♦ « Raconter aux autres les histoires qu’ils ont aimées »
Sandrine Scaduto,professeure des écoles en CP à Paris 15e
« En début d’année de CP, pour ménager une transition douce, je raconte aux enfants des albums de grande section de maternelle, en privilégiant ceux qui parlent de livres. Tel le formidable J’aime les livres d’Anthony Browne dans lequel un petit singe détaille tous les volumes qu’il apprécie : ceux qui font rire, font peur, font rêver… Très vite, les élèves prennent eux-mêmes des livres, d’autant que j’ai installé dans la classe un coin bibliothèque avec des “quartiers” en fonction du niveau des enfants, pour ne pas décourager avec des textes trop difficiles ceux qui sont un peu à la traîne.
Dès qu’ils savent lire, je leur demande de raconter aux autres les histoires qu’ils ont aimées mais en laissant la fin en suspens pour donner envie à leurs camarades de se saisir à leur tour du volume. Cela les stimule, ce qui, à vrai dire, n’est pas très difficile car à cet âge ils sont, sauf rares exceptions, curieux de tout ! Ainsi, ils ne rechignent jamais au moment “silence, on lit” du vendredi : pendant une vingtaine de minutes, eux et moi prenons un livre et nous nous y plongeons dans le calme.
À la fin de l’année, chacun repartira avec un livre correspondant à son niveau et à sa personnalité. Et dès la rentrée, j’ai suggéré aux parents, surtout à ceux qui sont le moins favorisés culturellement, d’inscrire leur enfant à la bibliothèque municipale qui est gratuite.
J’ai aussi un puissant allié en la mascotte de la classe, le dinosaure mauve Dinomir, issu des albums illustrés par Quentin Blake et dont ma mère a cousu une grande effigie qui “habite” notre classe. Il nous accompagne tout au long de l’année, envoie des lettres aux enfants, reçoit leurs réponses, leur offre un stylo au retour des vacances… Ses aventures sont très bien écrites, en prise avec la vie quotidienne, riche d’un beau vocabulaire qui s’étoffe au fur et à mesure des albums.
Enfin, je m’appuie beaucoup sur… la nourriture, domaine qu’adorent les enfants ! Depuis le menu du jour à la cantine jusqu’à la recette de la galette des rois, tout est prétexte à lire et à écrire, les deux étant évidemment étroitement associés. »
♦ « Offrir une incarnation de l’invisible »
Pauline Bayle, metteuse en scène et directrice du Théâtre public de Montreuil
« J’étais lectrice bien avant de faire du théâtre. Dès que j’ai su lire, j’ai eu un rapport très compulsif aux livres. Très jeune, j’allais toute seule à la bibliothèque pour en emprunter et les dévorer. Pour moi, les livres et le théâtre sont intimement liés. Les premiers m’ont conduit au second. J’ai adapté sur scène l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, Illusions perdues de Balzac et je suis en train de travailler sur Virginia Woolf.
J’ai une foi immense en ces œuvres, autant pour les méandres de leur fiction que pour la puissance poétique de leur langue, et j’ai la conviction qu’elles apportent beaucoup à la réflexion sur la condition humaine.
Si mes spectacles donnent envie au public d’ouvrir ensuite ces livres souvent perçus comme difficiles, c’est formidable, mais ce n’est pas mon but premier. Sur le plateau, je cherche d’abord à offrir une incarnation de l’invisible, de cet imaginaire contenu dans la forme abstraite du texte.
Le théâtre part des livres et je crois qu’il mène souvent à d’autres livres. Pour moi, les œuvres théâtrales prennent la mesure de la complexité du monde et ouvrent nécessairement la voie à la réflexion. Elles suscitent l’envie de lire, et pas seulement le texte même de la pièce. C’est pourquoi, au Théâtre public de Montreuil, nous avons installé une librairie avec une sélection d’ouvrages autour des pièces proposées.
Par exemple, lors des représentations de l’Iliade, le public pouvait trouver à la librairie les livres de l’helléniste Pierre Judet de La Combe, ou l’essai de la philosophe Simone Weil L’Iliade ou le Poème de la force, qui m’avait énormément marquée. Il me semble très important de discuter avec les spectateurs, de parler avec eux de nos sources, nos inspirations…
Il y a toujours des lectures à l’origine d’une pièce, même quand celle-ci ne repose pas sur un texte en particulier et s’écrit au fil des répétitions. De nombreux metteurs en scène aiment ces moments d’échange avec le public, c’est une manière de transmettre le désir d’en savoir plus, d’ouvrir des horizons. Un spectacle est toujours un point de départ. »
♦ « Défaire la culpabilité face à la lecture »
Léa Szerman, libraire indépendante à Paris 13e
« Mon rôle en tant que libraire, c’est de créer un lieu et de laisser plusieurs ingrédients fonctionner. D’abord, sélectionner un concentré de livres qu’on veut défendre, en mettre plein les yeux pour que tout fasse envie. Ensuite, faire de la librairie un espace de liberté où l’on vous laisse tranquille, un espace de paix, de flânerie, de déambulation, qui permet aux visiteurs de prendre le temps. Les gens passent une demi-heure, trois quarts d’heure avec eux-mêmes et c’est un moment très riche qui permet d’appréhender ce que la lecture nous apporte. Cette pause ouvre la curiosité.
Bien sûr, si on me demande conseil, je suis ravie ! L’autre élément, c’est la discussion, l’échange où on peut suggérer, répondre à des demandes plus ou moins précises. Les gens hyper-ouverts aux conseils sont soit totalement curieux, soit totalement perdus.
Le plus important, c’est de défaire la culpabilité face à la lecture. Dans l’enceinte de la librairie, les adultes expriment souvent de la honte ou du repentir : “Je reconnais que je lis peu”, “je n’ai pas ouvert un livre depuis un mois”. Souvent aussi, les parents ou grands-parents qui accompagnent des enfants se désolent : “Pourtant, il aimait les histoires quand il avait 3 ans !” Pour donner envie de lire, il faut déculpabiliser. Expliquer qu’on peut être quelqu’un de merveilleux et ne pas lire, ou ne pas lire pendant un temps entier de sa vie, et ce n’est pas grave.
Depuis que j’ai ouvert ma Librairie du désordre à Paris en janvier 2020, j’ai constaté que le désir doit venir du lecteur. À nous simplement de le susciter. On peut donner envie de lire à un enfant sans interférer, en créant un lieu qui attise son désir, comme un rayon jeunesse dans une librairie. Pour qu’il soit attiré, on peut lui sortir quelques choix jeunesse et les laisser à sa disposition, à sa hauteur. Il faut aussi éviter de dire “ça, il faut le lire !”. Il n’y a rien qu’il “faille” lire, il faut marcher au pur désir. »
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Un quart d’heure… pour commencer
Le Centre national du livre (CNL) propose un « quart d’heure de lecture national » simultané dans toute la France, le vendredi 10 mars à 10 heures, sous le mot-dièse #10marsjelis. Chaque Français est ainsi invité à « s’interrompre pour lire quelques pages d’un livre de son choix pendant quinze minutes ».
Destinée à promouvoir la lecture, le plaisir, l’émotion et l’ouverture au monde qu’elle procure, l’opération inaugurée en mars 2022 – alors que la lecture était décrétée grande cause nationale 2021-2022 – élargit l’initiative lancée en 2018 par le ministère de l’éducation nationale dans les établissements scolaires.
Entreprises, associations, bibliothèques, librairies… sont conviées à faire connaître leurs actions spécifiques sur le site du CNL.