Désastreuses, ennuyeuses, abstraites, les homélies ? C’est le pape François qui le dit. C’est un sujet de prédilection sur lequel il s’exprime souvent et auquel il a consacré un long développement dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium (1). « Je recommande beaucoup la préparation de l’homélie et le soin de la prédication », insiste-t-il (2).
L’homélie est au « cœur de l’Eucharistie ». Elle n’est donc, martèle-t-il, ni un cours de Bible, de morale ou de doctrine, ni une conférence, ni une catéchèse, ni une méditation, ni un « spectacle de divertissement » !
Quand on rassemble les propos de François sur le sujet, son intention apparaît plus clairement : la préparation de l’homélie est, pour le prête (et le diacre ou l’évêque, autres ministres ordonnés), un exercice spirituel, pour reprendre le vocable jésuite, qui l’enracine dans l’écoute et la méditation de la parole de Dieu – et nourrit sa vie spirituelle quotidienne. Sa prise de parole dominicale n’est que l’aboutissement d’un processus, d’une « conversion » personnelle.
1. Ne pas hésiter à y passer du temps
Pour le pape, la prédication est une priorité. Elle est le « grand ministère » pour le prêtre et revêt « un caractère quasi sacramentel ». La pratique de l’homélie est spirituellement exigeante. « Transmettre la certitude que Dieu nous aime » n’est, pour le prêtre, rien de moins que « la condition de crédibilité de son sacerdoce » (3). C’est pourquoi, il « convient d’y consacrer un temps prolongé d’étude, de prière, de réflexion et de créativité pastorale » (4).
Après avoir invoqué l’Esprit Saint, le prédicateur cherche à en comprendre le message principal, en prenant son temps et en faisant preuve de patience. Il faut « prêter attention aux mots qui sont répétés ou mis en relief, reconnaître la structure et le dynamisme propre d’un texte, considérer la place qu’occupent les personnages » (5) et le « mettre en connexion avec l’enseignement de toute la Bible, transmise par l’Église » pour éviter les « interprétations fausses ou partielles » (6).
Outre l’aspect technique, le prêtre doit « acquérir une grande familiarité personnelle avec la parole de Dieu ». Cela signifie, contempler le texte, le prier et l’accueillir profondément. « Quiconque veut prêcher doit d’abord être disposé à se laisser toucher par la Parole et à la faire devenir chair dans son existence concrète. (…) On doit accepter d’être blessé d’abord par cette Parole qui blessera les autres » (7).
Cela implique pour le prédicateur de s’interroger. « Seigneur, qu’est-ce que ce texte me dit à moi ? Qu’est-ce que tu veux changer dans ma vie avec ce message ? Qu’est-ce qui m’ennuie dans ce texte ? Pourquoi cela ne m’intéresse-t-il pas ? ou Qu’est-ce qui me plaît, qu’est-ce qui me stimule dans cette Parole ? Qu’est-ce qui m’attire ? Pourquoi est-ce que cela m’attire ? »
François est bien conscient que cette façon de faire est délicate. Elle peut être source de tentations. « Une d’elles est simplement de se sentir gêné ou oppressé, et de se fermer sur soi-même ; une autre tentation très commune est de commencer à penser à ce que le texte dit aux autres, pour éviter de l’appliquer à sa propre vie » (8).
Enfin, le pape recommande de ne pas préparer son homélie seul. « J’aime quand les prêtres se réunissent deux heures pour préparer l’homélie du dimanche suivant, car cela confère un climat de prière, d’étude, d’échange d’opinions. Cela est bon, cela fait du bien » (9).
2. Être bien connecté à son public
« C’est précisément dans l’homélie que l’on mesure le degré de proximité du pasteur avec son peuple » (10), indique François, qui exhorte les prêtres à « être proches », à « se rendre proches » des gens, à connaître leurs questions, leurs modes de vie et d’expression, les situations qu’ils traversent. L’important est de rester connecté à la vie quotidienne pour ne pas devenir vaporeux. « Rappelons qu’on n’a jamais besoin de répondre à des questions que personne ne se pose », dit-il.
Le prêtre peut compter sur son « discernement évangélique » et sa « sensibilité spirituelle pour lire dans les événements le message de Dieu ». Sans, pour autant, se transformer en commentateur de l’actualité. « Il n’est pas non plus opportun d’offrir des chroniques de l’actualité pour susciter de l’intérêt : pour cela, il y a déjà les programmes télévisés. Il est quand même possible de partir d’un fait pour que la Parole puisse résonner avec force dans son invitation à la conversion, à l’adoration, à des attitudes concrètes de fraternité et de service, etc. »
Le prédicateur a la « très belle et difficile mission d’unir les cœurs qui s’aiment : celui du Seigneur et ceux de son peuple ». Durant le temps de l’homélie, « les cœurs des croyants font silence et Le laissent leur parler ». Certes, Dieu et son peuple peuvent se parler de « mille manières directement, sans intermédiaires ». Cependant, « dans l’homélie ils veulent que quelqu’un serve d’instrument et exprime leurs sentiments, de manière qu’ensuite, chacun puisse choisir comment continuer sa conversation » (11).
3. Parler court et simple
«Parlez simplement, parlez aux cœurs », disait François aux prêtres qu’il venait d’ordonner (12). Le pape ajoute, au risque de se répéter : parlez de façon concise, « pas plus de dix minutes » ! Il résume les ingrédients d’une bonne prédication à trois mots-clés : « Une idée, une image et un sentiment », dit-il avant de préciser : « Que les gens s’en aillent avec une idée, une image et quelque chose qui a bougé dans leur cœur. L’annonce de l’Évangile est simple ! Et ainsi prêchait Jésus qui prenait les oiseaux, qui prenait les champs, qui prenait (...) les choses concrètes, mais que les gens comprenaient» (13).
Le dialogue qui s’établit entre Dieu et son peuple peut être comparé au « milieu maternel et ecclésial » dont la « langue est un ton qui transmet courage, souffle, force et impulsion ». Il se manifeste, chez le prédicateur, par « la chaleur de son ton de voix, la douceur du style de ses phrases, la joie de ses gestes » (14).
François invite ses prêtres à ne pas craindre de se mouiller personnellement. « Le Seigneur veut nous utiliser comme des êtres vivants, libres et créatifs, qui se laissent pénétrer par sa Parole avant de la transmettre ; son message doit passer vraiment à travers le prédicateur, non seulement à travers la raison, mais en prenant possession de tout son être » (15).
Il appelle les prêtres fà devenir trilingues, à parler avec le langage de la tête qui pense, avec celui du cœur qui ressent, et avec celui de la main qui agit : « Que je pense ce que je ressens et ce que je fais, explique François ; que je sente ce que je pense et ce que je fais ; que je fasse ce que je sens et ce que je pense. » Une phrase à lire posément...
Malicieux, François insiste pour qu’on ne chasse pas les enfants qui pleurent durant la messe. « Jésus a fait la même chose, le savez-vous ? J’aime penser que la première prédication de Jésus dans la crèche a été ses pleurs » (16).