Désigné en avril 2021 à la tête du ministère de la Communication et de l’Économie numérique, Amadou Coulibaly veut surfer sur la dynamique incontestable de l’écosystème digital, à l’heure où l’économie numérique contribue à environ 3% du PIB de la Côte d’Ivoire. Très attentif aux détails, l’ancien pensionnaire de l’École militaire préparatoire technique (EMPT) de Bingerville est déterminé à mener à bon port les projets du gouvernement dirigé par Patrick Achi.
S’il reconnaît la complexité de certains dossiers, Amadou Coulibaly – qui fait la promotion de « la Côte d’Ivoire zéro papier à l’horizon 2030 » – croit au haut potentiel de son pays et à l’action de son ministère. D’ailleurs, les prévisions de la Banque mondiale misent sur le secteur du numérique comme accélérateur du progrès économique et vecteur de croissance inclusive en Côte d’Ivoire, avec des revenus estimés à 5,5 milliards de dollars d’ici à 2025 et plus de 20 milliards de dollars à l’horizon 2050.
Lors de la troisième édition du Cyber Africa Forum (CAF), organisé à Abidjan les 24 et 25 avril dernier, Amadou Coulibaly a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : La Côte d’Ivoire s’est engagée dans la transformation structurelle de son économie avec le digital pour moteur. Quelles sont les grandes orientations de cette politique ?
Amadou Coulibaly : Notre stratégie nationale de développement de l’économie numérique repose sur sept piliers essentiels. Du déploiement des infrastructures et des services numériques à l’inclusion financière, en passant par le renforcement des compétences et la création d’un climat des affaires propice aux investissements… Sans oublier l’innovation et la confiance numérique, avec en toile de fond les questions liées à la cybersécurité.
Pour y parvenir, il faut aussi arriver à un changement dans le comportement et les usages des Ivoiriens. Il faut que les populations parviennent justement à adopter la digitalisation et les outils numériques dans leurs pratiques du quotidien. Par ailleurs, nous tenons compte du programme de conduite de changement, inclus dans notre stratégie nationale de développement de l’économie numérique.
De ces sept piliers, quels sont les dossiers prioritaires ?
Nous avons dégagé plusieurs programmes prioritaires, notamment celui de l’inclusion sociale numérique avec pour objectif qu’aucun Ivoirien ne soit laissé pour compte dans cet écosystème. Le développement des infrastructures numériques demeure également un dossier important pour que la connectivité puisse arriver partout et bénéficier à tous les Ivoiriens. Toutefois, vous aurez beau créer des infrastructures et des services, si les usagers n’ont pas les compétences pour utiliser ces outils, c’est comme si vous aviez une belle Rolls-Royce mais sans conducteur. Ainsi, le développement des compétences numériques est aussi un programme indispensable pour nous permettre d’atteindre notre objectif, celui d’une Côte d’Ivoire zéro papier à l’horizon 2030.
Nous voulons que notre pays et ses administrations soient totalement digitalisés, c’est pourquoi le développement des compétences numériques nous paraît essentiel. Avec la prochaine mise en œuvre de ce programme, nous formerons tous les Ivoiriens pour qu’ils puissent utiliser les services digitalisés de l’administration. Une convention sera signée avec le ministère de l’Éducation nationale pour que nous puissions former les citoyens dans les salles informatiques lui appartenant pendant les périodes de vacances.
Où en est la Côte d’Ivoire de son programme d’infrastructures numériques ?
En termes de développement des infrastructures, nous avons achevé les travaux de notre réseau de backbone national, initié par l’Agence nationale du service universel des télécommunications (ANSUT), pour faire en sorte que la connectivité arrive le plus près possible des populations. Quant à la mise en place d’un datacenter national, notre ambition est d’en créer un. Et c’est aussi une priorité. En tant qu’État, nous pensons que pour assurer notre souveraineté numérique, il faut héberger nous-mêmes nos données plutôt que de les confier à un acteur privé ou étranger.
Selon la Banque mondiale, l’économie numérique contribue à environ 3% du PIB de la Côte d’Ivoire qui compte doubler cette contribution à l’horizon 2025. D’où viennent ces 6% d’objectif ?
Avec tous les progrès qui sont en train d’être réalisés, nous pensons que cet objectif peut être atteint en un an. Il y a de grands efforts qui sont déployés par le gouvernement. Le chef de l’État a également une vision très claire du développement de l’économie numérique en Côte d’Ivoire. Il a d’ailleurs signifié lors de son message de fin d’année, avec une adresse bien particulière à la jeunesse, son intention de développer tout un écosystème qui soit favorable aux start-up et à leur déploiement. Dans ce contexte, nous croyons que l’économie numérique peut apporter un coup de boost. Doubler la contribution au PIB est certes un objectif ambitieux, mais il demeure réalisable. Et nous avons la volonté de le concrétiser pour renforcer notre économie.
Vous avez annoncé un projet de loi portant sur « la promotion des start-up » en janvier dernier. Pourquoi Abidjan a-t-il tardé à lever tous les freins au bon développement des start-up ?
Hormis le ministre Koné Bruno, qui a eu une certaine longévité à la tête de ce portefeuille ministériel, de nombreux ministres se sont succédé, mais sans rester suffisamment longtemps pour pouvoir véritablement déployer de stratégie. Sur cette courte période, le travail a commencé en amont et, à chaque fois, la mission a été de remettre l’ouvrage sur le métier. J’ai pu hériter de ce travail pour conduire à terme ce projet de loi visant à créer l’environnement nécessaire au développement des start-up. Le plus important est que nous l’ayons fait dans un contexte où le chef de l’État a mis en avant la jeunesse pour cette année 2023.
Le gouvernement s’est engagé à favoriser l’essor des start-up. Quelles actions concrètes comptez-vous mener pour améliorer le niveau des jeunes pousses ivoiriennes ?
Lancée en janvier dernier avec le ministère de la jeunesse, l’initiative « Start-up Boost Capital », un fonds doté d’un budget d’un milliard de F CFA, œuvre à accélérer le développement des start-up et assurera un accompagnement financier aux différents acteurs de l’écosystème tech. Outre l’aspect financier, il y a le cadre réglementaire qui réunira toutes les conditions pour que les jeunes pousses puissent se développer en Côte d’Ivoire.
Il existe également le programme économique pour l’innovation et la transformation des entreprises (PEPITE-Côte d’Ivoire), destiné à soutenir les petites et moyennes entreprises naissantes, grâce à un accompagnement aussi bien financier que technique pour renforcer le tissu entrepreneurial. Par ailleurs, le chef de l’État souhaite que le gouvernement parvienne à créer un incubateur ou un campus numérique gouvernemental pour accélérer le développement des start-up ivoiriennes.
L’écosystème numérique en Côte d’Ivoire est-il prêt à faire pousser une future licorne sur le continent ?
Voir émerger une ou des licornes dans tout cet environnement de start-up qui est en train de se créer est évidemment notre ambition. Nous sommes optimistes parce que nous avons la chance d’avoir une population de jeunes qui sont créatifs [environ 75% de la population a moins de 35 ans]. Il n’y a qu’à voir tous les incubateurs privés qui sont en train de naître et l’engouement pour notre pays. Je n’ai aucun doute que tout cet écosystème pourrait permettre à une licorne d’émerger.
Je ne peux pas vous dire dans quels termes – je n’ai pas de boule de cristal – mais toutes les conditions sont réunies pour que cela finisse par arriver, espérons le avant 2030. Je pense que les efforts aussi bien du gouvernement que du secteur privé – qui vous le savez bien ne va pas où il n’y a pas d’intérêt – montre qu’il y a un fort potentiel et que nous avons des raisons d’espérer. Certaines start-up ivoiriennes arrivent à lever des fonds. Elles ont juste besoin d’être accompagnées.
Un autre sujet suscite une attention particulière : la cybersécurité. Le gouvernement est souvent pris pour cible par des cybercriminels. Comment l’État s’organise-t-il face aux menaces ?
Il n’y a pas que la Côte d’Ivoire qui est prise pour cible, c’est un fléau qui touche le monde entier. Pour lutter contre la cybercriminalité, nous avons un projet de création d’une agence nationale de sécurité des systèmes informatiques (ANSSI) et d’un Centre de supervision national des opérations de sécurité (SOC). Notre objectif est de passer du CI-CERT, principal centre de coordination en matière de cybersécurité, à une agence pour définir une norme pays et développer par derrière tous les centres d’observation pour pouvoir être très réactif sur les incidents critiques qui pourraient arriver dans notre écosystème.
Aujourd’hui, les textes sont quasiment bouclés. Bien que l’initiative soit celle du ministère de l’Économie numérique, sa validation nécessite l’adhésion de différents départements ministériels, notamment ceux de la défense, de la sécurité, de l’économie, des finances et du budget. Les documents sont en train de faire le circuit. Une fois que tous les inputs seront communiqués, le projet sera présenté au gouvernement pour le faire adopter en conseil des ministres avant de passer par l’Assemblée nationale avant la fin de cette année.
Sur quels types de partenaires la Côte d’Ivoire envisage-t-elle s’appuyer ?
Quand on regarde la complexité et l’intensité des attaques que nous connaissons, la lutte nécessite une ouverture et une collaboration de tous. Tout comme la lutte contre le terrorisme, la lutte contre les cybercriminels implique une coopération internationale car aucun pays ne peut faire face à cette menace tout seul. Quand on regarde ces attaques, qui sont transnationales, nous pensons qu’aucun pays ne peut en arriver à bout.
Face à cette menace, il existe des regroupements régionaux, comme l’Union européenne qui s’unit pour prendre des dispositions, définir des normes et des règles en ce qui concerne les questions de cybercriminalité. Nous pensons qu’il faut être ouvert et travailler avec tous ceux qui pourraient nous faire les meilleures offres en termes de protection de nos infrastructures et des données de nos populations.