Les joueurs du Hafia FC, en août 2022. © Montage JA
En 1960, sitôt l’indépendance acquise, la Guinée dissout tous les clubs et associations sportives. Le football guinéen devient alors une affaire politique et l’apanage du Parti démocratique de Guinée (PDG), à travers sa section Jeunesse de la révolution démocratique africaine (JRDA), qui étend ses tentacules de Conakry au dernier village du pays. Il est créé une coupe dite « PDG », émulation sportive entre équipes compétitrices, mais aussi politique pour les différentes fédérations du parti, qui disposent chacune de leur formation.
Les résultats sur la pelouse entrent alors dans les critères d’appréciation « de leur vitalité et de leur degré de militantisme », écrit Cheick Fantamady Condé dans son livre Sport et politique en Afrique, le Hafia football club de Guinée (2008, Harmattan Guinée).
Cette compétition syndicale a ensuite permis d’impulser une dynamique, d’ancrer le football dans le paysage guinéen et de donner à la Guinée ses premiers représentants en Coupe d’Afrique des clubs champions, avant que ceux-ci ne soient sélectionnés à partir de 1967 sur la base de leurs performances dans le championnat national. Parmi les précurseurs : le Hafia FC.
L’immortel Kwame Nkrumah
L’hégémonie du Hafia s’est construite de 1972 à 1978. Durant ce bref mais glorieux intervalle, le mythique club de Conakry II (l’actuelle commune de Dixinn) n’a jamais été aussi régulier en Coupe d’Afrique des clubs champions : cinq finales disputées, dont quatre d’affilée, et trois remportées (1972, 1975 et 1977). Au point de susciter les convoitises du monde politique. Le trophée ne s’appelait-il pas la Coupe Kwame-Nkrumah, du nom du Ghanéen que Sékou Touré avait décidé de faire, théoriquement, le coprésident de la Guinée après qu’il a été chassé du pouvoir par un putsch militaire en 1966 et s’était exilé à Conakry ?
En demi-finale en 1977, le capitaine de l’équipe, Papa Camara, avait même clarifié l’objectif : « Au seuil de la grande finale, faut-il le réitérer à notre peuple, notre engagement est de ramener définitivement la coupe du coprésident, l’immortel Kwame Nkrumah. »
Conduite par Siaka Touré, la délégation guinéenne arrive ensuite au Ghana pour le match aller de la finale avec pas moins de 108 membres, dont au moins trois ministres, preuve de l’intérêt politique caché derrière la compétition sportive. Tout ce beau monde est réparti dans les hôtels, sauf les joueurs, qui dormiront durant tout leur séjour dans les locaux de l’ambassade de Guinée, sur des matelas posés par terre.
« Ce fut un des événements les plus importants de mon séjour au Ghana, confie l’ancien ambassadeur Chérif Diallo. On a vidé mon bureau, seuls les membres de la délégation et de l’ambassade y avaient accès. »
Un brin de mystique est même venu s’ajouter à l’histoire : alors qu’un devin, inconditionnel de l’Asante Kotoko de Kumasi, l’irréductible rival des Hearts of Oak, l’adversaire du jour du Hafia, prédisait la partialité de l’arbitre et un penalty accordé aux Ghanéens en finale, l’ambassadeur transmettait au ministre des Sports, Mamadou Tounkara, qui n’allait pas prendre les choses à la légère.
« Ils ont pris des dispositions occultes placées sous une brique déposée au bas de l’escalier qui mène à mon bureau. Des instructions fermes étaient données à tous ceux qui montaient ou descendaient de marcher dessus », confie l’ambassadeur.
Côté restauration, ce dernier faisait même ses courses à Lomé pour éviter une quelconque mauvaise surprise pour son équipe. Une énième superstition, à en croire l’ancien Premier ministre Kabiné Komara, qui se rappelle aussi avoir un jour été chargé – autre gri-gri – de ramener un caméléon de Fria à Conakry (environ 150 km), la veille d’un match du Hafia.
« Défendre et honorer la Révolution »
Le Ghana qui l’a vu naître et la Guinée qui l’a adopté se disputaient ainsi la paternité de Kwame Nkrumah. Et comme l’avait prédit le devin, l’arbitre accorda un penalty au club hôte, tiré par Anas Seydou. Mais lorsque le gardien guinéen l’arrêta, le public ghanéen se convainquit que l’Osagyefo (surnom de l’ancien président ghanéen, qui signifie le rédempteur) « ne [voulait] pas que sa coupe vienne au Ghana. Et c’est pourquoi, dès la première minute, son auguste ombre est allée en renfort au portier guinéen », rapporte Cheick Fantamady Condé. Après le match, l’équipe guinéenne, victorieuse 0-1, est rentrée via Lomé, où le président Eyadéma a offert un banquet au club.
En prélude au match retour à Conakry, toutes les structures du PDG, le parti au pouvoir, se mobilisaient pour les préparatifs devant célébrer le sacre du Hafia. De même, lorsque le Hafia a défait l’ASEC d’Abidjan le 31 juin 1973, la victoire sportive avait été célébrée à Conakry comme celle de la Révolution sur les « forces du mal et leurs valets africains ».
« Chaque soir, les joueurs reçoivent la visite des dirigeants du parti-État. Ceux-ci se succèdent à leur chevet et sur des accents pathétiques et parfois poétiques les exhortent à défendre et honorer la Révolution », raconte Cheick Fantamady Condé.
Au terme d’un match âprement disputé, le 18 décembre 1977, le Hafia s’impose face aux Hearts of Oak 3-2 et s’adjuge le triplé tant espéré, après 1972 et 1975. Le père de la Révolution, Sékou Touré, à bord de sa limousine blanche, fait plusieurs fois le tour de la pelouse, ovationné par le public.
« À l’époque, Sékou jouait beaucoup sur les codes politiques. Pour lui, la coupe Kwame-Nkrumah ne pouvait être ailleurs qu’en Guinée. C’est un joueur de damier, il n’aimait jamais perdre », explique l’ancien diplomate Chérif Diallo.
La renaissance du Hafia
Au lendemain de la victoire, Sékou Touré prononce un long discours qui prônait l’apaisement dans le monde, notamment dans ses rapports avec ses voisins immédiats, en particulier le Sénégal et la Côte d’Ivoire. « Le lendemain même, les relations avec les deux pays ont commencé à se normaliser », se souvient Chérif Diallo.
Trois mois plus tard, le 18 mars 1978, Sékou Touré, Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor se réconcilient à Monrovia, sous les auspices du président libérien William Richard Tolbert. En interne, la victoire du Hafia occasionne en outre la libération de plusieurs prisonniers incarcérés au camp Boiro.
A contrario, les défaites sportives pouvaient conduire en prison. Ce fut le cas le 2 septembre 1973, lorsque le club s’inclina à Conakry 2-4 face au Léopard de Douala, emmené par le très célèbre Roger Milla, auteur d’un doublé. Le premier revers du Hafia FC en Coupe d’Afrique des clubs champions, essuyé devant son public et, pis, devant le chef suprême de la Révolution !
Dénoncé à la présidence, l’entraîneur, Nabi Camara, passera neuf mois au camp Boiro. La défaite du 18 décembre 1976 à Alger face au Mouloudia avait quant à elle été suivie cinq jours après d’une réunion pour tirer les leçons de l’échec.
Présidée par Sékou Touré, elle avait débouché sur le limogage du ministre de la Jeunesse et des Sports, la dissolution du bureau de la Fédération guinéenne de football et la suspension indéterminée de joueurs. Ce qui n’a pas empêché le destin tragique de s’accomplir : après son triplé en 1977, le Hafia a sombré. Avant de renaître plus de trois décennies plus tard.
En 2013, l’entrepreneur Kerfalla Person Camara, alias KPC, l’a repris, avec l’ambition de redevenir champion d’Afrique. Après avoir remporté la coupe nationale en 2017, le Hafia a été sacré champion de Guinée en 2023, mettant ainsi fin à l’hégémonie du Horoya.