Le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Godwin Emefiele, devant le comité de la Chambre des représentants à Abuja, le 31 janvier 2023. © OLUKAYODE JAIYEOLA/NurPhoto via AFP
Le 4 août 2021, Godwin Emefiele était sur le toit du monde. En ce jour de son 60e anniversaire, les PDG de banques, les capitaines d’industrie et les gouverneurs d’État ont publié des annonces dans des journaux importants pour le couvrir d’éloges.
Jusqu’au sommet de l’État, on lui a rendu hommage. Dans son discours, le président Muhammadu Buhari a déclaré : « En tant que gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, vous avez rendu un service désintéressé à votre pays à un moment particulièrement difficile de notre développement économique, et je salue votre engagement, votre passion et votre ténacité ». Pour couronner le tout, Godwin Emefiele a emmené sa famille et ses amis en jet privé à une fête exclusive à Montego Bay, en Jamaïque, une station balnéaire connue pour ses terrains de golf et ses superstars comme Jay-Z et Beyonce. Certains des plus riches hommes d’affaires du Nigeria ont assisté à la fête.
Le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria (CBN) n’est jamais monté à bord d’un avion de ligne, préférant utiliser des jets privés de luxe afférents à sa fonction. En juin 2020, lorsque le gouvernement nigérian a imposé un lockdown et fermé l’espace aérien aux avions de passagers au plus fort de la pandémie de Covid-19, Emefiele a fait décoller sa femme et ses deux enfants pour Londres, ce qui a suscité l’ire de l’opinion publique.
Malgré ces controverses, le président Buhari a toujours soutenu son gouverneur, le décorant même de l’une des plus prestigieuses distinctions honorifiques du Nigeria – le titre de Commandeur de l’Ordre de la République fédérale (CFR) – à la veille de la fin de son mandat.
Changement de décor
Dans une vidéo récente devenue virale sur les réseaux sociaux, Godwin Emefiele est encore dans un jet privé mais cette fois-ci, il n’est pas accompagné de ses nombreux collaborateurs mais plutôt d’agents de sécurité armés agissant sur ordre du président nouvellement investi, Bola Tinubu. En effet, Godwin Emefiele a été arrêté et sera éventuellement poursuivi si l’enquête qui vient d’être ouverte le nécessite.
Contrairement à son prédécesseur né de sang royal, lui n’est pas venu au monde avec une cuillère d’argent dans la bouche. Dans une interview accordée au quotidien nigérian This Day en 2021, il racontait que ses parents avaient dû se battre pour qu’il puisse aller à l’école : « En grandissant, ils ont compris que le seul moyen d’améliorer mes chances d’avoir un meilleur avenir était de me donner une bonne éducation. J’ai été témoin de leurs difficultés à payer mes frais de scolarité, parfois grâce aux revenus d’une petite plantation d’huile de palme que nous cultivions dans notre ville natale. Je compatissais à leur incapacité à me soutenir suffisamment pendant ces périodes, malgré tout le luxe dont bénéficiaient certains de mes camarades. »
Lors de cet entretien, il évoquait son intention initiale de faire médecine, et son changement d’avis de dernière minute. Emefiele a finalement été admis à l’université du Nigeria, à Nsukka, où il a étudié la banque et la finance. Il a obtenu son diplôme en 1984 et une maîtrise en 1986, avant de devenir professeur d’université. Et de se lancer à plein temps dans la banque.
En 1990, Jim Ovia, un banquier de 39 ans, crée la Zenith Bank et recrute Emefiele au nom de leur lien de parenté. Se remémorant ces années lors de son message d’anniversaire, Ovia a souligné combien Emefiele était un homme dont la loyauté n’a jamais été mise en doute. Lui qui est aujourd’hui largement considéré comme le parrain de la banque nigériane, a poursuivi : « Lorsque j’ai entrepris de créer la Zenith Bank, Godwin Emefiele a été l’une des premières personnes que j’ai invitées à me rejoindre dans ce qui s’est avéré être un voyage incroyable. Il a été loyal envers moi en tant qu’ami et patron, ainsi qu’envers les idéaux de la banque ».
L’appel de la politique
En 2010, la CBN a mis en place une politique stipulant qu’aucun directeur général de banque ne devait rester en poste plus de 10 ans. Jim Ovia, qui a occupé le poste de directeur général pendant 20 ans, décide alors de se retirer et nomme Emefiele pour lui succéder. Dans la foulée de cette nomination, la banque devient une des plus grandes institutions financières d’Afrique, avec plus de 24 milliards de dollars d’actifs et des fonds d’actionnaires de plus de 3 milliards de dollars.
En 2014, après l’éviction controversée du gouverneur de la CBN, Sanusi Lamido, le président en poste Goodluck Jonathan s’est mis à la recherche d’un gouverneur de banque centrale au tempérament froid. Il aurait proposé le poste à Ovia qui, à son tour, aurait recommandé son protégé. Lequel a ensuite été nommé après avoir exposé sa vision de la banque centrale en déclarant qu’il était opposé à la dévaluation du naira, mais qu’il promettait de maintenir le taux de change stable. Ce sera la pierre angulaire de ses neuf années de mandat.
À peine un an après le début de son mandat, Muhammadu Buhari est élu. Bien qu’il ne soit pas un politicien, Emefiele a réussi à se frayer un chemin dans le cœur du président et de la petite clique qui l’entoure et qui prend les décisions sensibles de l’État.
Sa proximité lui permet d’obtenir un second mandat, qui avait échappé à presque tous ses prédécesseurs. Et qui la également protégé des arrestations et des enquêtes. Sa proximité avec le clan de Buhari a toutefois sapé l’autonomie de la banque centrale, car son mandat a été marqué par des scandales de recrutements illégaux à la banque, ainsi que par des méthodes de prêt non autorisées, entre autres.
Une crise de neuf ans
La crise du taux de change a marqué les neuf années de mandat d’Emefiele. Malgré les conseils des institutions financières de dévaluer la monnaie du pays, mise à mal par la chute des prix mondiaux du pétrole brut et la réduction de la production locale, le gouverneur resta inflexible.
Il a lancé près de 11 initiatives, qui visaient toutes à maintenir la stabilité du naira et à garantir la liquidité du marché des changes. Toutes ont échoué. Sous sa direction, le naira a chuté sur le marché parallèle de 171 nairas pour 1 dollars à 750 nairas pour 1 dollar le jour où il a quitté ses fonctions. Sur le marché officiel, le naira a également été malmené, passant de 164 à 461 nairas pour 1 dollar. Cependant, la plupart des hommes d’affaires n’avaient pas accès aux devises au taux officiel. L’écart entre le taux officiel et le taux du marché parallèle s’est donc creusé.
Cette disparité entre le taux officiel et le taux du marché parallèle a effrayé les investisseurs, provoquant une chute de plus de 200 % des investissements directs étrangers. Les compagnies aériennes internationales ont affirmé que plus de 840 millions de dollars étaient bloqués dans le système, ce qui a contraint certaines d’entre elles, dont Emirates, à quitter le pays. Pire encore, seuls les amis d’Emefiele auraient obtenu des devises au taux officiel, nombre d’entre eux étant devenus millionnaires du jour au lendemain grâce à l’arbitrage.
Toutefois, les partisans d’Emefiele affirment que son mandat n’a pas été entièrement sombre. En tant que gouverneur de la banque centrale, Emefiele, conformément à la politique agricole de Buhari, a introduit le programme « Anchor Borrowers ». M. Emefiele a déclaré que grâce à ce programme, un total de 1,09 milliard de nairas (2,3 milliards de dollars) a été versé à 4,6 millions de petits exploitants agricoles qui cultivent ou élèvent 21 produits agricoles. Le gouverneur de la banque centrale a affirmé que grâce à cette intervention, le Nigeria avait cessé d’importer du riz et était devenu le plus grand producteur de cette denrée sur le continent.
Goutte d’eau
Avant le scrutin présidentiel de 2023, une campagne massive a été menée pour qu’Emefiele participe aux primaires de l’All Progressives Congress face à Bola Tinubu. Les agriculteurs qui avaient bénéficié de son intervention auraient versé pour lui quelque 100 millions d’euros.
Dans un premier temps, le gouverneur de CBN a rejeté l’idée, car la loi nigériane lui interdit de s’engager dans d’ « autres activités ». Cependant, il s’est secrètement adressé à un tribunal pour obtenir une ordonnance qui lui permettrait de se présenter à la présidence sans démissionner. Malgré cette controverse, le président Buhari a ignoré les appels à le démettre de ses fonctions. Après avoir perdu en justice, Emefiele s’est tenu à l’écart de la politique.
Pour Tinubu et ses alliés, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la décision d’Emefiele d’introduire une politique controversée de redéfinition du naira pendant la saison électorale. L’objectif principal de cette politique était de lutter contre la contrefaçon, de réduire le blanchiment d’argent et l’achat de votes. Même si les nouveaux billets n’étaient pas largement disponibles, il a insisté sur le fait que leur cours légal serait suspendu à partir du 31 janvier.
Cette pénurie d’argent a aggravé la faim et déclenché des émeutes dans de nombreuses régions du pays : des banques ont été incendiées et des distributeurs automatiques de billets ont été vandalisés par des clients frustrés. Craignant que cela n’affecte les chances du parti au pouvoir lors des élections, Tinubu et certains gouverneurs de l’APC ont demandé à Emefiele et Buhari de suspendre cette politique. Le duo a refusé de reculer.
Après la victoire de Bola Tinubu, il devenait évident qu’Emefiele serait traité comme une persona non grata par la nouvelle administration. Le discours inaugural de Tinubu, dans lequel il a dénigré la politique de refonte du naira et le régime de taux de change d’Emefiele, était déjà un signal de ce qui allait se passer.
Le 9 juin 2023, Emefiele a finalement été suspendu de ses fonctions, puis arrêté par la police secrète pour sabotage économique, financement du terrorisme et abus de pouvoir.