" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. "(Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)
NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :
En vivant proches des pauvres, partageant leur vie. Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée. Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun. Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.
Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.
Qui paiera pour le climat ?
COP27 : changement climatique, qui doit payer ?
Analyse
La question de la justice climatique sera au centre de la COP27, qui s’ouvre en Égypte dimanche 6 novembre. Les pays en développement demandent des financements pour réduire leurs émissions, s’adapter et faire face aux pertes irrémédiables causées par le réchauffement.
Camille Richir,
C’est une question d’éthique et de milliards qui sera au cœur de la COP27, la 27e conférence des parties sur le climat, grande conférence annuelle sur la lutte contre le changement climatique. Elle se tient cette année à Charm El-Cheikh, en Égypte, du 6 au 18 novembre. Une COP africaine donc, où une bonne partie des pays du Sud comptent demander justice. Ils mettent l’accent sur les besoins de financement pour faire face à la facture monumentale des dégâts liés au réchauffement climatique, et de leur prévention.
Promesse non tenue
En 2009, les pays développés s’étaient engagés à fournir 100 milliards d’euros par an de financements divers aux pays en développement pour les aider à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et mettre en place des mesures d’adaptation aux risques. Les plus vulnérables aux extrêmes climatiques étant aussi, à quelques exceptions près, des pays en développement à faibles revenus, souvent lourdement endettés.
La promesse n’a pas été totalement remplie. En 2020, l’enveloppe aurait atteint 83 milliards d’euros, financements privés et publics confondus, selon l’OCDE. Mais les chiffres sont contestés : ils englobent des financements de projets dans lesquels la question climatique n’est qu’annexe. Par ailleurs, la part des dons est faible : l’ONG Oxfam estime qu’elle se situe entre 21 et 24,5 milliards d’euros.
Pertes et dommages
Le chiffre de 100 milliards était surtout un symbole – bien loin des milliards de milliards nécessaires pour financer la transition –, un objectif destiné à mobiliser les investissements privés. Face à cet échec, les pays du Sud insistent désormais sur la création d’un mécanisme supplémentaire pour financer les « pertes et dommages », autrement dit les dégâts qui ne pourront être évités, quelles que soient la réduction des émissions ou les mesures d’adaptation.
Une étude menée par des chercheurs du Centre basque sur le changement climatique chiffre à 290-580 milliards ces dommages résiduels d’ici à 2030. Sans compter les dégâts non chiffrables : vies humaines, impacts sur la santé, pertes de territoire, disparition d’identités culturelles.
« Il faut un nouveau mécanisme de financement des pertes et dommages, additionnel à ceux déjà existants et facilement accessibles pour les pays les plus touchés, explique Mamadou Sylla, activiste sénégalais membre de la Coalition des jeunes sur les pertes et dommages. C’est une question de juste réparation. » Mais les pays développés ont longtemps freiné des quatre fers, craignant que toute reconnaissance du concept n’entraîne des conséquences juridiques.
Responsabilité « historique »
En toile de fond, il y a cette idée de « justice climatique », développée dans les années 1990 dans les pays en développement. « Le changement climatique est une violation des droits humains, explique Elizabeth Cripps, philosophe à l’université d’Édimbourg (1). L’action passée et présente des pays riches du Nord a des conséquences dévastatrices partout, et notamment dans les pays du Sud. Ils doivent donc y remédier : en réduisant les émissions, en accompagnant l’adaptation et en payant pour les pertes et dommages. » Les pays en développement plaident pour que les pays riches assument leur responsabilité « historique » et remboursent ce qui serait une « dette climatique ».
« C’est un concept de justice corrective, explique Thierry Ngosso, chercheur postdoctorant en éthique climatique à l’Université catholique d’Afrique centrale (Cameroun) et à l’université de Saint-Gall (Suisse). Le principe est que l’on regarde qui a causé le réchauffement et on lui demande de réparer les problèmes qu’il a causés. » Car les émissions de CO2, principal gaz à effet de serre, s’accumulent dans l’atmosphère, sans disparaître. Ce qui a été émis au XIXe siècle par les pays désormais riches a ainsi une conséquence sur l’élévation de température constatée aujourd’hui.
Faire sa « juste part »
Mais cette question de la responsabilité historique est controversée, et notamment rejetée par les Américains. À Washington, les différentes administrations répondent que, pendant des décennies, l’effet des gaz à effet de serre était méconnu. « Il est vrai qu’il y a un caractère arbitraire à fixer une date à partir de laquelle on reconnaît la responsabilité des pays, note Thierry Ngosso. Chacune peut avoir du sens : on peut prendre la fin du XXe siècle en estimant qu’il n’y a responsabilité morale que lorsque les États savent qu’ils causent du tort ; mais on peut aussi remonter à 1850, car c’est là que les émissions ont commencé à augmenter fortement. »
« Une autre façon de voir la justice climatique est de parler de justice redistributive, poursuit le chercheur. Elle n’écarte pas la responsabilité historique mais estime que l’effort juste repose sur la capacité d’agir économiquement. Les financements doivent aider les pays du Sud à renoncer à une forme de développement fondée sur les énergies fossiles, et ces mêmes pays du Sud ont la responsabilité aussi de ne pas retarder l’action climatique. C’est un contrat moral. »
C’est le sens, en partie, de la promesse des « 100 milliards ». L’Inde et la Chine, qui négocient en tant que pays en développement, ne sont pas visées par les demandes de mise au pot. Il faut dire que, même si en valeur absolue leurs émissions cumulées ont rattrapé celles des pays du Nord, rapportées au nombre d’habitants, tant leurs émissions que leur PIB restent bien en deçà de ceux des pays du G7.
Taxation des entreprises
Au-delà de la question purement éthique, plusieurs organisations de la société civile insistent sur la nécessité d’une justice climatique pour restaurer la « confiance » entre Nord et Sud. « Nous n’arriverons pas à stopper le réchauffement climatique sans la coopération des pays en développement, explique Mats Engström, chercheur à l’European Council on Foreign Relations. En attendant, il sera très difficile pour les pays développés de faire pression sur la Chine ou l’Inde s’ils ne remplissent pas leur propre part du contrat en accompagnant la transition et l’adaptation des pays du Sud. »
Ces derniers temps, les yeux se tournent de plus en plus vers les grandes entreprises, notamment pétrogazières. Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a appelé en septembre les économies développées à taxer les bénéfices exceptionnels et à rediriger une partie de ces revenus vers le Sud.
[Décryptage] Pourquoi la zone CFA va pâtir de la hausse continue des taux d’intérêt en Europe
Alors que la Banque centrale européenne valide la troisième hausse de ses taux d’intérêt en moins de cinq mois, l’Afrique et la zone CFA en particulier risquent d’en faire les frais. Explications
La Banque centrale européenne (BCE) poursuit sa politique monétaire restrictive. En l’espace de quelques mois, son principal taux de refinancement est passé de 0,5 % à 2 %. Et, à en croire la présidente de l’institution financière européenne, Christine Lagarde, au lendemain de la dernière hausse, le 27 octobre, « cette augmentation sera suivie par d’autres ». L’objectif premier de cette mesure est de renchérir le coût des emprunts pour freiner la demande et, par effet domino, endiguer l’inflation – quitte à accroitre le risque de récession.
Au vu du contexte actuel, et d’après plusieurs experts interrogés par Jeune Afrique, l’utilisation de ce levier est à double tranchant : tout en permettant de maintenir l’euro à un certain niveau, il constituera un frein au développement. Pis encore, il pèsera très lourdement sur les économies les plus fragiles, notamment celles arrimées à la devise de l’UE. Comme le souligne, Clemens Graf von Luckner, économiste chercheur affilié à Sciences Po Paris, « encore une fois, l’Afrique, plus précisément la zone CFA, est la victime collatérale d’une politique monétaire extérieure ».
« En général, l’inconvénient majeur de l’arrimage à une devise est l’importation forcée de la politique monétaire qui a été élaborée pour un contexte et une zone en particulier – ici, la politique de la zone euro qui essaye de suivre la cadence de la FED s’impose dans la zone CFA. Ce qui est mauvais pour son cycle économique, car elle est inadaptée », juge Clemens Graf von Luckner. Des propos que valide et étaye Mickaël Gondrand, analyste chez Moody’s. Pour lui, la hausse des taux d’intérêt de la BCE exercera obligatoirement une pression sur la Banque centrale des États de l’Afrique d’Ouest (BCEAO) et la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) pour qu’elles resserrent davantage leurs politiques monétaires.
LA BCE MET LES PAYS ÉMERGENTS FACE AU FAMEUX CHOIX DE LA PESTE ET DU CHOLÉRA.
Toutefois, et comme le précise Othman Boukrami, co-directeur de l’information et chef des négociations de TCX trading, le juste équilibre est très difficile à atteindre. « Les décisionnaires de la zone CFA essayent de trouver le juste milieu entre l’urgence d’augmenter les taux et le maintien d’un certain niveau de croissance. L’équilibre est fragile car la parité ne peut pas être mise en danger par une politique monétaire trop laxiste ».
Hausse du prix de la dette
Malgré la hausse des taux d’intérêt de la BCE, la valeur de l’euro reste inférieure à celle du dollar. « Le dollar s’apprécie vite, et l’euro ne suit plus », précise François Geerolf, professeur d’économie à University of California, Los Angeles (UCLA), en ajoutant « au moins l’euro ne se déprécie plus. Avec la hausse des taux, il se stabilise dans une certaine mesure ». La monnaie européenne, dont la valeur a diminué d’environ 11,5 % depuis le début de 2022, se maintient actuellement entre 0,97 et 0,99 euro pour 1 dollar. « Sans hausse des taux, l’euro aurait pu se déprécier d’avantage », explique le chercheur.
Une situation qui « limite quelque peu les dégâts du remboursement de la dette libellée en dollar pour tous les pays liés à l’euro », considère Clemens Graf von Luckner. Car, à chaque fois que la valeur de l’euro évolue, toutes les monnaies qui y sont arrimées font automatiquement de même. Pour rappel, le franc CFA, dont la convertibilité est garantie par le Trésor français, est arrimé à l’euro selon une parité fixe (1 euro = 655,957 F CFA).
Cependant, le coût de toute nouvelle émission de dette augmentera, lui, inéluctablement au rythme des taux d’intérêt qui ne cessent de grimper. En juillet 2022, la BCE a enregistré une hausse de 50 points, une hausse de 75 points en septembre, puis une hausse de 75 points en octobre – et l’institution située à Francfort ne compte pas s’arrêter là.
Comme en atteste l’analyste de chez Moody’s interrogé par Jeune Afrique, dans ces conditions, le marché financier se resserre de manière synchronisée et, par effet ricochet, « la hausse des coûts d’emprunt augmentera les coûts d’intérêt des gouvernements dans toute la zone CFA, ce qui aura un impact négatif sur les paramètres d’accessibilité à la dette ». Un coup de massue pour les pays africains déjà très endettés, et ayant très peu de marge de manœuvre budgétaire au lendemain de la pandémie de Covid-19.
Stagflation latente
Comme mentionné plus haut, l’objectif ultime de la BCE est de réduire la quantité de monnaie en circulation, afin de ralentir l’inflation. « En Afrique également, une augmentation des taux locaux est nécessaire. Cela pourrait affecter négativement les perspectives de croissance des pays de la zone CFA, mais il s’agira d’un mal pour un bien », estime Othman Boukrami.
Une analyse que ne partage pas François Geerolf, « le raisonnement de la BCE est obsolète au vu des circonstances ». À la lumière de ces propos, il convient de souligner que l’inflation actuelle est en majeure partie importée : ses causes sont externes et multiples. Il s’agit essentiellement de la distorsion de la chaîne de valeurs post-Covid, de la hausse des prix de l’énergie – notamment après les décisions de l’Opep+ de réduire la production –, et surtout de l’impact de la guerre en Ukraine… Or, contre cela, la BCE, et par extension la BCEAO et la BEAC « ne peuvent pas faire grand-chose », dénonce l’économiste de Sciences Po. Et d’ajouter : « en confondant inflation interne et importée, l’institution européenne légitime son action, et met les pays émergents face au fameux choix de la peste et du choléra. »
Ainsi, et conformément à un rapport du FMI datant du mois d’octobre, même en l’absence de nouvelles perturbations de l’approvisionnement, l’inflation pourrait rester plus élevée, et ce pendant longtemps. La stagflation, soit une inflation mêlée à une stagnation de la croissance, est donc le scénario le plus probable, en Europe comme en Afrique.
Burkina encore et toujours
Burkina Faso : la mission (presque) impossible du capitaine Traoré
Auteur du deuxième putsch qu’a connu le pays en l’espace de huit mois, il se rêve en nouveau Sankara. Peut-il faire mieux que son prédécesseur dans un pays gangrené par l’insécurité ?
Tout un symbole. Ce 15 octobre, Ibrahim Traoré vient rendre hommage à Thomas Sankara, à quelques dizaines de mètres du lieu où l’ancien chef de l’État a été assassiné, trente-cinq ans plus tôt. D’un pas lent, le jeune capitaine se dirige vers la statue de son illustre aîné, une gerbe de fleurs à la main. Puis les organisateurs de la cérémonie lui transmettent « le flambeau de la révolution », lui enjoignant solennellement de perpétuer les valeurs sankaristes. Et pour cause : la veille, Traoré a été officiellement désigné président de la transition jusqu’en juillet 2024 par des « assises nationales des forces vives », devenant, au passage, le plus jeune chef d’État du monde en exercice.
Depuis qu’il a renversé le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, le 30 septembre, nombre de Burkinabè voient en celui qu’ils ont surnommé « IB » un nouveau Sankara. Les deux hommes présentent, il est vrai, quelques similitudes. Même grade, même béret rouge, même âge lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir (34 ans), même parcours : tous deux ont réussi un putsch huit mois après que leur pays a connu un premier coup d’État. Voilà pour la forme.
Sur le fond, la comparaison paraît plus hasardeuse. L’époque a changé, et les deux capitaines ne s’inscrivent pas dans la même veine. « Sankara n’était pas qu’un militaire. C’était un vrai leader politique, qui avait une idéologie et une vision précise de la société qu’il voulait mettre en place. Il ne semble pas que ce soit le cas de Traoré », estime une figure de la société civile.
« IB ou rien »
Le nouveau venu, lui, n’hésite pas à entretenir le mythe d’une filiation. Avec un certain succès : en deux semaines, il s’est taillé une image d’homme providentiel aux yeux des milliers de jeunes de moins de 30 ans. Majoritaires dans le pays, ils ont été biberonnés à l’idéal sankariste et écœurés par une classe politique qu’ils exècrent. Comme ils l’ont scandé partout avant les assises nationales, pour eux, c’est « IB ou rien ».
Avant d’enfiler ce treillis de héros de la nation, Ibrahim Traoré a connu un parcours plutôt atypique. Contrairement à la plupart des officiers burkinabè, il n’a pas fréquenté le Prytanée militaire de Kadiogo. Il a étudié à l’école publique dans sa commune de Bondokuy (province du Mouhoun), puis au lycée, à Bobo-Dioulasso. L’un de ses anciens professeurs garde le souvenir d’un « élève brillant ».
En 2007, le baccalauréat en poche, il s’inscrit en licence de géologie à l’université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou. Il sort major de sa promotion. Au lieu de poursuivre son cursus universitaire, il change de destinée : en 2010, l’étudiant consciencieux franchit les portes de l’Académie militaire Georges-Namoano, à Pô, qui forme l’élite de l’armée.
Membre de la douzième promotion, il en sort sous-lieutenant en 2012. Il est affecté au régiment d’artillerie de Kaya, tout en suivant deux formations au Maroc. Deux ans plus tard, l’apprenti géologue est promu lieutenant. En 2015, il rejoint le mouvement des « boys », ces officiers loyalistes qui s’opposent à la tentative de coup d’État du général Gilbert Diendéré. Au sein de l’une des unités qui entre dans Ouagadougou pour forcer les putschistes à déposer les armes, il gère plusieurs pièces d’artillerie.
De retour dans son régiment, le lieutenant Traoré enchaîne les missions de terrain. Avec ses hommes, il est régulièrement en première ligne face aux groupes jihadistes qui ne cessent de progresser à travers le pays. Il est envoyé dans la zone très exposée des trois frontières (Mali-Burkina-Niger) et participe, en 2019, à l’opération Otapuanu, qui vise, sans grand succès, à pacifier l’Est. À Kaya, il forme aussi quelques centaines de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), ces supplétifs civils que le gouvernement mobilise pour lutter contre les terroristes.
La désillusion Damiba
Apprécié de la troupe, Traoré y est décrit comme un « bon officier de terrain », « valeureux », qui « ne rechigne pas à la tâche et n’a pas peur du danger ». « Il aime l’action. À tel point qu’il est peut-être parfois un peu trop fougueux », estime l’un de ses camarades. En 2020, ses faits d’armes – il a, par exemple, fait une quarantaine de kilomètres à pied avec ses hommes pour aller défendre la localité de Barsalogho – lui valent d’être nommé capitaine.
Après la réélection de Roch Marc Christian Kaboré, à la fin de 2020, l’officier trentenaire constate, dépité, que la situation ne cesse de se dégrader. Avec d’autres membres du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), il fait partie de ceux qui, le 24 janvier 2022, aident le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba à réussir son coup d’État. Une fois installé au palais de Kosyam, Damiba le nomme chef de corps du régiment d’artillerie de Kaya.
Mais l’enthousiasme laisse rapidement place à la désillusion. Malgré les promesses de leur nouveau chef, rien ne change pour la troupe. Les attaques sont toujours aussi nombreuses et meurtrières. Sur le front, le capitaine Traoré et ses pairs sont en proie aux mêmes difficultés, notamment logistiques.
La grogne monte contre Damiba, en particulier parmi les trentenaires qui lui avaient permis d’accéder au pouvoir. Ils l’accusent d’être déconnecté de la réalité, de former, avec son entourage, une bande d’ « officiers climatisés », confortablement installés dans la fraîcheur de leurs bureaux ouagalais pendant qu’eux risquent leur vie en brousse. « Durant les semaines qui ont précédé sa chute, Damiba ne répondait quasiment plus à ceux qui essayaient de le joindre. Il était dans sa bulle, ce qui a évidemment exacerbé les tensions », confie un gradé.
En septembre, Traoré essaie de l’alerter et de le pousser à opérer des changements tactiques. En vain. Le 26, un convoi de ravitaillement à destination de Djibo, sous blocus des jihadistes depuis février, est attaqué à Gaskindé. Officiellement, 27 militaires et 11 civils sont tués. Ce bain de sang est celui de trop. Traoré se rend à Ouaga et demande encore à être reçu par son aîné. Pas de réponse. « Il était très amer », se rappelle un officier.
« Coup de maître »
Le 30 septembre, Traoré et ses hommes – notamment les Cobras, des membres d’unités d’infanterie spécialisées – passent à l’action. Des tirs résonnent aux alentours de 4h30 autour de la villa ministérielle où réside Damiba, à Ouaga 2000. Malgré l’annonce de sa destitution, le lieutenant-colonel fait de la résistance. Le lendemain, il est bien décidé à reprendre la main. Pour beaucoup, le rapport de force militaire lui est même plutôt favorable.
Tout bascule en début d’après-midi, après ce que certains qualifient de « coup de maître » de la part de Traoré. À la Radiodiffusion télévision du Burkina, il fait annoncer que Damiba « se serait réfugié ausein de la base française de Kamboinsin » pour y « planifier une contre-offensive. » « Cela fait suite à notre ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires, prêts à nous aider dans notre lutte contre le terrorisme. » En clair : Damiba est soutenu par la France car ses tombeurs souhaitent se rapprocher de la Russie.
Pour les putschistes, peu importe que l’information – livrée d’ailleurs au conditionnel – soit erronée, ou que les populations soient utilisées dans le bras de fer entre militaires. L’annonce fait l’effet d’une bombe à Ouaga où, comme dans nombre de capitales sahéliennes, le sentiment antifrançais est largement partagé. Quasi instantanément, des milliers de personnes descendent dans les rues. « Traoré a eu l’intelligence de transformer son putsch en insurrection populaire », estime un responsable politique. « La partie était quasiment pliée. Sans ça, son coup n’aurait jamais réussi », affirme un diplomate étranger.
En centre-ville, quelques centaines de manifestants attaquent l’ambassade de France et saccagent l’Institut français sans que les forces de l’ordre bougent le petit doigt. Dans la foule, la présence de drapeaux russes ne laisse guère de doute sur l’implication des réseaux pro-Moscou, implantés de longue date au Burkina Faso.
Cependant, difficile de voir la main du Kremlin derrière le putsch de Traoré. « Il s’agit d’abord et avant tout d’une affaire interne à l’armée. La Russie n’a qu’un comportement opportuniste et essaie de récupérer la situation en s’appuyant sur ses réseaux locaux », analyse un haut responsable français. Face au bouclier humain constitué par les putschistes, Damiba, qui veut éviter toute effusion de sang, est contraint de jeter l’éponge. Dans la matinée du 2 octobre, il quitte Ouagadougou à bord d’un hélicoptère. Destination Lomé, au Togo. « IB » a réussi son coup.
Après avoir laissé entendre qu’il n’était pas intéressé par le pouvoir, le capitaine a finalement décidé de l’assumer pleinement. Du haut de ses 34 ans, il ne paraît pas particulièrement impressionné par l’énorme charge qui pèse sur ses épaules. Il se montre serein, dégage une certaine assurance. À tel point que certains de ses supérieurs, qui digèrent mal de devoir saluer leur subordonné, le taxent déjà d’arrogance.
Pourtant, Traoré se montre plutôt prudent. Après avoir fait plusieurs interventions médiatiques durant le putsch, notamment pour essayer de rattraper le coup vis-à-vis des autorités françaises, il pèse désormais ses mots. Et a fait passer la consigne à son premier cercle, le temps d’y voir plus clair. Depuis une quinzaine de jours, ses apparitions publiques se comptent sur les doigts d’une main. Participation à l’hommage militaire rendu aux soldats tués à Gaskindé, réception de citoyens se mobilisant pour sauver Djibo de la famine… Sa communication est axée sur l’urgence sécuritaire, preuve que le putschiste maîtrise déjà bien les codes de son nouveau métier.
Sur le plan diplomatique, le capitaine Traoré s’est également employé à vite rassurer la Cedeao, dont il a reçu une mission dès le 4 octobre. « Il a clairement dit [à ses membres] qu’il tiendrait les engagements pris par ses prédécesseurs, et donc que la transition ne dépasserait pas juillet 2024 », explique un diplomate ouest-africain.
Inexpérimenté
Depuis qu’il est aux commandes, Traoré gère le pays avec une quinzaine de lieutenants et de capitaines en qui il a toute confiance, notamment les capitaines Sorgho, Ouiya ou encore Méda. « Ils fonctionnent de manière assez collégiale », indique une source militaire. L’artilleur prend également soin de consulter régulièrement les officiers de sa génération déployés à travers le pays. Dans un contexte ouagalais toujours très volatil, où la méfiance entre gradés est permanente, il demeure protégé par ses hommes, pour la plupart membres d’unités Cobra.
Sur le plan militaire, IB a une idée assez précise de la stratégie à mettre en œuvre pour endiguer l’insécurité. « Il a bien mûri son projet, au fil des expériences accumulées sur le front », affirme un gradé. Il compte ainsi adopter une posture plus offensive en accélérant le déploiement des « unités de marche », dont la mission est d’aller au contact des groupes jihadistes. Outre le recrutement de 3 000 hommes dans les mois à venir, tous les moyens possibles seront consacrés à l’effort de guerre, comme l’a montré la réquisition express de 42 pick-up appartement au ministère de l’Environnement, au lendemain du putsch.
Au-delà de l’enjeu militaire, c’est peu dire qu’Ibrahim Traoré nourrit un certain nombre de doutes. En tant que président, il n’aura plus un régiment à gérer mais tout un pays. Or sa jeunesse et son inexpérience inquiètent. « Que connaît-il à la gestion de l’État ? » critique une figure du régime déchu de Kaboré. Deux millions d’habitants déplacés, une inflation galopante, la grogne sociale qui couve… Faire uniquement la guerre ne suffira pas. « Le plan, c’est qu’il n’y a pas de plan. Les militaires ne savent pas comment s’y prendre », s’inquiète un important homme d’affaires.
Influences politiques
Comme beaucoup d’autres avant lui, Traoré deviendra inévitablement moins disponible, moins accessible. Autant de griefs déjà formulés contre Damiba. « S’il veut gérer l’administration, il lui faudra d’abord s’entourer de cadres compétents. Et ensuite, même s’il s’en défend, il n’aura d’autre choix que de faire de la politique », explique un ex-ministre.
N’en fait-il pas déjà ? À Ouagadougou, beaucoup l’accusent déjà d’être en service commandé pour le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti de Kaboré, et les organisations qui ont été à la pointe lors de l’insurrection populaire de 2014 contre Blaise Compaoré. « Traoré et les militaires qui ont fait ce putsch ont reçu un important soutien financier de leur part, cela ne fait aucun doute », accuse un partisan de Compaoré. « Il faut beaucoup d’argent pour réussir ce genre de coup. Il est forcément appuyé, depuis le début, par des politiques », ajoute une source sécuritaire.
Dans les rangs de l’ancienne majorité présidentielle, certains démentent formellement. D’autres reconnaissent que la chute de Damiba, qu’ils accusaient de tout faire pour les liquider, « les arrange forcément » et avouent avoir « accompagné le mouvement ».
« C’était d’abord une affaire entre militaires. Mais, inévitablement, des acteurs civils et politiques sont entrés dans la danse pour faire en sorte que ça marche », concède une figure de la société civile. Après avoir pris tant de risques pour réussir son coup d’État, IB se laissera-t-il dicter ce qu’il doit faire par des politiciens ? « Il sait parfaitement que Damiba est tombé parce qu’il a trop fait de politique et pas assez la guerre. Il serait idiot de reproduire la même erreur », estime une source diplomatique.
Encore lui faudra-t-il, aussi, bénéficier du soutien de toute l’armée. Là encore, l’affaire n’est pas gagnée. Dans cette grande muette déjà très divisée – entre générations d’officiers, entre clans liés à tel ou tel bord politique… –, le putsch du 30 septembre a suscité beaucoup de remous. Certains gradés se montrent très critiques à l’égard de Traoré. À commencer par les proches ou les soutiens du lieutenant-colonel Damiba, qui ont perdu la main. « Ce putsch de capitaines montre que l’indiscipline est généralisée dans nos rangs. Or une armée n’est rien sans discipline. Quels ordres Traoré va-t-il pouvoir donner à ses supérieurs ? Beaucoup ne l’accepteront pas. Résultat, ça sera encore plus le bazar », dénonce un proche de Damiba.
D’autres officiers supérieurs se veulent plus rassurants et rappellent que, depuis la chute de Kaboré, les « aînés » de l’état-major devaient déjà composer avec les desiderata de leurs cadets. « Qu’ils soient lieutenant-colonel ou capitaine, ils restent des subordonnés pour beaucoup d’entre nous. Nous sommes habitués à cette situation, s’amuse un haut gradé. Finalement, il n’y a pas de problème majeur, l’état-major est bien décidé à l’accompagner. »
Visage parfois dissimulé derrière son cache-cou à la manière d’Assimi Goïta, le nouvel homme fort de Ouagadougou devra également rapidement clarifier ses intentions en matière de partenariat. Depuis sa déclaration à la télévision nationale en forme d’appel du pied à la Russie, beaucoup se demandent – en particulier dans les chancelleries occidentales – si le Burkina Faso de Traoré adoptera la même trajectoire que le Mali de Goïta.
« Quand il a fait cette déclaration, c’était bien davantage pour s’assurer de renverser Damiba que pour donner une vraie orientation stratégique [au régime] », estime un partisan du putsch. Il n’empêche. Floraison de drapeaux russes dans les mains de ses partisans, y compris entre celles de certains putschistes, activisme tous azimuts des réseaux pro-Moscou en sa faveur, déclaration de soutien d’Evgueni Prigojine, le patron de la nébuleuse Wagner, alors qu’il était à peine installé au pouvoir… Traoré a beau essayer de rassurer ses partenaires occidentaux et ses voisins, ces signaux n’ont échappé à personne.
Comme Paul-Henri Sandaogo Damiba l’avait été dès son arrivée à Kosyam, il ne fait aucun doute que le capitaine Traoré sera approché – s’il ne l’a pas déjà été – par des émissaires de Wagner. Reste à savoir ce qu’il décidera d’en faire. « L’offensive russe va se poursuivre au Burkina. Et il y a évidemment un risque que les nouvelles autorités y succombent », s’inquiète un responsable français. Selon des sources sécuritaires, des contacts auraient eu lieu entre le groupe de Traoré et la junte malienne avant le coup d’État. Et, parmi les officiers trentenaires qui l’entourent, certains ne cacheraient pas leur souhait de se rapprocher franchement des Russes.
Cette vision est loin d’être partagée par les élites burkinabè, qu’elles soient militaires, politiques, ou économiques. « Globalement, personne n’est opposé à une diversification des partenariats. Elle est même souhaitée. Mais de là à rompre totalement avec la France et les Occidentaux comme cela a été fait par le Mali, cela reviendrait à se mettre le couteau sous la gorge », résume un ancien cadre du régime Kaboré.
Quid de la population, et surtout des mouvements pro-russes qui ont largement mouillé la chemise pour Traoré ? Tous s’attendent à ce que le jeune capitaine coupe les liens avec l’ancienne puissance coloniale. « Il a déjà trop parlé : il a dit qu’il allait régler en trois mois ce que Damiba n’avait pas réglé en huit mois, et qu’il allait se tourner vers la Russie. Forcément, tout le monde l’attend au tournant. Il lui sera très difficile de faire machine arrière », estime un observateur.
Autre problème de taille : selon une source sécuritaire, plusieurs hauts gradés auraient conditionné leur soutien à un maintien à l’écart des Russes. « S’il fait l’inverse, cela va très vite chauffer pour lui », indique cet informateur. En attendant, IB dispose toujours d’un soutien déterminant, tout aussi important que celui de l’état-major : celui de la rue et des jeunes générations. « Il jouit d’une popularité indéniable. Mais le jour où il ne l’aura plus, cela deviendra tout de suite beaucoup plus compliqué, et certains ne se gêneront pas pour tenter à leur tour de le renverser », analyse un ancien ministre. D’où le risque, déjà dans les toutes les têtes, d’un nouveau putsch. Dans les maquis de Ouaga, une fois la nuit tombée, certains en sont déjà à parier si le « petit » capitaine passera les fêtes de fin d’année sous les ors de Kosyam.
La pollution de l'air dans les villes africaines est encore plus mortelle qu'on ne le redoutait. C'est la conclusion d'une étude de l'ONG britannique « Clean Air Fund » sur la pollution de l'air sur le continent. L'étude, qui s'est concentrée sur 4 cas, Accra, Lagos, Johannesburg et Le Caire, assure que des solutions écologiques pourraient sauver des milliers de vie.
C'est un « tueur silencieux ». Dans les grandes métropoles du continent, respirer l'air est deux fois plus mortel que dans le reste du monde. En cause, selon l'étude de l'ONG britannique Clean Air Fund, le manque d'alternative à la voiture, la présence d'industries minières et pétrolières à proximité des villes et la combustion en plein air de déchets.
« Le statu quo ne peut pas être la seule solution », prévient l'ONG. Au Caire, à Accra, Lagos et Johannesburg notamment, les autorités auraient tout intérêt à s'emparer du problème. L'étude préconise d'investir dans les transports publics, de surveiller la qualité de l'air, et concernant les ménages, d'introduire des cuisinières plus propres. D'autant que l'exode rural s'accélère : la population africaine, majoritairement rurale, n'a connu que récemment l'exode vers des centres urbains. Selon les experts, plus de 65% de la population du continent devrait vivre dans des zones urbaines d'ici 2060. D'ici la fin du siècle, l'Afrique accueillera 5 des 10 plus grandes mégapoles du monde.
Selon des recherches antérieures, parues dans la revue The Lancet Planetary Health, en 2019, cette pollution a provoqué la mort prématurée de plus d'1 million de personnes en Afrique. A titre de comparaison, 650.000 personnes ont perdu la vie à cause des maladies liées au VIH-sida dans le monde la même année, selon des chiffres de l'ONU. En suivant les recommandations de l'ONG, d'ici 2040 125 000 vies pourraient être sauvées et les émissions de CO2 réduites de 20%. C'est aussi une opportunité économique selon l'étude, qui anticipe une réduction des arrêts de travail là où les niveaux élevés de pollution affectent la santé des salariés. Quelque 20 milliards de dollars pourraient être économisés dans ces quatre villes.
Selon un autre étude (du Health Effects Institute), le coût humain de la pollution atmosphérique en Afrique figure parmi les plus élevés de la planète. En Afrique subsaharienne, le taux de mortalité liée à la pollution de l'air est de 155 décès pour 100.000 personnes, soit près du double de la moyenne mondiale qui est de 85,6 décès pour 100.000 personnes, a expliqué le HEI dans un rapport. Si rien ne change en revanche, l'étude prévient que « les coûts financiers de la pollution atmosphérique vont être multipliés par six d'ici 2040 ». Un sujet qui sera à l'ordre du jour de la rencontre de la Cop27 à Charm-el-Cheikh, en Égypte.
Le nord du Mali à nouveau théâtre de luttes d’influences entre groupes jihadistes rivaux. Des affrontements ont opposé ces derniers jours le Groupe de Soutien à l’Islam et aux musulmans (Jnim) aux combattants du groupe État islamique au Sahel dans des localités de la région de Ménaka. Samedi 29 octobre, il semble que les rapports de force sur le terrain ont changé.
Avec notre correspondant régional, Serge Daniel
Les affrontements ont essentiellement eu lieu dans trois localités de la région de Ménaka : Adéraboukane, Inchnane et Tamalate. Selon plusieurs sources, ils ont duré quelques jours et ont été violents. Le groupe terroriste État Islamique (EI) aurait bénéficié d’appui de combattants venus de l’extérieur du Mali. De son côté, le Groupe de Soutien à lslam et aux musulmans (Jnim) semble avoir bénéficié du soutien de groupes armés locaux.
Les populations civiles ont quitté précipitamment hameaux et villages pour fuir les combattants et les différents bilans qui circulent font état de plusieurs dizaines de victimes de part et d’autres.
Le Jnim aurait repris en main la localité de Tamalate. Si l’information se confirme, c’est un sérieux revers pour l’EI, qui avait lancé en mars dernier une attaque meurtrière contre ce bourg, tuant au moins une centaine de civils, surtout des femmes et enfants.
Dans deux autres localités, les combattants de l’EI ont semble-t-il plié bagages. Vont-ils tenter de revenir en force ? Plusieurs observateurs sont inquiets, les armes circulent toujours illégalement dans ces zones et l’absence de l’État malien sur le terrain ne rassure pas les populations.