Lefaso.net : Comment vous présentez-vous, Monseigneur ?
Mgr Anselme Titianma Sanou : D’abord paix, joie, confiance en vous, à ceux qui vous suivent aussi, votre public. Je suis Zezouma Anselme Titianma Sanou de Kibidoué. Administrativement né le 31 décembre 1937, j’ai grandi entre Sya Kibidoué et Sya Tounouma. Jusqu’à présent, nos origines sont là-bas à Kibidoué, nous sommes fondateurs de ce qui est devenu Bobo-Dioulasso. J’ai grandi surtout à Farakan.
Parlez-nous de votre parcours.
J’ai fait l’école primaire à la mission catholique de Tounouma avec une année à Dano. J’ai fait le secondaire au petit séminaire de Nasso, de 1939 à 1956. Ensuite je suis allé au grand séminaire de Koumi, j’y ai passé six ans, j’ai été ordonné prêtre et ma première mission c’était à Banfora qui était en fondation. Ensuite, j’ai été envoyé aux études à Paris et à Rome, dans le domaine d’abord des sciences religieuses, en théologie. J’ai eu la chance d’être en contact avec l’université de Dakar pour des postes de professeur en linguistique. Donc comme universitaire, je suis linguiste de formation. En 1967, on m’a fait revenir pour enseigner au grand séminaire à nouveau, où je suis resté jusqu’en 1975 pratiquement. Et là, on m’a nommé évêque de Bobo-Dioulasso. J’ai exercé cette fonction jusqu’en 2010. Donc cela fait maintenant treize ans que je suis à la retraite. Mais dans le domaine religieux et intellectuel, il n’y a pas de retraite, c’est le rythme seulement qui est amorti.
Quelle est la place actuelle de la religion dans la société burkinabè ?
La religion est en train de faire irruption dans la société burkinabè. Je l’ai déjà dit au cours d’une réunion, mais certains ont dit qu’on est dans le sens du contraire. La religion est un phénomène culturel. La culture de l’homme, son intelligence, son esprit… la culture de ce dont l’homme vit, ce qu’il veut vivre, c’est ça la religion, c’est ça le culte. Ces cultes sont présentement la religion traditionnelle ou les religions traditionnelles, et ensuite le christianisme (catholicisme, protestantisme).
Le judaïsme n’est pas tellement pratiqué chez nous, mais il y a quelques adeptes et puis il y a l’islam. On peut dire que ce sont les trois éléments principaux de cette situation. La colonisation a désossé nos traditions en désossant aussi la religion traditionnelle parce qu’elle est liée à une terre, à ses coutumes, à ses traditions. Il y a ce qu’on appelle maintenant les religions révélées que sont le catholicisme et l’islam qui ont impacté l’évolution de nos sociétés au moment où elles s’effritaient, et l’une ou l’autre de ces deux traditions religieuses ont été reçues. L’esprit laïc qui est un très bon esprit, s’il est bien compris, était devenu comme areligieux.
Il fallait pratiquement piétiner sa religion ou tout simplement ne pas en tenir compte du point de vue de la conscience. Alors nous étions embarqués dans cela et il y a des groupes rationalistes, intellectualistes parfois universitaires, qui sont non seulement areligieux mais anti-religion, et je dis que c’est une trahison pour ce qu’est la terre Afrique. Dans la situation actuelle, la religion d’abord est un bouclier pour certaines situations, certaines actions, qui n’ont rien à voir avec la conscience religieuse. On tue ta conscience et on te dit que tu dois agir au nom de telle religion. Malheureusement, il y a des faits comme ça non seulement ici mais en Afrique de façon générale.
L’autre élément, c’est que des questions fondamentales se posent. Quand il y a un tremblement de terre, tout tombe autour de toi, à quoi t’accrocher ? Beaucoup de nos compatriotes vivent ces situations-là. Dieu, l’invisible, le Tout-puissant, le miséricordieux pour nous les théologiens, peu importe le nom qu’on lui donne, est assez compréhensif pour accueillir ceux qui viennent parce qu’ils sont dans le naufrage ou bien ceux qui viennent et reconnaissent qui il est. Il accueille tout le monde. Actuellement, on le constate dans beaucoup de discours, on termine par des bénédictions, des prières parce que tout tremble, tout est ébranlé. À quoi s’accrocher ?
C’est à Dieu seulement. La religion n’est pas un ramassé de gens qui sont en désespoir de cause, mais Dieu nous accueille quand nous sommes dans ces situations. La religion, c’est cette dimension d’équilibre d’abord à l’homme et aussi par rapport aux situations humaines. Des solutions profondes sont inspirées par les dimensions de la religion. Il faut dire que la construction à la fois sociale, économique, politique, éthique, morale d’une société passe par cette dimension religieuse, cette dimension spirituelle. Une société sans spiritualité, c’est une société sans âme.
L’esprit d’intelligence, l’esprit de solidarité, de fraternité, l’humanisme profond ne peut être que religieux. Pour nous en anthropologie, la linguistique conduit à ça ; l’homme est homme quand il est devenu religieux, mais s’il cesse d’être religieux, il est sous-homme. Mais il ne faut pas utiliser la religion comme bouclier pour faire ce qui est contre la religion, c’est-à-dire la méchanceté, la violence…
Que pensez-vous de l’incivisme grandissant, surtout des jeunes au Burkina ?
Nous sommes arrivés à une espèce de prise de conscience, parce que dans les années 2010 quand j’étais encore en contact quotidien avec les jeunes, les associations, je faisais les conférences, ça revenait souvent, l’incivisme des jeunes. C’est l’éducation qui n’est pas là, les parents qui ne jouent plus leur rôle, la famille qui est en danger… et puis la modernisation, les promoteurs des droits humains.
En ce qui concerne certains points sur les droits humains, certains sont antisociaux. J’ai écrit plusieurs fois pour dénoncer cela. Il n’y a pas de droits sans devoirs. Nous, nous parlions depuis 2013 du vivre-ensemble non seulement pour le Burkina, mais aussi de l’Afrique, dans notre association de théologie. Le vivre-ensemble, c’est la reconnaissance de l’autre comme moi et la reconnaissance de moi-même comme l’autre. On est venu saupoudrer ça de genre, de droits de l’enfant… mais c’est tout un ensemble qui crée ce courant.
Après l’insurrection, il y a eu un sursaut du côté de la jeunesse. On parlait de jeunesse consciente et ça a peut-être permis aux jeunes, à certains au moins, de dire qu’ils ne doivent pas se laisser embarquer simplement pour aller là où on veut les mener. À cette période-là on pouvait dire aux jeunes : « Vous vous laissez embarquer alors que c’est vous-mêmes qui pouvez mener l’histoire ». J’ai pensé qu’à partir de l’insurrection, ces dimensions allaient être retrouvées.
Malheureusement, cette étape est passée trop tôt. Il y a eu beaucoup de négligences, de défaillances. On a voulu retrouver l’ordre constitutionnel en s’insérant dans les mêmes ornières. Je connais certaines autorités qui ont glissé d’une étape à l’autre comme ça, et si je pouvais les rencontrer, j’allais leur demander avec quelle conscience elles font ça ? Ce qui fait que quand des jeunes parlent d’eux, ils ne sont pas emblématiques. Les jeunes se demandent mais qui ils sont au fond ? Qu’est-ce qu’ils veulent au fond pour le pays ?
Par exemple à cette période-là, y en a qui disaient aux jeunes que le patriotisme mène aux extrémismes. Cet incivisme court toujours. Mais ces derniers jours, les discours qui sont donnés montrent quand même qu’il y a des jeunes qui sont conscients et qui veulent bâtir quelque chose ensemble. Il faut construire ça, apprendre à devenir citoyen, j’ai beaucoup écrit là-dessus. Il faut d’abord aimer sa terre, sa ville, son village comme dirait Sankara, et aimer aussi les autres villes et villages. Le vrai civisme est en même temps démocratique. Et la démocratie, ce n’est pas le peuple dans la rue.
La démocratie, c’est les hommes conscients, responsables qui prennent en main leur destin. Alors en cela, peu importe l’âge. On peut voter à 18 ans maintenant. Et pour être capable de voter à 18 ans, il faut s’y préparer bien avant. Il y a cette prise de conscience qui se fait quand même par un certain nombre de jeunes, pour ne pas être simplement utilisés à d’autres fins que ce qu’ils avaient eux-mêmes prévues. On a demandé à Nelson Mandela où va l’Afrique du Sud et il a répondu : l’Afrique du Sud va où nous la menons. Quand on a affaire à une jeunesse consciente, il faut la former.
Quelle est votre vision sur la situation sécuritaire du Burkina ?
C’est une préoccupation quotidienne. Au départ, je disais que je sentais venir ces moments. Et au lieu d’analyser les causes pour y remédier, il y a eu des acteurs pour stigmatiser tel groupe ou tel groupe. Actuellement, il y en a qui vivent des situations dramatiques quand d’autres membres de leurs familles viennent contre eux. Si dans de tels évènements tu vois un frère qui a livré son frère, qu’est-ce que tu vas faire ? Tu le convoques en justice mais la justice ne fera rien et tu ne peux pas te rendre justice. Je me souviens du cas d’une jeune fille que j’ai rencontrée dans un hôpital au Rwanda, dont tous les membres de la famille ont été tués.
Il ne restait que son frère et elle. Elle m’a dit que si elle connaissait ceux qui ont fait ça et qu’elle en avait les moyens, elle les tuerait. Je lui ai répondu que comme elle ne savait pas qui c’était, c’est tout le monde qui est coupable. Alors, elle s’est résolue à pardonner. Au début, on a proposé des journées du pardon dans le pays mais les Burkinabè n’en n’ont pas voulu. Y en a qui ont réclamé la justice d’abord avant la réconciliation. J’ai cité le cas de l’Afrique du Sud et du Rwanda. Il y a la justice à côté mais ils ont mené un processus de réconciliation. J’ai dit que la vérité est la force du pardon. La vérité est la force aussi de la paix. Mais si on fait la vérité dans l’intention de vengeance, cela engendre d’autres problèmes. Dans certaines situations, il faut récupérer sa terre. [ Cliquez ici pour lire l’intégralité ]
Entretien réalisé par Haoua Touré
Lefaso.net