.

Bathio est également impliqué dans les projets de barrage de Kaleta et de Souapiti, dont le coût total frôle les 2 milliards de dollars et que les Guinéens attendent depuis des décennies. S’il se présente comme la tête pensante de la structuration financière de ces ouvrages, trois sources interrogées n’ont aucun souvenir qu’il ait joué un rôle dans ce domaine. « À Pékin, il était davantage dans le lobby de l’hôtel à tenir des conciliabules que dans les réunions officielles », confie l’une d’elles.

 

Le barage de Souapiti (550 MW), sur le fleuve Konkouré, à 135 km au nord de Conakry. © Sadak Souici / Le Pictorium/MAXPPP

 

Le barrage de Souapiti (550 MW), sur le fleuve Konkouré, à 135 km au nord de Conakry. © Sadak Souici / Le Pictorium/MAXPPP

 

Plus vraisemblablement, Samba Bathily était l’homme chargé par le président de rapprocher le gouvernement guinéen et la filiale du promoteur China Three Gorges Corporation, l’un des géants mondiaux des barrages. Aujourd’hui, les deux centrales hydroélectriques sont achevées. Mais celle de Souapiti (1,4 milliard de dollars) ne peut être exploitée qu’à 50 % parce que la ligne de transport de l’électricité qui la relie au réseau est sous–dimensionnée.

Les Chinois ont par ailleurs obtenu pour ce projet une concession de 40 ans – contre 25 à 30 ans habituellement – et un prix de vente de l’électricité supérieur aux meilleurs standards qui grève les finances guinéennes. Selon nos informations, China Exim Bank, estimant que le montage du projet n’est pas satisfaisant, refuse depuis des mois de débloquer une tranche de 600 millions de dollars destinée au groupe chinois qui a avancé les fonds.

La presse payée pour l’attaquer

À partir de 2016, l’omniprésence de Bathio est telle à Conakry qu’elle déclenche l’hostilité de certains hommes d’affaires locaux. Ces derniers paient même la presse nationale pour qu’elle multiplie les attaques à son encontre dans l’espoir de réduire son influence. Les résultats de son association avec la société marocaine Itqane pour la rénovation du Palais Mohammed-V (2013-2016), facturée plus de 40 millions d’euros, sont notamment vertement critiqués. Ces procédés le poussent à espacer un temps ses visites à Conakry, mais les opportunités que lui concède Alpha Condé sont trop belles et trop nombreuses.

Alpha Condé, ex-président de la République de Guinée, lors d'une interview accordée à Jeune Afrique dans le palais présidentiel, le 2 mai 2015. © Vincent Fournier/JA

 

Alpha Condé, ex-président de la République de Guinée, lors d'une interview accordée à Jeune Afrique dans le palais présidentiel, le 2 mai 2015. © Vincent Fournier/JA

 

En 2019, Samba Bathily décroche, avec la société ivoirienne Mayelia Participations, un contrat pour la construction et l’exploitation de gares maritimes pour désengorger la capitale. Estimé au départ à 15 millions d’euros, le projet a été amendé et en coûte finalement 38 millions. Le directeur de la société navale le juge mauvais et largement surfacturé, mais l’État valide quand même le partenariat. « Heureusement, aucun décret n’a été signé et il est resté lettre morte », constate une source.

L’année suivante, Bathio obtient, sur décision présidentielle, l’extension de la corniche sud de Conakry, évaluée à plus de 200 millions de dollars. Il prend la suite de la filiale gabonaise du groupe marocain Satram, alors associé à un entrepreneur guinéen qui avait réalisé les études préalables et tardait à lancer les travaux. « Alpha a appelé le promoteur local pour lui dire : “Écoute, tu es trop jeune et le projet est trop gros pour toi” », nous confie un témoin direct.

Interrogé sur la volonté d’Alpha Condé de se maintenir au pouvoir, il nous a assuré lui avoir déconseillé de briguer un troisième mandat, mais c’est peu probable. Allergique à la moindre critique, l’ex-président aurait immédiatement coupé les ponts. Or force est de constater que Samba Bathily et lui sont restés proches. L’homme d’affaires nous confiait même en octobre qu’il prenait encore des nouvelles du président déchu via un intermédiaire. « Alpha est comme un père pour lui et il n’oublie pas d’où il vient », nous soufflait un de nos interlocuteurs au début de notre enquête.

Burkina Faso : Philippe Ouédraogo, cardinal médiateur

« Dieu tout-puissant » (1/5). Il n’aime pas la lumière des projecteurs, mais s’active volontiers en coulisses. De la chute de Blaise Compaoré au coup d’État contre Kaboré, il a été au cœur de toutes les crises politiques qui ont secoué le Burkina Faso ces dernières années. Portrait d’un religieux influent et jamais indifférent.

Mis à jour le 6 juin 2022 à 10:44
 

 

Philippe Ouédraogo a été fait cardinal par le Pape François en 2014 © Grzegorz Galazka/SIPA

 

Il n’est pas du genre à se laisser désarçonner. La sérénité des hommes d’Église, sans doute. Ce 24 janvier, tout le pays avait beau être suspendu au déroulé du coup d’État en cours contre Roch Marc Christian Kaboré, lui n’a pas bouleversé son programme. Comme chaque jour, le cardinal Philippe Ouédraogo s’est levé à l’aube pour prier. Puis direction le petit séminaire de Pabré – où il a effectué une partie de sa scolarité – pour la fête de Saint-François de Sales.

L’archevêque métropolitain de Ouagadougou est en route lorsqu’il reçoit un appel. Au bout du fil, la personne semble pressée : il faut rentrer en urgence à Ouaga, pour une « séance de rencontre » de la plus haute importance liée aux événements politiques en cours. Le cardinal accepte, mais se permet de faire patienter son interlocuteur, dont il préfère aujourd’hui encore taire l’identité. Hors de question de louper la célébration prévue de longue date à Pabré.

La confiance de Kaboré

Retranché au camp de gendarmerie Paspanga, le président Kaboré sait que la fin de son régime est proche. L’ensemble de l’armée a rallié les putschistes, qui sont passés à l’action la veille. La tension est croissante entre les mutins et les gendarmes qui forment la garde présidentielle. Le chef de l’État veut à tout prix éviter que le sang coule : il accepte de démissionner. Reste à obtenir des garanties pour lui et ses proches, puis à organiser le transfert du pouvoir aux nouveaux maîtres du pays, en présence d’une autorité morale et coutumière.

Le nom de Philippe Ouédraogo émerge rapidement. Fervent catholique depuis son enfance, Kaboré connaît bien le prélat et lui fait toute confiance. Les putschistes, menés par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, n’y voient pas d’objection. Un consensus est trouvé. « Les deux camps voulaient qu’un témoin soit présent et qu’il fasse office de médiateur. J’ai été étonné d’être choisi mais j’ai accepté car je savais que cette démarche était déterminante pour faire revenir la paix », explique Philippe Ouédraogo.

Vers 13h, le voici de retour à l’archevêché, dans le quartier ouagalais de Koulouba. Arrivent ensuite deux délégations : la première, composée d’officiers du futur MPSR (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration), et la seconde, formée par Kaboré et quelques gendarmes de sa sécurité rapprochée. « J’ai compris que la situation était irréversible. Il fallait donc avancer dans un esprit d’apaisement. J’ai insisté sur la nécessité de respecter la dignité humaine du président, celle de sa famille et celle de ses collaborateurs », confie le religieux. Après avoir remis sa lettre de démission, Kaboré est emmené par les putschistes. Le coup d’État, que tout le monde sentait venir depuis des mois, est consommé.

Un fidèle du pape François

Le cardinal estime n’avoir fait « que son devoir ». Rien de plus normal, poursuit-il, que d’avoir une fois de plus aidé à résoudre une crise politique. À 77 ans, ce natif de la région de Kaya, archevêque de Ouagadougou depuis 2009, estime que « l’Église ne peut rester indifférente à ce qui se passe autour d’elle » et qu’elle se doit « d’œuvrer dans le sens de la paix ».

Réputé ouvert et attaché aux valeurs universelles, celui qui se définit d’abord comme un « pasteur proche du peuple » est aussi engagé sur les questions humanitaires et sociales. « Il fait beaucoup à ce niveau, par exemple en organisant des dons ou des distributions de vivres pour les indigents et les déplacés », commente une figure politique burkinabè. En contact constant avec les laïcs, il a également créé le Service pastoral pour la formation et l’accompagnement des responsables (Sepafar), sorte de réseau de réflexion et d’action qui réunit chaque mois des religieux et des dirigeants de tous horizons.

C’est en février 2014 que Philippe Ouédraogo a été fait cardinal par le Pape François, dont il est l’un des fidèles sur le continent. De quoi renforcer encore son aura, au grand dam du président de l’époque, Blaise Compaoré, et de son clan. Depuis des mois, le prélat a en effet pris position contre la modification de la Constitution, censée permettre au chef de l’État de se maintenir au pouvoir.

De Compaoré à Diendéré

Le 31 octobre 2014, Compaoré est chassé par une insurrection populaire. Une page de l’histoire du Burkina Faso se tourne. Dans les jours qui suivent, Ouédraogo fait partie du conclave de personnalités chargées de mettre en place les instances de transition. Il s’oppose notamment à la nomination d’un de ses frères en Christ, Paul Ouédraogo, l’archevêque de Bobo-Dioulasso, comme président de la transition, arguant que « le rôle de l’Église n’est pas de gérer la chose publique ».

Moins d’un an plus tard, le 16 septembre 2015, le général Gilbert Diendéré, ancien bras droit de Blaise Compaoré, tente un coup d’État. Mais sous la double pression de la rue et d’une frange loyaliste de l’armée, le putsch échoue. Après avoir rendu le pouvoir, il se réfugie chez le nonce apostolique à Ouagadougou. « Le nonce venait d’arriver au Burkina, raconte Philippe Ouédraogo. Il n’avait même pas présenté ses lettres de créance. Comme la situation était compliquée, j’ai été interpellé pour jouer les médiateurs. » Une fois de plus, le voilà qui s’active en coulisses. Le 1er octobre, Diendéré se rend sans heurt aux autorités et est placé en détention.

Dialogue avec l’islam

Depuis cette transition houleuse, le pays a sombré dans l’insécurité et les groupes jihadistes ont pris le contrôle de pans entiers du territoire. Fidèle à la longue tradition nationale de cohabitation religieuse, le cardinal reste fermement attaché au dialogue avec l’islam qui constitue, à ses yeux, un « défi majeur ».

« Nous serons toujours présents pour y prendre part », assure celui qui préside le Symposium des conférences épiscopales africaines et de Madagascar (Secam) depuis 2019. Cette année, les mois de carême musulman et catholique se sont en partie chevauchés. Le 22 avril, Philippe Ouédraogo a donc organisé une rupture du jeûne avec des musulmans à l’archevêché de Ouagadougou : « C’était un acte très fort et de grande portée en matière de reconnaissance interreligieuse. »

kiye2022

L'hebdomadaire de la paroisse de Nioro du Sahel n°44 du dimanche de la pentecôte 2022 : L’Esprit Saint communique à notre conscience les vertus d’une nouvelle humanité, gage d’une authentique filiation divine (Une réflexion du Père Vincent KIYE)
Textes du jour :
Première Lecture :   Actes 2 1–11
Deuxième Lecture :  Romains 8 8–17 
Évangile :  Jean 14 15–26
«Je demanderai au Père de vous donner un autre Protecteur qui sera pour toujours avec vous.…» (Jn 14, 16-17). 
Bien-aimés dans le Seigneur, que Jésus promette l’envoie d’un autre Protecteur, l’Esprit de Vérité qui sera avec ses amis pour toujours, était une évidence, au regard de la fragilité humaine, que Saint Paul renchérit dans la deuxième lecture tirée de l’épitre aux Romains lorsqu’il dit : « L’Esprit assiste notre esprit et lui redit que nous sommes enfants de Dieu. » (Rm 8, 16). Nous comprenons ici, tout le bénéfice que l’intervention de l’Esprit Saint apporte à l’homme pour une vie agréable à Dieu. Il ravive en nous la conscience active d’être enfant de Dieu et communique en nous des énergies nouvelles qui nous poussent à agir pour la gloire de Dieu. L’Esprit Saint communique à notre conscience les vertus d’une nouvelle humanité, gage d’une authentique filiation divine.
Ordinairement, devant une preuve de faiblesse, l’homme  sollicite sans cesse, le secours d’une force supplémentaire pour défier la force en face. Homme comme nous mais aussi et surtout différent de nous, Jésus aurait certes, conscience de cela. Connaissant la fragilité humaine et son inclination au péché, Jésus sollicite pour ses apôtres et pour chacun de nous aujourd’hui, un Protecteur et un Défenseur à jamais lorsqu’il leur dit : «Moi, de mon côté, je demanderai au Père de vous donner un autre Protecteur qui sera pour toujours avec vous.» (Jn 14, 16). L’Esprit Paraclet est donné ici à l’Église comme principe inépuisable de grâces multiples dont les sept dons de l’Esprit. Cet Esprit qui procède du Père et du Fils, dont il est le vivant amour mutuel, est donc communiqué désormais au peuple de l’Alliance nouvelle, aux âmes disponibles à son action intime. Voilà pourquoi Jésus dit : « C’est l’Esprit de Vérité que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas…» (Jean 14,17). 
Dans la première lecture de ce jour nous lisons que « lorsque arriva la fête de la Pentecôte, ils étaient tous réunis. Et soudain se fit entendre un bruit dans le ciel, comme une violente rafale, et il remplit toute la maison où ils se trouvaient. Ils virent comme un feu qui se divisait, et sur chacun d’eux se posait une des langues de ce feu » (Ac 2, 1-3). Voilà la disposition que les hommes doivent observer pour bénéficier des dons de l’Esprit que Jésus a promis. Cela exige de la part de l’homme une conscience réelle de son action dans le monde et dans la vie des hommes, disposant ainsi l’homme, à mobiliser toutes ses énergies à l’attente de cet Esprit Saint comme le firent les apôtres. Avons-nous conscience de son action dans le monde et dans notre vie, laquelle conscience nous prédisposerait à le désirer par-dessus tout ? Dieu accorde toujours des dons pour servir son peuple, pour l’édification de son Eglise. Posons-nous la question de savoir si nous vivons concentrés comme les apôtres qui attendaient l’Esprit Consolateur ou bien nous sommes dans les distractions et/ou les désordres de la chair ? C’est pourquoi dans la deuxième lecture, Saint Paul nous dit de rompre avec la chair, de ne plus vivre selon la chair mais de nous disposer à la mouvance de l’Esprit. Car dira-t-il, « ceux qui en restent à la chair ne peuvent pas plaire à Dieu.»(Rm 8,8). L’Esprit assiste notre esprit et lui redit que nous sommes enfants de Dieu et devons par ce fait, être en quête des attitudes et des comportements qui confirment en nous, cette identité des enfants de Dieu.
Pour comprendre l’impérieux rôle que l’Esprit Saint joue dans la vie des hommes, Jésus l’envoie à deux reprises, aux apôtres. D’abord lors des apparitions du Christ, au Cénacle, d’une façon presque « privée ». Là, c’est dans le silence et le calme que, par deux fois, résonne la voix du Crucifié : La Paix soit avec vous ! (Luc 24, 36). Puis, cinquante jours plus tard, lors de la fête de la pentecôte dans le même Cénacle. Pour cette deuxième fois, l’Esprit se manifeste de façon « publique », sous la forme de langue de feu. « Un bruit soudain se fit entendre dans le ciel, comme une violente rafale, et il remplit toute la maison où ils se trouvaient…Tous furent remplis de l’Esprit Saint et ils se mirent à parler en d’autres langues dans lesquelles l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » (Ac 2, 2-4). L’Esprit promis par le Christ et que le Père envoie aux amis du Christ est un Esprit d’Amour et d’Unité comme nous pouvons le lire dans ce verset, les disposant à parler d’autres langues pour témoigner effectivement de cette unité. La victoire pascale devient ici une nouvelle création dans la  Paix, l’amour et l’unité en Dieu.
 Que Dieu nous donne de toujours nous disposer à recevoir l’Esprit Saint qui fait des hommes, des nouvelles créatures, témoins de paix, d’amour et de l’unité. Amen
Le Seigneur soit avec vous !
✍🏾 Père KIYE M. Vincent, Missionnaire d’Afrique
Paroisse de Nioro du Sahel dans le diocèse de Kayes au Mali 
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L’hebdomadaire de la paroisse de Nioro du Sahel n•45 du vendredi 10 juin 2022 : Approche de l’intentionnalité d’Edmund Husserl (Une réflexion du Père Vincent KIYE, Mafr)

Textes du jour :

1ère lecture : 1Rois 19 12-13

Evangile : (Mt 5, 27-32)

« Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère » (Mt 5, 27-32)

Hier nous faisions une approche analytique de la colère, partant de l’interpellation de Jésus. Aujourd’hui, Jésus poursuit sa série des reproches en évoquant une autre interpellation, celle relative à l’adultère. Mais qu’est-ce que Jésus fustige en tout cela ?

Pour bien comprendre cette série d’interpellations de Jésus, nous avons voulu faire un rapprochement entre l’évangile du jour et la phénoménologie du philosophe Autrichien, Edmund Husserl dans son approche de l’intentionnalité. D’après Husserl, « toute conscience ou intention est toujours conscience de quelque chose dans ce sens que les états mentaux, tels que percevoir, croire, désirer, craindre, et avoir une intention (pris au sens courant), se réfèrent toujours à quelque chose. » Ainsi donc, l’intention avec laquelle u regarde cette femme X est déjà l’intention de quelque chose que tu te représentes déjà en toi et pour laquelle tu es prêt à mobiliser des énergies ou multiplier des stratégies pour l’obtenir à tout prix. Ce qui ouvre grandement la voie au péché. S’il est vrai que toute intention est intention de quelque chose, nous comprenons combien nos intentions portent en elles, la réalité qu’elles se représentent. Voilà pourquoi Jésus précise en disant : « Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère »  Ailleurs il dira «c'est ce qui souille l'homme.» (Mt 15, 11). Ton silence peut être plus meurtrier que le logos du monsieur lamda. De-même, la colère et l’adultère, même sans les extérioriser, peuvent constituer un grand danger en ce qu’ils sont des énergies non contrôlables et difficiles à canaliser. Lorsqu’un jeune homme exprime son intention vis-à-vis d’une jeune dame, cela peut déjà être une thérapie contre le péché de l’agression ou d’un acte sexuel non consentant, en ce sens que la jeune dame peut se munir de prudence à son égard pour éviter le pire en l’empêchant par ce fait de commettre le forfait. Par contre, la désirer sans l’extérioriser expose ce dernier à guetter les occasions favorables pour commettre l’irréparable. Jésus nous invite pour ce faire à être vrais, à purifier nos intentions, surtout vis-à-vis des femmes.

 Bien-aimés dans le Seigneur, les paroles du Christ de cet évangile sont une louange, bien méritée, à la femme. Pour le chrétien, disciple du Christ, la femme est la co-créatrice car élevée par le Christ à la dignité de mère de Dieu, puisqu’elle a donné corps à Dieu. La femme, admirable compagne et complément de l’homme, parfait les qualités de tendresse, de patience, d’écoute, d’accueil, d’abnégation, de courage et de générosité dont l’humanité a tant besoin. La femme, réceptacle de la vie. La femme, première, est montée au ciel avec son corps.

Quelle atteinte à sa dignité, quelle insulte que de la considérer comme un simple objet de plaisir, que l’on rejette délibérément quand on en est lassé, ou comme une bonne à tout faire ! Depuis que Dieu avait porté son regard sur Marie devenant « une image de proue », de notre foi, notre regard sur la femme devra changer, se munissant de respect, de pureté et de gratitude. La femme, doit être aimée et appréciée dans sa totalité. Cet amour et ce désir portent alors l’expression de la tendresse de Dieu. On comprend alors pourquoi une femme ne saurait être répudiée ni regardée comme objet de plaisir sinon comme réel partenaire existentiel. La fragilité de la femme cache Dieu comme le murmure d’un souffle léger dans le récit du prophète Elie de la première lecture, lorsqu’il se couvrit le visage avec son manteau et une voix se fit entendre.

Puisse Dieu nous donner de purifier nos intentions pour avoir des bonnes attitudes qui créent une bonne ambiance autour de nous. 

 

Le Seigneur soit avec vous !

Père KIYE M. Vincent, Missionnaire d’Afrique

Paroisse de Nioro du Sahel dans le diocèse de Kayes au Mali

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Macky Sall : « Mon travail de président est loin d’être achevé »

Impact de la guerre en Ukraine, coups d’État en Afrique de l’Ouest, relations avec ses opposants… Pour Jeune Afrique, le chef de l’État sénégalais évoque son bilan, à quelques semaines des législatives et à moins de deux ans de la présidentielle.

Par  - envoyé spécial à Dakar
Mis à jour le 30 mai 2022 à 12:21
 

 



Macky Sall dans les jardins du palais présidentiel, à Dakar, en décembre 2018. © Présidence du Sénégal

 

Macky Sall est sur tous les fronts… Le chef de l’État sénégalais, qui assume par ailleurs la présidence de l’Union africaine (UA) jusqu’en février prochain, n’a guère le loisir de se poser. Entre la préparation (et la validation) des listes de sa coalition pour les législatives de juillet et la gestion des conséquences des crises (Covid-19, guerre en Ukraine), entre les urgences locales et les dossiers brûlants, qu’ils soient africains ou internationaux, l’agenda présidentiel a des allures de tonneau des Danaïdes. Chaque jour, de potron-minet jusque tard dans la soirée, il se remplit sans fin, provoquant sueurs et migraines parmi les membres de son cabinet ou au sein de son service du protocole.

Réélu en février 2019 avec 58 % des suffrages, « Macky », comme l’appellent ses compatriotes, entend frapper un grand coup lors des législatives. Ultime test électoral avant la présidentielle de 2024, ce scrutin a été préparé avec minutie par le président lui-même, contrairement aux élections locales de janvier dernier, qui ont vu l’opposition glaner quelques victoires hautement symboliques, notamment à Dakar. Le chef de Benno Bokk Yakaar (BBY) veut une large majorité à l’Assemblée, avoir les coudées franches, faire une démonstration de force politique. Et travailler, dès août prochain, avec un Premier ministre issu des rangs de sa coalition.

Le chef de l’État nous a reçu au palais présidentiel, dans l’un des salons du rez-de-chaussée, le 12 mai, deux semaines avant que le terrible incendie survenu à l’hôpital de Tivaouane ne le contraigne à écourter un déplacement en Guinée équatoriale, où il devait présider un sommet de l’UA, et à limoger son ministre de la Santé, Abdoulaye Diouf Sarr.

Guère adepte – c’est un euphémisme – de l’exercice de l’interview , il a tenté d’y surseoir, prétextant l’arrivée imminente de l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan et proposant en lieu et place une discussion à bâtons rompus. Il a fallu lui promettre que l’entretien ne durerait pas. Au fil de nos questions, qu’il s’agisse de l’UA ou du Sénégal, il s’est pris au jeu, soucieux d’expliquer son action et ses ambitions. La séance aura finalement duré plus d’une heure. Et Goodluck Jonathan a donc dû faire preuve de patience…

Jeune Afrique : Vous présidez l’UA jusqu’en février 2023. Alors que l’on pensait que votre principale mission serait la relance post-Covid, voire la gestion d’un certain nombre de crises spécifiques (coups d’État au Mali, en Guinée et au Burkina, terrorisme dans le Sahel, dossier éthiopien…), la guerre en Ukraine, lourde de conséquences, a éclaté. Quelles sont vos priorités ?

Macky Sall : Elles sont, hélas, nombreuses. En l’espace de deux ans, la pandémie de Covid-19 a engendré une situation économique particulièrement préoccupante, qui s’est traduite par une baisse importante de la croissance africaine, voire, dans certains cas, par des récessions.

Au moment où nous commencions enfin à sortir la tête de l’eau, la guerre en Ukraine a éclaté. Avec pour conséquence une très forte hausse du cours des produits pétroliers, une augmentation sensible du prix des denrées alimentaires – notamment du blé –, le renchérissement du prix des fertilisants et des semences, etc. Tout cela a un très fort impact sur le coût de la vie, sur le pouvoir d’achat des Africains. En outre, si nous ne parvenons pas à nous approvisionner en fertilisants ou en céréales, une famine peut survenir. L’Afrique, tout en étant géographiquement éloignée de ce conflit, en est l’une des premières victimes. C’est pourquoi nous mettons tout en œuvre pour un retour rapide à la paix.

Vous avez eu un échange téléphonique avec Vladimir Poutine le 9 mars. Que vous êtes-vous dit ?

Nous nous sommes effectivement parlé – à mon initiative, en tant que président de l’UA. Je lui ai dit que l’Afrique, qui se retrouvait entre le marteau et l’enclume, souhaitait un cessez-le-feu en Ukraine. Le continent est touché par les conséquences de la guerre elle-même comme par les sanctions qui frappent la Russie. À l’époque, Vladimir Poutine avait indiqué qu’il était prêt à discuter avec les Ukrainiens. Mais nous voyons bien que ce n’est pas évident. C’est « un pas en avant, deux pas en arrière ».

À la suite de l’invitation du président russe à me rendre à Moscou, l’UA m’a donné mandat pour demander l’arrêt des hostilités, ainsi que la possibilité de laisser l’Ukraine et la Russie exporter les céréales et les matières premières dont le monde a besoin. Après deux années de pandémie de Covid-19, la situation devient intenable.

Autre motif de préoccupation, qui concerne l’Afrique de l’Ouest en particulier : les coups d’État (au Mali, en Guinée, au Burkina), et ces transitions à durée indéterminée, qui se multiplient…

Tout cela est le reflet de la crise profonde qui frappe ces pays. Les coups d’État ne sont pas pour autant une solution. Ce n’est pas acceptable. Nous avons essayé, dans le cadre de la Cedeao, d’accompagner ces pays afin que leurs périodes de transition soient de courte durée. Une transition, par définition, n’a pas vocation à s’éterniser, il faut être raisonnable.

Bien sûr, si les institutions africaines rencontrent des difficultés avec la Guinée, le Mali et le Burkina, c’est parce que ces pays représentent des enjeux géostratégiques pour l’Est comme pour l’Ouest. La compétition entre grandes puissances rend les solutions difficiles à trouver.

Au Mali, les putschistes sont au pouvoir depuis vingt mois déjà. Nous acceptions de leur laisser seize mois de plus. La junte, elle, a parlé de [rester encore] vingt-quatre mois. J’estime que, en prenant surtout en considération les souffrances du peuple malien, nous pouvons nous mettre d’accord sur une échéance qui serait comprise entre seize et vingt-quatre mois.

Pour la Guinée, la Cedeao va devoir prendre des mesures. Nous étions tout à fait disposés à collaborer avec les nouvelles autorités pour accompagner la transition. Réponse sans appel de la junte : ce sera trente-neuf mois ! C’est impensable. Le Burkina, lui, semble plus raisonnable dans ses discussions avec l’organisation ouest-africaine.

JE DÉSIGNERAI UN PREMIER MINISTRE APRÈS LES LÉGISLATIVES DE JUILLET, CELA ME SEMBLE PLUS LOGIQUE

Comment avez-vous vécu et analysé la présidentielle française d’avril ?

Cette élection a été très disputée entre le président sortant et les autres candidats, qui aspiraient à gouverner la France. Pour le reste, je me garderai bien d’en commenter les résultats.

Si la candidate d’extrême droite Marine Le Pen l’avait emporté, cela aurait-il modifié les relations bilatérales entre le Sénégal et la France ?

Tout dépend de la manière dont elle aurait entendu mener cette relation. La France a besoin de l’Afrique, et l’Afrique a besoin de la France. Si le chef de l’État français, quel qu’il soit, considère que l’Afrique est un partenaire, nous travaillerons ensemble. Si, en revanche, il considère que l’Afrique n’est pas une priorité, les Africains appliqueront le principe de réciprocité.

Pour le moment, nous avons d’excellentes relations avec Paris. Je suis convaincu que, quels que soient les régimes en place, nos relations ne devraient pas pâtir de la couleur politique des dirigeants.

Au début de décembre 2021, à votre demande, l’Assemblée nationale a rétabli le poste de Premier ministre. Vous aviez justifié cette décision par la charge que représentait la présidence de l’UA. Six mois plus tard, le Sénégal n’a toujours pas de Premier ministre. Pourquoi ?

Parce que, les élections locales passées, nous avons encore un scrutin : les législatives de juillet. Il m’a paru plus logique d’attendre leurs résultats pour désigner le Premier ministre qui sera issu de la formation qui les aura remportées.

Avez-vous en tête un profil particulier ?

Les profils, cela ne signifie pas grand-chose. Inutile de faire des projections. Le moment venu, un Premier ministre compétent sera nommé et il se mettra immédiatement au travail.

MÊME DANS LES PAYS DÉVELOPPÉS, UNE COHABITATION EST RAREMENT UNE RÉUSSITE

Ces législatives représentent le dernier grand test électoral avant la présidentielle de 2024. Qu’en attendez-vous ?

Une nette victoire. C’est avant tout une question de cohérence vis-à-vis des choix du peuple sénégalais, qui m’a réélu. Nous avons mis en place un programme économique et social extrêmement exigeant, le Plan Sénégal émergent, qui a donné des résultats incontestables à tous égards.

Nous avons réduit le taux de pauvreté de cinq points et amélioré sensiblement tous les indicateurs macroéconomiques, malgré la crise liée au Covid-19 et, aujourd’hui, la guerre en Ukraine. Pour protéger la population, nous avons bloqué les prix afin qu’elle puisse faire face à la hausse des prix de l’énergie, des denrées alimentaires, etc.. Ce qui, pour cette seule année 2022, coûtera à l’État près de 657 milliards de F CFA, soit près de 1 milliard d’euros, de soutien aux ménages. Sans parler de l’augmentation des salaires dans la fonction publique, de la transformation structurelle de l’économie, de la transition énergétique, du développement des infrastructures…

Pour que cette politique puisse se poursuivre, le gouvernement doit avoir une majorité qui lui permette de ne pas perdre de temps. L’opposition veut une cohabitation ? Vous savez très bien que, même dans les pays développés, c’est rarement une réussite. Je ne peux imaginer un tel scénario au Sénégal. Nous sommes sous un régime présidentiel : on élit un président et on lui donne, dans la foulée, une majorité pour gouverner. Le passage du septennat au quinquennat a modifié l’ordre des choses, mais ne change rien sur le fond : le Sénégal, comme l’Afrique, a besoin de stabilité.

Quels rapports entretenez-vous avec vos opposants ? Certains, comme Ousmane Sonko ou Barthélémy Dias, ne vous ménagent guère…

Chacun a sa manière de s’opposer. Je ne m’attarde pas outre mesure sur mes adversaires. L’essentiel, c’est que, dans une démocratie, il y ait une opposition forte. Tant que l’opposition – quelle que soit la façon dont elle se comporte – est républicaine, cela ne me pose pas de problème. J’ai moi-même été opposant, je n’ai jamais eu un mot déplacé à l’égard de ceux qui étaient au pouvoir. Cela ne m’a pas empêché de gagner les élections. Chacun son tempérament.

 

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Les opposants Barthélémy Dias (au centre, chemise grise) et Ousmane Sonko (à dr., chemise bleue), à Dakar. © DR

 

Les Sénégalais se perdent en conjectures sur vos intentions pour la présidentielle de 2024, mais aussi sur le fait que vous pourrez ou non solliciter un nouveau mandat. Or vous ne vous exprimez guère sur le sujet. Que comptez-vous faire ?

Je répondrai à cette question après les législatives. Il sera alors temps de fixer le cap de 2024. En attendant, nous avons du travail, et guère le loisir de nous disperser.

En mars 2021, après l’arrestation d’Ousmane Sonko, de violentes émeutes ont ébranlé le Sénégal, en particulier Dakar. Comment expliquez-vous cette subite et inattendue explosion de colère ?

Cet événement judiciaire a été un déclencheur. Il faut remettre cette colère, naturelle, dans le contexte de l’époque, celui de la crise du Covid-19, du confinement et de toutes les privations endurées.

Depuis lors, nous avons mis en place un programme très important, de 450 milliards de F CFA sur trois ans, visant à créer 65 000 emplois et à financer l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes. Ces emplois ont été créés, 5 000 enseignants ont été recrutés. En 2012, la fonction publique comptait 91 000 travailleurs. Aujourd’hui, ils sont 163 000.

Beaucoup a été fait, mais ce n’est pas suffisant parce que la population croît très vite et que l’État ne peut tout assumer. Nous devons donc développer l’entrepreneuriat, la formation professionnelle et, surtout, les financements afin que ces entreprises puissent prospérer, être sources de création d’emplois.

ON NE PEUT PAS, SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX, PASSER SON TEMPS À PORTER ATTEINTE À L’HONORABILITÉ DES CITOYENS DANS L’ANONYMAT LE PLUS TOTAL

Le 3 mai, Journée internationale de la liberté de la presse, vous avez annoncé vouloir lutter contre les dérives d’internet et réguler les réseaux sociaux, qualifiés de « cancer des sociétés modernes ». Qu’entendez-vous par là ?

Tout le monde en convient aujourd’hui : les dérives d’internet ne sont plus acceptables. On ne peut pas, au nom de je ne sais quelle liberté, passer son temps à porter atteinte à l’honorabilité des citoyens dans l’anonymat le plus total et à créer les conditions d’une rupture des équilibres qui garantissent la stabilité de nos sociétés. Nous ne pouvons pas laisser un outil aussi puissant que les réseaux sociaux faire fi de toutes les lois, et les fake news gouverner le monde.

Il faut réguler cette activité et faire en sorte que les grandes plateformes qui incarnent ces réseaux soient elles aussi responsables des contenus qu’elles véhiculent. Beaucoup profitent de ces supports : les terroristes, les délinquants, les trafiquants en tout genre, les cybercriminels… Il faut faire preuve de responsabilité.

L’équilibre entre ce contrôle que vous appelez de vos vœux et la liberté est précaire et difficile à trouver….

Tout dépend de ce que l’on veut. On ne peut pas ériger en règle intangible l’injure, le mensonge, la diffamation au motif que « c’est sur internet ». Quand vous vous comportez de la sorte dans des médias traditionnels, comme la télévision ou la radio, la justice s’applique. Il faut donc qu’elle s’applique également sur les réseaux sociaux et que la loi y soit respectée. C’est tout ce que les gens demandent.

JE N’AI AUCUN SOUCI AVEC ABDOULAYE WADE. IL EST DÉSORMAIS UN HOMME ÂGÉ

Quelles sont vos relations avec votre prédécesseur, Abdoulaye Wade ? Vous avez été adversaires, en 2012. Il vous reproche l’emprisonnement de son fils, Karim, et ne vous a guère ménagé à son retour au Sénégal. Pourtant, vous venez de donner son nom au stade olympique de Diamniadio. La hache de guerre est-elle enterrée ?

Je n’ai aucun souci avec lui. Je me suis opposé à lui, après dix-huit ou dix-neuf ans de compagnonnage, car nous avions un différend. Cela arrive, en politique. Je l’ai battu à la présidentielle. Il est devenu mon opposant, je l’accepte tout naturellement. Aujourd’hui, tout cela est derrière nous. Notamment parce que le président Wade est désormais un homme âgé.

Il l’était déjà en 2012…

Certes, et donc encore plus aujourd’hui. Par principe, je ne me battrai pas contre un homme âgé. Je devais trouver un nom à ce stade, il m’a semblé que, pour honorer son engagement politique et son travail à la tête du Sénégal, donner le sien à un temple du sport et de la jeunesse était une bonne idée. J’ai fait ce que j’avais à faire. Le reste, maintenant, c’est de la politique.

 

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Macky Sall recevant son prédécesseur, Abdoulaye Wade, au palais présidentiel, à Dakar, le 12 octobre 2019. © Présidence du Sénégal

 

Qu’est-ce que l’exploitation du gaz et du pétrole, découverts il y a maintenant quatre ans, va concrètement changer pour le pays ?

D’abord, la manière dont le Sénégal sera perçu sur les marchés financiers. Quand vous êtes producteur de pétrole et de gaz, on vous prend beaucoup plus au sérieux. J’ai déjà fait voter toutes les lois d’encadrement, dont celle portant sur la répartition des revenus futurs, celle, aussi, sur le contenu local, destinée à accompagner les entreprises privées sénégalaises dans tout ce qui relève des activités parapétrolières. Nous avons mis en place des dispositifs d’encadrement, très rigoureux, notamment avec le Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz [COS Petrogaz].

C’est surtout là que le Sénégal peut gagner, non pas tant grâce aux revenus que nous tirerons du sous-sol, certes appréciables pour notre budget, mais grâce à tous les services qui pourront être développés dans l’environnement pétrolier et gazier. Cela étant, nous devons poursuivre les discussions, parfois difficiles, avec les compagnies pétrolières pour défendre nos intérêts stratégiques – ce que nous faisons en bonne intelligence avec le gouvernement mauritanien [le champ gazier de Grand Tortue Ahmeyim s’étend de part et d’autre de la frontière maritime entre les deux pays] et qui est capital.

LE TRAFIC DU BOIS A PRIS UNE AMPLEUR INOUÏE EN CASAMANCE. L’ÉTAT SÉNÉGALAIS NE POUVAIT PAS RESTER LES BRAS CROISÉS

Dans le sud du Sénégal, la situation est toujours aussi floue. Depuis des années, vous négociez avec les rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Pourtant, l’armée sénégalaise vient de mener des opérations d’envergure. Peut-on encore croire à la paix ?

Évidemment. Il ne faut pas tout confondre. Depuis dix ans, la perspective d’un règlement du conflit était réelle. Le trafic de bois a cependant atteint une ampleur inouïe, au point de décimer la forêt de Casamance. L’État ne pouvait rester les bras croisés, d’autant que, dans le cadre de cette lutte contre le trafic de bois mais aussi contre le trafic de drogue, un détachement sénégalais de la Cedeao positionné en Gambie a été pris en otage par des rebelles. Je ne pouvais l’accepter.

L’armée a donc démantelé toutes les bases que nous avions laissé prospérer depuis trop longtemps. Nous avons d’ailleurs découvert des quantités industrielles de culture de chanvre indien… À ceux qui ne s’adonnent pas à ces trafics, nous avons dit : « On dépose les armes, on fait la paix et on vous réinsère. » Nous sommes toujours dans cette disposition d’esprit. On ne cherche pas un vainqueur ou un vaincu. Je l’ai déjà dit : la Casamance, c’est le Sénégal. Nous tendons la main à tous les membres du MFDC qui ont le courage et la volonté de faire la paix.

Lorsque vous quitterez le pouvoir, laquelle de vos réalisations ou de vos réformes aimeriez-vous que les Sénégalais retiennent ?

Beaucoup me tiennent à cœur. J’ai créé une nouvelle ville, sortie de nulle part : Diamniadio. Le train express régional, le TER, est un autre motif de fierté car c’est un projet structurant, qui révolutionne nos transports publics et nous projette vers la modernité. Il y a aussi tout ce qui a été fait en milieu rural, dont on ne parle pas souvent mais qui a changé fondamentalement la vie dans ces territoires : l’accès à l’eau potable et à l’électricité, la couverture sanitaire universelle… C’est moins visible qu’un pont ou qu’une autoroute, mais c’est le fondement de notre politique sociale.

En matière de santé, nous avons fait un bond qualitatif important, notamment en matière de plateaux médicaux. Pendant la pandémie de Covid-19, la construction du Centre des maladies infectieuses et tropicales a été une très belle réalisation : c’est « un hôpital dans l’hôpital » qui pourra faire face à n’importe quelle pandémie.

Nous avons également développé, un peu partout, des universités modernes. Depuis l’indépendance jusqu’à mon élection, les résidences universitaires disposaient au maximum de 5 000 lits. Nous en sommes à 30 000. Mais reposez-moi la question au moment de mon départ, mon travail est loin d’être achevé !

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Les informations sur nos maisons de formation datent de quelques années, et nous avons demandé aux responsables de ces maisons de nous donner des nouvelles plus récentes.
La première réponse reçue vient de Samagan, le noviciat près de Bobo-Dioulasso (lire la suite)

 

La deuxième réponse nous a été donnée par la "Maison Lavigerie", notre maison de formation à la périphérie de Ouagadougou, où les candidats ont leurs trois premières années de formation (lire la suite)