Le journaliste sénégalais Pape Alé Niang. © Dakar Matin
Depuis sa libération le 10 janvier dernier, après presque deux mois d’incarcération, Pape Alé Niang se fait discret. Placé sous contrôle judiciaire, le rédacteur en chef de Dakar Matin se remet de sa longue grève de la faim. Toujours accusé de « diffusion de documents militaires de nature à nuire à la défense nationale » et de « divulgation de fausses nouvelles », il n’a pas le droit de s’exprimer sur l’affaire, mais revient sur les tensions politiques qui croissent à mesure que se rapproche la présidentielle de février 2024.
Jeune Afrique : Comment allez-vous, plus de deux mois après votre libération ?
Pape Alé Niang : Sur 62 jours de détention, j’ai fait 31 jours de grève de la faim, donc à ma libération j’étais très faible, je n’arrivais pas à marcher. J’ai été hospitalisé une semaine et je continue à suivre un traitement pour retrouver un rythme alimentaire normal. Je vis en permanence avec une épée de Damoclès au dessus de la tête, et mon contrôle judiciaire m’interdit de quitter le Sénégal. À ma sortie de prison, j’ai d’ailleurs demandé à aller me faire soigner en France, en région parisienne, mais ma demande a été refusée.
Vous avez, durant votre incarcération, reçu de nombreux soutiens, y compris depuis l’étranger. Comment l’avez-vous vécu ?
Cela m’a donné la force de me battre. Lorsque j’étais à la prison de Sébikotane, l’administration pénitentiaire m’a même dit qu’à cause de moi, le jour des visites était le plus fatigant tant je recevais de monde !
Un deuxième journaliste, le chroniqueur Pape Ndiaye, a été écroué le 7 mars. Cela vous inquiète-t-il ?
Macky Sall avait affirmé lors de son élection en 2012 qu’aucun journaliste n’irait en prison sous sa magistrature. Force est de constater que ces derniers mois, le pouvoir a choisi la stratégie de l’intimidation, l’humiliation et l’emprisonnement. Il est devenu risqué d’exercer son métier librement au Sénégal pour ceux qui ne font pas du journalisme de palais et qui, comme moi, sont étiquetés comme étant proches de l’opposition.
Dans le fond, cette étiquette ne me dérange pas tant que ça ; d’ailleurs, quand Macky Sall se trouvait dans l’opposition, j’y était aussi. J’ai même été très proche de lui au début des années 2010, lorsqu’il était persécuté ou accusé de blanchiment d’argent par l’ancien président Abdoulaye Wade. Ce n’est pas moi qui ai changé, c’est lui.
Comment l’expliquez-vous ?
Tout cela est lié au fait que le président souhaite briguer un troisième mandat consécutif, alors que la Constitution le lui interdit [Macky Sall n’a pour l’instant pas dit s’il comptait se représenter]. Pourtant, en 2016, il avait fait le tour des chefs religieux du Sénégal pour leur assurer que la révision constitutionnelle qui restaurait le quinquennat ne changerait rien et qu’il ne ferait que deux mandats. Il justifiait même cette réforme en disait qu’il fallait éviter qu’un président ne tenter de s’accrocher au pouvoir, comme en 2012.
Récemment, même son ancienne Première ministre, Aminata Touré, a témoigné de son incompréhension en se demandant comment le président avait pu manifester avec elle à l’Obélisque contre Abdoulaye Wade et dire aujourd’hui que, s’il le souhaite, il peut briguer un deuxième quinquennat alors que cela équivaudrait à un troisième mandat.
Et vous, pensez-vous qu’il va se présenter ?
Ce que je sais, c’est que pour préparer un dauphin, il faut du temps. Je pense aussi que si des pays partenaires, comme la France d’Emmanuel Macron, venaient à lui dire que ce n’est pas souhaitable qu’il soit de nouveau candidat, Macky Sall pourrait en tenir compte.
Malheureusement, on a l’impression que la France s’est mise au même niveau que la Chine et qu’elle ne se bat plus pour les valeurs démocratiques. La seule chose qui l’intéresse, c’est que ses entreprises remportent des marchés, alors que notre histoire commune est bien plus grande. Cela explique une certaine frustration et le fait que des entreprises françaises, comme Auchan ou Total, ont été visées par les jeunes.
Quel regard portez-vous sur la trajectoire d’Ousmane Sonko, le principal opposant du pays sur lequel pèse un risque d’inéligibilité ?
Il est amusant de constater qu’en 2011-2012, lors de ses discours pour accéder au pouvoir, Macky Sall prônait les mêmes choses qu’Ousmane Sonko aujourd’hui : il disait qu’il fallait travailler pour l’indépendance de la justice, remettre la République en place, respecter les institutions… Il allait même plus loin en accusant Abdoulaye Wade de recruter des mercenaires ! Pour de tels propos, on risquerait aujourd’hui la prison.
Abdoulaye Wade avait ses défauts, mais il laissait l’opposition s’organiser, tenir des meetings ou des manifestations sans avoir à supplier le préfet. Aujourd’hui, il me paraît très clair que Macky Sall souhaite éliminer Ousmane Sonko de la course à la présidentielle. C’est lui qui doit décrisper la situation en permettant l’organisation d’une élection libre.
Le climat politique est déjà tendu…
Il est même explosif ! Il n’y a qu’à sortir à Dakar la veille d’une convocation d’Ousmane Sonko au tribunal pour se croire à l’intérieur de la bande de Gaza, avec des quartiers bunkerisés, des blindés et des policiers partout. Il suffirait que Macky Sall dise qu’il n’est pas candidat pour que le pays respire à nouveau.