Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Tiéman Hubert Coulibaly : « Assimi Goïta est un dictateur »

Pour l’ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères d’Ibrahim Boubacar Keïta, la junte au pouvoir à Bamako conduit le Mali à sa perte. Interview.

Mis à jour le 28 novembre 2022 à 17:28
 
 

 coulibaly

 

Tiéman Hubert Coulibaly, l’ancien ministre malien des Affaires étrangères, à Paris, le 22 novembre 2022. © Vincent Fournier pour JA

 

 

Son ton était nettement plus feutré quand il était ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Désormais opposant à la junte au pouvoir à Bamako, Tiéman Hubert Coulibaly, qui vit en exil, ne mâche plus ses mots. Et lâche ses coups contre Assimi Goïta et les colonels qui dirigent la transition depuis leur coup d’État contre son ancien patron, en 2020.

Celui qui fut ministre de la Défense, de l’Administration territoriale et des Affaires étrangères du défunt IBK entre 2015 et 2018 est persona non grata au Mali. Depuis juillet dernier, il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice malienne, qui l’accuse, ainsi que ses ex-collègues Boubou Cissé et Mamadou Igor Diarra, de « crime de faux, usage de faux et atteinte aux biens publics » dans une affaire d’achats d’équipements militaires remontant à 2015.

« Nomade », comme il se décrit lui-même, le président de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD) a rendu visite à Jeune Afrique à l’occasion de l’un de ses passages à Paris. Selon lui, l’heure n’est pas aux petits calculs politiciens en vue d’une éventuelle élection présidentielle en 2024, mais à la mobilisation contre le régime de la transition que dirige Assimi Goïta, dont il réclame le départ. Entretien.

Jeune Afrique : Dans le mandat d’arrêt international qu’elle a émis à votre encontre, il est écrit que la justice malienne vous soupçonne d’avoir détourné de l’argent lors de l’achat de véhicules blindés à la société sud-africaine Paramount quand vous étiez ministre de la Défense, en 2015. Que répondez-vous à cela ?

Ces accusations sont fausses. Elles ont un fondement politique. Ce dossier Paramount n’en est pas un. Il s’agissait d’engager un programme de rééquipement de l’armée malienne, qui avait besoin de reconstituer ses capacités blindées. Le contrat a été signé conformément à toutes les procédures prévues en la matière : passage devant le Conseil supérieur de défense nationale, programmation des acquisitions dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation militaires – le tout en partenariat avec les ministères concernés, au premier rang desquels celui de l’Économie et des Finances. Dans ce genre de contrats, le ministère de la Défense est l’acheteur, et le ministère de l’Économie et des Finances, le payeur.

NI MES AVOCATS NI MOI N’AVONS EU ACCÈS AU DOSSIER PARAMOUNT

Comment expliquez-vous que ce contrat ait été suspendu puis amendé par Boubou Cissé quand il est arrivé au ministère de l’Économie et des Finances ?

Des questions relatives à certains moyens de paiement restaient en suspens. Le ministre de l’Économie et des Finances avait en effet estimé que les billets à ordre ne correspondaient pas à la réglementation, ou, en tout cas, qu’ils ne lui convenaient pas.

Comme il était le payeur, il a amendé le contrat pour prévoir d’autres instruments de paiement. Cela s’est fait au moment où j’étais déjà parti du ministère de la Défense, en septembre 2016. Je me souviens toutefois avoir tenu des réunions techniques d’ajustement pour faire en sorte que les deux ministères soient parfaitement en phase pour l’exécution de ces contrats.

Avez-vous eu accès au dossier ?

Ni mes avocats ni moi n’y avons eu accès.

L’AFFAIRES DES 46 SOLDATS PORTE GRAVEMENT ATTEINTE À NOS RELATIONS AVEC LA CÔTE D’IVOIRE

Les autorités ont, un temps, conditionné la libération des 46 soldats ivoiriens détenus à Bamako à votre extradition et à celle d’autres ressortissants maliens réfugiés à Abidjan. Diriez-vous, comme certains responsables ivoiriens, qu’il s’agit d’un « chantage » ?

Il s’agit, à l’évidence, d’un chantage ! J’estime, par ailleurs, que retenir ces militaires ivoiriens au Mali dans ces conditions relève d’un comportement curieux compte tenu des relations entre nos deux pays et de leurs enjeux politiques, économiques, historiques et même sociaux. Cette affaire n’avait pas lieu d’être.

S’il ne voulait pas de ce contingent, le Mali aurait simplement dû en avertir les autorités ivoiriennes et renvoyer ces militaires dans leur pays. Ce qu’il se passe aujourd’hui est un fait sans précédent dans l’histoire des relations entre le Mali et la Côte d’Ivoire. Cela porte gravement atteinte à la coexistence pacifique qui a toujours prévalu entre nous.

À LIRESoldats ivoiriens détenus : Bamako réclame Karim Keïta et Tiéman Hubert Coulibaly

Avez-vous quitté la Côte d’Ivoire pour cette raison ?

Très sincèrement, je ne pense pas avoir été un seul instant en danger en Côte d’Ivoire ni en délicatesse avec les autorités ivoiriennes. Bien sûr, il ne faut pas non plus que ma personne devienne un enjeu dans les relations bilatérales, ni un facteur gênant pour ceux qui m’ont offert une hospitalité fraternelle et généreuse.

Où résidez-vous aujourd’hui ?

Je suis devenu un nomade, par la force des choses. Je vais ici et là…

… et donc en Côte d’Ivoire ?

Oui.

Êtes-vous prêt à être entendu par la justice de votre pays ?

Dans une interview que j’ai accordée à la chaîne malienne Joliba TV, qui en a d’ailleurs fait les frais, j’ai dit que j’étais prêt à répondre devant n’importe quelle commission rogatoire qui serait désignée par les autorités maliennes.

Donc n’importe où, à l’exception de Bamako ?

Comment pouvez-vous imaginer que j’aille m’offrir [en pâture] à des gens qui n’ont aucun égard pour les droits humains ?

Vous dénoncez une procédure politique, qui viserait à briser vos ambitions et celles des autres personnalités citées dans cette affaire – comme les anciens ministres Boubou Cissé et Mamadou Igor Diarra. La justice est-elle aux ordres de la junte ?

Comparé à ce qu’il se passe actuellement au Mali, mon sort personnel n’est pas très important. Je dénonce une instrumentalisation de la justice, mais, ce qui est en jeu, ce n’est pas ma carrière ; c’est la démocratie et l’esprit républicain que nous avons essayé de construire. Ces actes visent évidemment à éloigner, voire à neutraliser ceux qui pourraient faire entendre une voix différente et discordante. Voilà la vérité. Il s’agit de menacer des hommes politiques capables de porter la contradiction [au pouvoir] et d’offrir une vision différente, de les éloigner du pays, voire de les faire taire à jamais.

Avez-vous fait l’objet de menaces ?

Être menacé d’être envoyé en prison est déjà bien suffisant. Souvenez-vous du cas de Soumeylou Boubeye Maïga – paix à son âme –, qui a été emprisonné et a perdu la vie.

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Avez-vous reçu des menaces de mort ?

Des menaces planent. Je n’entrerai pas dans les détails.

CETTE JUNTE GOUVERNE DE MANIÈRE INDÉCENTE ET FAIT PREUVE D’UNE GRANDE INCOMPÉTENCE

Iriez-vous jusqu’à dire que le Mali est redevenu une dictature militaire ?

Ceux qui sont au pouvoir se comportent exactement comme des dictateurs. C’est leur véritable nature.

Et Assimi Goïta ?

C’est un dictateur. Il dirige un système dictatorial. De mon point de vue, c’est clair. Mais il est tout aussi clair que l’esprit républicain n’est pas mort. Les derniers développements le prouvent bien. Aujourd’hui, une bonne partie de l’opinion s’est rendue à l’évidence : cette junte gouverne de manière indécente et fait preuve d’une grande incompétence.

Notre pays est totalement isolé. Les forces terroristes exercent leur autorité sur près de 80% du territoire. L’administration, du moins le peu qu’il en restait, n’est plus en état de fonctionner. Des dangers réels pèsent sur la sécurité, individuelle et collective. Et je ne parle même pas de l’économie. Depuis quelque temps, toutes les organisations syndicales, sentant le danger, et, surtout, l’inefficacité de ce gouvernement, sont dans la rue. Les grèves se succèdent. C’est bien la preuve que ce pays est totalement bloqué du fait de l’incompétence et des mauvais choix qui ont été faits dès le début de cette transition.

Lesquels ?

Le choix de l’isolement, par exemple.

CETTE JUNTE VEUT FAIRE DE NOS PARTENAIRES DES ENNEMIS DU PEUPLE MALIEN ALORS QUE CE N’EST PAS VRAI

Regrettez-vous que la junte ait décidé de rompre avec les pays occidentaux, et en premier lieu avec la France, pour se rapprocher de la Russie ?

Je regrette le choix fait par cette junte de s’inventer des ennemis, et de vouloir faire de l’ensemble de nos partenaires des ennemis du peuple malien alors que cela n’est pas vrai. Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire. Nous sommes tous deux membres fondateurs de la Cedeao. Or cette junte se démène pour faire passer la Cedeao pour une organisation scélérate.

Nous avons aussi des relations de coopération de longue date avec la France et d’autres pays. Le Mali, enclavé en raison de sa position géographique et de son histoire, a vocation à entretenir les meilleures relations possibles avec l’ensemble des pays du monde. Y compris avec la France et avec la Russie.

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Le recours aux mercenaires du groupe Wagner est-il une bonne solution ?

Un pays ne devrait jamais accepter d’introduire des mercenaires sur son territoire, parce qu’il deviendra forcément leur première victime. J’ai toujours dit et répété que j’étais partisan d’une coopération avec les États, et non avec des groupes militaires privés.

LES MALIENS COURENT LE RISQUE IMMÉDIAT DE PERDRE LEUR PAYS

En l’occurrence, un groupe étroitement lié au Kremlin…

Je me souviens d’une déclaration de Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. Il avait admis que des sociétés privées russes étaient présentes en Afrique, notamment au Mali, mais avait assuré que l’État russe n’avait rien à voir dans ces affaires. Je m’en tiens à cette déclaration.

De toute manière, je ne vois pas en quoi ces groupes paramilitaires contribuent à la stabilisation du Mali. Aujourd’hui, la situation a empiré sur le plan sécuritaire. Tout s’est détérioré. Des groupes terroristes, notamment la GSIM [Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans] et l’EIGS [État islamique au Grand Sahara], s’affrontent sur notre territoire afin d’établir leur autorité sur certaines régions. L’EIGS s’est renforcé avec l’arrivée de combattants et de chefs étrangers. Ce problème se pose au colonel Goïta. Mais quelle réponse y apporte-t-il ?

LE PROGRAMME DES MILITAIRES, C’EST DE L’ESBROUFFE, DEPUIS LE DÉPART

Pensez-vous qu’une élection présidentielle se tiendra en février 2024, comme cela a été annoncé ?

Quand vous voyez ce qui se passe dans le Nord et que vous savez que les groupes terroristes ont des vues sur le Sud et l’Ouest, votre réflexion porte davantage sur la réponse à apporter à ces gigantesques défis qui sont lancés aux Maliens et au Mali. Organiser une élection suppose que l’on « tienne » un territoire. Or, avec cette junte, les Maliens courent le risque immédiat de perdre leur pays. Il faut donc imaginer un nouveau dispositif : une transition, civile, qui apporterait des réponses à toutes ces questions.

Vous pensez donc qu’il n’y aura pas de scrutin dans deux ans ?

Les militaires au pouvoir n’ont aucune intention d’organiser des élections. Leur programme, c’est de l’esbrouffe, depuis le départ. Ils gagnent du temps. Toute la querelle qui les oppose aux civils est là : leur objectif était d’éradiquer la classe politique et de s’installer durablement au pouvoir. Malheureusement, ils n’ont pas su gouverner. Vous ne pouvez pas quotidiennement diviser votre pays, servir des mensonges au peuple pour le chauffer à blanc contre des compatriotes que vous traitez d’apatrides, flatter un nationalisme totalement inutile afin de détruire les relations tissées avec nos voisins depuis des siècles et espérer obtenir des résultats !

Si ces élections ont finalement lieu, Assimi Goïta aura-t-il le droit de s’y présenter ?

Il n’en n’a pas le droit mais il a l’intention de le faire. Ses soutiens préparent sa candidature.

Vous faites partie du Cadre d’échange des partis et regroupements politiques. Cette coalition doit-elle présenter une candidature commune ?

Il est prématuré d’évoquer ces sujets. Je ne suis pas obsédé par cette élection, mais par le sort du Mali.

LE MALI A BESOIN D’UNE NOUVELLE TRANSITION, DIRIGÉE PAR DES CIVILS

Cela signifie-t-il que vous ne souhaitez pas être candidat ?

Vous voulez que je me prononce sur un sujet secondaire comparé à l’actualité. Aujourd’hui, l’objectif principal est de faire en sorte que le Mali dispose d’une équipe de transition compétente, composée de civils, afin de sortir de cette situation. C’est à ce prix que des élections pourront se tenir. Il serait indécent de ma part de vous parler de ma candidature ou de vous parler des élections pendant que mon pays se trouve dans une telle situation.

Si nous continuons à nourrir le débat en évoquant nos candidatures ou nos petites ambitions personnelles, cette junte se maintiendra au pouvoir. Nous devons, nous, hommes politiques républicains, trouver le moyen de débarrasser le Mali de cette équipe.

Comment parvenir à une transition civile ?

Il faut amener Assimi Goïta et sa junte à se retirer, afin que s’installe une équipe capable de sortir notre pays de cette situation cauchemardesque.

Quels pourraient être ces moyens ?

Les jours, les semaines et les mois à venir nous apporteront des idées.

Seriez-vous prêt à participer à une telle transition ?

Je suis prêt à contribuer à la définir et à trouver les moyens pour la mettre en place. Encore une fois, et ce n’est pas de la démagogie, je ne suis pas préoccupé par mon sort ou par ma carrière. J’ai été ministre plusieurs fois, j’ai servi mon pays avec un engagement total et beaucoup de fierté. Mon souci, c’est l’avenir du Mali.

En Afrique, le combat des féministes face aux violences faites aux femmes

Analyse 

Le 25 novembre est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. En Afrique, les associations militantes pour les droits des femmes se battent pour que les États mettent enfin en place un cadre juridique.

  • Sophie Alary, 
En Afrique, le combat des féministes face aux violences faites aux femmes
 
Des manifestantes, lors d’un défilé organisé par le ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance contre la violence de genre à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le 4 décembre 2021.SIA KAMBOU/AFP

« Près d’une femme sur trois (30 %) dans le monde subit des violences physiques et/ou sexuelles », alerte l’OMS alors qu’est célébrée la 23e journée internationale contre les violences faites aux femmes. Le chiffre grimpe à 36 % pour le seul continent africain. Viols, mariages précoces, avortements clandestins, mutilations : ces formes de violences, déjà aggravées par la pandémie de Covid-19, explosent encore à la convergence des bouleversements climatiques, des conflits armés et de l’instabilité économique dans la région.

Plus qu’un symbole

Fondatrice de l’ONG Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles, Justine Masika Bihamba accompagne depuis longtemps les femmes victimes de violences sexuelles liées à la guerre dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Pour elle, la Journée du 25 novembre n’est pas qu’un symbole : « C’est le temps du bilan et l’occasion de faire passer des messages. En RDC, les survivantes des violences sexuelles osent enfin briser le silence et témoigner, après tant d’années de travail de promotion des droits, mais les besoins d’accompagnement sont énormes. »

Sous l’impulsion des Nations unies, les bailleurs de fonds internationaux ont investi dans la lutte contre les violences faites aux femmes, qui s’est peu à peu inscrite dans l’agenda politique des États africains. Les organisations de la société civile ont appuyé la mise en place de campagnes de prévention, de numéros Verts, de programmes de soins et d’accompagnement. Pour autant, la quasi-totalité des pays africains ne dispose pas aujourd’hui de l’arsenal juridique nécessaire pour réprimer les violences basées sur le genre.

Changer le système

Pour Dieynaba N’Diom, militante féministe mauritanienne et membre du Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest, « nous profitons de cette Journée mondiale pour interpeller nos gouvernements ». La jeune activiste fait partie de cette nouvelle génération de féministes africaines, très présente sur les réseaux sociaux, qui s’adresse avant tout aux jeunes.

« Nous parions sur la sensibilisation, nous recevons un nombre croissant de sollicitations de femmes qui ont besoin d’aide, c’est la preuve que notre mobilisation a un impact, souligne-t-elle. Mais comment accompagner les femmes alors que, dans mon pays, elles peuvent se retrouver en prison en allant porter plainte pour viol ? »

En clair, « rien ne changera véritablement tant que nous n’aurons pas l’État de droit », martèle Justine Masika Bihamba. Pour elle, le système judiciaire a besoin d’une intervention extérieure pour se réformer, pourquoi pas via une « justice transitionnelle » faisant intervenir des magistrats étrangers.

« La loi congolaise prévoit de cinq à vingt ans de prison pour les auteurs de viols, mais nombre d’entre eux voient leurs peines réduites ou simplement annulées, tant la corruption est grande, dénonce-t-elle. Par ailleurs, des fonds ont été débloqués ces dernières années pour dédommager les victimes, mais elles n’ont encore rien reçu ! »

Au Rwanda aussi, se présenter devant le juge relève de la bravoure. L’accompagnement juridique est essentiel. Esther Mujawayo, survivante du génocide rwandais et fondatrice de l’association Avega, en est convaincue : « Nous devons mieux préparer les victimes à témoigner, mais aussi travailler davantage auprès de la justice : durant les auditions du Tribunal pénal international pour le Rwanda, à Arusha, les survivantes se retrouvaient parfois face à leurs violeurs. Il en faut de la force, il faut tenir, face à cette forme de violence là ! »

Des militantes dans la menace permanente

En échange permanent via les réseaux sociaux, le Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest fait front commun dans ses revendications. La Journée du 25 novembre sera suivie d’une campagne mondiale de seize jours d’activisme contre les violences liées au genre, jusqu’au 10 décembre, date de la Journée internationale des droits de l’homme. Cette année, le mot d’ordre est #Uni-e-s !

Sur le terrain, militer reste un combat. Au Nord-Kivu, Justine Masika Bihamba est la cible des combattants rebelles du M23, en ce moment même, à quelques kilomètres de Goma où elle réside. « Être activiste, c’est se mettre en danger, souligne Dieynaba N’Diom, régulièrement menacée dans son pays. En Mauritanie le féminisme est assimilé à une forme de terrorisme par certains courants religieux qui ne veulent pas que les femmes s’émancipent. »

Sénégal : lutter contre l’excision, c’est lutter contre le VIH

À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Fatimata Sy se penche sur les mutilations sexuelles dans la société sénégalaise, où la pratique demeure un fléau.

Mis à jour le 24 novembre 2022 à 16:32
 
 fatimata
 

Par Fatimata Sy

Activiste et secrétaire générale de l’Association sénégalaise pour l’avenir de la femme et de l’enfant (Asafe). Bénéficiaire du fonds Voix essentielles au Sénégal. 

 

excision

 

Au Sénégal, près de 2 millions de filles et de jeunes femmes ont subi une mutilation génitale en 2019. © GEORGES GOBET/AFP.

 

Sali n’avait que 9 ans quand je l’ai rencontrée au cours d’une tournée de sensibilisation dans le nord du Sénégal. Son jeune corps était déjà marqué à vie par l’excision. La tristesse et la colère que j’avais lues dans son regard m’avaient rappelé l’essence de mon engagement, vingt-cinq ans plus tôt, contre les mutilations génitales féminines dans mon pays.

Issue d’une famille d’exciseuses, mon combat pour préserver le corps et la dignité des femmes m’a toujours paru comme une évidence en dépit du rejet et des invectives qu’il m’a valu. « Un combat d’une autre époque ! » me lance-t-on parfois aujourd’hui, tant le développement rapide de notre continent ces dernières années peut laisser croire que ces pratiques n’existent plus.

À LIREComment le Mali, le Burkina et le Nigeria luttent contre l’excision

Et pourtant, selon l’Unicef, environ 50 millions de filles risquent de subir des mutilations génitales en Afrique d’ici à 2030. Au Sénégal, près de 2 millions de filles et de jeunes femmes ont subi une mutilation génitale en 2019. La prévalence de ces mutilations chez les jeunes filles de moins de 15 ans est de 16 %.

Risques d’infection accrus

Si ces violences persistent encore, c’est surtout en raison des inégalités entre hommes et femmes dans nos communautés, ainsi que des superstitions et valeurs patriarcales qui cristallisent les fantasmes autour du corps de la femme. En plus d’être une violation extrême de leur dignité et de leur liberté, les mutilations génitales entravent la santé mentale et sexuelle des femmes.

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Ces violences augmentent notamment la vulnérabilité des femmes vis-à-vis des infections sexuellement transmissibles telles que le VIH, qui touche deux à six fois plus les femmes que les hommes en Afrique subsaharienne. L’utilisation du même instrument chirurgical sans stérilisation ainsi que les risques accrus de saignement lors des rapports sexuels décuplent les risques d’infection par le VIH chez les victimes. Même la pratique médicalisée des mutilations génitales n’est pas sans risque.

Dans de nombreux cas, les traumatismes et autres conséquences psychologiques résultant de ces violences annihilent la confiance des jeunes filles et leur capacité à imposer l’utilisation du préservatif à leur partenaire. Le souvenir des douleurs intenses et la honte de leur corps, désormais marqué à jamais, les empêchent de recourir aux services de dépistage ou de soins pour les affections ou infections génitales les plus bénignes.

Contraception et accès à l’éducation

Pour une riposte efficace au VIH, il est urgent de redonner aux femmes et aux jeunes filles le contrôle de leur corps, de leur vie et de leur avenir. Comment accepter qu’aujourd’hui encore 93 % de femmes au Sénégal n’ont pas la liberté de prendre leurs propres décisions en matière de santé, de contraception ou simplement de choisir quand et comment avoir des rapports sexuels avec leur partenaire ? Tant que ces inégalités persisteront, que les mutilations génitales perdureront et que les femmes seront réduites au silence en ce qui concerne leur corps et leur sexualité, l’élimination du VIH restera hélas un vœu pieux…

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Des organisations telles que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme aident les femmes et les filles à faire valoir leurs droits en matière de santé sexuelle et procréative. Cela passe par des programmes d’autonomisation et d’accès à l’éducation, et par des actions visant à éliminer les obstacles liés au genre qui freinent l’accès aux services de santé. Au Sénégal, des centaines de jeunes filles de 13 à 18 ans ont ainsi pu bénéficier d’un accompagnement en matière de santé sexuelle grâce à l’initiative « Voix Essentielles » lancée au mois de juillet 2021 par Speak Up Africa et soutenue par le Fonds mondial.

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Ces adolescentes exposées à une sexualité précoce, le plus souvent avec des personnes adultes, sont désormais plus fortes, mieux à même d’éviter les pratiques sexuelles à risque et de prendre en main leur santé. Ces programmes en faveur des femmes et des filles doivent être soutenus, étendus et renforcés par les gouvernements, les agences internationales, les entreprises et la société civile. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons lutter efficacement contre les violences basées sur le genre et espérer, enfin, en finir avec le sida.

Sommet de l'Union africaine: pour l'industrialisation de l'Afrique, «il faut repenser les modèles»

Vue du port d'Abidjan, le 4 octobre 2012. REUTERS/Thierry Gouegnon

 

Le sommet extraordinaire de l’Union africaine sur l’industrialisation et la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine) s’est ouvert ce vendredi à Niamey. Une quinzaine de chefs d’État et de gouvernement y ont pris part. D’importantes décisions et des engagements sur le développement industriel de l’Afrique sont attendus.

Avec notre correspondant à NiameyMoussa Kaka

C’est le président rwandais, Paul Kagame, mandaté par le président sénégalais et président de l’Union africaine Macky Sall, qui a ouvert les travaux ce vendredi à Niamey. Ce sommet extraordinaire a pour but de se pencher sur l’industrialisation de l’Afrique, une problématique qui impacte le développement du continent.

Pour le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki, le plan d’action de développement économique de l’Afrique de 2008 n’a pas été à la hauteur. « Aujourd’hui, il faut identifier les facteurs qui ont plombé le développement de l’Afrique et repenser les modèles », a-t-il déclaré. 

Le continent africain absent du commerce mondial

Et les experts l’ont certifié, l’industrialisation, la diversification de l’économie et la Zlecaf sont déterminants dans le développement de l’Afrique. Le jour où l’industrialisation de l’Afrique et la Zlecaf seront devenues une réalité, l’Afrique prospérera et sera en paix, a-t-il conclu.

Malgré sa richesse en matières premières, le continent africain est absent du commerce mondial, a estimé le président nigérien Mohamed Bazoum. Selon lui, la part de l’Afrique ne dépasse pas les 4%. Entre pays africains, cette part n’est que de 17%.

Un constat frappant qui appelle des réponses appropriées : connecter les réseaux ferroviaires régionaux, investir massivement dans l’éducation et les nouvelles technologies de la communication ou encore libérer les énergies des entrepreneurs africains. Le président Mohamed Bazoum a conclu en affirmant que les pays africains ne peuvent pas se passer des énergies fossiles pour leur développement.

► À lire aussi: Le continent africain peine à s’industrialiser

Mali: l'inquiétude et les questions des ONG suspendues par le gouvernement

 
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Au lendemain de l'annonce par le Mali de la suspension des activités des ONG qui bénéficient de financements français, les ONG concernées pour comprendre ce qu'il va advenir de leurs programmes. 

À Paris comme à Bamako, c'est branle-bas de combat. La suspension « à effet immédiat » des activités des ONG bénéficiant de financements français concerne non seulement celles qui travaillent dans le développement, mais aussi celles qui œuvrent pour l'aide humanitaire. L'annonce faite par un communiqué signé du Premier ministre par intérim, le colonel Abdoulaye Maïga, intervient quelques jours après que la France a elle-même suspendu son aide publique au développement en direction du Mali.

Le gouvernement malien indique dans son communiqué avoir pris sa décision en conformité avec les principes de la transition : défense de la souveraineté nationale, des choix stratégiques du Mali et des intérêt vitaux du peuple malien.

Désormais, les réunions s'enchaînent aux sièges et antennes locales des ONG concernées. « Nous n'avons pas tout laissé tomber d'un coup ce matin, explique une source chez une coordination humanitaire. Pour le moment, nous sommes en concertations et essayons de comprendre ce que cette suspension implique. » 

De nombreuses questions en suspens

Le communiqué malien laisse de nombreuses questions en suspens. D'abord, il faut comprendre si ce sont les activités de certaines ONG financées par la France qui sont concernées ou bien les ONG dans leur ensemble. Car les financements humanitaires sont complexes et les organisations peuvent bénéficier de plusieurs bailleurs différents. 

Un expert explique que seuls les financements d'institutions françaises sont concernés comme l'AFD ou le Centre de crise et de soutien du ministère des Affaires étrangères. Il se demande néanmoins si l'administration malienne dispose déjà de toutes ces informations pour une mise en œuvre immédiate de la suspension.

Quoi qu'il en soit, les conséquences de cette décision pourraient être très lourdes pour la population malienne. Dans une lettre ouverte adressée au président français la semaine dernière, un collectif d'ONG rappelait que 7,5 millions de Maliens ont besoin d'aide humanitaire, soit plus de 35 % de la population. La France a indiqué « regretter » la décision des autorités, évoquant une « décision qui intervient malheureusement au détriment de la population malienne ».

L’opposition du Cadre « regrette » une décision qui pénalisera « le peuple malien »

Mais pour les partis du Cadre, rassemblant l’opposition à la transition en cours, ce n'est pas la France, accusée par Bamako de vouloir déstabiliser et isoler le Mali, que cette décision pénalise, mais les Maliens eux-mêmes. Il s’agit d’« une décision regrettable », résume l'ancien ministre Amadou Koita, président du PS-Yelen Koura et porte-parole du Cadre, interrogé par notre journaliste du service Afrique, David Baché :

C'est une décision regrettable, qui va causer beaucoup de tort au peuple malien. L'appui français permet de financer des dizaines d'ONG et d'associations, qui touchent également des milliers et des milliers de nos compatriotes, dans pratiquement toutes les régions du Mali, surtout celles qui sont affectées par la crise sécuritaire. Et cela concerne beaucoup de secteurs : agricole, sanitaire, l'éducation...

Le Cadre des partis d'opposition demande aux autorités de transition de changer de posture, vis-à-vis de la France et de l'ensemble des partenaires internationaux du Mali, insiste Amadou Koita :

Nous appelons à la désescalade, nous appelons nos hautes autorités à renouer le dialogue. Le Mali et la France ont un passé (commun - NDLR). Nous devons savoir aujourd'hui que le seul ennemi que nous avons, ce sont les terroristes. Donc aujourd'hui le Mali a besoin de beaucoup d'amis, nous devons renforcer nos amitiés avec tous nos partenaires. Il peut y avoir des moments d'incompréhension, mais nous devons les surmonter et aller à l'essentiel. Pour le bénéfice de nos populations et la stabilité de notre pays.

Sollicitées par RFI, plusieurs organisations qui soutiennent les autorités de transition n'ont pas souhaité s'exprimer sur ce sujet. En attendant de voir plus clair, presque aucune organisation n'a souhaité faire part de ses craintes à RFI.