Chérif Ousmane Madani Haïdara,
DIX CHOSES À SAVOIR SUR – On n’avait pas vu une telle mobilisation à Bamako depuis les rassemblements exigeant le départ des troupes françaises ou, il y a plus de deux ans, les soulèvements monstres exhortant Ibrahim Boubacar Keïta à quitter le pouvoir. Le 4 novembre, des milliers de fidèles ont battu le pavé du boulevard de l’Indépendance de Bamako. Non pas pour protester contre un quelconque acteur politique ou militaire, mais afin de dire « non au blasphème ».
À l’origine de la mobilisation : le Chérif Ousmane Madani Haïdara qui a vivement réagi à la diffusion d’une vidéo montrant un homme marcher sur le Coran. Une démonstration de force pour cette figure de proue du Malikisme, qui a succédé à l’imam Dicko à la tête du Haut conseil islamique (HCI) en 2019.
1. Ançar Dine
Né en 1955 dans le village de Tamani, dans la région de Ségou, Chérif Ousmane Madani Haïdara a fondé en 1991 l’association islamique Ançar Dine, dont le nom se traduit en arabe par « défenseurs de la foi ».
L’association, surtout présente au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, compte des représentations dans une vingtaine de pays et revendique plus d’un million de fidèles. Si le nombre de ses adeptes est invérifiable, Ançar Dine compte une centaine de milliers d’adhérents, qui ont prêté serment et cotisent au sein de l’association.
2. Pas Ansar Dine
En 2012, le jihadiste malien Iyad ag Ghali crée un groupe armé lié à Al-Qaïda, qu’il nomme également Ansar Dine. Une homonymie qui met l’association du prédicateur dans l’embarras. « Cela a créé des confusions, des membres de l’organisation d’Haïdara ont été placés sous surveillance et il lui a fallu beaucoup communiquer pour dissiper le malentendu.
Mais Ançar Dine est un nom courant pour des organisations islamiques », précise l’anthropologue Gilles Holder, spécialiste des dynamiques sociales et politiques de l’islam. Depuis, le Chérif Ousmane Madani Haïdara n’a de cesse de condamner le djihad mené par Iyad ag Ghali.
3. Menaces de mort
« Nous n’avons rien à voir avec l’Ansar Dine du Nord, prévenait Haïdara dès 2012. Nous condamnons les mains qu’ils coupent. Nous condamnons leur islam […]. Les musulmans, les chrétiens et les non-croyants vivent en harmonie chez nous, telle est la volonté de Dieu. L’islam a toujours prôné le dialogue et non la guerre pour installer la charia. » Des condamnations répétées du djihad et de la campagne sanglante du touareg Iyad ag Ghali, qui lui ont valu, dès 2012, d’être visé par des menaces de mort.
4. Charia
Si les adeptes d’Haïdara se prêtent à la baya, serment de fidélité au prophète, le chef religieux s’oppose publiquement à l’instauration de la charia pour l’ensemble du Mali. « La charia, c’est pour les musulmans. Ici, au Mali, tout le monde sait qu’il y a des musulmans, des chrétiens, des juifs et des mécréants. Comment lui [Iyad Ag Ghaly, leader d’Ansar Dine, NDLR] peut-il porter la charia et son nouvel islam pour les Maliens ? On n’est pas d’accord avec la charia de Iyad, on refuse », déclare-t-il en 2012, rappelant que « le Mali est une République laïque ».
Une distinction du politique et du religieux qu’il défend, se plaçant en marge d’autres prédicateurs qui défendent une conception plus imbriquée des pouvoirs politique et religieux, à l’instar de l’imam Mahmoud Dicko.
5. Préservatifs
Engagé aux côtés de l’État malien dans la lutte contre le Sida, tout en défendant le principe de la chasteté préconisée par l’islam, Haïdara a, par le passé, exhorté ceux qui ne parviennent pas à s’abstenir d’avoir des relations sexuelles avant le mariage à faire usage de préservatifs.
Une démarche « totalement inconcevable pour certains de ses coreligionnaires », écrit le chercheur Boubacar Haïdara dans sa thèse « Les formes d’articulation de l’islam et de la politique au Mali ».
6. Déclarations-chocs
Contraception, prières, mosquées… Chérif Ousmane Madani Haïdara est coutumier des déclarations-chocs visant à « heurter l’aristocratie religieuse », souligne Gilles Holder, auteur d’une étude intitulée Chérif Ousmane Madani Haïdara et l’association islamique Ançar Dine. On a ainsi pu l’entendre déclarer que « la prière n’est pas l’islam ». « Il estime en effet que si la prière est un des piliers de l’islam et une obligation pour tout musulman, celle-ci ne suffit pas pour s’exonérer de vivre en conformité avec le Coran », justifie l’anthropologue.
Reste que la déclaration a fait grand bruit parmi ses coreligionnaires, tout comme celles concernant la prolifération des mosquées. « Dans un pays pauvre comme le Mali, si tu veux aider les gens tu les nourris, tu ne construis pas des mosquées », avait-il affirmé.
7. Imam Dicko
Entre Chérif Ousmane Madani Haïdara et l’imam Dicko, autre figure religieuse majeure au Mali, les rapports sont décrits comme « exécrables ». Doctrine, vision sociale, rapport du religieux et du politique : les deux hommes s’opposent en tous points.
Leur antagonisme prend racine dans les années 1980. À l’époque, le Mali est gouverné par l’autocrate Moussa Traoré, et Haïdara, fraîchement revenu de Bouaké en Côte d’Ivoire où il s’est formé, est interdit de prêcher en public par l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (AMUPI). Une association d’obédience wahhabite, la seule reconnue et autorisée par l’État, dont le secrétaire général est un certain Mahmoud Dicko.
8. Cassettes audio
Pour contourner l’interdiction de prêcher, Haïdara diffuse à partir des années 1980 des centaines de prêches par le biais de cassettes audio. Une méthode empruntée à Abd al-Hamid Kishk, religieux sunnite égyptien, qui fût lui aussi interdit de prêcher en public.9. Stade de foot
Autre occasion pour le prédicateur de sortir le prêche de l’enceinte de la mosquée : le Maouloud, qui commémore la naissance du prophète et dont Haïdara a fait un rendez-vous religieux de premier plan au Mali. Chaque année, Haïdara rassemble des dizaines de milliers de fidèles au sein d’infrastructures sportives.
S’il a un temps célébré le Maouloud sur le champ de course de l’hippodrome de Bamako, il honore désormais l’anniversaire du prophète Mahomet dans l’enceinte du stade du 26-Mars, dont les 60 000 places sont prises d’assaut chaque année.
10. Microcrédits
Au-delà de la simple activité religieuse, Ançar Dine s’est lancé, à la fin des années 2000, dans la microfinance. En Côte d’Ivoire comme au Mali, la fondation propose des microcrédits pour les fidèles qui n’ont pas accès aux prêts bancaires. Un levier d’autonomisation économique pour nombre de ses fidèles, dont la plupart sont issus de milieux défavorisés.