Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

En Guinée, Abdourahmane Sano dans le viseur de la justice

Après trois jours d’audition à la gendarmerie, l’ancien coordinateur du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) a comparu ce lundi pour « participation délictueuse à des réunions publiques ».

Par  - à Conakry
Mis à jour le 10 janvier 2023 à 08:12
 
 
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Abdourahmane Sano, ancien coordinateur national du FNDC. © Wikipédia

 

Après la suspension des manifestations, la liberté de réunion est à son tour menacée dans la Guinée du colonel Mamadi Doumbouya. Premier à faire l’expérience de ce nouveau tour de vis liberticide : Abdourahmane Sano, qui a comparu ce lundi 9 janvier devant le tribunal de première instance de Mafanco pour « participation délictueuse à des réunions publiques ». À l’issue des quatre heures d’audience, le parquet a requis dix-huit mois de prison avec sursis à son encontre. Sano a quitté le tribunal libre en attendant le verdict, qui sera rendu le mercredi 11 janvier.

Activiste politique

Grande figure de la fronde contre le troisième mandat de l’ancien président Alpha Condé, Sano s’était fait oublier du grand public depuis près d’un an, après son départ, le 3 février 2022, du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). D’aucuns avaient cru qu’il prenait sa retraite après de tumultueuses années de militantisme. Mais l’ancien coordinateur national du FNDC s’était en réalité retiré pour mieux s’occuper de ce qu’il considère comme sa « deuxième religion » : la sensibilisation – notamment des jeunes – à la citoyenneté et à la connaissance de leurs droits, y compris celui de contrôler l’action gouvernementale.

À LIREAbdourahmane Sano (FNDC) : « Si Alpha Condé était dans l’opposition aujourd’hui, il serait à nos côtés »

Se posant volontiers en éveilleur de conscience, l’activiste agit au sein de son mouvement, Citoyens pour la République (CPR). Il organise notamment des rencontres dans sa maison cossue du quartier Koloma-Soloprimo ou en se déplaçant dans d’autres quartiers de Conakry, parfois autour de grins.

La Direction des investigations judiciaires de la gendarmerie, qui l’a auditionné dans ses locaux du 4 au 6 janvier, l’a interrogé sur une réunion à laquelle il a participé, le 30 novembre dernier, à Tombolia, un quartier des faubourgs de Conakry proche de Coyah (est). Les enquêteurs voulaient en savoir plus sur la structuration du CPR, ses activités et ses sources de financement. « Il aurait été questionné sur des propos dérangeants qu’il aurait tenus à l’égard des autorités lors de cette réunion infiltrée par leurs services », confie un acteur politique guinéen. Abdourahmane Sano envisage d’organiser une conférence de presse ce mardi 10 janvier, au cours de laquelle il promet de projeter le film de la réunion incriminée.

Opposants en prison ou en exil

Après avoir applaudi le putsch qui a renversé, en septembre 2021, Alpha Condé, le FNDC que dirigeait Sano n’est plus en odeur de sainteté auprès de Mamadi Doumbouya. Certains de ses dirigeants, comme Sékou Koundouno, vivent en exil ou dans la clandestinité. D’autres, à l’instar de Oumar Sylla, alias Foniké Mengué (le successeur de Sano), et Ibrahima Diallo, croupissent en prison pour avoir organisé des manifestations en faveur d’une transition brève et inclusive.

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L’interpellation de l’ancien coordinateur du FNDC intrigue d’autant plus que la liberté de réunion est consacrée par la loi, à commencer par la Charte de la transition que la junte au pouvoir a élaborée. Pour l’expliquer, certains observateurs évoquent la politique de « chasse de notoriété » engagée par Doumbouya contre tous ceux qui pourraient lui porter ombrage. Depuis son arrivée au palais Mohammed V, nombre de caciques du régime d’Alpha Condé sont en prison et plusieurs membres de l’ex-opposition ont été contraints à l’exil.

La présidentielle en ligne de mire ?

Sano fait-il, lui aussi, les frais de ses ambitions politiques ? Certains estiment que le CPR n’est rien d’autre qu’un parti en gestation, et son leader un futur candidat aux prochaines échéances électorales. D’autres se rappellent qu’il a déjà formé et accompagné, notamment financièrement et techniquement, de jeunes candidats indépendants lors des élections législatives de 2018. « Dans le milieu, tout le monde pense qu’il a des ambitions pour la prochaine présidentielle », estime un homme politique. « Le CPR est davantage un mouvement qui encourage les jeunes à s’engager qu’un parti qui ambitionne de porter son chef au pouvoir », rétorque un ancien collaborateur d’Abdourahmane Sano au sein du FNDC.

Que ses ambitions soient avérées ou non, son procès braque de nouveau les projecteurs sur Sano. « C’est son jeu favori. La junte est tombée dans son piège. Il nous dit souvent que le tribunal est une tribune d’expression », conclut un membre du FNDC.

Sénégal: 78 journalistes se mobilisent pour réclamer la libération de leur confrère Pape Alé Niang

 

Au Sénégal, le journaliste Pape Alé Niang a été renvoyé en prison, il y a deux semaines, pour des « informations de nature à nuire à la défense nationale ». Il est, depuis, en grève de la faim. Soixante-dix-huit journalistes africains, à l’instigation de Reporters sans frontières (RSF), ont lancé un appel pour réclamer sa libération et le respect de la liberté de la presse au Sénégal.

Parmi les signataires de l’appel initié par RSF, figurent, entre autres, Moussa Aksar, journaliste nigérien et président de la cellule Norbert Zongo pour le journalisme d'investigation en Afrique de l'Ouest. Joint par RFI, il nous fait part des actions à mettre en place en vue de la libération du journaliste Pape Alé Niang et de l’inquiétude que suscite son état de santé.

« Inquiets »

« Nous sommes très, très inquiets, dit-il, parce que son état de santé s’est dégradé, ces derniers moments, et nous en appelons aux autorités sénégalaises à tout mettre en œuvre pour que notre confrère retrouve sa famille. C’est une stratégie que nous sommes en train de mettre en place. Là, nous avons signé cet appel, ensuite, il y a d’autres stratégies que nous allons mettre en place. Nous allons continuer à faire pression sur les autorités sénégalaises. »

« La voie de certaines dictatures »

« Dans les prochains jours, les autorités sénégalaises vont nous entendre avec d’autres organisations de défense des droits humains pour demander à ce que notre confrère soit libéré. Le Sénégal est en train de suivre la voie de certaines dictatures africaines, c’est ça qui nous inquiète », conclut Moussa Aksar.

À lire aussi: Sénégal: un journaliste arrêté et une autre violentée durant le week-end

Dans la filière cacao, « les États n’ont pas les moyens des politiques qu’ils affichent »

Pour l’expert François Ruf, la Côte d’Ivoire et le Ghana doivent maîtriser leur production de fèves s’ils veulent avoir une chance de remporter leur bras de fer avec l’industrie sur la rémunération des planteurs.

Mis à jour le 5 janvier 2023 à 08:47
 
 
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Des cacaoculteurs font sécher des fèves de cacao, dans la région occidentale du Ghana. © Sven Torfinn/PANOS-REA

 

 

LA GUERRE DU CACAO (3/4) – Indonésie, Ghana et maintenant Côte d’Ivoire. Cela fait plus de quarante ans que François Ruf, chercheur économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), travaille sur le cacao.

À LIRE[Série] Producteurs contre multinationales, la guerre du cacao

Expert du secteur, il est installé depuis 2015 (après plusieurs séjours précédemment) à Abidjan, où il dirige une équipe d’une quinzaine de personnes qui étudie les innovations des cacaoculteurs susceptibles de changer le fonctionnement de la filière de l’or brun.

Critiqué de longue date, le système actuel fait face à un nouveau coup de butoir porté par la Côte d’Ivoire et le Ghana, respectivement premier et deuxième producteurs mondiaux de fèves. L’objet de la bataille ? Faire plier l’industrie pour obtenir une meilleure rémunération des planteurs.

À LIRECôte d’Ivoire-Ghana : cinq questions pour comprendre la bataille autour du cacao

Si le combat est unanimement salué, il n’en demeure pas moins très difficile, en raison du déséquilibre des forces entre les différents acteurs de la chaîne. Chances de réussite du tandem ivoiro-ghanéen, rôle des chocolatiers, émergence de nouveaux pays producteurs : l’économiste du Cirad décrypte les tensions au sein d’un secteur qui génère quelque 130 milliards de dollars (121,4 milliards d’euros) de ventes chaque année.

Jeune Afrique : Ces derniers mois, on assiste à un bras de fer entre les pays producteurs de cacao et l’industrie du chocolat sur le prix payé aux planteurs. Pour le moment, qui gagne ?

François Ruf : On peut surtout dire qui perd et, sans surprise, ce sont les planteurs. À chaque fois que la situation se tend dans le secteur, la commercialisation du cacao est plus difficile, ce qui se traduit pour les paysans par un allongement des délais de paiement. Or, la vente des fèves constituant leur principale source de revenus, cela met très vite en péril leur subsistance.

Dans ce contexte, les gagnants au niveau local sont les intermédiaires, principalement les « pisteurs », qui achètent bord champ, les directions de coopératives qui, sauf exception, défendent plus leurs propres intérêts que ceux de leurs membres, et les traitants, nom donné aux acheteurs privés, qui, disposant de trésorerie, peuvent acquérir immédiatement les fèves en imposant leur prix. En aval de la filière, cette situation profite aussi aux multinationales, qui doivent augmenter leurs profits.

Enfin, à long terme et sur un plan global, ceux qui devraient bénéficier de la situation sont les nouveaux pays producteurs de cacao.

C’est-à-dire ?

Par le passé, chaque crise a favorisé l’émergence d’un nouveau pays producteur venant concurrencer les acteurs existants, en particulier la Côte d’Ivoire et le Ghana. La Malaisie est entrée sur le marché après la flambée des cours du cacao en 1977. L’Indonésie a fait de même à la fin des années 1980 à la faveur de la bataille entre l’ancien président ivoirien Félix Houphouët-Boigny et l’industrie de l’or brun.

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Cette histoire me fait dire que l’actuel bras de fer a toutes les chances, dans les dix à quinze ans à venir, de se solder par un boom du cacao dans des pays comptant encore beaucoup de forêts, comme le Liberia, le Cameroun voire le Congo.

L’action conjointe de la Côte d’Ivoire et du Ghana, surnommée « l’Opep du cacao » et lancée en 2018, est donc un échec ?

Le fait que les deux pays se parlent et essaient d’agir ensemble est un progrès. Pendant longtemps, ces deux voisins se sont ignorés et une certaine jalousie existait entre eux, le Ghana ayant vu la Côte d’Ivoire lui ravir la place de premier producteur qu’il occupait jusqu’à la fin des années 1970. Leur alliance récente est un acquis, en même temps qu’elle envoie un signal aux multinationales. Cela dit, elle reste traversée de tensions car chacun des deux pays fait face au dilemme du prisonnier : il a intérêt à jouer collectif tout en étant tenté de tricher pour servir au mieux son propre intérêt.

Pour obliger l’industrie à mieux payer les cacaoculteurs, l’alliance a imposé en 2019 une prime de 400 dollars la tonne – le différentiel de revenu décent (DRD) – à l’achat de cacao. Quel est le bilan ?

Près de trois ans après le début de l’initiative, force est de constater que l’impact a été limité dans le temps et dans son ampleur. Notre étude récente sur le DRD et le revenu des planteurs* montre qu’il y a eu un effet positif entre novembre-décembre 2020 et janvier-février 2021, au moment où le prix d’achat officiel fixé par l’État ivoirien se montait à 1 000 francs FCA (1,50 euro) le kilo.

Passée cette période, le prix a diminué et les retards de paiement se sont accrus, entraînant une chute des revenus des cacaoculteurs dans un contexte de Covid-19, de tensions autour de la mise en œuvre du DRD mais aussi des habituels problèmes liés à l’opacité de la filière. Je fais notamment référence aux faux reçus que les coopératives et « pisteurs » font signer aux planteurs et aux tricheries structurelles sur les balances permettant à l’acheteur – « pisteurs », traitants ou coopératives – de réduire artificiellement le volume de fèves payé aux paysans d’environ 10 % à 15 % du poids, selon nos estimations.

Qu’est-ce qui manque à « l’Opep du cacao » pour remporter le bras de fer ?

Avec le DRD, on reste à la surface du problème. On se s’attaque pas au sujet de fond, à savoir la régulation de l’offre de cacao. Dans le secteur pétrolier, quand l’Opep veut réduire la quantité de pétrole sur le marché, elle ferme les robinets des gazoducs et l’effet est immédiat. Dans le domaine de l’or brun, les États ne peuvent pas « fermer le robinet » de la même façon puisqu’ils ne maîtrisent pas la production de cacao : celle-ci est réalisée par des milliers de petits paysans qui dépendent des fèves pour vivre et cherchent à maximiser leur récolte afin d’accroître leurs revenus.

LES MULTINATIONALES DISPOSENT D’OUTILS DE PRÉVISION DES RÉCOLTES BIEN SUPÉRIEURS À CEUX DES ÉTATS

Les États producteurs communiquent beaucoup sur le cacao « zéro-déforestation » tout en fermant les yeux sur la disparition des dernières forêts tropicales. Or, c’est cette déforestation massive qui génère une surproduction de cacao et fait chuter le cours mondial, entraînant l’appauvrissement des planteurs. La chute du cours mondial depuis cinquante ans relève plus de ce facteur interne à chaque pays producteur, et notamment du premier, la Côte d’Ivoire, que de supposés « chocs externes ».

À cela s’ajoute le fait que la concentration de l’industrie du chocolat, avec de multiples rachats de sociétés ces dernières années, peut aussi contribuer à renforcer un oligopole et peser sur le cours mondial.

À LIRECôte d’Ivoire-Ghana : « l’Opep du cacao » doit-elle croire aux primes de Nestlé ?

Sans oublier que ces mêmes multinationales disposent d’outils de prévision des récoltes bien supérieurs à ceux des États, ce qui leur permet de gérer au mieux leurs achats. Pourquoi s’obligeraient-elles à payer le cacao plus cher alors qu’elles savent qu’il sera disponible en quantité suffisante dans les prochains mois ? Résultat, sans maîtrise de l’offre, les États n’ont pas les moyens des politiques qu’ils affichent.

Est-ce que l’adhésion annoncée à l’alliance des deux autres producteurs africains de cacao, le Nigeria et le Cameroun, peut faire la différence ?

Les quatre pays réunis représentent près de 75 % de la production mondiale de fève, une position considérable. Mais le problème de la maîtrise de l’offre se pose aussi pour Abuja et Yaoundé, ce qui fait que leur arrivée ne devrait pas changer la donne… Tout en rappelant que chaque pays peut en outre être tenté de jouer sa carte à l’intérieur de l’accord.

Quelle est la solution ?

Chaque pays producteur doit effectivement contrôler ce qu’il reste de ses forêts et mettre en place une politique publique de l’offre raisonnée et progressive. Cela passe par un dialogue avec les paysans et les communautés villageoises pour les inciter à diversifier leurs cultures et leurs activités.

C’est le seul moyen de réduire la production de cacao, et ainsi de mieux la maîtriser, tout en garantissant des moyens de subsistance au monde agricole. Une fois cette stratégie étendue au niveau national, les pays pourraient alors collaborer entre eux.

L’industrie multiplie les engagements, mobilise d’importants moyens financiers et mène de nombreux programmes de durabilité. Peut-on compter sur elle pour avancer ?

Le fait que l’industrie tente d’accompagner les cacaoculteurs dans la conduite de leurs plantations paraît plutôt positif en soi. Mais il y a des contradictions. Par exemple, leur action contribue à l’utilisation croissante des insecticides et des engrais. La dépendance aux intrants chimiques, massivement importés, est-elle favorable à une cacaoculture durable ?

LE CAS DE LA BOSSÉMATIÉ DÉMONTRE QUE LA TRAÇABILITÉ DES FÈVES EST UN MYTHE

Il y a aussi beaucoup d’effets d’annonce. Sur le terrain et dans les faits, il est difficile de mesurer l’efficacité de ces programmes. Reprenons le sujet central de la protection des forêts : malgré les sommes considérables allouées à ce combat ces dernières décennies, le couvert forestier ivoirien s’est réduit comme peau de chagrin. Par exemple, la forêt pourtant classée de la Bossematié est en train de se convertir en vaste cacaoyère, attaquée à plus de 60 %, photos satellites à l’appui.

Certes, l’État est le premier responsable. Certes, les chocolatiers comme Mars, Nestlé et Hershey’s, en première ligne face aux consommateurs, mettent la pression sur leurs fournisseurs que sont les broyeurs-exportateurs comme Cargill et Barry Callebaut pour assurer la traçabilité des fèves et mieux rémunérer les planteurs. Mais ce sont des pressions de géants à géants, dans une filière où il y a beaucoup de stratégies apparentes et cachées.

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Le cas de la Bossématié démontre que la traçabilité des fèves est un mythe. Le cacao, transporté sur les têtes des femmes jusqu’à la limite de cette « réserve naturelle », transite par les motos des pisteurs jusqu’aux coopératives puis par camions jusqu’aux magasins et usines des exportateurs-broyeurs à Abidjan. Au passage, ces fèves peuvent être reconverties en cacao certifié Rainforest Alliance ou Fairtrade, les primes terminant dans les poches des dirigeants de coopératives. Cette organisation et les multiples laisser-faire qui l’accompagnent ne s’opposent-ils pas à la notion de « cacao durable » ?

* Covid-19, Différentiel de revenu décent et baisse des revenus des producteurs de cacao en Côte d’Ivoire, Cahiers Agricultures, François Ruf, 2022.

L’agroécologie, l’avenir de l’Afrique ?

Les tensions liées à l’accès à la terre et l’usure de sols trop sollicités par une agriculture intensive ne cessent de croître. Pour y remédier, il faut miser sur des pratiques écologiques, fondées sur les savoir-faire locaux.

Mis à jour le 3 janvier 2023 à 08:08
 
 

Par Kako Nubukpo

Économiste, ancien ministre togolais.

 
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Plantation de thé, à Gisakura (Rwanda), en mai 2022. © Simon Wohlfahr/AFP

  

Ne nous voilons pas la face. Fini les défis sans agenda, il nous faut une stratégie ! Fini de croire que nous couvrirons l’Afrique de tracteurs, d’engrais chimiques, d’OGM et de produits phytosanitaires, de davantage de plantations « exotiques » et de splendides pivots d’irrigation. Nous sommes, paraît-il, le continent qui se prête le plus à l’extension des surfaces cultivées – malgré leur doublement, depuis 1975, en Afrique de l’Ouest. Des États, des multinationales, des bourgeoisies nationales achètent nos terres ou se les accaparent, c’est selon.

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Mais, primo, ces acquéreurs se livrent sur ces sols à une exploitation aussi intensive (et énergivore) que toxique pour leur fertilité sans pour autant offrir beaucoup d’emplois ni investir localement. Les « pôles d’émergence » de l’agrobusiness et la contractualisation avec une masse d’agriculteurs ne sont qu’une illusion opportuniste, qui se multiplie sans apporter la démonstration de son efficacité. Ces pôles exporteront, mais ne nourriront pas le peuple.

Précieux atouts environnementaux

Secundo, nous devons protéger nos forêts, nos cours d’eau et nos pâturages, faune et flore sauvages incluses. Nos sols « tropicaux » si fragiles et déjà si dégradés l’exigent. Le climat mondial et la biodiversité réclament, eux aussi, cette protection… et l’obtiendront si la communauté internationale contribue significativement au maintien et à la croissance de ces précieux atouts environnementaux.

Tertio, ces espaces convoités « appartiennent » de fait à des communautés existantes. Les tensions, déjà partout présentes, pour l’accès à la terre, notamment entre des cultivateurs et des éleveurs toujours plus nombreux, ne feront que croître, de même que s’étendra le chaos provoqué par les conflits civils et militaires qui s’en alimentent, au Sahel ou en Afrique centrale.

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Dernier point majeur : en 2050, nous devrons employer, nourrir et faire vivre dignement 1 milliard d’êtres humains de plus. Les villes craquent sous le poids de l’urbanisation, et les emplois dits informels ne s’y multiplient plus. Partout sur le continent, les jeunes crient leur manque d’avenir. Après quarante années de priorité donnée aux villes, les pouvoirs en place s’inquiètent, à juste titre. Or, contrairement à des modèles inspirés de l’agroécologie, le système éco-socio-productif agricole conventionnel est dans l’impasse, et les paysans, qui nourrissent encore 80% de la population, forment toujours les trois quarts de sa frange la plus pauvre.

Intérêt collectif

Trois conclusions en découlent, convergentes. L’emploi agricole et l’emploi rural non agricole doivent devenir prioritaires. Il faut que les terres agricoles gagnent en productivité, et, en même temps, que savanes et forêts soient sauvegardées. Les pratiques inspirées de la science agroécologique, sobres en tout mais intensives en main-d’œuvre, doivent être généralisées. C’est « l’intensification agroécologique » que j’appelle de mes vœux, et qui dépend de notre volonté.

Quelque 83% des exploitants agricoles africains (qui se comptent par centaines de millions) fournissent encore 90% de la production tout en possédant moins de 2 hectares de terres. Leur rendement moyen est, la plupart du temps, inférieur à 1 tonne par ha (soit de quoi nourrir 3 à 5 personnes par ha).

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Intensifier, c’est augmenter la productivité des sols, avec l’objectif de doubler au minimum le rendement moyen à l’hectare des plantes alimentaires, et de valoriser d’autres usages (élevage, pharmacopée, cosmétiques, bois de cuisson, construction, matériaux et outils).

Les agricultures et les élevages familiaux d’Afrique peuvent développer des pratiques agroécologiques en s’appuyant sur des atouts qui n’ont pas totalement disparu : le sens de la terre et de l’intérêt collectif ; des savoirs communs, qui existent encore dans les esprits et les pratiques, aussi bien pour le sol que pour l’eau, les forêts et les savanes ; un savoir-faire ancestral local ; des espèces et des variétés adaptées de longue date ; des associations de cultures à l’efficacité éprouvée…

Le soleil, une source d’énergie gratuite

Le couvert végétal doit être varié, entretenu, permanent, stratifié de bas en haut : entre, par exemple, sorgho ou légumineuses, caféiers ou cacaoyers et arbres de grande hauteur. Le bétail, qu’il appartienne aux cultivateurs ou à des éleveurs nomades ou semi-sédentaires qui passent contrat avec eux territoire par territoire, profite de la biomasse végétale que nous ne mangeons pas, et la restitue, digérée, sous la forme d’une matière organique humique nécessaire à la croissance des plantes cultivées.

Il faudra faire un usage intensif du soleil, qui fournit gratuitement l’énergie nécessaire (photosynthèse et énergie renouvelable) ; de l’air, qui apporte tout aussi gratuitement le carbone (C du CO2) et l’azote (le N des protéines) qui structurent les plantes ; des plantes légumineuses, également, sur les racines desquelles l’azote se fixe ; de l’eau, retenue par une couverture et un travail du sol adaptés.

Matières organiques (plantes, feuilles d’arbres et déjections animales), sol et sous-sol (P et K) apporteront ainsi les minéraux que l’on va chercher aujourd’hui dans les sacs d’engrais (N, P et K) sur des sols devenus simples supports, inertes à force de recours excessif à la chimie. Les remplacent reforestation naturelle spontanée, diversification des cultures, préservation des plantes et de la faune alentour, allongement des périodes de rotation, toutes choses qui réduisent les plantes indésirables et les parasites que des prédateurs naturels spécifiques peuvent par ailleurs combattre. Les techniques et les matériels low tech et high tech adaptés d’ailleurs se multiplient.

Ainsi l’on stockera énormément de biomasse, et donc du CO2 et de la biodiversité sur – et sous – le sol ; ainsi, l’on atténuera le dérèglement climatique mondial, dont l’Afrique n’est d’ailleurs pas responsable, et nous y résisterons mieux (c’est la fameuse « adaptation »).

Que fait la communauté internationale ?

Quelles sont les conditions pour y parvenir ? Outre la protection commerciale à accorder à des producteurs qui doivent pouvoir enfin vivre de leur activité auprès des consommateurs de leur pays, la mise en œuvre de politiques publiques ambitieuses s’impose : sécurisation de la propriété foncière ; gestion collective des « communs naturels » (terres, rivières, forêts…) ; investissements massifs dans les nouveaux systèmes de production (formation, crédit, matériel, stockage…) ; aide alimentaire aux citadins les plus pauvres ; services publics d’envergure dans les zones rurales pour y offrir les attraits de « la vie moderne » : éducation, santé, énergies renouvelables, les EnR étant aujourd’hui rentables et devant être financés en priorité par l’épargne inutilisée des classes moyennes africaines.

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Quant au financement, comment ne pas demander à la communauté internationale de respecter, enfin, ses anciens engagements (Aide publique au développement, Fonds verts et, maintenant, Fonds de réparation des  « pertes et dommages » subis en raison du dérèglement climatique) ? Comment ne pas lui demander de contribuer à la future révolution agricole, doublement verte, des paysanneries africaines en rémunérant leurs services environnementaux à leur « valeur pour le monde », qu’il s’agisse de la lutte contre le changement climatique, de l’évitement de migrations redoutées au Nord comme de la résorption de conflits transnationaux largement dus à une pauvreté massive et au manque d’avenir des populations ? Dans une approche positive pour l’Afrique, c’est rendre enfin crédible et accessible l’horizon des ODD pour toutes et tous : 2030, c’est demain !  Ce n’est ainsi qu’une « solidarité rationnelle » à construire entre le Nord et les Suds pour une prospérité partagée.

Planète : en 2022, des bonnes nouvelles malgré le réchauffement climatique

Repères 

Malgré l’accélération du réchauffement climatique, 2022 aura aussi été l’année de quelques avancées marquantes sur les questions environnementales. Florilège non exhaustif.

  • La Croix, 
Planète : en 2022, des bonnes nouvelles malgré le réchauffement climatique
 
Des déchets plastiques sur la plage de Costa del Este, dans la ville de Panama, en septembre 2022. La même année, plusieurs décisions ont été prises pour réduire la pollution plastique, et un traité a été adopté par l’ONU pour tenter de mettre fin à ce fléau environnemental.LUIS ACOSTA/AFP

Entre la guerre en Ukraine, qui a conduit à une explosion de la consommation de charbon, les incendies et la sécheresse historique qui ont frappé l’Europe cet été, et les cris d’alerte toujours plus alarmants des climatologues…, on ne peut pas dire que 2022 ait été particulièrement réjouissante sur le front du climat. Cette année a d’ailleurs été l’année la plus chaude jamais enregistrée en France.

Il n’empêche, et c’est peut-être lié, la prise de conscience s’accélère, et un peu partout dans le monde les actions pour lutter contre le réchauffement et protéger la planète se multiplient. Autant de raisons auxquelles se raccrocher, en cette fin d’année, pour ne pas définitivement sombrer dans l’anxiété climatique. Petit florilège non exhaustif.

1er janvier. La loi Agec de lutte contre le gaspillage interdit l’usage du plastique pour un certain nombre de produits, dont les fruits et légumes non transformés, et les emballages pour la livraison de journaux.

4 février. L’Islande, l’un des trois derniers pays au monde avec le Japon et la Norvège, à encore pratiquer la chasse commerciale à la baleine, annonce qu’elle ne renouvellera pas ses quotas à partir de 2024. La raison invoquée est toutefois moins environnementale qu’économique, alors que le secteur souffre de grandes difficultés.

2 mars. L’ONU adopte un traité pour mettre fin à la pollution plastique et élaborer un accord international juridiquement contraignant d’ici à 2024. Signé par 175 pays, ce traité a été qualifié « d’accord multilatéral sur l’environnement le plus important depuis l’Accord de Paris » par Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU.

27 mai. Les pays du G7 s’engagent à décarboner la majorité de leur secteur électrique d’ici à 2035, ainsi qu’à mettre fin à tout financement international des projets liés aux énergies fossiles dès cette année.

1er avril. Plusieurs fois reportée depuis la Convention citoyenne sur le climat, l’interdiction des terrasses de cafés chauffées entre en vigueur en France.

5 mai. Pour la première fois depuis un siècle, un loup fait sa réapparition dans le Finistère. Depuis 10 ans la population des loups gris est en croissance constante en France.

Planète : en 2022, des bonnes nouvelles malgré le réchauffement climatique

19 mai. Signe d’une jeunesse de plus en plus préoccupée par le climat, huit étudiants ingénieurs d’AgroParisTech publient une vidéo appelant leurs camarades à « bifurquer », face à une formation qui les prépare à des emplois « destructeurs », aussi bien pour l’environnement que pour la population.

7 juin. Les États membres de l’Union et le Parlement européen trouvent un accord pour imposer le chargeur USB-C à tous les téléphones portables, tablettes et appareils photos à compter de 2024, puis aux ordinateurs portables dès 2026.

8 juin. Le Parlement européen vote l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs dès 2035 dans le cadre du « paquet climat » visant à atteindre la neutralité carbone en 2050.

17 juin. Après vingt et un ans de négociations, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) arrache un accord historique sur la pêche, prévoyant d’interdire une partie des subventions versées par les États au secteur.

7 août. Le Sénat américain adopte l’Inflation Reduction Act, un gigantesque plan d’investissements qui prévoit d’allouer 370 milliards de dollars à la transition énergétique. Ce projet doit permettre aux États-Unis de réduire ses émissions de CO2 de 40 % d’ici à 2030 par rapport à 2005.

5 septembre. Le premier parc français d’éolien en mer, au large de Saint-Nazaire, est inauguré par le président de la République.

8 septembreL’Australie adopte son premier grand projet de loi de lutte contre le réchauffement climatique, visant à réduire de 43 % les émissions de cette économie fortement carbonée, par rapport aux niveaux de 2005.

16 septembreL’Union européenne interdit le chalutage en eaux profondes dans une partie de l’Atlantique. La décision, saluée par les ONG, est destinée à protéger des écosystèmes particulièrement vulnérables.

21 octobreEmmanuel Macron annonce le retrait de la France du Traité sur la charte de l’énergie (TCE), jugé incompatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Signé en 1994, ce texte permettait notamment aux compagnies fossiles d’attaquer en justice des États dont les décisions nuiraient à leur rentabilité.

27 octobre. L’AIE prévoit que le pic des émissions de CO2 sera atteint plus tôt que prévu, en 2025, à 37 milliards de tonnes, avant de redescendre à 32 milliards de tonnes en 2050. Malgré ces efforts, les températures moyennes augmenteraient d’environ 2,5 degrés d’ici 2100, ce qui est loin d’être suffisant pour éviter des conséquences climatiques sévères.

6 décembre. Les Vingt-Sept et le Parlement européen s’accordent sur un texte inédit dans le monde pour interdire l’importation de produits liés directement à la déforestation. Soja, huile de palme, bœuf, café, bois ou encore cacao ne pourront plus entrer sur le marché européen s’ils sont issus d’une parcelle déforestée.

Planète : en 2022, des bonnes nouvelles malgré le réchauffement climatique

14 décembre. Preuve que la sobriété n’est pas un mot totalement vain, RTE annonce une baisse de la consommation d’électricité de 10 % sur un an. Une baisse qui concerne tous les secteurs : industriel, tertiaire et résidentiel.

18 décembre. L’UE trouve un accord sur une vaste réforme de son marché carbone, pièce maîtresse de son grand plan climat destiné à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières consistera à appliquer aux importations des Vingt-Sept les critères du marché européen du carbone, dans lequel les industriels de l’UE sont tenus d’acheter des « droits à polluer ».

19 décembre. La COP15 à Montréal franchit un grand pas pour la biodiversité en entérinant le principe qui consiste à protéger 30 % des surfaces terrestres et maritimes à horizon 2030.