De plus en plus, j’entends un discours d’autoflagellation en ce qui concerne la transhumance des chrétiens catholiques vers les Églises indépendantes et « l’échec » de notre pastorale surtout quand on la compare au « succès » des Églises de réveil, des Églises pentecôtistes et autres évangéliques… Si seulement c’était une saine autocritique… Oui, j’aimerais que ce soit une véritable autocritique qui tienne compte des paramètres objectifs correspondant à chaque lieu, à chaque situation, pas à des apparences qui cachent souvent des terribles drames et surtout beaucoup de misères humaines.
Je commencerais par un portrait-robot des paroisses dans la plupart de nos missions en Afrique subsaharienne. Bien souvent ces paroisses couvrent un territoire subdivisé en communautés chrétiennes de base. L’estimation de la population dépend d’une région à l’autre. Chaque communauté chrétienne de base a son organisation autour d’un leadership qui est en lien direct ou indirect avec le conseil paroissial. La communauté de base assure certains ministères selon la capacité de ses membres ; ainsi elle peut s’occuper de l’instruction chrétienne des enfants, du service de la charité auprès des malades et des pauvres, de la consolation de ceux qui sont éprouvés, de la prière et du partage de l’évangile hebdomadaire et aux temps forts de la vie de l’Église. L’idée est d’y vivre une vraie fraternité à l’image des premières communautés chrétiennes évoquées dans les Actes des apôtres.
C’est l’ensemble de ces communautés, menant une vie chrétienne localisée dans leurs quartiers respectifs, qui se retrouve dans les célébrations dominicales de la paroisse pour célébrer le Christ. Ainsi, certaines paroisses urbaines ont jusqu’à cinq célébrations eucharistiques dominicales. Ce qui n’est pas peu… et que l’on verra rarement dans les Églises de réveil dont nous vantons parfois la « vivacité ».
Qu’est-ce que l’Église catholique a de particulier et qu’elle peut faire valoir dans le domaine de la pastorale ? Quelles sont les forces sur lesquelles elle peut s’appuyer pour mieux faire, pour vivre en phase avec son époque et avancer ? Ces questions invitent à poser un regard objectif sur tout le dispositif que l’Église a élaboré au cours des années pour encadrer les fidèles chrétiens à tous les niveaux. Je ne souhaiterais pas répondre à ces questions dans ce présent article ; je préfèrerais les laisser aux soins de chaque communauté ou groupe qui cherche à approfondir son agir pastoral.
Néanmoins je signale, en passant, que rares sont les organisations religieuses ou pastorales qui ont une littérature aussi fournie que celle de l’Église catholique dans des domaines variés (liturgie, spiritualité, pastorale, éducation, catéchèse, doctrine, etc.)
Lointaine est l’époque où l’Église jouissait d’un certain « absolutisme » de la pensée, un « monopole de la vérité »… Aujourd’hui, ce qui est très bien d’ailleurs, elle est bien obligée de faire face à ses erreurs du passé et du présent, à se laisser interpeller par une société qui conçoit la réalité autrement (parfois sans Dieu), à vivre la confrontation directe avec ceux qui ont choisi de vivre d’autres valeurs que celles qu’elle prône. L’Église d’aujourd’hui est appelée à l’humilité dont elle s’est toujours faite le héraut.
Cette contradiction « frontale », couplée à la culpabilité qui résulte de la prise de conscience des erreurs entretenues et l’horreur des fautes commises dans son parcours, amène parfois l’Eglise à se recroqueviller et adopter des attitudes extrêmes : l’autojustification intempestive et l’autoflagellation. La solution ne se trouve certainement pas dans ces deux précipices.
Je proposerais plutôt une démarche dans laquelle l’on « juge l’arbre à ses fruits » … sachant qu’il peut arriver que certains fruits pourrissent dans l’arbre, ce qui n’enlève pas à l’arbre sa capacité à produire de bons fruits. Quelle a été l’intention du « fondateur de l’Église » ? Quel a été son rêve pour l’humanité ? Comment l’Église catholique a-t-elle essayé de vivre cette volonté de son « fondateur » ? En faisant quoi dans le monde ? L’Église, à sa fondation, avait-elle l’assurance absolue de ne jamais commettre des erreurs et des fautes ? Avait-elle été prévenue, dans les Écritures, de cette possibilité de se tromper ?
Tout en gardant le sens des responsabilités, les hommes et femmes d’Église ne doivent pas perdre de vue la liberté et surtout la responsabilité de chaque fidèle dans ses choix existentiels. Vous pouvez instruire une personne pour l’amener à l’obtention des sacrements ; mais vous n’avez aucun pouvoir sur le choix de cette personne de vivre ou pas sa foi selon les instructions de l’Église qui l’a pourtant accompagnée dans son cheminement. Il peut s’avérer qu’une personne fasse un choix contraire à ce que vous avez prévu et souhaité. Est-ce que tout est perdu pour autant ? Ce serait oublier que les « voies du Seigneur sont insondables ».
Et si nous faisions le choix de respecter ceux qui sont là, sans nous épargner l’effort et la foi de nous « déployer » pour aller chercher les personnes laissées en arrière ? Je me rappelle certaines réunions programmées et approuvées : à l’heure de la réunion il n’y a que 5 personnes sur 30 qui sont présentes. Certaines personnes diraient : « il n’y a personne, alors reportons la réunion »… mais un leader responsable va considérer la bonne volonté et l’effort de ceux qui se sont présentés, parfois malgré de nombreuses occupations.
Du début à la fin de sa vie publique, le Seigneur a sillonné la Palestine pour annoncer le Règne de Dieu, la Bonne Nouvelle. C’est de lui que l’Église a appris le zèle missionnaire. Le pape François n’a de cesse de rappeler à l’Église qu’elle a vocation d’être une communauté « en sortie », à l’instar de Jésus, pour rencontrer les gens de son temps dans leurs situations réelles et leur annoncer la Bonne Nouvelle à travers des attitudes et des actions qui relèvent les personnes. Le Seigneur prenait aussi le temps de s’occuper de ceux qu’il avait appelés pour être avec lui, ceux qui marchaient avec lui.
Le défi pastoral, à l’heure où les Églises se vident dans certaines contrées, serait d’animer la communauté chrétienne dont nous nous occupons afin de l’aider à prendre conscience de sa dimension missionnaire, de façon que ce ne soit pas uniquement le curé, l’aumônier, le diacre, le « serviteur de Dieu », qui courre après « ceux qui ne viennent pas », mais que ce soit toute la communauté chrétienne qui se mette « en sortie », à la rencontre de leurs frères et sœurs qui ont lâché prise d’une façon ou d’une autre, ou qui ont été offusqués par certaines attitudes rencontrées dans la communauté de foi qu’est l’Eglise, pour leur témoigner l’amour de Dieu et leur rappeler que le Christ les veut toujours avec lui. Ce serait alors toute l’Eglise qui sera « en sortie » ; mais pour en arriver là, il faut savoir bien s’occuper de « ceux qui viennent », ceux qui sont disponibles pour le Seigneur.
Les Églises locales devraient prendre leur courage à deux mains et aborder de façon pertinente et innovante les besoins réels des fidèles chrétiens de tous âges. Tout cela exige beaucoup de vérité et d’humilité, ce qui est un peu comparable au cheminement de l’apôtre Pierre. La mission de l’Église, à l’intérieur et à l’extérieur, a encore un avenir ! « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. » (Mt 16,18-19).
Freddy Kyombo, M.Afr.